Le charabia des médecins
Les médecins débattent de la santé de Lucinde avec un jargon incompréhensible.
SGANARELLE.
À qui croire des deux ? Et quelle résolution prendre, sur des avis si opposés ? Messieurs, je vous conjure de déterminer mon esprit, et de me dire, sans passion, ce que
vous croyez le plus propre à soulager ma fille.
MONSIEUR MACROTON.
Il parle en allongeant ses mots. Mon-si-eur dans ces ma-ti-è-res-là il faut pro-cé-der a-vec-que cir-con-spec-tion et ne ri-en fai-re com-me on dit à la vo-lé-e d’au-tant que les fau-tes qu’on y peut fai-re sont se-lon no-tre maî-tre Hip-po-cra-te d’u-ne dan-ge-reu-se con-sé-quen-ce.
MONSIEUR BAHYS.
Celui-ci parle toujours en bredouillant.Il est vrai, il faut bien prendre garde à ce qu’on fait ; car ce ne sont pas ici des jeux d’enfant, et quand on a failli, il n’est pas aisé de
réparer le manquement et de rétablir ce qu’on a gâté : experimentum periculosum. C’est pourquoi il s’agit de raisonner auparavant comme il faut, de peser mûrement
les choses, de regarder le tempérament des gens, d’examiner les causes de la maladie, et de voir les remèdes qu’on y doit apporter.
SGANARELLE.
L’un va en tortue, et l’autre court la poste.
MONSIEUR MACROTON.
Il détache chaque syllabe. Or, Monsieur pour venir au fait je trouve que votre fille a une maladie chronique et qu’elle peut péricliter si on ne lui donne du secours d’autant que les symptômes qu’elle a sont indicatifs d’une vapeur fuligineuse et mordicante qui lui picote les membranes du cerveau. Or cette vapeur que nous nommons en grec atmos est causée par des humeurs putrides tenaces et conglutineuses qui sont contenues dans le bas ventre.
MONSIEUR BAHYS.
Et comme ces humeurs ont été là engendrées par une longue succession de temps, elles s’y sont recuites et ont acquis cette malignité qui fume vers la région du cerveau.
MONSIEUR MACROTON.
Si bi-en donc que pour ti-rer dé-ta-cher ar-ra-cher ex-pul-ser é-va-cu-er les-di-tes hu-meurs il fau-dra u-ne pur-ga-tion vi-gou-reu-se Mais au pré-a-la-ble je trou-ve à pro-pos et il n’y a pas d’in-con-vé-nient d’u-ser de pe-tits re-mè-des a-no-dins c’est.à.dire de pe-tits la-ve-ments ré-mol-li-ents et dé-ter-sifs de ju-leps et de si-rops ra-fraî-chis-sants qu’on mé-le-ra dans sa pti-san-ne.
MONSIEUR BAHYS.
Après, nous en viendrons à la purgation, et à la saignée que nous réitérerons, s’il en est besoin.
MONSIEUR MACROTON.
Ce n’est pas qu’a-vec tout ce-la vo-tre fil-le ne puis-se mou-rir mais au moins vous au-rez fait quel-que cho-se et vous au-rez la con-so-la-tion qu’el-le se-ra mor-te dans
les for-mes.
MONSIEUR BAHYS.
Il vaut mieux mourir selon les règles, que de réchapper contre les règles.
MONSIEUR MACROTON.
Nous vous di-sons sin-cè-re-ment no-tre pen-sée.
MONSIEUR BAHYS.
Et vous avons parlé comme nous parlerions à notre propre frère.
SGANARELLE, à Macroton.
Je vous rends très humbles grâces. À Monsieur Bahys. Et vous suis infiniment obligé de la peine que vous avez prise.