Scène 1 : Léontine, Marie
Léontine - Alors la Marie, t'as t'y vu la Marquise ?
Marie - Si j'l'ai vue ? Sûr que j'l'ai vue ! Seulement, elle est point comme d'habitude. Depuis que ce m'as-tu-vu est arrivé, je la r'connais plus.
Léontine - Moi non plus. Et tout ça, c'est à cause du nouveau que madame la Marquise a fait venir.
Marie - Celui-là, quand il est arrivé, comment qu'y causait ! Comme si qu'il était tombé d'la Lune. T'as entendu comment qu'y baragouine ? (Elle l'imite en exagérant) Je viens de «Veursailles».
Léontine - (Imitant le maître des étiquettes) Et mé, je viens du «jeurdin». Paraît que ça s'appelle un Maître des étiquettes.
Marie - Des étiquettes ? Il fait des confitures ?
Léontine - Non. A Veursailles, l'étiquette, c'est tout c'qu'y faut faire pour être dans la mode. Ça s'appelle faire des manières.
Marie - Des manières ? J'en fais t-y, moi, des manières ?
Léontine - Et ben, paraît qu'à Veursailles, y faut en faire.
Marie - Y z'ont qu'ça à faire, à Veursailles, des manières.
Léontine - En plus, paraît que leurs manières, ce s'rait les bonnes.
Marie - Ah bon ? C'est les bonnes qui font des manières ?
Léontine - Non. Des bonnes manières !
Marie - C'est-y que nous, on aurait des mauvaises manières ? Comme celles du garde-chasse ? Quand il nous..
Léontine - Non ! Celles là, à Veursailles, paraît que c'est toujours dans la mode.
Marie - Alors nous, pour faire des manières, on a tout faux ?
Léontine - Faut croire..
Marie - Et c'est ce bonhomme là qui veut instruire madame ? T'as t'y vu son allure ?
Léontine - On dirait un dindon au milieu d'une basse-cour.
Marie - Et t'as t'y vu comment qu'y marche ? (Elle marche comme un dindon, d'une façon très hautaine) Madame, "permettassiez" que je me déplaçasse devant votre «gracioseté».
Léontine - Et ben, s'y marche comme ça, il est pas près d'arriver.
Marie - Attends, j'fais d'mi tour. (Elle fait difficilement demi-tour) Et ben dis donc, à Veursailles, ils sont pas pressés.
On entend une clochette.
Marie - J'crois ben que madame nous appelle.
Léontine - Ah non. Y'a qu'un p'tit coup. Un p'tit coup, c'est monsieur.
Marie - Qui qu'y nous veut encore ?
Léontine - Tu sais ben que monsieur nous veut toujours que du bien.
Marie - Ça c'est sûr qu'y nous veut tout l'temps du bien !
Léontine - Allez, on y va.
Marie - (Elles imitent le maître d'étiquette) Après vous, madame..
Léontine - Pas question, très chère. Je vous laisse trottiner la première..
Marie - J'en f'rai rin. Il revient à votre grandiose grande personne de guider précédemment le cortège.
Léontine - Je suis pas un ch'val.
Marie - Et moi je suis pas une bourrique !
Léontine - Allez hue ! Fini les étiquettes ! Tout l'monde derrière ! (Elles marchent toutes deux d'un pas lourd)
Marie - Madame ! Même de dos, vous méritez qu'on vous suive !
Léontine - Ma chère, je me ferais suivre de tout un régiment.
Elles quittent la pièce en riant.
Scène 2 : Marquise, Maître
Le Maître et la Marquise entrent. (Le maître est très pédant, archi poudré et très maniéré) La Marquise est très maquillée et arbore une mouche sur le front.
Maître - Madame ! Je suis émerveillé par l'élégance de votre demeure, elle est d'une exquise «admirabilité».
Marquise - Ce n'est qu'un petit cinquante pièces. C'est un peu juste, non ?
Maître - On est toujours un peu à l'étroit dans nos châteaux. Mais le vôtre, madame est comme la maîtresse des lieux, il est.. Il est..
Marquise - Oh monsieur ! Cessez.
Maître - Madame, je ne puis. Il n'y a pas de mot pour dire l'émerveillement que vous apportez et «l'éblouissance» de votre personne est incomparablement à sa place dans ce palais. Madame, ici, je suis comme à Veursailles !
Marquise - A Veursailles ! Mon Dieu !
Maître - Et pourtant, le roi sait si j'aime Veursailles. Et lui-même, je puis l'affirmer, s'il se tenait à l'instant devant vous, l'aimerait tout autant que votre personne.
Marquise - Vous me flattez.
