Purgatoire à Ingolstadt

Édition :

Un groupe de lycéens dans une petite ville d’Allemagne. Olga attend un enfant de Peps qui ne s’intéresse plus à elle et lui ordonne de s’en débarrasser. Elle subit également le chantage de Rölle, un jeune marginal défiguré qui se sent l’âme d’un saint, lui qui est le souffre-douleur du groupe. Désespérée, Olga se jette à l’eau, mais Rölle la sauve…
Marieluise Fleisser a 22 ans quand elle écrit cette première pièce, dans laquelle elle dresse un tableau terrifiant de la jeunesse allemande pendant la République de Weimar. L’égoïsme, la cruauté physique et le harcèlement du groupe envers les plus faibles forment la pierre angulaire de ce drame. Un tableau tragique et grotesque de la génération qui, quelques années plus tard, portera Hitler au pouvoir.

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Marieluise Fleisser

Purgatoire

à Ingolstadt

Comédie en six tableaux

(Fegefeuer in Ingolstadt)

Nouvelle traduction française de
Sylvie Muller

Editions du Brigadier
14, rue du Quai - 59800 Lille

Personnages

Berotter

Olga

Clémentine

Christian

Rölle

La mère de Rölle

Protasius

Gervasius

Peps

Hermine Seitz

Crusius

Premier servant de messe

Deuxième servant de messe

Premier écolier

Deuxième écolier

Troisième écolier

Des écoliers et des écolières

Des gens

Premier tableau

La salle de séjour des Berotter. Berotter, Olga, Clémentine ; cette dernière nest pas encore en scène.

Clémentine. Où est passée la clef de larmoire à linge ? Tout disparaît dans cette maison.

Berotter, à Olga. Tu ne réponds plus quand on te parle ?

Clémentine. — Si on veut que je refasse le lit.

Berotter, à Olga. Il faudrait peut-être quHermine Seitz elle dorme dans un lit pas fait ?

Olga. Sur la commode.

Berotter. Tu as encore été prendre quelque chose sans demander ? Il faudra que je te dise ça combien de fois, cest interdit dans cette maison.

Olga. Puisque Clémentine ne me donne rien.

Clémentine, entrant. — Faut toujours crier ici. Olga, ta chemise dépasse de nouveau. Et de quoi tu as encore l’air.

Olga. Si tu ne me donnes jamais rien.

Clémentine. Quest-ce quelle va penser, Hermine ?

Olga. Moi, je ne tiens pas à ce quelle vienne.

Berotter. Madame Seitz est à lhôpital. Quest-ce que tu veux quelle en fasse ?

Olga. Vous ne la connaissez pas, Hermine.

Berotter. Cétait ton amie chez les sœurs.

Clémentine. Et la soupe au riz que tu naimais pas, elle la toujours mangée à ta place.

Olga. Maman ne serait pas contente, quelle vienne à la maison.

Clémentine. Elle, elle parle de maman !

Berotter. Je nirais pas lui faire ça, à madame Seitz.

Olga. Tu l’aimes bien, hein ?

Berotter. Si tu crois que je vais me disputer avec toi. Elle se croit plus que son père. Elle sait le latin. Elle veut men imposer.

Clémentine. Elle n’a même pas pleuré à lenterrement.

Berotter. Et ça veut avoir le droit de parler.

Clémentine. Elle n’a pas non plus été à léglise aujourdhui.

Berotter. Tu nas pas été à léglise ? On peut dire que tu donnes lexemple. Et cest laînée !

Olga. Le Diable rôde autour du confessionnal, à léglise.

Clémentine. Cest ta mauvaise conscience.

Berotter. On ne sait même plus sil faut ty envoyer ou pas. Je ne veux plus de ces mortifications. Il faut toujours que tu exagères.

Clémentine. Si elle n’existait pas, faudrait l’inventer !

Olga. Vous me dites ça tous les jours.

Berotter. D’ailleurs, jaimerais savoir ce que tu fais à la maison après lécole. Elle ne met jamais un pied à la cuisine.

Olga. Tu ne memmènes pas non plus au café, toi.

Berotter. Tu n’arrives pas à parler.

Olga. Jai de qui tenir. Tu ne mas pas élevée comme un être humain.

Berotter. Je nai préféré aucun de mes enfants.

Olga. Tu n’étais pas satisfait de mon visage, les enfants sentent ça. Tu disais tout le temps que javais la tête penchée.

Berotter. Ce nest pas ta mère qui ta appris à répondre.

Christian, entrant. — Salut.

Berotter. On ne jette pas son cartable n’importe où. Va le ramasser et pose-le soigneusement.

Christian. Il n’y a plus dardoise dedans.

Berotter. Tu me réponds ?

Clémentine. Il tient ça dOlga.

Christian. Quest-ce quil peut ménerver, ce Rölle.

