C’est pas le moment !

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Quand Frédéric renverse un SDF avec sa voiture, il ne peut s’imaginer une seconde que sa vie va être bouleversée. Mais quand on est trop sûr de soi, qu’on a menti à sa femme en lui affirmant qu’on passait la soirée avec un homme d’affaires suisse pour lui vendre sa société alors qu’en vérité on était avec sa maîtresse… Et surtout quant on ne peut pas imaginer qui est en vérité l’homme qu’on a renversé, la situation devient rapidement inextricable. Et les mensonges n’arrangent rien. Au contraire ! Et ce n’était vraiment pas le moment !

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Acte I

 

Un vaste living, dans un esprit loft, avec une partie en verrière et un mobilier contemporain (dont un surprenant canapé jaune).

Au fond du décor la porte d’entrée de l’appartement.

Côté jardin, un bar au-delà duquel on devine une cuisine américaine, et l’amorce du couloir qui mène aux chambres et à la salle de bains…

Côté cour, la porte des toilettes…

C’est la nuit… Nuit. À travers la verrière, la lueur d’un réverbère éclaire seule la scène.

On entend le bruit d’un coup de frein violent. Puis celui d’un choc. Puis une voix se met à crier : « Mon genou ! Mon genou !… » Puis le silence revient…

Bruits d’ascenseur. Chocs sourds. Jurons étouffés.

Frédéric (off, bas) - Aïe ! Merde ! Mais remue-toi ! Fais quelque chose !… Ouvre la porte !

Sarah (off, fort) - Je ne peux pas !

Frédéric (off, bas) - C’est pas vrai ça ! Tu le fais exprès ou quoi ?! Pousse-toi !

Sarah (off, fort) - Je peux pas je te dis, je suis coincée !

Frédéric (off, bas) - C’est bien le moment !

Sarah (off, fort) - Aïe ! Aïe ! Tu me fais mal !

Frédéric (off, bas) - Chutttt ! Ne bouge pas ! Attends-moi !

Bruit de clés dans la serrure.

La porte s’ouvre.

Entre Frédéric.

C’est un homme d’une cinquantaine d’années, vêtu d’un élégant imperméable style Burberry, curieusement couvert de taches de sang.

Il traverse la pièce, allume la lumière et revient vers la porte d’entrée.

Frédéric - Allez !… Entre… Dépêche-toi !

Blandine (off) - Je ne peux pas… Il est tout mou !

Frédéric - Tout mou ?!… Comment ça tout mou ?

Blandine (off) - Ben… Tout mou, tout moumou… Dans le genre évanoui !

Frédéric - Ah non ! Non !

Il ressort sur le palier.

Frédéric (off) - Rends-toi utile ! Prends-le par les pieds.

Sarah (off) - Ah non !… Non ! Ils sont pleins de boue !

Frédéric (off) - On s’en fout ! Tu te laveras les mains ! Dépêche-toi ! Allez ! Allez !

Sarah (off) - Il est lourd !

Frédéric revient accompagné d’une ravissante jeune femme, Sarah. Tous deux portent le corps d’un homme inconscient (Matthieu). Il est vêtu d’un costume maculé de taches et déchiré aux coudes et aux genoux. Un foulard Hermès est enroulé autour de sa tête, à la manière d’un turban. Il a des vieilles baskets aux pieds. Il a visiblement saigné du nez.

Sarah - Bon alors ?! On en fait quoi ? On le pose où ?

Frédéric - Sur le canapé !

Sarah (regardant autour d’elle) - Où tu vois un canapé, toi ?

Frédéric - Le grand truc jaune, là !

Sarah - C’est un canapé, ça ?!

Frédéric - Tu rigoles ou quoi ?! C’est un Franck Pourcin ! Un designer archi-coté ! Un exemplaire signé et numéroté…

Sarah - Ah bon ?!… Parce qu’il en a vendu plusieurs ?

Frédéric - Tu n’y connais rien ! (Ils se dirigent vers le canapé.) Attends !… Stop ! Lâche-lui les pieds ! Pose-les par terre ! (Sarah obéit. Frédéric lui pousse Matthieu dans les bras.) Tiens-moi ça une minute !

Sarah se retrouve avec Matthieu dans les bras. Frédéric disparaît dans la cuisine.

Sarah - Ah non ! Non ! S’il vous plaît, monsieur ?… Monsieur ! Non ! S’il vous plaît ! Non… Non !

Frédéric revient avec un grand torchon qu’il étale sur le canapé.

