Acte I
Scène 1
Une faible lumière de service éclaire la scène.
Une table recouverte d’une nappe blanche où sont posés des verres et une bouteille. Au premier et deuxième plan à jardin et à cour, des découpes d’arbres. Arrive par la salle André portant une valise. Il est habillé simplement. Il se dirige vers la scène et lentement monte sur le plateau. Voix d’Alexis dans les coulisses.
	ALEXIS 	(Off.) Norbert !… Norbert !… Miladíou de miladíou… (Il entre. C’est un homme d’un certain âge avec un accent du Sud.) Ah ! André ! En voilà un qui est à l’heure, au moins, c’est bien !
	ANDRÉ 	Bonjour, monsieur Ader.
	ALEXIS 	… Il a encore éteint, oui… Et adieu, ça va ?
	ANDRÉ 	Ça va… Alors, ça s’est bien passé… avec M. Faix ?
	ALEXIS 	Ah ! ça s’est bien passé, oui, ça s’est pas passé du tout, il est pas encore arrivé ! On n’a pas de nouvelles. Eh bé, tu vois, finalement, tu pourras le prendre avec nous, ce pot.
	ANDRÉ 	Il est pas arrivé ?
	ALEXIS 	Eh bé, non ! Ça fait trois heures qu’on l’attend. Il était pas là au dernier train, alors on sait plus quoi faire. Je comprends pas, c’est quand même pas compliqué de passer un coup de téléphone… Enfin, bon ! On a l’impression que tu es parti pour un grand voyage, là, avec ta valise.
	ANDRÉ 	Ah non ! Ça, c’est mes affaires. J’ai pris une couverture… parce que je sais pas si y fait froid dans le théâtre.
	ALEXIS 	Oui, tu as raison.
	ANDRÉ 	J’ai amené aussi mes affaires de toilette, ma radio, des chaussettes…
	ALEXIS 	Pose-la, que tu me fais mal au bras. Alors, je t’ai amené un matelas, je te l’ai mis par là, je te le montrerai tout à l’heure…
	ANDRÉ 	Alors, je dors… ?
	ALEXIS 	Eh bé, où tu veux. Tu choisiras, quelque part dans le théâtre… (Il va pour sortir.)
	ANDRÉ 	Et le matelas… ?
	ALEXIS 	Oui, bon… Je vais allumer et je te le montre.
Alexis sort. André reste seul quelques instants. Les projecteurs s’allument dans son dos. Il se retourne. Aveuglément. Alexis revient.
	ANDRÉ 	C’est grand…
	ALEXIS 	C’est beau, hein ? Et quand tu penses qu’ils veulent le détruire ! Un endroit aussi magnifique… Mais ça, il faudra qu’ils me passent sur le corps avant… Bon, allez !
	ANDRÉ 	Et pour les clefs ?
	ALEXIS 	Ah oui !… Alors ça, c’est la clef de l’entrée principale ; tu passes par là, tu vois. Ça, c’est la clef de l’entrée arrière gauche…
	ANDRÉ 	Ça… c’est la clef… de l’entrée… arrière…
	ALEXIS 	… arrière gauche, celle-là arrière droite, celle-ci c’est la clef du cagibi où maintenant que tu es là…
	ANDRÉ 	Le cagibi… il est… ?
	ALEXIS 	Là, derrière.
	ANDRÉ 	Ah oui, je l’vois… Y faut que je le ferme ?
	ALEXIS 	Oui. Quand on s’en va, tu fermes tout.
	ANDRÉ 	À quelle heure je ferme ?
	ALEXIS 	Eh bé, quand on s’en va, tu fermes, voilà.
	ANDRÉ 	Et… à quelle heure j’ouvre ?
	ALEXIS 	J’ai un double des clefs, ne t’inquiète pas pour ça.
	ANDRÉ 	Celle-là, monsieur Ader, c’est quoi ?
	ALEXIS 	Ah oui ! C’est la clef des toilettes. Tu t’étonnes pas : des fois quand on est à l’extérieur on n’arrive pas toujours à ouvrir, et des fois quand on est dedans on n’arrive pas à sortir.
	ANDRÉ 	Ah bon !
	ALEXIS 	Vaut mieux pas que tu fermes quand tu es dedans. Mais la plupart du temps on a du mal à ouvrir… Enfin, tu essayes, tu verras bien…
	ANDRÉ 	Comment je fais pour… les toilettes…
	ALEXIS 	Ben… pour la petite commission, tu vas dehors, autour du théâtre, et puis pour la grosse commission… Ça te fait rire, couillon, va ! Si vraiment tu n’arrives pas à ouvrir, tu pousses jusque chez Ducomet… et tu lui demandes, voilà !