Olga. Qu’est-ce qu’il y a avec Rölle ?

Christian. Y a eu quelque chose entre Rölle et toi ?

Olga. Cétait il y a longtemps.

Christian. Je me disais bien, on peut raconter ça sur toutes les filles. Je connais mon Olga.

Olga. Il pue. Il craint leau.

Christian. Il dit quil peut sen prendre à toi.

Olga. Une fois de plus.

Christian. Il dit quil sait des choses sur toi et qu’il peut te dénoncer s’il veut.

Olga. Les garçons croient toujours quils peuvent vous forcer.

Christian. Il va venir d’ailleurs, sil a le temps.

Olga. Tu parles !

Clémentine. Olga ma retardée. Et maintenant ton col nest pas prêt.

Christian. Sainte Nitouche.

Clémentine. La preuve est faite. Son Olga, il ne la gronde jamais.

Christian. Ton Rölle est allé raconter partout comment Hermine Seitz a perdu son jupon place du gouvernement.

Clémentine. Mon Rölle ne ferait jamais ça.

Berotter. Le jeune Rölle, tu ne devrais pas le traiter comme ça, Olga. Tu es passée à côté de lui comme sil était transparent. Alors quil t’avait saluée.

Olga. Il a un cou comme un asticot.

Clémentine. Mais il a aussi des faux-cols.

Berotter, à Olga. Faut dire que t’es une beauté.

Christian. Cest ça qui est pratique, c’est tout mou quand il penche la tête.

Berotter. Il ferait presque pitié. Il est devenu tout rouge. Quand on sent que quelquun sintéresse à vous. Tu finiras mal. Tu es dure.

Olga. Quand on était petits, il ma demandé de faire quelque chose de dégueulasse.

Clémentine. Jamais il ne ta demandé de faire quelque chose de dégueulasse. Olga les veut tous pour elle.

Berotter. Lui aussi, cest un être humain. Et la politesse, tu as dû lapprendre chez les sœurs. D’habitude, tu n’es pas aussi timide.

Clémentine. Olga est trop chic pour nous. On n’a rien le droit de lui dire.

Christian. Ne la grondez pas à cause de ce Rölle. Cest un lâche. Personne ne le fréquente. Il n’ose pas fumer avec les autres, par peur de se sentir mal. Il craint leau.

Clémentine. Faut toujours que tu l’aides ton Olga. Maintenant, cest moi qui vais dire quelque chose. Et lhistoire du chien ?

Christian. Ce n’était pas sa faute à elle.

Clémentine. Quelquun lui a enfoncé des épingles dans les yeux.

Olga. Pas moi.

Clémentine. Il tombait à droite, il se relevait, il tombait à gauche, sans arrêt. Et toi, tu regardais.

Berotter. Mais comment tu peux être comme ça, toi ?

Olga. Ils l’ont traqué jusque devant ma fenêtre, ce ne sont pas des manières. Alors, ils se sont sentis forts.

Berotter. Qui l’a traqué ?

Olga. Laissez-moi.

Clémentine. Mais tu vas voir, un jour, il t’apparaîtra.

Olga. Cétait le petit marron avec les oreilles pendantes.

Christian, à Clémentine. Tu es toujours à rapporter des calomnies. Alors qu’elle est bien mieux que toi.

Clémentine. Tu crois quOlga taime. Olga na pas de cœur.

Christian. Olga nest pas comme toi.

Clémentine. Va la retrouver, ton Olga.

Berotter, à Olga. Ne penche pas la tête comme ça. Faut vraiment quils se disputent à cause de toi ? Ne recommence pas à m’énerver avec ton visage.

Clémentine. On nen a pas fini avec elle.

Berotter. Qu’est-ce qui s’est passé avec le chien ? Tu as regardé ? C’est ça ?

Clémentine. Rölle, pour moi, c’est terminé.

Olga, à Berotter. — Tu veux me frapper ?

Berotter. Quand est-ce que je tai frappée pour la dernière fois ?

Olga. Y a une éternité. Et je sais bien que, pour toi, c’est un soulagement.

Berotter. Ne me punis pas en me rappelant ma défunte Anna.

Olga. Frappe-moi et cest ma mère que tu frapperas en moi.

Berotter. Je ne le peux pas. Écoutez-moi, quand je parle, vous la chair de ma défunte Anna. (Il s’écroule.) Voyez, je suis à terre. Le voici, lhomme qui fut si dur pour sa défunte Anna. Il faut que les enfants le sachent.

Les enfants, indécis, restent près du père. Tous le relèvent.

Clémentine. Je sens quelle va de nouveau passer au travers.

Berotter. Tu nes pas un ange non plus.

Olga. Je suis ok ?

Berotter. Tu es ok. Tous sont ok. Il ny a que moi qui ne suis pas ok.

