Le suicide d’Antigone


Type : Dialogue
Langue : Alexandrins

Personnage : Antigone
Genre : Féminin
Âge : Adolescent

Antigone choisit la mort plutôt que de renier les lois divines.


LE CHOEUR.

Strophe I.

Érôs ! Invincible Érôs, qui t’abats sur les puissants, qui te reposes sur les joues délicates de la jeune fille, qui te transportes par delà les mers et dans les étables agrestes, aucun des immortels ne peut te fuir, ni aucun des hommes qui vivent peu de jours ; mais qui te possède est plein de fureur !

Antistrophe I.

Tu entraînes à l’iniquité les pensées des justes, et tu pousses à la dissension les hommes du même sang. Le charme désirable qui resplendit dans les yeux d’une jeune femme est victorieux et l’emporte sur les grandes lois. La déesse Aphrodita est invincible et se rit de tout. Et moi-même, devant ceci, j’enfreins ce qui est permis et je ne puis retenir les sources de mes larmes, lorsque je vois Antigone s’avancer vers le lit où tous vont dormir.

ANTIGONE.

Strophe II.

Voyez-moi, ô citoyens de la terre de ma patrie, faisant mon dernier chemin et regardant le dernier éclat du jour pour ne plus jamais le regarder ! Hadès, qui ensevelit tout, m’emmène vivante vers l’Achéron, sans que j’aie connu les noces, sans que l’hymne nuptial m’ait chantée, car j’épouserai l’Achéron.

LE CHOEUR.

Ainsi, illustre et louée, tu vas dans les retraites des morts, non consumée par les flétrissures des maladies, non livrée comme un butin de guerre ; mais, seule entre les mortels, libre et vivante, tu descends chez Hadès.

ANTIGONE.

Antistrophe II.

Certes, j’ai entendu dire que la Phrygienne étrangère, fille de Tantale, est morte très malheureuse au sommet du Sipyle où l’accroissement de la pierre l’enveloppa, l’ayant étreinte rigidement comme un lierre. Ni les pluies, ni jamais les neiges ne l’abandonnent tandis qu’elle se fond, et toujours elle trempe son cou des larmes de ses yeux. Un démon va m’endormir comme elle.   [ 4 ]

LE CHOEUR.

Mais celle-ci était déesse et issue d’une race divine, et nous sommes mortels et issus d’une race mortelle ; mais il est glorieux, pour qui va mourir, de subir une destinée semblable à celle des Dieux.

ANTIGONE.

Strophe III.

Hélas ! On se rit de moi. Par les dieux de la patrie ! Pourquoi m’accabler d’outrages, n’étant point morte encore et sous vos yeux ? Ô ville, ô très riches citoyens de la ville, ô sources Dirkaiennes, ô bois sacrés de Thèbes aux beaux chars, je vous atteste tous à la fois. Telle, non pleurée par mes amis, frappée par une loi inique, je vais vers cette prison sépulcrale qui sera mon tombeau. Hélas ! Malheureuse ! Je n’habiterai ni parmi les vivants, ni parmi les morts !

LE CHOEUR.

En ton extrême audace, tu as heurté le siège élevé de Dika, ô ma fille ! Tu expies quelque crime paternel.

ANTIGONE.

Antistrophe III.

Tu as touché à mes plus amères douleurs, à la destinée bien connue de mon père, aux désastres de toute la race des illustres Labdakides. Ô calamité des noces maternelles ! Ô embrassement de ma mère malheureuse et de mon père, elle qui m’a conçue, et lui, malheureux, qui m’a engendrée ! Je vais à eux, chargée d’imprécations et non mariée. Ô frère, tu as joui d’un hymen funeste, et, mort, tu m’as tuée !

LE CHOEUR.

C’est une piété que d’honorer les morts ; mais il n’est jamais permis de ne point obéir à qui tient la puissance. C’est ton esprit inflexible qui t’a perdue.

ANTIGONE.

Non pleurée, sans amis et vierge, je fais mon dernier chemin. Je ne regarderai plus l’oeil sacré de Hélios, ô malheureuse ! Aucun ami ne gémira, ne pleurera sur ma destinée.

CRÉON.

Ne savez-vous pas que, si les chants et les plaintes pouvaient servir à ceux qui vont mourir, personne n’en finirait ? Ne l’emmènerez-vous point promptement ? Enfermez-la, comme je l’ai ordonné, et laissez-la seule, abandonnée, dans le sépulcre couvert, afin qu’elle y meure, si elle veut, ou qu’elle y vive ensevelie. Nous serons ainsi purs de toute souillure venant d’elle, et elle ne pourra plus habiter sur la terre.

ANTIGONE.

Ô sépulcre ! Ô lit nuptial ! Ô demeure creusée que je ne quitterai plus, où je rejoins les miens, que Perséphassa a reçus, innombrables, parmi les morts ! La dernière d’entre eux, et,certes, par une fin bien plus misérable, je m’en vais avant d’avoir vécu ma part légitime de la vie. Mais, en partant, je garde la très grande espérance d’être la bien venue pour mon père, et pour toi, mère, et pour toi, tête fraternelle ! Car, morts, je vous ai lavés de mes mains, et ornés, et je vous ai porté les libations funéraires. Et maintenant, Polynice, parce que j’ai enseveli ton cadavre, je reçois cette récompense. Mais je t’ai honoré, approuvée par les sages. Jamais, si j’eusse enfanté des fils, jamais, si mon époux eût pourri mort, je n’eusse fait ceci contre la loi de la cité. Et pourquoi parlé-je ainsi ? C’est que, mon époux étant mort, j’en aurais eu un autre ; ayant perdu un enfant, j’en aurais conçu d’un autre homme ; mais de mon père et de ma mère enfermés chez Hadès jamais aucun autre frère ne peut me naître. Et, cependant, c’est pour cela, c’est parce que je t’ai honorée au-dessus de tout, ô tête fraternelle, que j’ai mal fait selon Créon, et que je lui semble très coupable. Et il me fait saisir et emmener violemment, vierge, sans hyménée, n’ayant eu ma part ni du mariage, ni de l’enfantement. Sans amis et misérable, je suis descendue, vivante, dans l’ensevelissement des morts. Quelle justice des dieux ai-je violée ? Mais à quoi me sert, malheureuse, de regarder encore vers les Dieux ? Lequel appeler à l’aide, si je suis nommée impie pour avoir agi avec piété ? Si les dieux approuvent ceci, j’avouerai l’équité de mon châtiment ; mais, si ces hommes sont iniques, je souhaite qu’ils ne souffrent pas plus de maux que ceux qu’ils m’infligent injustement.

LE CHOEUR.

Les agitations de son âme sont toujours les mêmes.

CRÉON.

C’est pourquoi ceux qui l’emmènent si lentement s’en repentiront.

ANTIGONE.

Hélas ! Ma mort est très proche de cette parole.

LE CHOEUR.

Je ne te recommanderai pas de te rassurer, comme si cette parole devait être vaine.

ANTIGONE.

Ô ville paternelle de la terre Thébéienne ! Ô dieux de mes aïeux ! Je suis emmenée sans plus de retard. Voyez, ô chefs de Thèbes, de quels maux m’accablent les hommes, parce que j’ai honoré la piété !

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