LE DIRECTEUR	Non, ça ne va pas ! Ça ne va pas du tout ! Quand je pense que cela fait des semaines qu’on répète ! Allez, disparaissez ! Ne restez pas dans le hall, nos premiers curistes vont arriver et rien n’est encore prêt ! Allez, dépêchez-vous ! Et n’oubliez pas de vérifier chaque chambre, ce lieu doit être d’une propreté impeccable. (Les employés sortent. Au public.) Ah ! directeur de cure thermale n’est pas un métier de tout repos ! Surtout que maintenant, je me retrouve bien seul à diriger cet établissement ; depuis la mort de ma pauvre femme, j’ai peu de cœur à l’ouvrage. Il faut dire aussi que je suis mal secondé. Regardez-moi ça ! (Le tableau des clés des chambres est décroché. Il appelle.) Baptistin ! Jamais là quand on a besoin de lui ! Baptistin !
	BAPTISTIN	(Off.) Voilà, voilà ! On arrive ! (Il entre.) Vous m’avez appelé, monsieur le directeur ?
	LE DIRECTEUR	Non, je criais ton nom par plaisir.
	BAPTISTIN	Ça c’est gentil. (Il repart.)
	LE DIRECTEUR	Reviens ici, imbécile ! Combien de fois t’ai-je dit de réparer ce tableau ? Tu attends qu’il se décroche complètement ?
	BAPTISTIN	Je le fais tout de suite, monsieur le directeur.
	LE DIRECTEUR	Un coup de marteau, ce n’est pas la mer à boire, que diable !
	BAPTISTIN	Oui, monsieur le directeur.
	LE DIRECTEUR	Je te rappelle que tu dois sortir les chaises longues et les parasols !
	BAPTISTIN	Oui, monsieur le directeur.
	LE DIRECTEUR	Tu sais, Baptistin, la concurrence est de plus en plus dure ; si notre lieu n’est pas impeccable, les curistes iront se faire curer ailleurs. Soyons vigilants !
	BAPTISTIN	Bien, monsieur le directeur.
	LE DIRECTEUR	Grâce au Ciel notre eau de source a des propriétés thérapeutiques exceptionnelles. Ma défunte femme disait toujours : « Notre eau est aussi pure que notre cœur. »
	BAPTISTIN	(Avec un sourire songeur.) Elle disait aussi : « Qui fait pipi contre le vent se lave les dents. » (Rupture devant le regard noir du directeur.) Mais… elle l’a pas dit souvent…
	LE DIRECTEUR	Elle savait de quoi elle parlait, elle a tenu cette cure pendant vingt ans ! Je vous ai déjà raconté comment nous fîmes connaissance ?
	BAPTISTIN	Deux cents fois ! (Il sort.)
ELLE EST ÉPATANTE CETTE PETITE FEMME-LÀ
Albert Willemetz, Henri Christiné
(Chanson interprétée par le directeur. Pendant le deuxième refrain, Baptistin, pour réparer le tableau des clés, donne des coups de marteau dessus, ce qui fait énormément de bruit. En principe le public applaudit à la fin de la chanson, Baptistin prend à son compte les applaudissements et salue.)
	BAPTISTIN	Ça y est, j’ai réparé le tableau !
	LE DIRECTEUR	Oui… on a entendu ! Et ça tient ?
	BAPTISTIN	Oh oui, c’est du solide ! (Le tableau se décroche à nouveau. Au directeur.) Ça va ? Vous n’êtes pas blessé ?
	LE DIRECTEUR	Rassurez-moi, vous n’allez tout de même pas passer la matinée sur ce tableau ?
	BAPTISTIN	Non, monsieur le directeur !
	LE DIRECTEUR	Je vous rappelle que vous devez sortir les chaises longues et les parasols. C’est fini les vacances, vous n’êtes plus en balade à Paris ici ! (Il sort.)
	BAPTISTIN	Bien, monsieur le directeur. (Au public.) Parlons-en de ma balade à Paris : un vrai cauchemar ! Je suis tombé sur une folle qui voulait se jeter du pont de l’Alma par désespoir d’amour. Manque de pot, je passais par là et je l’ai sauvée ! Je dis manque de pot parce qu’après elle ne m’a pas lâché d’une semelle : « Vous êtes mon sauveur, nous sommes faits l’un pour l’autre, vous êtes l’amour de ma vie. » J’aurais dû la pousser dans l’eau, elle m’a gâché mon week-end ! Alors pour m’en débarrasser je lui ai raconté que j’étais légionnaire et que je devais rejoindre mon unité, sinon j’y serais encore.
(Juliette entre précipitamment, lui saute au cou et l’embrasse vigoureusement.)
	JULIETTE	Coucou !
	BAPTISTIN	Non, Juliette, arrête…
	JULIETTE	Il n’a pas envie de faire un gros câlin à sa petite Juliette adorée ?
	BAPTISTIN	Non, pas ici…
	JULIETTE	(Toujours aussi fougueuse.) Oh oui, il aime ça les câlins… Hein que t’aimes ça ? Dis-moi que t’aimes ça !
	BAPTISTIN	Oui, il aime ça… mais arrête, t’es folle, ton père est dans les parages.
	JULIETTE	Qu’est-ce que ça peut faire, puisque c’est aujourd’hui le grand jour ?
	BAPTISTIN	Le grand jour ? Ah oui, le grand jour, justement, je voulais t’en parler. On ne pourrait pas remettre ça à plus tard ? Parce que là ton père m’a l’air d’une humeur massacrante et…
	JULIETTE	Comment ?
