La scène des coups de bâton


Type : Dialogue
Langue : Français classique

Personnage : Scapin
Genre : Masculin
Âge : Adulte

Scapin piège Géronte dans un sac et le frappe pour lui soutirer de l’argent.


GÉRONTE.

Ne saurais-tu trouver quelque moyen, pour me tirer de peine ?

SCAPIN.

J’en imagine bien un ; mais je courrais risque moi, de me faire assommer.

GÉRONTE.

Eh, Scapin, montre-toi serviteur zélé. Ne m’abandonne pas, je te prie.

SCAPIN.

Je le veux bien. J’ai une tendresse pour vous qui ne saurait souffrir que je vous laisse sans secours.

GÉRONTE.

Tu en seras récompensé, je t’assure ; et je te promets cet habit-ci, quand je l’aurai un peu usé.

SCAPIN.

Attendez. Voici une affaire que je me suis trouvée fort à propos pour vous sauver. Il faut que vous vous mettiez dans ce sac, et que…

GÉRONTE, croyant voir quelqu’un.

Ah !

SCAPIN.

Non, non, non, non, ce n’est personne. Il faut, dis-je, que vous vous mettiez là-dedans, et que vous gardiez de remuer en aucune façon. Je vous chargerai sur mon dos, comme un paquet de quelque chose, et je vous porterai ainsi au travers de vos ennemis, jusque dans votre maison, où quand nous serons une fois, nous pourrons nous barricader, et envoyer quérir main-forte contre la violence.  

GÉRONTE.

L’invention est bonne[.]

SCAPIN.

La meilleure du monde. Vous allez voir.

À part.

Tu me payeras l’imposture.

GÉRONTE.

Eh ?

SCAPIN.

Je dis que vos ennemis seront bien attrapés. Mettez-vous bien jusqu’au fond, et surtout prenez garde de ne vous point montrer, et de ne branler pas, quelque chose qui puisse arriver.

GÉRONTE.

Laisse-moi faire. Je saurai me tenir…

SCAPIN.

Cachez-vous. Voici un spadassin qui vous cherche.  

En contrefaisant sa voix.

Quoi, jé n’aurai pas l’abantage dé tuer cé Géronte, et quelqu’un par charité né m’enseignera pas où il est ? »

À Géronte de sa voix ordinaire.

Ne branlez pas.  

Reprenant son ton contrefait.

« Cadédis, jé lé trouberai, sé cachât-il au centre dé la terre. »

À Géronte avec son ton naturel.

Ne vous montrez pas.

Tout le langage gascon est supposé de celui qu’il contrefait, et le reste de lui.

Oh, l’homme au sac !  Monsieur. Jé té vaille un louis, et m’enseigne où put être Géronte.  Vous cherchez le seigneur Géronte ? Oui, mordi ! jé lé cherche.  Et pour quelle affaire, Monsieur ? Pour quelle affaire ?  Oui. Jé beux, cadédis, lé faire mourir sous les coups de vaton.  Oh ! Monsieur, les coups de bâton ne se donnent point à des gens comme lui, et ce n’est pas un homme à être traité de la sorte. Qui, cé fat dé Géronte, cé maraut, cé velître ?  Le seigneur Géronte, Monsieur, n’est ni fat, ni maraud, ni belître, et vous devriez, s’il vous plaît, parler d’autre façon. Comment, tu mé traites, à moi, avec cette hautur ?  Je défends, comme je dois, un homme d’honneur qu’on offense. Est-ce que tu es des amis dé cé Géronte ?  Oui, Monsieur, j’en suis. Ah ! Cadédis, tu es de ses amis, à la vonne hure. 

Il donne plusieurs coups de bâton sur le sac.

Tiens. Boilà cé que jé té vaille pour lui. Ah, ah, ah ! Ah, Monsieur ! Ah, ah, Monsieur ! Tout beau. Ah, doucement, ah, ah, ah ! Va, porte-lui cela de ma part. Adiusias.  Ah ! Diable soit le Gascon. Ah !

En se plaignant et remuant le dos, comme s’il avait reçu les coups de bâton.

GÉRONTE, mettant la tête hors du sac.

Ah, Scapin, je n’en puis plus.

SCAPIN.

Ah, Monsieur, je suis tout moulu, et les épaules me font un mal épouvantable.