Christian. Nen profite pas pour tabsoudre devant tes enfants.

Berotter. Il ne faut pas abandonner votre père. Jaimerais savoir pourquoi on na rien à se dire.

Olga. Je ne sais pas comment on fait.

Berotter. Tu es de nouveau ma gentille fille. Si seulement Anna était là.

Clémentine. Olga, tu laimes plus que moi ?

Berotter. À te voir, on dirait pas que tu as du travail. Le col de Christian, il sera prêt quand ? Faudra quil attende encore ?

Clémentine. Là, je suis ok pour vous.

Berotter. Tu devrais savoir ce que tu as à faire.

Clémentine. Olga, on ne loblige jamais à rien.

Berotter. Parce quelle se sent mal.

Clémentine. Et ce serait quoi comme maladie ?

Berotter. Toi, tu dois te taire.

Clémentine. Je sais bien que vous me détestez. Tout le monde me déteste.

Berotter. Elle ne va pas s’y mettre, elle aussi !

Clémentine. On veut toujours m’empêcher de parler. De là-haut, ma maman voit comment vous traitez son enfant.

Olga. Tu y crois ?

Clémentine. Cest ma maman.

Olga. Je n’ai pas voulu faire une mauvaise action. Il ne faut pas que maman pense ça de moi.

Clémentine. Tu tétais enfuie quand elle est morte.

Olga. Tu peux lui faire savoir quelque chose ?

Clémentine. Elle ne veille plus sur toi. Maman voit jusquau fond du cœur.

Olga. Ce n’est pas encore un être humain, ils me lont bien expliqué. Ça ne lui fait pas mal. Il n’a pas encore d’âme. Au catéchisme, on ma dit quils allaient ailleurs.

Clémentine. Tu as peur.

Olga. Je ne voulais pas ravir une âme au ciel. Ça na pas dâme. Cest encore trop petit pour ça.

Clémentine. Tu niras pas au ciel, plus tard. Il te faudra rôtir en enfer et moi, je serai auprès de saint Pierre.

Olga. Et tu feras comme si tu ne me connaissais pas.

Clémentine. Je ne tentendrai pas crier. La distance sera trop grande.

Olga. Maman, regarde, voici ton enfant. Et voici, les pharisiens.

Clémentine. Et toi, tu te placerais où ?

Olga. C’est ça, met le doigt là où ça fait mal. Cest là, à tout jamais.

Christian. Tu voudrais être quelquun dautre, Olga ?

Olga. Pas vraiment non plus. Je nai jamais le droit de savoir qui je suis.

Clémentine. Rölle vient darriver. Rölle est dans lescalier.

Berotter. Inutile de t’énerver comme ça. Ce nest pas toi quil vient voir.

Clémentine, à Olga. — Lui aussi, tu veux me le prendre ?

Olga. Est-ce que jai dit que jen voulais ?

Rölle, entrant. Bonjour tout le monde.

Christian. Ah, l’enfant modèle. Tu n’as plus quà faire demi-tour.

Berotter. Christian, voyons. Laisse-lui le temps d’arriver. Venez jeter un coup dœil sur notre aînée, jeune homme. Elle est tellement imprévisible. À cause de lanémie, sans doute. Elle sest sentie mal, aujourdhui.

Rölle. Mais certainement. Pour ma part, je veux bien.

Clémentine. Que vois-je, un beau jeune homme dès le petit matin.

Berotter. Toi Clémentine, tu viens avec moi. Soyez sage, jeune homme.

Ils sortent avec Clémentine.

Christian. Dégonflé. Dès quil y a une grande personne, il fait son numéro.

Rölle. Tu ne comprendras jamais rien aux relations humaines de haut niveau.

Christian. Bouge de là, Olga va avoir sa leçon de maths. Et Peps sera là d’une minute à l’autre.

Rölle. Ça me fera dune pierre deux coups. Ceci dit avec la plus tranquille assurance.

Christian. Il vient avec quelquun, Peps, avec ta fameuse Seitz, parce quelle va rester un peu chez nous.

Rölle. Ce nest pas elle qui me ferait changer de trottoir. Parce que chez moi, cest de la provocation.

Christian. Tu lui as demandé quelque chose de dégueulasse.

Rölle. Et puis quoi encore ?

Christian. Olga ne veut pas de toi.

Rölle. Quelle me le dise elle-même. Ôte-toi de là.

Il le repousse.

Christian. Faux jeton !

Rölle. Tiens, ça tapprendra à vivre. (Christian est vaincu ; à Olga :) Mon père vend du tabac à priser. Cest ça mon père.

Olga. Ce n’est pas moi qui ait dit ça.

Rölle. Devant le temple protestant. Vous avez dit que je puais.

Olga. Jétais encore petite.

Rölle. Cest un commerce transatlantique.

Christian. Il n’est pas capable de...

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