Un hall impersonnel, avec en son centre un comptoir d’accueil. Au-dessus un tableau représentant un homme avec une longue barbe blanche pouvant être Dieu le Père ou le Père Noël. Une femme, l’assistante, debout derrière le comptoir, consulte un écran. Elle porte un uniforme militaire. Un homme, le directeur, arrive. Il porte une sorte de soutane. Les costumes, les décors et le tableau ne sont pas forcément réalistes, la pièce elle-même étant plutôt symboliste. L’ensemble du décor peut être futuriste, et figurer un lieu de culte, dont le comptoir d’accueil serait l’autel. Les spectateurs constituant alors les fidèles rassemblés pour cet étrange office. La musique participera à instaurer une atmosphère d’un fantastique un peu burlesque.
Directeur – Cherche et tu trouveras... Tu parles... J’ai cherché partout et je ne l’ai pas trouvé...
Assistante – Je ne le vois pas non plus sur les caméras de surveillance.
Directeur – Pourtant, il manque bien à l’appel.
Assistante – Vous croyez qu’il aurait pu faire le mur ?
Directeur – Le mur ? Vous voulez dire les remparts ?
Assistante – Vous avez raison... On nous a toujours dit qu’il n’y avait rien au-delà des remparts.
Directeur – C’est à se demander à quoi ils servent...
Assistante – Et contre qui ils sont supposés nous protéger.
Directeur – Contre qui... ou contre quoi ?
Assistante – Contre quoi ?
Directeur – Ces remparts, c’est pour empêcher une invasion... ou une évasion ?
Assistante – Les deux, peut-être.
Directeur – Enfin, il faut bien fixer des frontières.
Assistante – Et des interdits.
Directeur – Comme on dit... passées les limites, il n’y a plus de bornes.
Assistante – Parfois, je me sens aussi enfermée en moi-même, comme dans un tombeau, entourée d’une muraille invisible. À l’intérieur, je suis toute puissante. Mais en dehors, je ne suis rien...
Directeur – Je n’y avais jamais songé dans ces termes, mais vous avez raison... Nous sommes tous emmurés vivants dans une pyramide, parcourant à tâtons un obscur labyrinthe à la recherche d’une fissure qui laisserait passer un peu de lumière.
Assistante – Nous sommes chacun le dieu de notre propre monde, et depuis ces meurtrières qu’on appelle les yeux, nous contemplons l’infinité des univers plus ou moins hostiles qui nous entourent. En attendant la collision accidentelle avec une autre planète... et l’ultime fatalité d’être aspirés par un trou noir.
Directeur – Bon... mais ça ne nous dit pas où il est passé.
Assistante – Si cette muraille est infranchissable, comment se fait-il qu’il ne soit plus là ?
Directeur – S’il a toujours été là, il n’a pas pu sortir.
Assistante – Et s’il n’a pas toujours été là, comment a-t-il pu entrer ?
Directeur – Pourtant c’est un fait. Il manque une pièce à ce gigantesque jeu d’échecs. Et cette absence pourrait faire capoter l’ensemble de la partie.
Assistante – Une pièce ?
Directeur – Une pièce maîtresse.
Assistante – Le roi.
Directeur – Le grand architecte de l’univers. Celui qui en a conçu les plans.
Assistante – Un seul être suprême vous manque et tout est détraqué...
Directeur – Mais enfin il était là, puisque c’est lui qui a construit ce mur !
Assistante – C’est lui, vous êtes sûr ?
Directeur – Ou alors après l’avoir construit, il est resté enfermé de l’autre côté.
Assistante – Enfermé dehors ?
Directeur – Vous avez raison, c’est une histoire de fous...
Assistante – Il pourrait donc y avoir quelque chose de l’autre côté du mur ? Quelqu’un ?
Directeur – Comment savoir ? Il n’y a aucune fenêtre dans ces murailles, censées nous protéger du rien qui menace de nous envahir.
Assistante – Aucune ouverture. Pas même un judas...
Directeur – Mais non, voyons... Il n’y a rien dans l’au-delà. Le monde est comme une vieille chaussette. Vous avez beau la retourner, il n’y a toujours qu’une seule façon de mettre son pied à l’intérieur.
Assistante – Oui... mais si la chaussette est trouée, un orteil peut toujours se faufiler à l’extérieur.
Directeur – Une faille dans la muraille...? Par laquelle le vide pourrait s’insinuer ?
Assistante – Reste à savoir qui a tricoté la chaussette...
Un temps.
Directeur – Il finira par réapparaître, comme d’habitude.
Assistante – Jusqu’à maintenant, c’est ce qu’il a toujours fait.
Directeur – Alors il n’y a plus qu’à espérer.
Assistante – Et à prier... Mais qui ?
Directeur – Allez, on y croit...
Ils n’ont pas l’air d’y croire beaucoup mais tentent de s’en convaincre.
Assistante – Je ne me souviens plus... Il était là pour quoi, exactement ?
Directeur – Comme tous les autres, non ? Une crise de Foi...
Assistante – Une crise de foie... Tiens donc... Je ne savais pas que nous traitions aussi ce genre d’affections. Enfin, les auteurs boivent toujours beaucoup, c’est connu.
Directeur – Ah, non, mais pas une crise de foie... Pas une cirrhose, en tout cas... Il n’y croyait plus, quoi... Il avait perdu la Foi...
Assistante – Ah, oui, d’accord ! Je me disais aussi. Une crise de foie... (Un temps) J’espère que ce n’est pas contagieux au moins...
Directeur – En tout cas, croyez-moi, c’est plus facile d’arrêter de boire que de recommencer à croire.
Assistante – Oui, la Foi, c’est comme la ligne, quand on l’a perdue, c’est très difficile de la retrouver.
Directeur – C’est tellement vrai, ce que vous dites. Et si bien formulé. Parfois je me demande où vous allez chercher tout ça...
L’assistante regarde le directeur, se demandant visiblement si elle doit prendre cette remarque au premier degré ou non.
Assistante –...