GÉRONTE.

Comment ? C’est sur les miennes qu’il a frappé.

SCAPIN.

Nenni, Monsieur, c’était sur mon dos qu’il frappait.

GÉRONTE.

Que veux-tu dire ? J’ai bien senti les coups, et les sens bien encore.

SCAPIN.

Non, vous dis-je, ce n’est que le bout du bâton qui a été jusque sur vos épaules.

GÉRONTE.

Tu devais donc te retirer un peu plus loin, pour m’épargner…

SCAPIN, lui remet la tête dans le sac.

Prenez garde. En voici un autre qui a la mine d’un étranger.

Cet endroit est de même celui du Gascon, pour le changement de langage, et le jeu de théâtre.

Parti moi courir comme une Basque, et moi ne pouvre point troufair de tout le jour sti tiable de Gironte ? » Cachez-vous bien. Dites-moi un peu fous, Monsir l’homme, s’il ve plaist, fous savoir point où l’est sti Gironte que moi cherchair ?  Non, Monsieur, je ne sais point où est Géronte. Dites-moi-le vous frenchemente, moi li fouloir pas grande chose à lui. L’est seulemente pour li donnair un petite régale sur le dos d’un douzaine de coups de bastonne, et de trois ou quatre petites coups d’épée au trafers de son poitrine.  Je vous assure, Monsieur, que je ne sais pas où il est. Il me semble que j’y foi remuair quelque chose dans sti sac.  Pardonnez-moi, Monsieur. Li est assurémente quelque histoire là tetans. Point du tout, Monsieur. Moi l’avoir enfie de tonner ain coup d’épée dans ste sac. Ah, Monsieur, gardez-vous-en bien. Montre-le-moi un peu fous, ce que c’estre là.  Tout beau, Monsieur. Quement, tout beau. Vous n’avez que faire de vouloir voir ce que je porte. Et moi, je le fouloir foir, moi.  Vous ne le verrez point. Ahi que de badinemente ! Ce sont hardes qui m’appartiennent. Montre-moi fous, te dis-je.  Je n’en ferai rien. Toi ne faire rien ?  Non. Moi pailler de ste bastonne dessus les épaules de toi. Je me moque de cela. Ah toi faire le trole.  Ahi, ahi, ahi ; ah, Monsieur, ah, ah, ah, ah. Jusqu’au refoir : l’être là un petit leçon pour li apprendre à toi à parlair insolentemente !  Ah ! Peste soit du baragouineux ! Ah !

GÉRONTE, sortant sa tête du sac.

Ah ! Je suis roué !

SCAPIN.

Ah ! Je suis mort !

GÉRONTE.

Pourquoi diantre faut-il qu’ils frappent sur mon dos ?

SCAPIN, lui remettant la tête dans le sac.

Prenez garde, voici une demi-douzaine de soldats tout ensemble.

Il contrefait plusieurs personnes ensemble.

Allons, tâchons à trouver ce Géronte, cherchons partout. N’épargnons point nos pas. Courons toute la ville. N’oublions aucun lieu. Visitons tout. Furetons de tous les côtés. Par où irons-nous ? Tournons par là. Non, par ici. À gauche. À droit. Nenni. Si fait. Cachez-vous bien. Ah, Camarades, voici son valet. Allons, coquin, il faut que tu nous enseignes où est ton maître. Eh, Messieurs, ne me maltraitez point.  Allons, dis-nous où il est. Parle. Hâte-toi. Expédions. Dépêche vite. Tôt.  Eh, Messieurs, doucement.

Géronte met doucement la tête hors du sac et aperçoit la fourberie de Scapin.

Si tu ne nous fais trouver ton maître tout à l’heure, nous allons faire pleuvoir sur toi une ondée de coups de bâton. J’aime mieux souffrir toute chose que de vous découvrir mon maître. Nous allons t’assommer.  Faites tout ce qu’il vous plaira. Tu as envie d’être battu.  Je ne trahirai point mon maître. Ah tu en veux tâter ? Voilà…  Oh !

Comme il est prêt de frapper, Géronte sort du sac, et Scapin s’enfuit.

GÉRONTE.

Ah, infâme ! Ah, traître ! Ah, scélérat ! C’est ainsi que tu m’assassines.

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