	ANDRÉ 	Et… qu’est-ce que… qu’est-ce que je lui dis ?
	ALEXIS 	Eh bé, tu lui dis… voilà, quoi…
	ANDRÉ 	Voilà… je… ?
	ALEXIS 	Bon, je le préviendrai, ne t’inquiète pas, va ! (Il va pour sortir.)
	ANDRÉ 	« Ô mon bien-aimé, enfin tu reparais ! Merci Sainte Vierge que j’ai tous les soirs priée. »
	ALEXIS 	Tu sais le texte par cœur ?
	ANDRÉ 	Ben, oui… Tout le texte… Ce que vous écrivez bien ! Qu’est-ce que c’est beau ! Moi, ce que je préfère, ben c’est le moment où le chevalier y revient et puis y retrouve Victorine… Tout ce qu’elle dit, là…
	ALEXIS 	Ça t’a plu ?
	ANDRÉ 	Beaucoup, beaucoup…
	ALEXIS 	Eh bé, ça me fait bien plaisir. Mais tu sais, mon grand, c’était pas la peine de l’apprendre. Le souffleur, il prend le texte, il le regarde et puis il souffle.
	ANDRÉ 	Ah bon ! Je pensais que… J’avais pas compris…
	ALEXIS 	C’est pas grave, c’est même mieux… J’espère que t’as pas autant souffert que Janine pour te le mettre dans la tête !
	ANDRÉ 	Elle va bien, Janine ?
	ALEXIS 	Ah oui, elle va bien, oui… Elle est toute paniquée, elle récite son texte à longueur de journée… Ça fait trois fois qu’elle fait réchauffer les anchouquettes, la pauvre, et lui, il est toujours pas là !
	ANDRÉ 	Elle a fait des anchouquettes ?
	ALEXIS 	(Se laissant aller à la joie.) Oui… Bon, allez… (Il va pour sortir.)
	ANDRÉ 	Et le trou ?
	ALEXIS 	Le trou ?
	ANDRÉ 	Ben… le trou !
	ALEXIS 	Ah ! le trou du souffleur, tu veux dire ? Eh bé, y en a plus ! Quand j’étais petit, y en avait un, il était là… Il était là, il a été rebouché, je sais pas…
	ANDRÉ 	Y en a plus ? Ben je vais me mettre où ?
	ALEXIS 	J’en sais rien, moi, dans un coin, sur les côtés… Tu verras ça avec M. Faix… Enfin, s’il arrive.
	ANDRÉ 	Mais c’est important, le trou…
	ALEXIS 	Je sais bien, mais faut pas t’inquiéter, tu sais, c’est un baptême pour tout le monde, moi c’est la première fois que j’écris, on est tous dans le même bain, on va se serrer les coudes. (Il va pour sortir.)
	ANDRÉ 	Simplement, monsieur Ader… Celle-là, c’est la clef de…
	ALEXIS 	Écoute, mon grand, je n’ai pas le temps… Tu n’auras qu’à mettre des étiquettes.
	ANDRÉ 	Ah oui, des étiquettes…
	ALEXIS 	Voilà… Bon…
	ANDRÉ 	Parce que… quand je suis rentré, c’était ouvert.
	ALEXIS 	C’est normal, puisqu’on est là !
	ANDRÉ 	Ah oui !
	ALEXIS 	Bon, tu t’installes, tu fais comme chez toi. À tout à l’heure. (Il sort.)
	ANDRÉ 	Et le matelas… ?
Alexis traverse la scène, passablement énervé.
	ALEXIS 	Il est là, regarde… (Il sort.)
	ANDRÉ 	Ah oui, je le vois…
	ALEXIS 	(Off.) Norbert !
	ANDRÉ 	… Et pour les étiquettes, monsieur Ader, je vais chez Ducomet ?… Monsieur Ader ? Monsieur Ader ? (Il va à la recherche du trou du souffleur.) Dans un coin, dans un coin… Moi je veux bien, dans un coin… (Il tape et gratte le sol.) C’est collé… C’est collé… (Il va finalement se mettre dans le coin.)
Scène 2
Janine entre. C’est une femme un peu forte avec un accent du Sud. Elle porte un plateau d’anchouquettes tout en répétant son texte à voix basse. Elle aperçoit la valise d’André et se fige.
	JANINE 	Monsieur Faix ?… Alexis !… Norbert !… Dépêchez-vous ! Il est arrivé ! (Elle découvre André.) Aïe !… Tu m’as fait peur !
	ANDRÉ 	Non, c’est… c’est ma valise !
	JANINE 	Ah ! c’est ta valise ! (Elle l’embrasse. Alexis entre.) Bonjour !
