Acte I
Huit heures sonne. Mme Fourmesse de Biguefolle rentre . Elle est en robe de chambre, pas coiffée, pantoufles au pied. Elle traverse la pièce, le pas léger et va appuyer sur un interphone au mur.
Madame (guillerette) : Il est l’or Hector !
Elle s’asseoie à la table. Elle commence à beurrer ses tartines, se servir un jus d’orange puis se relève et va sonner de nouveau,
Madame : Hector, il est l’or !
Elle retourne s’asseoir en chantonnant. Après quelques secondes, elle se relève, visiblement agacée. Soudain elle réalise et fait un signe de croix.
Madame : Ah c’est vrai... Pauvre Hector… Décidément, je ne m’y ferai pas ! (Elle se lève et appelle son mari en se dirigeant vers la cuisine.) Emile, le petit-déjeuner est servi ! (Elle sort. Monsieur rentre, les lunettes sur le nez, le nez dans son journal hippique, très absorbé. Il est en complet tweed à carreaux, tendance week-end chasse.)
Monsieur (s’asseyant) : Mmmmm... (s’exclamant soudain) Ah ! C’est bien ça : ils donnent Perle du Fraîchin à cinq contre un dans la cinquième ! A cinq contre un ! Je me gausse !
Madame (revenant avec le plateau du petit-dejeuner : 2 verres vides, deux tasses de café, deux assiettes de tartines) : Avez-vous remarqué que les Beauprés étaient absents hier au Lyon’s ? J’ai su par Rollande que son père à elle est décédé cette semaine.
Monsieur (pour lui-même) : …Elégance des prés ?… elle n’a jamais fait parlé d’elle…
Madame : Emile !
Monsieur (enlevant ses lunettes) : Ma chère ?
Madame : Je vous disais que le père d’Amélie Beaupré est décédé.
Monsieur : Non ?!...
Madame (en se levant) : Si…
Monsieur : Tiens donc ! Le père Beaupré ! Alors c’est pour ça qu’il n’y était pas hier soir !... Et on l’enterre…?
Madame : Non, non, ils pensaient à l’empailler pour décorer le salon !... (Elle sort par la cuisine. Des coulisses :) Mais bien sur qu’ils l’enterrent enfin !
Monsieur : Non, je voulais dire où, quand… ce genre de détails voyez-vous…
Madame : Je ne sais pas. (Revenant avec la cafetière.) Je téléphonerai à cette brave Amélie. Un peu plus de café ?
Monsieur (se replongeant dans son journal) : Non, non… (Elle se sert.) Tiens, Gazelle-mon-amour, elle court encore !…
Madame (ramenant la cafetière à la cuisine) : Ah par contre, une qui n’est pas passée inaperçue avec sa toilette, c’est Rolande !…
Monsieur : …une pouliche avec une croupe pareille je me demande bien qui voudrait la monter…
Madame (revenant) : Avouez que la vie est cruelle : elle dépense un argent fou pour avoir une peau de peche mais… elle a plutôt l’aspect du noyau !
Ayant fini son café, Monsieur se saisit distraitement de la clochette, sonne et tend sa tasse pour en demander tout en continuant l’étude de son journal. Il ramène sa tasse à lui, constate qu’elle est vide, sonne et la tend de nouveau. On peut lire de l’exaspération dans le regard de Madame…
Madame : Vous pouvez sonner longtemps mon ami…
Monsieur : Et Hector alors ?
Madame : Hector est mort !
Monsieur : Lui aussi ?! Ah mais oui… c’est vrai… La semaine dernière ! Sa chère Augustine nous a quitté voilà bientôt deux ans et voici maintenant notre dévoué Hector parti la rejoindre là-haut…
Madame : Que voulez-vous, c’est la vie !
Monsieur : Oui, enfin… en l’occurence…
Madame : Je me comprends.
Monsieur : C’est le principal. (Songeur) Le pauvre Hector... (Il sort de sa rêverie et engloutit en une seule bouchée une tartine.)
Madame : Me voilà maintenant seule pour tenir cette maison ! Voilà bientôt une semaine que je sacrifie mon temps !
Monsieur (pouffant) : … Laissez donc ce pauvre Yves où il est … (Il porte sa tasse de café à sa bouche.)