	BAPTISTIN	Non, je disais si on pouvait…
	JULIETTE	Tu te fous de moi ou quoi ?
	BAPTISTIN	Mais pas du tout.
	JULIETTE	Je te demande si tu te fous de moi. Ça fait des semaines que tu me dis : « le jour de l’ouverture de la cure, je demande ta main à ton père » et le jour venu, vlan ! tu te défiles !
	BAPTISTIN	Mais non…
	JULIETTE	Baptistin, t’en aimes une autre ?
	BAPTISTIN	T’es bête, mon poussin, tu sais bien que c’est toi que j’aime.
	JULIETTE	Non, parce que soyons clairs… (Elle prend son couteau et le lui met sous la gorge.) Tu me trompes, je te saigne !
	BAPTISTIN	(Câlin.) Oui… C’est pour ça que je t’aime, mon poussin. Ben alors… Qui c’est le poussin à son canard ? Le coin-coin…
	JULIETTE	Arrête, tu me chatouilles.
	BAPTISTIN	Les piou-pious…
	JULIETTE	Arrête, je te dis !
	BAPTISTIN	Y a deux piou-pious…
	JULIETTE	(Avec force.) Arrête ! Plus de piou-pious, fini les piou-pious, parle à mon père d’abord.
	BAPTISTIN	On n’est pas à deux jours près.
	JULIETTE	Tu sais que la baronne de Morton la Garenne vient ici accompagnée de son fils Charles ?
	BAPTISTIN	Et alors ?
	JULIETTE	Alors mon père a l’intention de nous marier. Il serait fier que sa fille devienne une de Morton la Garenne.
	BAPTISTIN	Toi avec le fils de la baronne ?
	JULIETTE	Pourquoi pas ? C’est un garçon intelligent, délicat et plein de charme.
	BAPTISTIN	On ne doit pas parler du même, alors.
	JULIETTE	Et puis je ne vais pas attendre toute ma vie que tu te décides à faire ta demande.
	BAPTISTIN	Je vais la faire, ma demande, mon poussin, mais si je te dis que ce n’est pas le moment, c’est que ce n’est pas le moment.
	JULIETTE	Avec toi ce n’est jamais le moment. La vérité, c’est que tu as peur de mon père. Voilà le problème !
	BAPTISTIN	Peur de ton père ? Alors là, pas du tout ! Du tout, du tout.
	JULIETTE	(Elle fait croire à Baptistin que son père est derrière lui.) Bonjour, papa !
	BAPTISTIN	(Réaction.) AH ! (Sourire de Juliette.) C’est malin ! J’ai besoin d’établir une certaine complicité avec lui… Si j’arrive à me rendre indispensable, à être son bras droit, il n’aura plus aucune raison de me refuser ta main. Et qui c’est qui sera le coin-coin à son piou-piou ? Le piou-piou à son coin-coin…
	JULIETTE	Mon Dieu !
TEL QU’IL EST
Maurice Alexander, Maurice Vandair, Charlys
(Chorégraphie dans laquelle Juliette malmène Baptistin. Pendant qu’ils dansent, Baptistin fait tomber Juliette qui continue de chanter.)
	BAPTISTIN	Je t’ai pas fait mal ?
	JULIETTE	Chut !
	BAPTISTIN	J’ai de la crème, si tu…
	JULIETTE	Tu vas la fermer, oui ?
(Juliette finit la chanson et le directeur entre à l’insu de Baptistin qui s’est assis sur le banc.)
	LE DIRECTEUR	Monsieur désire autre chose ?
	BAPTISTIN	Merci, mon vieux ! (Réaction.) Ah !…
	LE DIRECTEUR	Allez-y, ne vous gênez pas ! Il suffit que je m’absente trente secondes pour que vous en profitiez pour vous pavaner ! Bravo ! Belle mentalité.
	BAPTISTIN	Non, je…
	LE DIRECTEUR	Taisez-vous ! (À Juliette.) Tu vas bien, ma chérie ? (À Baptistin.) Faites attention, mon garçon, faites très attention, vous êtes sur une pente savonneuse… et ça mousse, ça mousse !
	BAPTISTIN	Oui, monsieur le directeur.
	LE DIRECTEUR	Reprenez votre travail. (Baptistin se rassoit.) Reprenez votre travail !
	BAPTISTIN	Je vérifiais le banc. Tout va bien.
	LE DIRECTEUR	(À Juliette.) Alors, ma chérie, prête à accueillir ton futur fiancé ? Quand je pense que j’ai connu le baron tout petit et qu’aujourd’hui il va venir me demander la main de ma fille, je n’ose y croire.
	JULIETTE	(Fort pour que Baptistin entende.) Tu crois que M. Charles fera sa demande pendant son séjour ?
	LE DIRECTEUR	Si je le crois ? Mais j’en suis certain ! Je me suis laissé dire qu’il était impatient de revenir à la cure et je doute fort que ce soit pour les bienfaits de notre eau.
	JULIETTE	Je te laisse, j’ai du travail en cuisine. Baptistin a quelque chose à te demander.
	LE DIRECTEUR	C’est ça… À plus tard, fillette. (À part.) Elle est mignonne. (Rudement, à Baptistin.) Qu’est-ce que vous voulez ?
	BAPTISTIN	Je vous demande pardon ?
	LE DIRECTEUR	Ma fille me dit que vous avez quelque chose à me demander, je vous écoute.
	BAPTISTIN	(Décontenancé.) Ah bon, elle a dit que je… Remarquez, j’ai déjà les gants…
	Le DIRECTEUR	Dépêchez-vous, mon vieux, je n’ai pas que ça à faire.
	BAPTISTIN	Oui…...