1 – La paresse
Un studio, avec au centre un lit servant aussi de canapé. Le décor est constitué essentiellement de sept grands tableaux posés contre le mur du fond. Tableaux aux motifs abstraits et aux couleurs criardes, peu différents l’un de l’autre. Jean-Luc est assis en face de son ordinateur, un bonnet sur la tête et une grosse écharpe autour du cou. Gabrielle, en revanche, a fait un effort de toilette et procède à un dernier raccord de maquillage.
Gabrielle – Tu es vraiment sûr que tu ne veux pas venir...?
Jean-Luc – Je préférerais, crois-moi... Mais je t’ai dit. Il faut absolument que je termine ce scénar pour lundi...
Gabrielle – Ça fait six mois que tu es dessus. Ça ne pourrait pas encore attendre jusqu’à demain matin ?
Jean-Luc – Non, je te jure... Le tournage a été avancé de deux semaines. Ils sont déjà en prépa. Ils n’attendent plus que le scénario, et je n’ai pas encore écrit une ligne de dialogue...
Gabrielle – Mais tu as déjà l’histoire, non ?
Jean-Luc – Oui, évidemment.
Gabrielle – Ça parle de quoi, déjà...?
Jean-Luc – C’est l’histoire de... Comment dire... C’est l’histoire d’un pêcheur de morues surendetté qui... Il finit par demander à sa femme de se prostituer pour payer les traites de son chalutier...
Gabrielle – Un pêcheur de morues qui devient maquereau...
Jean-Luc – Ça devait se passer à Saint-Brieuc, mais la prod a une équipe de tournage qui vient de se libérer à Sofia, à cause d’un autre film dont le tournage vient d’être annulé...
Gabrielle – Alors c’est pour ça qu’ils sont si pressés...
Jean-Luc – Du coup, il faut revoir un peu l’intrigue, évidemment... La Bulgarie, ça ressemble beaucoup à la Bretagne, mais quand même... (Pris d’un doute) Il y a la mer en Bulgarie...?
Gabrielle – En tout cas, si Sofia était un grand port de pêche à la morue, ça se saurait...
Jean-Luc – Non, je te jure, je commence à flipper grave, Gabrielle...
Gabrielle – Allez, tu vas t’en sortir, comme d’habitude... Et puis tu n’es pas tout seul sur ce coup-là... Tu travailles avec Stanislas, non ?
Jean-Luc – Ouais, enfin, Stanislas, tu sais...
Gabrielle – Si tu viens avec moi chez mes parents, on peut rentrer tôt... Ça te détendra un peu, et tu te mettras à travailler après... Et puis il faut bien que tu manges, quand même...
Jean-Luc – Je n’ai pas la tête à ça, je t’assure... Je suis fatigué, je n’ai pas le moral... J’ai des frissons, je ne sais pas ce que j’ai... En tout cas, je n’ai vraiment pas faim...
Gabrielle (s’approchant de lui) – Mon pauvre chéri... Tu es malade ? Je peux rester là pour te soigner, tu sais...
Jean-Luc – Non vraiment, je t’assure... Je vais prendre une aspirine et ça ira très bien... Je ne veux pas te gâcher ta soirée... Tu m’excuseras auprès de tes parents, et puis voilà...
Gabrielle – Mais oui, ne t’inquiète pas. Ils vont être déçus, c’est tout...
Jean-Luc – En même temps, ce n’est pas comme si je ratais Noël ou le Jour de l’an, hein ? (Souriant) Shabbat, c’est tous les vendredis...
Gabrielle – Bon, alors je vais y aller...
Elle met son manteau pour sortir. Le regard de Jean-Luc tombe sur les tableaux qui l’entourent.
Jean-Luc – Ça représente quoi, déjà, ces tableaux que tu viens de peindre ?
Gabrielle – C’est une série sur les sept péchés capitaux.
Jean-Luc – Ah ouais...
Gabrielle (désignant les toiles) – La paresse, l’avarice, l’envie, la luxure, l’orgueil, la colère et l’intempérance...
Jean-Luc – Ah ouais...
Gabrielle – D’après Saint Augustin, ces sept péchés sont à l’origine de tous les autres...
Jean-Luc – Saint Augustin...
Gabrielle – Tu n’aimes pas...?
Jean-Luc – Si, si... Enfin, c’est vrai que c’est un peu...
Gabrielle – Un peu...?
Jean-Luc – Un peu oppressant, quoi... Mais j’imagine que c’est fait pour ça... Pour détourner du vice les pauvres pécheurs que nous sommes...
Gabrielle (déçue) – Tu n’aimes pas...
Jean-Luc – Mais si je t’assure... (Désignant un tableau) J’aime bien la luxure...
Gabrielle – Celui-là, c’est la paresse...
Jean-Luc – Ah tiens ?
Gabrielle – Oui...
Gabrielle s’apprête à s’en aller.
Jean-Luc – Tu pars avec ton frère ?
Gabrielle – Il est déjà là-bas. Tu sais bien que lui, le vendredi, il ne prend pas les transports...
Jean-Luc – Ah oui, c’est vrai... Mais toi, prends la voiture, ça ira plus vite.
Gabrielle – Je vais y aller en métro... Je n’ai pas très envie de conduire... Et puis comme ça, si tu veux nous rejoindre pour le dessert...
Jean-Luc – Pourquoi pas... Si j’arrive à avancer assez vite... Je vais mettre le paquet... (Ils s’embrassent) Mais si je ne peux pas venir, je préfère autant que tu dormes là-bas... Je n’aime pas trop te savoir dans le RER un vendredi, passé minuit...
Gabrielle – OK...
Jean-Luc – Allez, amuse-toi bien...
Gabrielle – Bon courage, mon chéri...
Jean-Luc – Merci.
Gabrielle partie, Jean-Luc reprend vie. Il enlève son bonnet et son écharpe, et enclenche un CD, la chanson de Bénabar « Le Dîner », détaillant tous les faux prétextes qu’il vient de servir à sa copine...