Les toqués du 6 bis !
Un homme traverse la salle de spectacle tout en conversant au téléphone. Il finit sa conversation devant la scène. A la fin de la conversation, il disparaît (en coulisses) puis le rideau s’ouvre découvrant une sorte de salle d’attente ou salle commune, on devine un lieu hospitalier.
Pierre : allo ? allo Michel ? oui, c’est moi, Pierre. Non pas du tout. Non, non … quand je te dis pas du tout c’est vraiment pas du tout ! Martine ? mais Martine ne reviendra pas ! non seulement elle demande le divorce mais son avocat m’a torpillé… si tu savais le montant de la pension …tu parles, je suis Pierre Loréol, il en profite ! mais je m’en fous, Michel. Je suis au bout… Mais je sais que l’entreprise se porte bien… les actions de LOREOL sont en hausses et les actionnaires se régalent, tu en sais quelque chose ! Mais je n’ai plus le goût Michel. Entre ma femme qui me quitte, les mômes qui me font la gueule et mon assistante qui ne veut plus faire l’amour avec moi … Hein ? oh, je ne sais pas ce qui lui a pris mais elle va se marier ! Que veux-tu, tout fout le camp ! le personnel n’est plus ce qu’il était ! bref… tu m’avais parlé d’un centre de … je ne sais plus quoi et je ne sais où… Hein ? Revivance ? Espace Revivance … voilà. Oui je vais tenter l’expérience. Tu me l’as bien vendu, alors … et puis je t’ai dit, je suis au bout du bout, donc un petit séjour, pourquoi pas… comment ? en Vendée ? pas loin du Puy du fou ? et bien, c’est parfait. Au pire, je peux toujours me distraire, je n’y suis jamais allé. Bien, alors je veux bien que tu envoies les coordonnées à ma garce de secrétaire… ça urge, c’est une question de vie ou de mort, mon vieux… non, non, je n’exagère pas …
NOIR
Ouverture du rideau et pleins feux sur la scène vide. Quelques chaises, une table basse avec des magazines, un petit comptoir d’accueil. Une femme avec un mètre à mesurer arrive sur scène, se met tout devant et elle déroule son mètre, jusqu’à toucher un spectateur ou une spectatrice, puis elle annonce la distance.
Greta : 3 mètres et 45 centimètres ! (en fonction de la distance. Puis elle regarde le spectateur, lui fait des signes étranges et disparaît) ah !!! c’est moins long que la dernière fois !!
Surgit une femme qui sautille en traversant la scène
Josiane : hop, aïe, Aïe !!
Une fois la scène vide, le téléphone sonne, une femme en blouse arrive avec une tasse de café à la main
Clothilde : oui, oui, oui, j’arrive, pas le temps de boire son café, je vous jure … Centre Renaissance bonjour. Oui ? Encore ? mais c’est pas possible ça ! c’est la 3ème fois en 6 mois ! Il va falloir que la mairie fasse quelque chose ! comment ? je ne sais pas moi… changer les numéros de la rue par exemple ! Oui … oui … (Josiane traverse la scène en faisant des grands gestes avec ses bras et toujours en sautillant et une femme habillée de façon excentrique entre, c’est madame Sanchez) … Bon, d’accord. J’en parle au directeur. (elle raccroche puis s’adresse à Josiane) Madame Biloute, vous devriez être à la cantine ! allez, allez !
Josiane : mais … j’aime pas les pois chiches, ça me donne des gaz !!
Clothilde : qu’est ce que vous racontez ? c’était hier soir les pois chiches !
Josiane : bin oui … c’est pour ça, j’évacue ! hop, hop, hop ! (elle refait des gestes en sautillant !)
Clothilde : au fait, Josiane, il faudrait refaire votre abonnement pour les transports en commun, il me faudrait une photo de vous et de face !
Josiane : d’accord, j’y vais, j’y cours de ce pas … aie ! hop ! hop ! (elle sort)
Clothilde : Madame Sanchez … comment allez-vous ? il me semble que votre cours de théâtre c’est demain non ? attendez je regarde sur le planning …
Sanchez : pas la peine, c’est bien demain. Mais yé viens pour autre chose …
Clothilde : ah ?
Sanchez : yé veux voir lé director !
Clothilde : il n’est encore pas arrivé mais de quoi s’agit-il ?
Sanchez : écoutez ma pétite… moi, yé veux bien faire les cours dé théâtre pour les débilés mentalés… c’est oune espérience qui mé plait ! mais yé lé fait pas pour des prounes !
Clothilde : des … prounes ?
Sanchez : des prounes, oui ! vous savez qu’est ce que c’est les prounes ? les frouits qui poussent sur les prouniers !
Clothildes : ahhh les prunes !!!
Sanchez : oui, c’est cé qué y’ai dit, les prounes !
Clothilde : admettons. Mais, je ne comprends pas, vous avez signé un contrat pour ces séances de thérapies de groupes, non ?
Sanchez : si ! en bonne et en ouniforme… mais yé n’ai touyours pas été payé ! alors, moi yé veux bien donner oun coup dé la main, mais faut bien qué yé gagne ma vie !
Clothilde : oui, bien sûr, c’est normal… je ne comprends pas trop… en ce moment, je trouve le docteur un peu préoccupé mais je suis certaine qu’il va régler ça au plus vite !
Sanchez : y a intérêt ! bon, yé pas lé temps dé l’attendre… vous loui transmettez mes saloutationes y aussi qué yé ne travaille pas pour des prounes !
Clothilde : hé oui ! les brounes comptent pas pour des prounes !
Sanchez : qué ?
Clothilde : heu non rien, rien … ça m’a fait penser à une chanson. Je transmettrai !
