Acte 1 – scène 1 : Nicolas Lermier et Herbert Teulier
Décor : La scène est plongée dans la pénombre. Au lever de rideau, seules une table, deux chaises et une lampe de bureau allumée sur la table. Le fond du décor peut être dissimulé par un grand paravent que l’on enlèvera à la fin de la 1ère scène du 1er acte. Nicolas Lermier est assis sur l’une des deux chaises avec quelques dossiers devant lui. Il attend Herbert Teulier. On entend quelqu’un frapper (ou sonner) à la porte.
Nicolas Lermier : - Entrez 007 ! Entrez cher ami !
Herbert Teulier : - Ah, ah, ah ! Merci Nicolas ! Mais … déjà deux erreurs ! D’une part, je suis seulement officier traitant, pas James Bond ! Et, d’autre part, vous me donnez du « Cher ami » alors que … vous êtes assez bien placé pour savoir que notre profession ne compte guère de vrais amis. Si vous le voulez bien, parlons plutôt entre nous de … collègues.
Nicolas L. : – Mais enfin… Herbert, que vous arrive-t-il ? Pourquoi ce ton amer, cette acidité, et cette prévention… ? Nous nous connaissons depuis assez longtemps et avons connu suffisamment de missions dangereuses pour que s’établisse entre nous une confiance réciproque et une amitié que, pour ma part, je qualifie d’indéfectible !
Herbert T. : – Holà ! Attention Nicolas ! La confiance est un mot -ou plutôt un sentiment- très risqué dans notre métier, et je m’en méfie comme de la peste !
Nicolas L. : – Vous exagérez Herbert !
Herbert T. : – Ah oui ? J’exagère ? Honnêtement, vous êtes le directeur de cette maison, et je vous aime bien mais… entre nous, combien d’agents de la DGSE ont disparu comme par enchantement ? Combien sont passés de vie à trépas au cours d’opérations … douteuses ?
Nicolas L. : – Ils avaient pris trop de risques …
Herbert T. : – Combien étaient des contre-espions, des agents doubles ? Combien sont passés à l’ennemi alors que nous leur accordions notre totale confiance ? Au bureau des Légendes, combien de traitres nous ont appelé « cher ami ! » ?
Nicolas L. – Oh la la, quelle tirade ! Bon, il y a parfois des erreurs de casting, des dommages collatéraux, de la faiblesse humaine, c’est vrai, mais on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, Herbert, et vous le savez bien !
Herbert T. : – Réponse trop facile !
Nicolas L. : – Ecoutez-moi ! Personnellement, je vous considère beaucoup plus comme un ami que comme un collaborateur, mais, si vous le souhaitez, je vous donnerai désormais du « cher collègue »…
Herbert T. : – Finissons-en avec ça Nicolas ! et dites-moi plutôt pourquoi vous m’avez convoqué, car … je crains le pire !
Nicolas L. : – Je ne vais pas tricher avec vous, Herbert, et je ne vous cacherai pas que la nouvelle mission à laquelle nous vous appelons est … très délicate.
Herbert T. : – Oui, comme toujours !
Nicolas L. : – Ne m’interrompez pas s’il vous plaît ! Il s’agira pour vous de réussir une infiltration dans un milieu d’agents dormants, convaincus d’intelligence avec une puissance étrangère, la ténébreuse et redoutable famille Vassiliev.
Herbert T. : - Et voilà ! Le genre de mission que je crains et déteste !
Nicolas L. : – Mais non ! Je suis sûr du contraire ! Alors, vous m’écoutez oui ou non ?
Herbert T. : - Mais … je vous écoute Nicolas ! Dites-m’en néanmoins un peu plus, juste pour voir …
Nicolas L. : - Votre nouvelle identité, si vous l’acceptez, sera désormais Herberto Passina.
Herbert T. : - Herberto ?
