Un théâtre en chantier. Sur la scène en désordre, une planche sur deux tréteaux fait office de table sur laquelle sont posés ; un ordinateur portable qui diffuse de la musique, un téléphone portable et une scie sauteuse. Un des tréteaux est bancal et compensé au sol par un très gros livre «Les œuvres complètes de William Shakespeare». Il y a une chaise de bureau et divers objets de bricolage. En avant-scène un carton duquel dépasse une étoffe rouge
Scène 1 (RAGE)
Musique Jazz
Rage entre sur scène par les coulisses portant maladroitement une grande échelle. Bruit off de verre cassé. Il s'empresse de la poser, va chercher prend le balai et retourne en coulisse. Sur la scène le téléphone portable posé sur la table sonne puis s'arrête. Il revient, reprend son échelle et cherche à la poser pour monter jusqu’au grill. Une fois son échelle posée et sécurisée, il prend une grande respiration et monte. Arrivé en haut il se fige.
Scène 2 (RAGE, MARIANNE)
Marianne entre rapidement par l'entrée public, elle porte dans ses bras des costumes
MARIANNE Salut !...
Rage reste pétrifié de vertige sur l’échelle
MARIANNE Vous êtes là ?... Bon, vous n’êtes pas là.
Elle pose lourdement ses costumes sur la scène
MARIANNE Vous êtes en coulisse ?... Christian !?
Le téléphone de Marianne sonne, elle répond.
MARIANNE Salut Cathy… Non, j'ai pas pu t'attendre... Non je reviens pas, j'ai déposé ma lettre de démission dans sa boite... Oui, non je t’expliquerai… Dis, il est pas arrivé ? Le boss… Bon, je te rappelle plus tard, je viens d’arriver au théâtre et je suis à la bourre... Je répète toute la journée… Oui je te rappelle à la pause... Bisous (elle va en coulisse)
MARIANNE (OFF) Rage ?!
RAGE (Doucement) Je suis là
MARIANNE (OFF) Christian ?... Rage !?
Rage en déséquilibre sur l'échelle tente de bouger le moins possible tout en essayant de descendre. Marianne monte sur scène, éteint la musique sur l’ordinateur et vois Rage
MARIANNE Tu te caches ?
RAGE Non...
MARIANNE Tu sais où est Christian ?...
RAGE Tu... Tu peux me...
MARIANNE ... Christian ?! (elle monte à la régie)
RAGE ... Tenir l'échelle ? Marianne !?
Le téléphone sonne, rage se pétrifie
MARIANNE Rage ! Téléphone !!
Marianne redescend pour aller répondre... Le téléphone s'arrête de sonner
MARIANNE (Elle s’approche et va sous l’échelle) Rage?... Ca va ? T’es tout blanc
RAGE Tu peux juste me tenir l'échelle ?
MARIANNE Oui... Vous n’avez pas commencé à répéter ? Moi qui croyais être en retard? Vous deviez commencer à 9H00, non ?... Tu me diras je suis pas en avance, mais j'avais prévenu. Je suis passée chercher les costumes et j'ai pas pu éviter les embouteillages. T'as eu mon message ?
RAGE Oui… L'échelle !
MARIANNE ... Christian n’est pas là ?
RAGE Tiens moi l'échelle, s'il te plait
MARIANNE Oui... Dis, j'ai pris tout ce que j'ai pu, enfin ce que j'ai trouvé, on fera des essayages tout à l'heure... Après la répet... Non ? (Rage descend doucement) Va falloir ranger là, c'est le chantier. La scène est crade... Moi je ne me roule pas par terre avec ma robe neuve là-dessus, ou alors on change la mise en scène. Tu sais, j'ai pensé, mon personnage n'est peut-être pas si excentrique au fond, bon elle fait sa crise, c'est sûr, mais je pense que c'est aussi drôle quelqu'un qui dit rien, qui ne bouge pas, qui boude quoi, tu vois ? Plutôt que quelqu'un qui en fait des tonnes, hurle, se roule par terre et parle sans arrêt, d'ailleurs c'est pénible quand ca parle beaucoup, il faudra couper du texte, non ?
RAGE ... Lâche pas...
Marianne Il est quelle heure ? 10H00 !... Ca va prendre du temps de ranger tout ca, on va commencer à... Allez, disons, 10H30 (elle le regarde Rage) plutôt 11H00. Bon, si on zappe le café et qu’on s'y met tout de suite… 11H00-midi, ça nous laisse le temps de répéter l'acte 2, au moins de le lire, enfin d'en parler. Parce qu'il y a des zones d'ombres, enfin, je parle pour mon personnage... Mais on verra ça tout à l'heure (Rage est arrivé en bas, il est épuisé) Je sais que vous, vous paniquez pas, mais on ouvre quand même ce théâtre dans moins d'un mois…
Rage s'assied.
