La folie d’Oreste
Oreste, rejeté par Hermione, sombre dans la folie après l’avoir fait tuer.
PYLADE
Il faut partir, Seigneur. Sortons de ce palais,
Ou bien résolvons-nous de n’en sortir jamais.
Nos Grecs pour un moment en défendent la porte.
Tout le peuple assemblé nous poursuit à main forte.
Aux ordres d’Andromaque ici tout est soumis,
Ils la traitent en reine, et nous comme ennemis.
Andromaque elle-même à Pyrrhus si rebelle,
Lui rend tous les devoirs d’une veuve fidèle,
Commande qu’on le venge, et peut-être sur nous
Veut venger Troie encore, et son premier époux.
Allons. N’attendons pas que l’on nous environne,
Nos Grecs nous rejoindront. Et tandis qu’Hermione
Tient encore le peuple autour d’elle arrêté,
Voilà notre chemin, sortons en sûreté.
ORESTE
Non, non, c’est Hermione, amis, que je veux suivre,
À son dernier arrêt, je ne puis plus survivre :
Partez, j’ai fait le crime, et je vais l’expier.
PYLADE
Hermione, Seigneur ? Il la faut oublier.
Quoi ! Toujours l’instrument, et l’objet de sa rage
Cherchez-vous chez les morts quelque nouvel outrage, Et parce qu’elle meurt, faut-il que vous mouriez ?
ORESTE
Elle meurt ? Dieux ! Qu’entends-je ?
PYLADE
Hé quoi ? vous l’ignoriez ? En rentrant dans ces lieux nous l’avons rencontrée,
Qui courait vers le temple, inquiète, égarée.
Elle a trouvé Pyrrhus, porté sur des soldats,
Que son sang excitait à venger son trépas.
Sans doute à cet objet sa rage s’est émue.
Mais du haut de la porte enfin nous l’avons vue,
Un poignard à la main, sur Pyrrhus se courber,
Lever les yeux au ciel, se frapper, et tomber.
ORESTE
Grâce aux dieux ! Mon malheur passe mon espérance :
Oui, je te loue, ô ciel ! De ta persévérance.
Appliqué sans relâche au soin de me punir,
Au comble des douleurs tu m’as fait parvenir.
Ta haine a pris plaisir à former ma misère ;
J’étais né pour servir d’exemple à ta colère,
Pour être du malheur un modèle accompli :
Hé bien, je meurs content, et mon sort est rempli.
Où sont ces deux amants ? Pour couronner ma joie,
Dans leur sang, dans le mien, il faut que je me noie :
L’un et l’autre en mourant je les veux regarder.
Réunissons trois coeurs qui n’ont pu s’accorder.
Mais quelle épaisse nuit tout à coup m’environne ?
De quel côté sortir ? D’où vient que je frissonne ?
Quelle horreur me saisit ? Grâce au ciel, j’entrevois…
Dieu ! Quels ruisseaux de sang coulent autour de moi !
PYLADE
Ah Seigneur !
ORESTE
Quoi, Pyrrhus, je te rencontre encore ?
Trouverai-je partout un rival que j’abhorre ?
Percé de tant de coups comment t’es-tu sauvé ?
Tiens, tiens, voilà le coup que je t’ai réservé.
Mais que vois-je ? À mes yeux Hermione l’embrasse ?
Elle vient l’arracher au coup qui le menace ?
Dieux, quels affreux regards elle jette sur moi !
Quels démons, quel serpents traîne-t-elle après soi ?
Hé bien, filles d’enfer, vos mains sont-elles prêtes ?
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?
À qui destinez-vous l’appareil qui vous suit ?
Venez-vous m’enlever dans l’éternelle nuit ?
Venez, à vos fureurs Oreste s’abandonne.
Mais non, retirez-vous, laissez faire Hermione.
L’ingrate mieux que vous saura me déchirer,
Et je lui porte enfin mon coeur à dévorer. PYLADE
Il perd le sentiment. Amis, le temps nous presse,
Ménageons les moments que ce transport nous laisse.
Sauvons-le. Nos efforts deviendraient impuissants,
S’il reprenait ici sa rage avec ses sens.