Le flagrant délit de Dandin


Type : Dialogue
Langue : Français classique

Personnage : Georges Dandin
Genre : Masculin
Âge : Adulte

Dandin surprend Angélique en train de parler à Clitandre. Il pense pouvoir la confondre. Mais Angélique, aidée par Claudine, inverse la situation : elle l’accuse de jalousie excessive. Quand les beaux-parents arrivent, Dandin passe pour le fautif.


GEORGE DANDIN.
Galimatias : Discours obscur, et
embrouillé, où on ne comprend rien,
où les paroles sont mises confusément,
et sans ordre ; et où il n’y a rien de
naturel.
Non, non, on ne m’abuse pas avec tant de facilité, et je ne
suis que trop certain que le rapport que l’on m’a fait est
véritable. J’ai de meilleurs yeux qu’on ne pense, et votre
galimatias ne m’a point tantôt ébloui.
CLITANDRE.
Ah la voilà. Mais le mari est avec elle.
GEORGE DANDIN.
Au travers de toutes vos grimaces, j’ai vu la vérité de ce
que l’on m’a dit, et le peu de respect que vous avez pour
le noeud qui nous joint. Mon Dieu laissez là votre
révérence, ce n’est pas de ces sortes de respect dont je
vous parle, et vous n’avez que faire de vous moquer.
ANGÉLIQUE.
Moi, me moquer ! En aucune façon.
GEORGE DANDIN.
Je sais votre pensée et connais… Encore ? Ah ne raillons
pas davantage ! Je n’ignore pas qu’à cause de votre
noblesse vous me tenez fort au-dessous de vous, et le
respect que je vous veux dire ne regarde point ma
personne. J’entends parler de celui que vous devez à des
noeuds aussi vénérables que le sont ceux du mariage. Il
ne faut point lever les épaules, et je ne dis point de
sottises.
ANGÉLIQUE.
Qui songe à lever les épaules ?
GEORGE DANDIN.
Mon Dieu nous voyons clair. Je vous dis encore une fois
que le mariage est une chaîne à laquelle on doit porter
toute sorte de respect, et que c’est fort mal fait à vous d’en
user comme vous faites. Oui, oui, mal fait à vous. Et vous
n’avez que faire de hocher la tête, et de me faire la
grimace.
ANGÉLIQUE.
Moi ! Je ne sais ce que vous voulez dire.
GEORGE DANDIN.
Je le sais fort bien, moi ; et vos mépris me sont connus.
Si je ne suis pas né noble, au moins suis-je d’une race où
il n’y a point de reproche, et la famille des Dandins…
CLITANDRE, derrière Angélique, sans être aperçu
de Dandin.
Un moment d’entretien.
GEORGE DANDIN.
Eh ?
ANGÉLIQUE.
Quoi ? Je ne dis mot.
GEORGE DANDIN.
Le voilà qui vient rôder autour de vous.
ANGÉLIQUE.
Hé bien, est-ce ma faute ? Que voulez-vous que j’y fasse?
GEORGE DANDIN.
Je veux que vous y fassiez ce que fait une femme qui ne
veut plaire qu’à son mari. Quoi qu’on en puisse dire, les
galants n’obsèdent jamais que quand on le veut bien, il y
a un certain air doucereux qui les attire, ainsi que le miel
fait les mouches, et les honnêtes femmes ont des
manières qui les savent chasser d’abord.
ANGÉLIQUE.
Moi, les chasser ? Et par quelle raison ? Je ne me
scandalise point qu’on me trouve bien faite, et cela me
fait du plaisir.
GEORGE DANDIN.
Oui. Mais quel personnage voulez-vous que joue un mari
pendant cette galanterie ?
ANGÉLIQUE.
Le personnage d’un honnête homme qui est bien aise de
voir sa femme considérée.
GEORGE DANDIN.
Je suis votre valet. Ce n’est pas là mon compte, et les
Dandins ne sont point accoutumés à cette mode-là.
ANGÉLIQUE.
Oh ! Les Dandins s’y accoutumeront s’ils veulent. Car
pour moi, je vous déclare que mon dessein n’est pas de
renoncer au monde, et de m’enterrer toute vive dans un
mari. Comment, parce qu’un homme s’avise de nous
épouser, il faut d’abord que toutes choses soient finies
pour nous, et que nous rompions tout commerce avec les
vivants ? C’est une chose merveilleuse que cette tyrannie
de Messieurs les maris, et je les trouve bons de vouloir
qu’on soit morte à tous les divertissements, et qu’on ne
vive que pour eux. Je me moque de cela, et ne veux point
mourir si jeune.
GEORGE DANDIN.
C’est ainsi que vous satisfaites aux engagements de la foi
que vous m’avez donnée publiquement ?
ANGÉLIQUE.
Moi ? Je ne vous l’ai point donnée de bon coeur, et vous
me l’avez arrachée. M’avez-vous avant le mariage
demandé mon consentement, et si je voulais bien de vous
? Vous n’avez consulté pour cela, que mon père, et ma
mère, ce sont eux proprement qui vous ont épousé, et
c’est pourquoi vous ferez bien de vous plaindre toujours à
eux des torts que l’on pourra vous faire. Pour moi, qui ne
vous ai point dit de vous marier avec moi, et que vous
avez prise sans consulter mes sentiments, je prétends
n’être point obligée à me soumettre en esclave à vos
volontés, et je veux jouir, s’il vous plaît, de quelque
nombre de beaux jours que m’offre la jeunesse ; prendre
les douces libertés, que l’âge me permet, voir un peu le
beau monde, et goûter le plaisir de m’ouïr dire des
douceurs. Préparez-vous-y, pour votre punition, et rendez
grâces au Ciel de ce que je ne suis pas capable de
quelque chose de pis.
GEORGE DANDIN.
Oui ! C’est ainsi que vous le prenez. Je suis votre mari, et
je vous dis que je n’entends pas cela.
ANGÉLIQUE.
Moi je suis votre femme, et je vous dis que je l’entends.

  • GEORGE DANDIN.
    Il me prend des tentations d’accommoder tout son visage
    à la compote, et le mettre en état de ne plaire de sa vie
    aux diseurs de fleurettes. Ah ! Allons, George Dandin, je
    ne pourrais me retenir, et il vaut mieux quitter la place
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