RAGE Deux secondes ! Faut que je récupère. Combien de temps je suis resté là haut? Au moins un quart d'heure non ?... Je me suis battu contre des micromouvements, c'est épuisant... Je sens encore le vertige, même en bas... Merci Marianne
MARIANNE Je t'en pris... Dis faut pas que tu montes à l'échelle si t'as le vertige
RAGE Je sais, je sais. Mais, je me suis dis ; En y pensant pas, en faisant le vide, ça devrait aller, et je me suis lancé. En montant, J’y ai pas pensé, pas une seconde et arrivé en haut de l'échelle... Je me suis dis : «j'ai pas oublié quelque chose?» Et là, paf! Le vertige
MARIANNE C'est quoi ce truc ?... C'est le rideau ?
RAGE Oui, on l’a reçu ce matin... Justement je voulais l’installer et…
MARIANNE Je peux ? (regarde impressionnée le rideau qu'elle sort du carton) J'ai le trac. Rage, t'imagine, le soir de la première, juste avant que le spectacle commence, on sera derrière ce rideau, avec un monde fou dans la salle
RAGE J'espère bien
MARIANNE On pourra les regarder derrière le rideau, les voir qui s'installent, qui se saluent, parlent, rient… Cherchent à poser leurs manteaux
RAGE Ha oui tiens faut qu'on fasse un vestiaire
Marianne Nous, dans le silence, derrière le rideau, on les entend (elle imite un spectateur) «Il parait que c'est des anciens acteurs de ce petit café théâtre en centre ville, vous les connaissez ?»
RAGE (Même jeu) «Oui, qu'est ce qu'ils m'ont fait rire ! Surtout le petit»
MARIANNE «Mais ils devaient pas ouvrir leur théâtre l'année dernière ?»
RAGE «Oui, même l'année d'avant»
MARIANNE «On sent que c'est pas tout à fait fini, mais c'est joli»
RAGE «C'est un petit peu leur style»
Marianne La lumière s'éteint et tout le monde se tait... on entend craquer les sièges
Rage Trop de confort nuit au spectacle
Marianne On fait le vide
Rage Ha non, on fait le plein, un jour de première on fait moitié prix... Limite, on invite tout le monde
Marianne Chut! Silence. Le rideau s'ouvre... Oh j'ai le trac! Dis-moi qu'on sera prêt
Rage On sera prêt… Quand le moment viendra, on sera prêt !
MariAne . T'as pas le trac toi ?
RAGE Si, mais moi c'est pas pareil. J'y pense pas, c'est mon truc. Enfin jusqu'au jour de la première... Y'a tellement de choses à faire avant, trop de préparation, faut penser à tout ! Mais le jour J, 2 minutes avant le début de la pièce, là où tu étais à l'instant, avant que le rideau s'ouvre, quand tout est prêt et que je suis sûr que tout est prêt ! Je me dis, OK, c'est bon, là on va jouer. Et là je cours en coulisse et je vomis, je vomis, je vomis... Je vomis pendant au moins une bonne minute, dans mon sceau à vomit. Et après nickel! Je m'essuie la bouche et je suis prêt. On n’a encore jamais joué ensemble tous les deux, mais demande à Christian, il a l'habitude
MARIANNE Et il est où, Christian ?
RAGE Il va pas tarder à arriver, j’attends un coup de fil d’une minute à l’autre. Tiens d'ailleurs c'est son téléphone qui a sonné, il l'a oublié.
MARIANNE Il est où ?
RAGE Sur la table
MARIANNE Non, Christian !
RAGE Christian ?... T'as pas lu le mail ?
MARIANNE Non, quel Mail ?
RAGE Le mail que j'ai envoyé hier soir... Sur la mail-list !?
MARIANNE Rage, je regarde pas mes mails tous les jours
RAGE Ha bon ? Même pas sur ton téléphone ?
MARIANNE Non... Mais pourquoi ?
RAGE Parce que c'est pratique, de nos jours, pour communiquer efficacement, on perd beaucoup moins de temps... J'ai crée cette mail List pour améliorer la communication au sein de ce théâtre…
MARIANNE Et il dit quoi ce mail ?
RAGE Tu veux relever ta boite? Tu peux sur cet ordi...
MARIANNE Non, Dis moi ce qu'il y a ?
RAGE Rien de grave, t'inquiètes pas, enfin si... Non, je veux dire, t'inquiètes pas. Grave, c'est pas le mot. Tu sais, ma mère elle dit ; «Ne vois pas les problèmes comme un obstacle, mais comme une épreuve, et tu deviens un héros. Chaque jour est un combat, chaque soir une victoire»... Un échafaudage. Oui, un échafaudage !
MARIANNE Tu m'inquiètes… Quoi un échafaudage ?
RAGE Un échafaudage, c'est démontable, c'est pratique, c'est plus stable, et j'ai mois de chance d'avoir le vertige ! Oui c'est ça ! Tu vois, la solution, elle est là, elle est pas...