Madame (l’ignorant) : Je m’échine à maintenir cette maison dans un état convenable. A force d’astiquer et de nettoyer, j’ai les mains aussi abîmées qu’une vieille paysanne ! Non, il nous faut remplacer ce pauvre Hector dans les plus brefs délais !
Monsieur (grimaçant au goût du café) : Ouh… Au plus vite, oui, vous avez raison… (pensif, il pose son journal) Voyez-vous, les jours passant et sentant la triste fin venir, j’aurais dû demander à Hector de faire quelques litres de café… (Il se replonge dans son journal.)
Madame (piquée) : Pourquoi ça ? Le mien ne vous convient pas ?
Monsieur : Hummm… ne le prenez pas mal ma cane mais disons que généralement dans un café il y a plus de liquide que de solide... (Il plante sa petite cuillère dans la tasse : elle tient toute seule.)
Madame : Que voulez-vous ! Impossible de trouver où Hector rangeait les filtres !
Monsieur : Ah…C’est donc ça…
Madame : Et bien la prochaine fois, vous le ferez vous-même !
Monsieur : Je n’y manquerai pas…
Madame (se levant) : Bref, j’ai pris les choses en main… Je vous prie de croire que c’est incroyable les difficultés qu’on peut avoir de nos jours à trouver des gens de maison ! J’en ai parlé à toutes nos relations : au club, dans les commerces, même à la messe !…
Monsieur (ironique) : Même à la messe ! En effet, l’affaire est sérieuse…
Madame : Le marché se tarit mon cher, voilà tout ! La société s’encrasse Emile ! Faudra-t-il un jour que j’apprenne, moi, à faire marcher l’aspirateur ! Je vous le demande !…
Monsieur : Mais non, comme dirait Platon… vous aspirez à bien d’autres choses…(Il rit, content de son mot.)
Madame : Mais je resterai inflexible sur mes critères ! Efficace, de l’allure et ni barbe, ni moustache ou autre excentricité de ce genre !
Monsieur : Un ou une domestique…
Madame : Les hommes sont plus résistants !
Monsieur : Les femmes plus minutieuses…
Madame :…mais plus bavardes !…
Monsieur : … mais moins poilues… normalement…
Madame : Peut-être mais on ne trouve que des acariâtres poussiéreuses …
Monsieur : Une femme de ménage poussièreuse, c’est embêtant…
Madame : Des femmes qui passent leurs journées à se plaindre ! Non, merci !
Monsieur (à part) : Pas deux dans la même maison…
Madame : J’ai donc finalement retenu deux candidats. En fait, les deux seuls convenables dont on m’a parlé ! Deux hommes envoyés par notre ami Jean-René de Lamphore : un de ses anciens employés et une candidature spontanée. Le premier doit se présenter ce matin, le second en soirée.
Monsieur (un sourire entendu au coin des lèvres) : Ah ? une candidature spontanée ?... Ce n’est pas commun ! Lamphore connaît cette personne ?
Madame : Non, il l’a reçue par la poste !
Monsieur : Par la poste ?! Ça beau être un domestique, tout de même…
Madame : La candidature !
Monsieur : Ah !.... Et l’autre, vous me disiez, un ancien domestique de Lamphore ?…
Madame : Oui, maintenant que ce grincheux est veuf, il voudrait du personnel féminin dit-on au club. Pfff ! (en mimant le bibendum) Lamphore… On n’a jamais aussi bien porté un nom… Il ferait mieux de garder son argent pour s’acheter du savon en citerne ! Qu’est-ce qu’il sent !
Monsieur : A faire décoller la tapisserie… Lamphore : fier comme un coq, gras comme un porc !... Ah, je ne pourrai jamais oublier l’adorable zeuzotement de notre regretté Hector. Cette façon inimitable qu’il avait de dire : « Tiens monzieur va zasser, madame Zervaise va encore vous zerzer partout » (Il rit).
Madame (elle se force à rire avec lui puis avec un sourire tendre) : Je ne voudrais pas vous « zasser » mon ami, mais il est déjà huit heures passé.
Monsieur : La voix de la raison ! (Il se lève et enfile son pardessus.) Quand j’y repense, notre Hector, c’était une vraie mère Térésa pour nous ! Que Dieu le garde...