	ANDRÉ 	Bonjour, Janine.
	ALEXIS 	Il est où ?
	JANINE 	(Désignant André.) Eh bé, il est là !
	ALEXIS 	Qu’est-ce que tu racontes, toi ?
	JANINE 	André a laissé sa valise en plein milieu, j’ai cru que c’était celle de M. Faix, voilà, je me suis trompée, c’est tout.
	ALEXIS 	C’est ça, tu me fais des fausses joies, toi…
	JANINE 	Range-la, ta valise, André, ne la laisse pas au milieu comme ça, enfin !
Alexis prend la valise pour la ranger.
	ALEXIS 	Oui, allez, range-moi ça…
	ANDRÉ 	(Se précipite vers Alexis.) Non, laissez, monsieur Ader… Laissez…
Norbert entre.
	JANINE 	(À Norbert.) Alors ?
	ALEXIS 	Alors ?
	NORBERT 	Eh bé, rien !
	ALEXIS 	Rien, rien ! Comment ça, rien ? Comment ça se fait qu’on a pas de nouvelles ? Ils ont pas le téléphone, à Paris ?
	JANINE 	(Doucement, tout en disposant ses anchouquettes.) Calme-toi, calme-toi…
Norbert et André se saluent.
	ALEXIS 	(À Norbert.) Et le cagibi ? Il va se vider tout seul ?… Y faut le faire. On joue dans cinq jours… (Norbert se dirige vers les anchouquettes.) C’est ça ! Fais le sourd…
	JANINE 	On ne touche pas !
Norbert sort.
	ALEXIS 	Eh bé, je m’en occuperai moi-même, qu’est-ce que tu veux que je te dise ?
	JANINE 	Alexis, arrêtez de vous chamailler tout le temps comme ça, c’est pénible ! Dis-moi, ces pauvres anchouquettes, si on ne les mange pas tout de suite, c’est la catastrophe…
	ALEXIS 	Elles seront bonnes quand même, va, ma poupette. (Il l’embrasse.)
	NORBERT 	(Il revient.) Il a peut-être eu un accident !
	ALEXIS 	Ne parle pas de malheur, toi, hein !
	JANINE 	Tu crois ?
	NORBERT 	Ben quoi, c’est des choses qui arrivent.
	JANINE 	Il faut appeler l’hôpital, peut-être, non ?
	ALEXIS 	Ah ! ça y est !
	NORBERT 	J’y vais !
	ALEXIS 	Reste là ! Non, ma poupette, tu commences pas à te monter le bourrichon, on reste calme et on attend. (Il va pour sortir.)
	ANDRÉ 	Monsieur Ader !
	ALEXIS 	Quoi ?
	ANDRÉ 	Vous m’avez dit qu’il était pas au dernier train ?
	ALEXIS 	Oui.
	ANDRÉ 	C’est parce qu’il aura manqué la correspondance à Auch ! C’est pas facile comme correspondance, je le sais, je me suis déjà fait avoir une fois l’année dernière, quand j’avais été…
	ALEXIS et 
	JANINE 	Oui, oui, et alors ?
	ANDRÉ 	Eh ben, il est resté en gare d’Auch, sur le quai no 3, il a dû prendre la correspondance pour Carensac à 16 h 02 qui l’a fait arriver à Montarnaud à 17 h 05, là il a dû attendre un moment sur le quai avant de prendre la micheline pour Tissoul de 17 h 53. Montarnaud-Tissoul, y a cinquante… cinquante-deux… cinquante-six kilomètres… Il est arrivé à Tissoul à 18 h 58 et à Tissoul il a dû prendre le bus de M. Gauthier qui fait la liaison tous les mercredis et qui arrive sur la place de Vigoulet à 19 h 47.
Un temps.
	JANINE 	Et quelle heure il est, là ?
	ALEXIS 	Il est 8 heures !
	ANDRÉ 	Eh ben, il est là.
Ils regardent tous en direction de la salle.
	ALEXIS 	Janine ! Va sur la rue Grande… Norbert ! Va à la porte de Rouède. André, tu restes là.
Ils se dispersent tous. Norbert revient prendre une anchouquette.
	ANDRÉ 	Y faut pas… Nono ! Janine, elle a dit que… (Norbert sort rapidement.) Recrache !
Scène 3
André est seul. Il va pour prendre une anchouquette. Du bruit dans les coulisses : « Ah ! merde ! C’est pas vrai… » André repose son anchouquette. Entrée de Jean-Pascal Faix. C’est un homme élégant. Il a un sac de voyage à la main et des lunettes de soleil sur le front. Le journal Libération dépasse de sa poche.