Frédéric - Qu’est-ce qu’il y a encore ?

Sarah - Il a voulu m’embrasser !

Frédéric - Ne dis pas de bêtises ! Il est inconscient !!

Sarah - Ça, ce n’est pas une raison ! Ça m’est déjà arrivé avec d’autres ! (Frédéric vient aider Sarah à allonger l’homme sur le canapé.) Oh là là ! Tu as vu ton imper ? Il est plein de sang…

Frédéric (regardant) - Ah non ! C’est pas vrai ! Un Burberry tout neuf !… Tu crois que ça va partir au nettoyage à sec ?

Sarah - Tu demanderas à ta femme. Le nettoyage à sec, elle doit connaître ! (Frédéric hausse les épaules et pose son Burberry sur le dossier du canapé. Sarah, elle, s’intéresse au blessé.) Dis donc, il était encore pas mal ! C’est dommage !

Frédéric - Quoi, quel dommage ?! Il n’est pas mort !

Sarah - Tu es sûr ? Il n’a quand même pas l’air d’aller très fort !

Frédéric - Forcément ! Quand on passe sous une voiture, on ne se sent jamais très bien ! Réfléchis un peu ! (À Matthieu.) Hou, hou… Hou, hou ! (Aucune réaction.)

Sarah - Pourquoi tu ne l’as pas amené aux urgences ?

Frédéric (revenant vers elle) - Le soir où ma femme est de garde ! Réfléchis un peu ! Comme discrétion, c’est parfait !

Sur le canapé, Matthieu ouvre un œil et se redresse légèrement, écoutant la conversation.

Sarah - Ben quoi ?! Je t’aurais attendu dans la voiture ! Elle ne m’aurait pas vue !

Frédéric - Oui, mais moi, moi elle m’aurait vu !

Sarah - Ben oui… Et alors ? C’est ta femme, elle te connaît…

Frédéric (sur un ton lassé) - C’est pas possible ça ! Tu le fais exprès ou quoi ? Réfléchis un peu ! À l’heure de l’accident, je dînais avec M. Schwimmer à l’autre bout de la ville !

Sarah - Mais pas du tout ! Tu étais avec moi dans la voiture !

Frédéric (essayant de se maîtriser) - Oui… Oui ! Mais non ! C’est ce que j’avais raconté à ma femme pour venir te rejoindre ! Elle veut toujours savoir où je suis ! Et avec qui !

Sarah - Ah oui ? Oui, d’accord ! D’accord ! Elle a des doutes sur ta fidélité ?

Frédéric - Mais non… Non… Et d’ailleurs, pourquoi pas ?! Elle est curieuse, c’est tout ! C’est une femme…

Sarah - Mais dis-moi : ce Schwimmer avec qui tu as soi-disant dîné, c’est le vieux beau qu’on a rencontré en Suisse ?

Frédéric - Ce n’est pas du tout un vieux beau… C’est un vieux riche !

Sarah - Ça ne change rien !

Frédéric - Ah si ! Si ! Ça change beaucoup ! Beaucoup ! Un vieux beau, c’est avant tout un vieux ! Un vieux riche, c’est avant tout un riche !

Sarah - N’empêche qu’il m’a draguée toute la soirée ! Du pied sous la table, des allusions plus ou moins précises… Bien que tu m’aies présentée comme ta femme… Alors que je ne le suis toujours pas !

Frédéric - C’était le plus simple… Je n’allais pas lui expliquer la situation. Le Suisse est prude !

Sarah - Ça c’est sûr ! Mais pour faire du genou il est plutôt rude ! J’avais des bleus partout ! (Matthieu se rallonge et pousse un gémissement. Frédéric et Sarah sursautent et se retournent.) Il a vraiment pas l’air bien !… Pourquoi on ne l’a pas laissé sur place ?

Frédéric - Dans la rue ? Quasiment devant la maison… Alors qu’il beuglait comme un fou : « Mon genou ! Mon genou ! » On aurait dit Richard III !

Sarah - C’est qui ça ?

Frédéric - Rien, c’est un Anglais qui cherchait un cheval ! Tu ne le connais pas ! (Montrant Matthieu.) Cet imbécile allait ameuter tout le quartier ! Mes voisins l’auraient vu… Ils m’auraient vu, ils t’auraient vue… Ils auraient appelé les flics… On m’aurait fait souffler dans le ballon… Deux grammes minimum… Le permis supprimé, le poste de police, ton témoignage, ma femme prévenue, tout Paris au courant !… T’imagines le scandale !