Maître - Je ne flatte pas, j'affirme ! Et Dieu sait si notre roi en a vu des châteaux. Et je suis persuadé que votre château, et vous, Marquise, lui feraient retrouver cette virginité de l'esprit qui s'est envolée comme s'envolent les rêves de l'enfance et les oies qui s'en vont chaque année vers le Sud avant l'hiver.
Marquise - Oh ce que c'est beau, ce que vous dîtes.
Maître - Madame, devant la beauté je n'ai aucun mérite. Grâce à vous, madame ! La beauté amène la beauté, et seule la beauté m'inspire.
Marquise - Et ben dis don.
Maître - Oui madame. Et je n'aurai de cesse que vous ne soyez au plus tôt présentée à sa majesté.
Marquise - Vous voulez me présenter à sa majesté ?
Maître - Madame ! A qui d'autre pourrais-je vous présenter si ce n'est au Roi.
Marquise - (Elle se recoiffe rapidement) Croyez-vous que sa Majesté daignerait me jeter un œil ?
Maître - Sa majesté jetterait les deux madame. Et le roi est un fin connaisseur.
Marquise - Voyez mon accoutrement, je n'oserai jamais.
Maître - Il faut oser oser, madame ! D'ailleurs c'est le Roi qui m'envoie.
Marquise - C'est le roi qui vous envoie ?
Maître - Madame, pour ces choses là, le roi n'envoie que moi. Le roi m'a dit : «Mon ami..»
Marquise - Le roi vous a dit : «Mon ami ?»
Maître - Oui. De temps à autre, sa majesté se complaît à me parler comme on parlerait à quelqu'un d'intime.
Marquise - Ah bon ?
Maître - Servir sa Majesté n'est-il pas déjà le plus merveilleux gage d'amitié et la plus belle des récompenses ? Il y a tant d’ignominieux trompeurs qui, le compliment toujours prompt à bondir du coin des lèvres, n'ont en vérité pour seul but que de profiter éhontément de la bonté de sa Majesté.
Marquise - Le pauvre, il est sans défense.
Maître - Alors le roi m'a dit : «Mon ami.. J'ai oui dire qu'une marquise.. fort belle..»
Marquise - Fort belle ?
Maître - Madame, je vous rapporte là les mots du roi.
Marquise - Mais il ne m'a jamais vue.
Maître - Le roi n'a point besoin de voir pour savoir.
Marquise - Et ben dis-don..
Maître - «Une marquise.. fort belle.., posséderait un château dont on m'a conté le plus grand bien. Une sorte de petit Veursailles".
Marquise - Sa Majesté a dit ça ?
Maître - .. «Et ! .. J'aimerais un jour, en faire le tour»
Marquise - De moi ?
Maître - Des deux madame. Des deux.
Marquise - Le roi viendra chez moi ? Et il vient quand ?
Maître - Madame, le roi ne viendra point que vous n'eussiez fait le premier pas.
Marquise - Le premier pas ? Moi ? A Veursailles ?
Scène 3 : Marquise, Maître, Léontine, Marie
Sans se faire voir, les servantes entrouvrent chacune une porte et réagissent (Sans dire un mot) aux paroles du maître et de la marquise.
Maître - Le roi vous y convie. Il s'agit là d'une de ces faveurs que notre majesté n'accorde qu'à celles et ceux qu'il porte en son cœur.
Marquise - Le roi me porte dans son cœur ?
Maître - Naturellement, madame. Le roi porte tout ce qu'il peut porter. Et parfois la charge est bien lourde. Mais lorsque ces qualités lui apparaissent..
Marquise - Quelles qualités ?
Maître - Les vôtres madame. La beauté, l'élégance, ... la ravissance, … l'illuminanescence ! Ces qualités lui sont si légères qu'il pourrait vous porter durant des années.
Marquise - Mais pensez-vous que je sois si légère à porter ?
Maître - Madame, vous vous envoleriez à l'instant que je ne m'en étonnerais point.
Marquise - C'est la première fois qu'on me dit ça.
Maître - Madame, je connais plus d'une comtesse, même d'une duchesse, qui, en vous entrapercevant, s'en étoufferait de jalousie.
Marquise - Vous savez, jour et nuit, je m'efforce de rester naturelle
Maître - Et vous avez raison, il n'y a rien de plus naturel que de rester naturel. Sauf vos servantes évidemment.
Marquise - Mes servantes ?
Maître - Madame. Je les ai vues. C'est un désastre. Ces filles sont si simples, elles sentent trop la campagne. Vos servantes, sont.. Comment le dire ? .. Des betteraves au milieu d'un pré parsemé de roses et de bleuets.
Marquise - Des betteraves ? Pour les vaches ?
Maître - Oui madame, mais heureusement, des betteraves,...