Pionniers à Ingolstadt

Édition :

Quand la troupe des pionniers (une organisation militaire chargée de créer des infrastructures, comme des routes ou des ponts) vient s’installer dans la ville d’Ingolstadt, c’est l’effervescence parmi la population, et surtout parmi les jeunes filles. Alma et Berta sont deux amies qui ont une conception très différente de la vie. Alma est pragmatique, expérimentée, et elle n’hésite pas à utiliser à son profit l’attrait qu’elle exerce sur les hommes. Berta est au contraire idéaliste et inexpérimentée, à la recherche du grand amour…
Marieluise Fleisser a 28 ans quand parait sa deuxième pièce, dans laquelle elle décrit sans fard les relations entre les filles et les soldats de passage :: humiliations, désillusions, amertume. La langue de Fleisser, rêche, lapidaire, sans fioritures ni compromis, inspirera la génération des Fassbinder, Sperr ou Krœtz et plus tard Elfriede Jelinek.

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Marieluise Fleisser

Pionniers
à Ingolstadt

Comédie en douze tableaux

(Pioniere in Ingolstadt)

Nouvelle traduction française de
Sylvie Muller

Editions du Brigadier
14, rue du Quai - 59800 Lille

Personnages

Karl

P’tit Max

Le blafard

Schiefing

Benke

Fabian Benke, son fils

Berta, leur bonne

Alma

Bibrich, apprenti

Le photographe

L’adjudant Willi

Le capitaine

Des pionniers

Des Filles

Des Lycéens

Des habitants

Premier tableau

Entrée des pionniers avec leur forge de campagne fumante. Musique. Entrent Berta et Alma ainsi que des habitants.

Berta. Et pourquoi ils ne chantent pas : « Auprès de ma blonde » ?

Alma. C’est pas des mousquetaires, c’est des pionniers.

Berta. Je croyais que cétait pareil.

Alma. Si tu les avais fréquentés, tu saurais. Mais tu ne veux rien entendre. Tu as quel âge, maintenant ? Une année de plus, voilà.

Berta. Alma, je ne veux pas me disputer avec toi. Alma, tu nes pas fréquentable.

Des pionniers passent.

Alma. Ah bon, tu crois ?

Berta. Ta patronne t’a donné ton après-midi ?

Alma. Elle ne peut plus rien me donner. Elle m’a renvoyée.

Berta. Mais quest-ce que tu vas faire ? Te voilà bien.

Alma. C’est pas ça qui va m’inquiéter. Les pionniers viennent d’arriver.

D’autres pionniers passent. « Attention, tête gauche ! »

Berta. Je me demande comment tu vas finir, Alma.

Alma. Ce nest pas toi qui payeras les pots cassés.

Berta. Mais on ne sait jamais.

Alma. Je n’ai encore jamais dit du mal de toi.

Berta. Jusqu’à maintenant ! Tu serais bien la première à me laisser tomber, si les autres savaient des choses sur moi.

Alma. Berta, jamais ! Parce que jamais, jamais je ne ferai ça.

Berta. On verra le moment venu, Alma. Mais lamitié doit rester.

Alma. Et moi, Berta, je ne t’abandonnerai pas.

Elle lui tend la main. Des soldats passent, avec une forge de campagne.

Berta. Il faut que je te demande quelque chose : dis-moi juste comment on fait.

Alma. Fait quoi ?

Berta. Pour connaître quelquun.

Alma. Avec moi, ça ne traîne pas.

Berta. Je n’aimerais pas être comme toi. Mais j’aimerais bien connaître un homme.

Alma. Tu as le fils de tes patrons.

Berta. Je ne sais pas sil...

Alma. Tu dois savoir, sil te veut quelque chose.

Berta. Lui, il ne desserre pas les dents. Et chaque fois que je nettoie par terre, il vient se mettre dans mes jambes. Ça ménerve.

Alma. C’est que tu lui plais, cest tout.

Berta. Je ne pensais pas que ce serait comme ça.

Alma. Tu nas pas trop le choix.

Berta. Si, jai le choix, mais c’est que j’aimerais connaître un Monsieur.

Alma. Qui te parle d’un Monsieur, dis carrément un pionnier, ce nest tout de même pas difficile.

Berta. Cest que je me sauve dès qu’on me regarde.

Alma. Bon, alors tu vas y aller voir, quand ils construiront le prochain pont. Ça viendra tout seul, éventunellement (sic). Le nouveau pont, par-dessus lAltwasser. La ville fournit le bois, et cest les pionniers qui le construisent. Cest toujours ça de moins à payer pour la ville.

Berta. Ce n’est pas perdu pour tout le monde.

Toutes deux sortent. Entrent Benke et son fils Fabian.

Benke. À ton âge, je savais y faire depuis longtemps.

Fabian. Je naccroche pas avec elles.

Benke. Ça non plus, je ne laurais pas dit.

Fabian. Écoute, il faut savoir y faire. Les filles daujourdhui sont épouvantables.

Benke. Nous aussi, on nous avait fait peur. Tu nas pas de cran ?

Fabian. Je le dis comme cest. Je ne peux plus me retenir.

Benke. Cest comme ça quon se fait avoir. Ouvre lœil et garde la tête froide. Tu vas y arriver, va.

Fabian. Il ne faut pas se tromper de fille.

Benke. Berta est libre.

Fabian. Cest facile à dire pour toi.

Benke. Mais comment tu te débrouilles, mon garçon ? La bonne fait partie de la maison, cest ce quil y a de plus pratique, ce nest pas comme avec une inconnue. Je me demande bien qui tu ramènerais, sinon. Fabian, il faut toujours savoir ce quon veut. Tu vas aller la voir, dans le couloir...

Fabian. Je ne trouve jamais rien à dire.

Benke. Cest à ça que je sers, à te dire après ce qui nallait pas.

Fabian. Jai beau penser et repenser...

Benke. Ça va te faire une occupation pour les prochains temps. En amour, lhomme doit être froid, c’est comme ça qu’il devient lhomme de la situation.

Fabian. Après ça, jai le cœur encore plus lourd.

Noir.

Deuxième tableau

Berta et Alma, assises sur un banc. Elles chantent ensemble.

Alma et Berta, chantant.

Henri dormait près de son épousée

Une riche héritière du Rhin,

Les cauchemars, qui toujours l’ont tourmenté,

Le font chercher le sommeil en vain.

Alma. Aujourdhui, cest vraiment calme ici.

(Elle chante :)

Minuit sonne et par les rideaux d’étamine

Passe une blanche petite main.

Et soudain, que voit-il, sa Wilhelmine,

Qui en suaire, devant lui se tient.

Ne tremble pas, dit-elle d’un ton très doux,

Henri, mon bien-aimé, ne tremble pas,

Je ne viens pas à toi pleine de courroux,

Ton nouvel amour, je ne le maudis pas.

Entre un pionnier. Alma le suit, Berta lui crie : « Alma ! » Entrent les pionniers Le Blafard et P’tit Max.

Le Blafard. Il faut quon en ait trouvé une avant onze heures.

P’tit Max. Cest foutu pour aujourdhui.

Le Blafard. Là, en voilà encore une.

Entre Alma.

P’tit Max. Mademoiselle, pourquoi vous promenez-vous seule, si tard le soir ?

Alma. Dites-

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