Nicolas L. : - Oui, pour davantage d’aisance au cours de vos relations, nous avons intentionnellement conservé votre prénom. Vous serez le fils caché de Stefano Passina, un très riche industriel monégasque qui a fait fortune dans l’industrie pharmaceutique.
Herbert T. : - Pourquoi fils caché ?
Nicolas L. : - Parce que le vrai Stefano Passina n’a pas de fils légitime de votre âge. Et, par simple consultation sur internet, vos « clients » s’en rendraient très vite compte. Vous serez, par ailleurs, l’ancien compagnon inconsolable d’Ornella Rossi, qui a fait une chute mortelle avec sa Rolls-Royce sur la corniche de Monaco. Un accident dont les journaux monégasques ont relaté les tragiques circonstances. Nous avons choisi cette famille Passina pour deux raisons…
Herbert T. : - Lesquelles ?
Nicolas L. : - La première et la deuxième !
Herbert T. : - Oui, je m’en serais douté ! Mais encore ? Ne jouez pas avec mes nerfs, Nicolas, et venez-en au fait s’il vous plait !
Nicolas L. : - Voilà ! J’y arrive ! D’une part, la famille Passina est très riche et cette aisance financière va beaucoup intéresser Vladimir Fiodorovitch Vassiliev … et tous les Vassiliev. Car c’est une famille criminelle ruinée, au sein de laquelle nous vous envoyons. D’autre part, Ornella Rossi , compagne secrète de Passina, décédée brutalement lors d’un accident de voiture, ressemblait étonnamment à la jeune Francesca Vassilieva. Vous aurez bien sûr toujours sur vous la photographie de votre défunte compagne adorée, photo que nous avons quelque peu retouchée pour donner encore plus de crédibilité à la ressemblance entre Francesca et Ornella.
Herbert T. : - OK ! Jusque-là ça va ! Ensuite ?
Nicolas L. : - Vous prendrez votre petit-déjeuner plusieurs jours d’affilée sur la terrasse du Café Mulot, situé au 6, Place des Vosges, à Paris, là où Francesca Vassilieva, la jeune femme de la maison, vient chaque matin boire un chocolat au lait et manger un croissant. Lorsque vous aurez réussi à l’aborder et à la courtiser, vous vous présenterez à l’hôtel particulier des Vassiliev, au 18 Place des Vosges, et vous prendrez comme prétexte à cette visite votre souhait ardent de revoir cette jeune femme que vous aurez « fortuitement » rencontrée à la terrasse du Café Mulot … car - affirmerez-vous avec photo à l’appui - elle ressemble furieusement à votre défunte compagne.
Herbert T. : - Une démarche plutôt singulière ! Il vont probablement se méfier …
Nicolas L. : - Probablement, en effet ! Mais votre grande élégance vestimentaire, votre bagout, votre expérience professionnelle et votre aisance financière outrancière l’emporteront sur leurs doutes. Ils vous ouvriront -du moins nous l’espérons !- les portes de cette famille dont la noblesse russe a grand besoin de redorer son blason.
Herbert T. : - Comment vais-je laisser supposer que je bénéficie d’une telle aisance financière ?
Nicolas L. : - Par l’esbroufe, mon cher ! Nous avons loué à grand prix une Bugatti, Voiture Noire, que nous mettrons à votre disposition et que vous garerez ostensiblement devant le Café Mulot, une ancienne maison de Victor Hugo, puis devant l’hôtel particulier des Vassiliev. Pas de chauffeur, restons modestes et surtout crédibles ! Au reste, la Bugatti en question est une voiture n’offrant que deux places à l’avant et il ne conviendrait pas que vous soyez assis à côté d’un chauffeur…
Herbert T. : - Mazette ! Une Bugatti Voiture Noire ! L’Agence n’a pas mégotté !
Nicolas L. : - Oui, car il était nécessaire qu’elle attire des regards envieux pour accréditer votre aisance. Mais, soit dit en passant, nous vous serions obligés de ne pas abîmer ladite voiture car la moindre réparation génèrerait des frais astronomiques pour l’Agence. Comme vous l’avez souligné vous-même, vous n’êtes pas un James Bond bénéficiant de crédits illimités, n’est-ce pas ?