	JPF 	Ah ! enfin ! Quelle histoire ! Bonjour. Jean-Pascal Faix… Ça va ? (Il serre la main d’André. JPF attend qu’André se présente, mais André le regarde sans rien dire.) Alors, voilà le théâtre de Vigoulet !
	ANDRÉ 	Oui, c’est ça.
	JPF 	Dites donc : Vigoulet, c’est très mal desservi, hein… C’est le moins qu’on puisse dire…
	ANDRÉ 	Le mercredi, c’est pas facile…
	JPF 	Ah bon ! C’est le mercredi seulement ? Ah ! ben j’ai pas eu de chance, alors, parce qu’après Auch ça a été l’enfer ! J’ai dû prendre divers tortillards qui s’arrêtaient toutes les trois minutes en pleine cambrousse, c’était le far west ! J’ai bien cru qu’on allait être attaqués par les Indiens ! Alors finalement, j’ai pris une diligence pour arriver jusqu’ici…
	ANDRÉ 	Une diligence ?
	JPF 	Oui. Enfin, j’ai pris un bus ou quelque chose comme ça !
	ANDRÉ 	Vous avez pris le bus de M. Gauthier ?
	JPF 	Ah ! ça je ne sais pas, le chauffeur ne s’est pas présenté !
	ANDRÉ 	Vous êtes passé par Tissoul ?
	JPF 	Oui. Je sais pas… Je sais plus…
	ANDRÉ 	Tissoul-Carensac, vous avez pris…
	JPF 	Oui. Y a un bled de ce nom-là…
	ANDRÉ 	C’est parce que vous avez manqué la correspondance à Auch !
	JPF 	Pardon ?
	ANDRÉ 	Vous avez manqué la correspondance à Auch.
	JPF 	À Auch… Ah oui ! Je suis descendu à Auch, j’ai d’abord attendu un taxi… Je pensais qu’un taxi m’aurait été envoyé du théâtre…
	ANDRÉ 	Un taxi ?
	JPF 	Ben oui, un taxi… Pas de taxi ! Alors, finalement, j’ai pris mon mal en patience et j’ai pris le premier train…
	ANDRÉ 	Vous avez pris la micheline, oui, Tissoul-Carensac.
	JPF 	Oui, c’est ça. J’ai pris le premier train…
	ANDRÉ 	C’est ça, oui… Parce que je me suis déjà fait avoir une fois comme vous, l’année dernière, à Noël, j’ai été à Lourdes avec ma tante et, imaginez-vous, j’ai raté la correspondance à Auch, parce que quand on la rate, la correspondance à Auch, c’est cuit… C’est-à-dire y faut pas aller sur le quai no 3, y faut aller sur le quai no 4 parce que…
Norbert est entré. JPF en profite pour se dégager.
	JPF 	Bonjour. Jean-Pascal Faix. Quelle histoire ! (Norbert sort rapidement.) Non, mais je rêve là…
	ANDRÉ 	Faut prendre directement le no 4, faut pas se tromper, hein…
	JPF 	Oui. J’ai pris le premier train…
	ANDRÉ 	C’est ça, oui. Vous avez pris la micheline… Elle est orange… Elle est orange… Elle est tout orange…
	JPF 	Ben oui, comme toutes les michelines…
	ANDRÉ 	Eh ben, comme moi, comme moi, comme moi !
	JPF 	Dites-moi, vous n’êtes pas Alexis Ader ?
	ANDRÉ 	Non ! André Lagachigue.
Scène 4
	JANINE 	(Off.) Monsieur Faix ! Vous êtes là ?
	JPF 	Oui, oui. Je suis sur le plateau !
Janine, Alexis et Norbert entrent.
	ALEXIS 	Ah ! voilà notre chevalier !
	JPF 	Bonjour. Jean-Pascal Faix.
	ALEXIS 	Alexis Ader ! Enchanté…
	JPF 	Et moi, très heureux d’être enfin arrivé… En retard, mais vivant !
	JANINE 	Bienvenue !
	JPF 	(Serrant la main de Janine.) Jean-Pascal Faix…
	ALEXIS 	Par où vous êtes passé ? Moi je vous attendais devant le théâtre !
	JPF 	J’ai fait comme font tous les acteurs : je suis passé par l’entrée des artistes !
	ALEXIS 	Quelle andouille !… J’aurais dû y penser ! Eh bé, on est bien contents de vous voir parce qu’on se faisait un peu de souci, quand même.
	JANINE 	Ça, on peut dire qu’on vous a appelé Désiré…
	JPF 	Pardon ?
	JANINE 	Enfin… Je veux dire… On vous a attendu…
	JPF 	J’ai bien failli ne jamais arriver jusqu’ici !
	ALEXIS 	Et qu’est-ce qui s’est passé, alors ?