Sarah - Dis donc ! J’avais pas pensé à tout ça…

Frédéric - Forcément, tu ne penses jamais à rien ! Alors qu’ici, au calme, je vais lui donner un petit remontant, un peu d’argent, il me remerciera. Et voilà ! Ni vu, ni connu !

Sarah - Tu crois que ça suffira ?

Frédéric - Mais oui ! Pour un SDF, c’est même une chance !

Sarah (s’approchant de Matthieu) - Tu es sûr que c’est un SDF ?

Frédéric - C’est évident ! À part un SDF, qui se promène à trois heures du matin en poussant un caddie ? Les magasins sont fermés depuis longtemps !

Sarah - Oui, tu as raison… Mais quand même… C’est terrible… Tu as vu le saut qu’il a fait ? À son âge !

Frédéric - Il n’y a pas d’âge pour sauter !… Heureusement, il n’est pas retombé sur la voiture, sinon il me bousillait le capot, cet imbécile ! Et tout ça c’est de ta faute ! Si tu n’avais pas voulu aller au spectacle, puis dîner et voir absolument comment c’était chez moi !

Sarah - À part le Boursin, c’est pas mal.

Frédéric - Pas Boursin ! Pourcin ! Franck Pourcin !… Non… On aurait mieux fait de suivre mon idée : ne pas dîner et aller dans un petit hôtel discret… Comme d’habitude ! Alors que là, on ne va plus avoir le temps de rien faire !

Sarah - Tu n’as qu’à m’épouser… Tu m’auras tous les soirs à n’importe quelle heure !

Frédéric (se penchant sur Matthieu) - Oui… Bon, comment il va l’évanoui ?

Sarah - Oh là là ! C’est dégoûtant… Il y a du sang partout !

Frédéric (sursautant) - Sur le Franck Pourcin ?! Ah non, merde !… Il faut passer tout de suite une éponge humide !

Sarah (découvrant le pansement de Matthieu) - Ah non ! Mon carré Hermès ! Tu aurais pu prendre autre chose pour essuyer son sang ! Regarde-moi ça, tu me l’as offert il y a trois mois, il est tout foutu…

Frédéric - C’est pas grave ! Je t’en achèterai un autre !

Sarah (se penchant sur le blessé) - Je suis sûre qu’il est mort !

Frédéric - Mais non ! Réfléchis un peu : il a voulu t’embrasser ! Un mort, ça n’embrasse pas !

Sarah - On ne sait pas !… Qu’est-ce que tu y connais ?

Frédéric - Je te rappelle que ma femme est médecin, tout de même !

Sarah - C’est ça oui ! Elle fait toujours mieux que les autres !

Frédéric - Bon, écoute, là, il y en a marre !… Je vais lui balancer deux ou trois baffes, un verre d’eau sur la figure, cinquante euros et il ira se faire soigner où il voudra ! (Il l’emmène vers la porte.) Allez ! Maintenant tu vas me laisser… On s’appelle !… (Il la pousse dehors… Elle revient.)

Sarah - Tu ne m’as pas répondu dans la voiture !

Frédéric - Je ne t’ai pas répondu à quoi ?

Sarah - Tu lui parles quand du divorce, à ta femme ?

Frédéric - Alors là !… Alors là !… C’est vraiment pas le moment !

Sarah - C’est jamais le moment !

Frédéric - Enfin !… J’ai un agonisant sur les bras et tu me parles divorce ! Un peu de décence quand même ! Enfin !

Sarah (rentrant complètement) - D’accord ! Puisque c’est comme ça, je vais rester ici.

Frédéric - Mais non ! Mais non !

Sarah - Si, si !… Je vais attendre ta femme ! Si tu n’oses pas lui parler, je vais le faire !

Frédéric - Mais non ! Mais non !

Sarah - Si, si ! Au moins ça sera fait ! On n’aura pas perdu une nuit pour rien !

Frédéric - C’est pas vrai ! C’est pas vrai ! Quelle soirée ! (Il a un hoquet.) En plus j’ai la choucroute qui me reproche !

Sarah - Ça, tu n’aurais jamais dû en prendre ! Dans un restaurant chinois !

Frédéric - C’est ce que je prends toujours quand je dîne avec M. Schwimmer ! Il adore ça ! Et quand je rentre, ma femme le sent ! Bon… (Changeant de ton et la prenant dans ses bras.) Mon petit cœur… Mon petit cœur…

Sarah - C’est vrai que ça sent fort !