Herbert T. : - OK ! Je sais conduire prudemment. Autre chose pour prouver ma pseudo-richesse ?
Nicolas L. : - Un faux compte bancaire copieusement approvisionné, des photos sur téléphone portable de vos supposées résidences privées à Monaco et à Paris, Rome et Londres, des pseudo-amis, vrais magnats richissimes dont vous apprendrez par cœur la vie, le passé, les qualités et défauts, les anecdotes aussi. Important les anecdotes ! Mais surtout, vous montrerez à vos hôtes une générosité, voire une prodigalité de tous les instants, tout en ne dépassant pas le budget qui vous sera alloué.
Herbert T. : - Comment serai-je censé connaître l’adresse de la jeune femme que je dois séduire ?
Nicolas L. : - Vous l’aurez préalablement rencontrée sur la terrasse du Café Mulot, où elle se rend quotidiennement. Vous l’aurez abordée avec beaucoup de tact en lui présentant à la fois vos hommages et vos excuses de l’avoir observée et même dévisagée avec insistance.
Herbert T. : - En quels termes ?
Nicolas L. : - Vous lui expliquerez que sa ressemblance extraordinaire avec votre défunte compagne vous trouble au plus haut point et vous émeut. Vous lui montrerez la photo et lui ferez un numéro de charme, comme vous savez si bien en faire ! Vous ne lui cacherez pas que vous aimeriez faire plus ample connaissance avec elle, en tout bien tout honneur, évidemment, au moins au début de vos entrevues. Si nécessaire, vous renouvellerez ces rencontres jusqu’à ce que mademoiselle Francesca vous révèle l’adresse de l’hôtel particulier où elle habite avec sa famille, au 18 Place des Vosges. Alors commencera pour vous le grand jeu !
Herbert T. : - Bon ! Tout cela me semble faisable, et même agréable … mais soyons pragmatiques ! Jusqu’à présent vous ne m’avez rien dit des objectifs de la mission que vous souhaitez me confier. Qu’en est-il ?
Nicolas L. : - J’y arrive, Herbert ! Il est vrai que j’aurais peut-être dû commencer par-là, mais j’ai voulu vous mettre l’eau à la bouche en vous présentant en premier les aspects les plus plaisants de la mission. J’aime à penser que la mise à disposition d’une rutilante Bugatti, Voiture Noire, de même que l’entreprise de séduction d’une jolie jeune femme dans les plus beaux quartiers de Paris sont des paramètres qui ne vous seront pas … désagréables !
Herbert T. : - Certes non ! Mais j’aimerais bien savoir maintenant à quoi ces « paramètres » que vous évoquez vont m’entrainer et dans quel piège ! Je vous connais suffisamment, Nicolas, pour subodorer quelques risques dans la mission que vous allez me confier.
Nicolas L. : - Oh, si peu Herbert ! Si peu en rapport à ce que vous avez déjà vécu.
Herbert T. : - Justement ! J’ai déjà frôlé la mort à plusieurs reprises sur des missions soi-disant faciles et dégagées de tout risque. Des missions où il s’en est fallu d’un cheveu que je n’avale mon bulletin de naissance !
Nicolas L. : - Allons, allons Herbert ! Vous êtes encore parmi nous, toujours en vie et en pleine forme ! Savez-vous que parfois, et même souvent, j’en arrive à vous envier ? Cette vie tellement aventureuse, pleine de rebondissements, exaltante à bien des égards …
Herbert T. : - … Oui, et au cours de laquelle l’angoisse de la mort, les sueurs froides, la hantise de ne pas voir se lever la lumière du lendemain sont tellement prégnantes qu’il en devient impossible d’avoir le moindre projet d’avenir !
Nicolas L. : - Tous les métiers ont leurs...