Sanchez : bon, c’est muy bien ! à démain alors… (elle sort)
Arrivée du Docteur directeur
Paul : elle est partie ?
Clothilde : ah mais … vous étiez là ? alors, vous avez entendu ?
Paul : oui, oui … mais ce n’est rien, juste un contre temps !
Clothilde : et bien, vous auriez pu lui dire vous-même, plutôt que de vous cacher comme un enfant …
Paul : je ne me cachais pas, je voulais juste l’éviter ! par contre j’ai croisé Madame Biloute …
Clothilde : ah ? Josiane ?
Paul : laissez-moi deviner, elle évacue, c’est ça ?
Clothilde : c’est ça ! les pois chiches d’hier soir …
Paul : ah ? y avait des pois chiches hier soir ? et bien, j’ai bien fait de ne pas manger là, sinon, je ferais comme Madame Biloute.
Clothilde : mais, vous ne mangez jamais là ! vous savez docteur, je vous l’ai déjà dit, ce serait bien que de temps en temps vous participiez aux repas avec les patients …ça leur ferait plaisir.
Paul : oui, on verra… j’ai entendu le téléphone sonner et vous ne m’avez pas transféré l’appel. Rien d’urgent ?
Clothilde : c’est ça, changez de sujet ! je ne vous ai pas transféré l’appel parce qu’il s’agit encore du problème d’adresse …
Paul : quoi, encore ?
Clothilde : c’est exactement ce que j’ai dit ! apparemment un patient qui était prévu pour ici a été amené au centre Revivance ! y a eu erreur, eux ils attendaient un homme d’affaire apparemment très riche.
Paul : oui, c’est leur spécialité, ils ne reçoivent que des fortunés en dépression. Et notre patient à nous, qu’en ont t’ils fait ?
Clothilde : et bien, ils nous l’ont renvoyé directement. Il ne devrait pas tarder … il va falloir que la mairie se bouge. Ici c’est Renaissance pas Revivance ! et c’est le numéro 6 bis pas le numéro 6 ! d’ailleurs, c’est quand même bizarre, il y a en tout 7 adresses sur cette route… pourquoi on s’appelle 6 bis ? ils ne savaient pas compter jusqu’à 7 à la mairie ?
Paul : aucune idée. La chambre du patient est prête ?
Clothilde : oui normalement. Dites, il souffre de quoi lui ?
Paul : hum … c’est un TOMS !
Clothilde : ah ? d’accord pour le prénom mais je voulais savoir sa maladie…
Paul : TOMS, Troubles Obsessionnels de Mythomanie et de Schizophrénie. Cette personne a une forte tendance à se prendre pour une autre …
Clothilde : ah, d’accord. Et bien ce n’est pas le seul, il y en a d’autre ici mais je n’avais jamais entendu parler de TOMS ! ce n’est pas un TDI comme mon frère ?
Paul : et bien non ! votre frère souffre de TDI, c’est-à-dire trouble dissociatif de l’identité tandis que le patient que nous attendons, le TOMS, lui est persuadé d’être un autre et s’invente la vie qui va avec … il peut même prendre l’identité d’une personnalité connue. Le trouble est profond et pathologique. Le patient ne fait pas que se prendre pour quelqu’un d’autre, il EST ce quelqu’un d’autre. Il l’incarne au point d’être très persuasif ! certains vont même jusqu’à avoir des pièces d’identité…
Clothilde : très bien, je le note. J’espère qu’on n’aura pas trop de problèmes avec les autres patients… Ah, au fait, Mélodie est encore sortie ! Evidemment sans prévenir …
Paul : comme d’habitude. Mais ça ne m’inquiète pas. C’est une musicienne, je sais où elle est et elle ne fait de mal à personne.
Clothilde : de tous les patients, c’est quand même la plus étrange … On ne l’entend jamais, pas un mot, elle ne râle pas, ne se plaint pas…
Paul : elle joue sa musique et c’est ce qui fait la beauté de sa folie.
Clothilde : oui, enfin quand vous dites musique … c’est vraiment du minimaliste ! tous ces toqués qui doivent vivre ensemble, ça fait peur ! comment s’appelle le nouveau patient ?
Paul : vous savez que je n’aime pas ce terme. Toqués, tarés, bargeots, et même fous d’ailleurs … sont à bannir ! ce sont des personnes à déficience mentale ou neurologique !
Clothilde : ouais, si vous voulez mais bon … ils sont quand même bien dérangés du citron !
Paul : dites ce que vous voulez, mais vous devez les considérer comme des personnes ordinaires et … (à ce moment entre un homme qui marche en arrière suivi de Greta, un mètre à la main, il regarde le docteur et l’assistante, puis repart en arrière de là où il vient !)
Sylvain : broum … pschiiii ! broum … (il imite les bruits de camion)
Greta : attends, mais attends … j’ai pas eu le temps !!
Clothilde : Ordinaires, hein ?
Paul : oui, bon ! le nouveau patient s’appelle… attendez (il regarde une note) ah, voilà, Monsieur Mansi Simon.
Clothilde : Mansi ? Simon ? Simon Mansi ? comme la chanson ?
Paul : quelle chanson ?
Clothilde : (elle chante) « Si Moman si, si Moman si, maman si tu voyais ma vie… »
Paul : vous êtes désespérante ! vous et vos chansons … je vous laisse, je dois clôturer un ou 2 dossiers… s’il arrive, faites le patienter et venez me prévenir avant de faire l’admission, et surtout, ne le contrariez pas ! (il s’apprête à sortir)
Clothilde : ah et au fait, je suis passé au courrier…
Paul : ah, aie !
Clothilde : oui, aie ! 3ème...