Madame : C’est bien parti pour…
Monsieur : C’est sur... Bon, allez, je vous laisse ma libellule, mon dur labeur m’attend.
Madame (en faisant un petit geste de la main) : C’est cela, c’est cela, mon canard. (Il sort. Elle commence à ranger la table du petit déjeuner sur un plateau, en soupirant.) Mon petit magret de canard…
Le téléphone sonne. Madame va décrocher.
Madame : Allo ?… oui c’est elle-même… Ah ! Mon cher Jean-René !… (très miéleuse) Oh ! Une varicelle ? mon pauvre ami !… Je comprends… Bien sur… Oui… oui… oui… Donc votre domestique ne viendra pas ce matin ? (Changement radical de ton) Jusqu’au mois prochain ?!... Au moins ?!! Mais enfin, vous n’y pensez pas ! Ça gratte, ça gratte, peut-être mais... Un autre candidat ? (se calmant) Un ancien domestique de votre ami Monsieur Vaselot ?... Eh bien, dites à votre ami Lancelot… Oui, Vaselot… Dites-lui vers dix-huit heures. Très bien … Au revoir mon cher !… (Elle raccroche) Ce gras Jean-René ! La varicelle !... ça ne fera que quelques rougeurs de plus… (Elle finit de ranger ou arrange son intérieur) Les deux candidats ne viendront donc que ce soir ? Hum… Voilà qui nous laisse du temps…
Elle se met à chantonner de manière guillerette tout en abandonnant son épaisse robe de chambre sur le canapé. Elle porte dessous un déshabillé sexy. Elle va à la porte donnant sur l’extérieur et imite le bruit de la tourterelle puis court s’allonger dans une position sensuelle sur le canapé. Entre par la porte de la cuisine un dandy charmeur, plus jeune qu’elle, portant élégamment un costume et chemise sombres. Gervaise commence un petit jeu de séduction en susurrant « You can leave your hat on » de Joe Cocker.
Capet de Cudinssé (entrant, et allant directement poser sa veste) : Ah chérinette, enfin près de toi !… (s’arrêtant brusquement et humant) Ouh ça sent le poisson ici, non ?
Madame : Ah ?
Capet de Cudinssé (reprenant) : Ah!… Ces lèvres !… ces jolies lèvres !… Je m’intéresse à leur conversation tu sais… de près… de très près… (Il l’embrasse.)
Madame (regardant vers la porte) : Doucement !… Fougueux, va !
Capet de Cudinssé : Mais ne t’inquiète pas : j’ai croisé ton mari en voiture ! enfin…(railleur) j’ai supposé que c’était lui : j’ai juste vu une voiture comme la sienne avec deux énormes bois de cerf au dessus de la place conducteur …
Madame : Tu es bête … (Ils s’embrassent.) Ah, mon Roméo… Mon Tristan… Tiens, allez : fais-le moi encore une fois !
Capet de Cudinssé : Mais quoi donc ?
Madame : Tu sais bien… Elvis ! Comme la semaine dernière…
Capet de Cudinssé (à part) : Je n’aurais jamais dû…
Madame : J’adore quand tu fais le King, ton déhanché est irrésistible… Je te croquerais comme un chocolat. (Gamine) S’il te plait ! s’il te plait ! s’il te plait !
Capet de Cudinssé : Ici ?
Madame : Mais oui ici ! (suppliante) Allez… allez… mon choupounet…
Capet de Cudinssé : Mais… tu ne m’avais pas dit que tu devais recevoir quelqu’un pour remplacer votre domestique ?
Madame : Si, mais il s’est décommandé à l’instant et ne viendra que ce soir. Nous avons la journée entière !
Capet de Cudinssé : Tu aurais pu me prévenir ! Je serai venu plus tard, comme d’habitude !
Madame : Mais je te dis qu’il vient juste de téléphoner ! Alleeezz !... tiens monte sur le guéridon, et je me mettrai à tes pieds comme une groupie en extase !
Capet de Cudinssé : Sur le … ah non ! Tu n’y penses pas tout de même ?!
Madame : Si ! Une idole, une fan : il nous faut une scène !