Frédéric (se dégageant) - Pour le divorce, il faut me laisser un peu de temps…

Sarah - Du temps ? Tu te fous de moi ?! Ça fait presque deux ans que j’attends !

Frédéric - Oui ! Oui !… Mais, moi, ça fait vingt-six ans que je suis marié ! Il n’y a pas photo !… Réfléchis un peu ! Il faut que je prépare Blandine à l’idée en douceur, tu comprends… Un divorce, ce n’est pas simple, non plus… Hein, ma petite mignonnette ?

Sarah - Ta petite mignonnette, elle en a ras le bol !

Frédéric - Mais non ! Mais non ! C’est promis, je vais le faire ! Dès demain !

Sarah - Promis ?

Frédéric - Oui… Oui, mon cœur ! Demain !! Allez ! (Il va ouvrir la porte.) Dépêche-toi ! L’ascenseur est toujours là ! Profites-en !

Frédéric pousse Sarah dehors, et sort avec elle. Matthieu se redresse légèrement et regarde autour de lui avec un grand sourire.

Frédéric (off) - Allez… Allez ! On s’appelle… Bisou !

On entend l’ascenseur se fermer. Matthieu se rallonge rapidement. Frédéric revient et ferme la porte.

Frédéric - Bon… Alors… (Il s’approche de Matthieu et le secoue.) On se réveille maintenant ! On se réveille ! Allez !

Matthieu ne bouge pas. Frédéric va à la cuisine et revient avec un verre d’eau… qu’il balance sur Matthieu !

Frédéric - Hou, hou ! Debout !… (Il pose le verre sur la table basse, puis se penche sur Matthieu, le prend par le col de sa veste et le secoue.) Bon… Ça suffit, on se réveille et on s’en va ! Allez… Allez… (Le col de la veste lui reste dans les mains.) Et merde ! (Il reprend Matthieu et se remet à le secouer.) Hou, hou ! Hou, hou ! Debout ! (On entend alors un bruit de choc venant de la chambre. Frédéric se fige, tenant toujours Matthieu. Voix blanche.) Y a quelqu’un ?

Matthieu (se redressant faiblement) - Où ça ?!

Frédéric - Chut ! C’est pas le moment !

Matthieu - Le moment de quoi ?

Frédéric - Chut !

Matthieu - Je me sens pas bien ! Je crois que je vais m’évanouir !

Frédéric - Voilà ! C’est ça ! On s’évanouit gentiment ! Merci !  (Il entraîne Matthieu et l’allonge derrière le canapé. On entend un deuxième bruit. Voix blanche.) Blandine ?… C’est toi Blandine ?

Matthieu (sa tête apparaît) - Qui ça ?

Frédéric (lui tape sur la tête) - On s’évanouit et on se tait !

La porte du couloir s’ouvre très lentement. Frédéric s’assied rapidement sur le bout du canapé et prend le verre sur la table. Il essaie d’afficher un air décontracté, son verre à la main. Blandine apparaît. Elle est en chemise de nuit. Sur son front, elle a un masque noir que l’on met sur les yeux pour dormir. Elle a l’air visiblement hagard. Blandine s’arrête et fixe Frédéric.

Blandine - Qu’est-ce que tu fais là ? Tu es rentré ?

Frédéric (d’un ton très tendre) - Non, non, ma chérie ! Heu… si, si… Finalement si !! Mais toi, mon cœur, qu’est-ce que tu fais à la maison ?

Blandine (même intonation) - Tu es rentré ?

Frédéric - Mais oui… Oui… Ma chérie… Oui, oui… Mais toi, qu’est-ce que tu fais ici ?

Blandine - Qu’est-ce que tu as à me regarder comme ça ?! Tu pourrais me répondre !

Frédéric - Mais… Mais… Je… Je te réponds, ma douce… Je suis là… Je te réponds…

Blandine - Quoi ?…(Semblant réaliser.) Ah oui… Attends ! (Elle semble penser à quelque chose et enlève ses boules Quies…) J’avais mis mes boules Quies pour éviter que tu ne me réveilles.

Frédéric (soulagé) - Tant mieux ! Tant mieux !

Blandine - Comment ça tant mieux ?

Frédéric - Eh bien… parce que… quand on a des boules… sous la main… autant les mettre ! Pour dormir… tranquille !

Blandine (le dévisageant curieusement) - Tu es rentré depuis longtemps ?

Frédéric - Non, non… J’arrive… J’arrive.

Blandine - Et qu’est-ce que tu fais assis,...

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