Capet de Cudinssé : Peut-être… mais je ne suis pas sûr qu’il soit encore suffisamment solide, je me blesserais en tombant !... Tu ne veux pas que je me blesse, n’est ce pas ?
Madame : Les plus grands amants de l’histoire étaient prêts à mourir pour leur dulcinée …
Capet de Cudinssé : En tombant d’un guéridon ?
Madame : Et pourquoi pas ?
Capet de Cudinssé : On n’a pas dû lire les mêmes livres !
Madame (faussement amère) : Eh bien…. mon preux chevalier a troqué sa rapière contre un couteau à beurre, et son armure contre un tutu ! (Boudeuse, elle remet sa robe de chambre et fait mine de quitter la pièce.)
Capet de Cudinssé (la rattrapant) : Mais foutre-ciel, point du tout ! Enfin je…
Madame : Alors… là, sur le guéridon, tu le ferais pour moi ?
Capet de Cudinssé (après un soupir) : C’est uniquement parce que c’est toi, hein !… (Il l’embrasse puis monte sur le guéridon. A lui même, en montant.)… Et c’est la dernière fois !...
Madame (scandant et se mettant juste en dessous de lui) : Elvis ! Elvis !…
Capet de Cudinssé, le sourire enjoleur, commence à marquer le rythme en tapant dans les mains. Madame fait de même.
Capet de Cudinssé : Well, its one for the money… (Il se fait prier, continuant à marquer le rythme.)
Madame : Elvis, la chemise !… Elvis, la chemise !…
Capet de Cudinssé (reprenant) :
Well, its one for the money,
Two for the show,
Three to get ready,
Now go, cat, go.
(Il fait tourner sa chemise au-dessus de sa tête.)
But dont you step on my blue suede shoes.
You can do anything but lay off of my blue suede shoes.
Le mari rentre. Madame est de dos, mais Cudinssé voit immédiatement le mari et se fige, tenant d’une main sa chemise. Après un bref temps d’hésitation, il crache sur sa chemise et commence à frotter le mur.
Madame (se retournant) : Ah... vous revoilà mon ami… (A Capet de Cudinssé) : Bien: vous êtes donc assez grand pour faire les poussières là-haut. (Capet de Cudinssé s’exécute et fait mine d’astiquer avec sa chemise.) Bien, bien, bien…
Monsieur : Oui… euh… j’ai oublié un dossier. Monsieur... Dites-moi, mon alouette, ne… Ouh mais ça sent le poisson, séant, non ?
Capet de Cudinssé : Ah oui !
Madame : Vous avez le nez trop près de la bouche, voilà tout…
Monsieur : Hum…Très drôle ma caille !… Dites-moi, une toute petite remarque : ne croyez-vous pas que c’est un peu trop pour un premier entretien ?
Madame : Un peu trop ? (à Cudinssé) Vous pouvez vous rhabiller. (Il s’exécute.) Vous entendez ? “un peu trop” ! Ah mais vraiment on voit que vous ne suivez pas les affaires courantes dans cette maison ! Que ferait-on avec un domestique trop petit, hein ? Acheter un guéridon plus grand ? Et que ferait-on de celui-là ? L’exiler dans un coin de la maison ? un guéridon que je tiens de ma grand-mère ! Mais vous n’y pensez pas ?!
Monsieur : Certes… certes ma chère mais Hector était bien plus petit que lui...
Madame : Et regardez où ça l’a mené le pauvre ! (Elle fait un signe de croix)
Monsieur : Certes... (s’adressant à Capet de Cudinssé) Ne préfériez-vous pas un escabeau ?
Madame (le prenant de vitesse) : Un escabeau ! un escabeau ? Un escabeau !! Non mais mon cher vous plaisantez j’espère ! Un escabeau ! (Elle va se mettre juste en dessous de Cudinssé et lève la tête). Le guéridon vous plait, n’est-ce pas ?
Capet de Cudinssé (Cudinssé en train de se rabhiller, se fige et fait oui de la tête.) : Euh… Oui…
Madame : Vous ne préfériez tout de même pas un vulgaire escabeau ?!
Capet de Cudinssé : Euh… Non…
Madame : Voyez !... Un escabeau ! c’est encombrant ! Pourquoi pas… pourquoi pas une… une nacelle...