1er mouvement Vivace
Un grenier, malle, objets divers, et deux violons dans leur boîte, l’une vernie, de jolie facture, l’autre en bois blanc assez rustique, poignée cassée.
Pénombre. Silence.
Une porte s’ouvre. Lumière. Entrent deux hommes, le Brocanteur et un jeune homme, son aide, précédés d’une vieille femme.
La Femme. – C’est ici…
Brocanteur. – Encore des vieilleries… (Examinant un tableau.) Ça, oui, pour le cadre, et encore ! Va falloir redorer.
La Femme. – La malle ? Elle est d’époque avec ses vraies étiquettes…
Brocanteur. – Ça, ça s’voit qu’elle est d’une époque qu’est pas la nôtre. Les charnières sont pas en bon état et la serrure est cassée. (Il fouille, sort des brochures et des livres.) Les livres, ça se vend plus ! Jules Verne ! Hugo ! Marivaux !
La Femme. – Les reliures sont belles.
Brocanteur. – J’dis pas… (Il ouvre un des livres.) Mais franchement, ma p’tite dame, aujourd’hui plus personne ne lit ça. Marivaux ! Du théâtre ! Personne ne lit du théâtre ! (Il en ouvre un autre.) Les Contemplations ! (Il ouvre le livre.) « Et dire qu’elle est morte ! Hélas ! que Dieu m’assiste1 ! » Vous voulez faire pleurer les enfants ? Et ça, Vingt mille lieues sous les mers ! Les jeunes, aujourd’hui, ils regardent des DVD avec des effets spéciaux !
La Femme. – Mais vous avez vu les illustrations ? Des gravures du xixe, authentiques !
Brocanteur. – En noir et blanc ! Tout le monde veut de la couleur aujourd’hui. Si vous les trouvez si belles, faites-les encadrer !
La Femme. – Je vais y réfléchir… Et les violons ?
Le Brocanteur ouvre le premier et montre l’archet cassé.
Brocanteur. – Inutilisable ! (Il ouvre la seconde boîte.) Drôle de boîte pour un violon ! (Il sort l’instrument. Les cordes pendent.) Trop de réparations ! Et puis, on peut même pas les essayer… (Le jeune homme examine le premier violon, retend les cordes, les essaie du bout du doigt, prend l’archet du second violon, resserre aussi les cordes, fait un premier essai, puis un second, et essaie de jouer.) Pas terrible !
La Femme. – Il faudrait peut-être les réviser. Ils sont là depuis… soixante-dix ans !
- Victor Hugo, Les Contemplations, « Elle avait pris ce pli… ».
Brocanteur. – Pour une révision, ça, ils ont besoin d’une révision. Je reviendrai quand ils seront révisés. (Il fait signe au jeune homme de le suivre et sort.)
La Femme. – Et la salle à manger ? Elle ne vous intéresse pas non plus ?
Brocanteur. – Du faux rustique ? Plus personne ne veut ça !
La vieille dame hausse les épaules.
La Femme – Surtout ceux qui ne distinguent pas le faux du vrai…
Le jeune homme range les instruments dans les boîtes, et profitant qu’elle ne le regarde pas, glisse l’archet cassé dans sa manche.
Noir
2e mouvement Adagio
Le grenier est dans l’ombre. Comme à la scène précédente, la porte s’ouvre. La Femme entre, allume la lumière. Le jeune homme entre, suivi d’un homme âgé muni d’une petite mallette.
La Femme. – Ils sont là.
Le vieil homme regarde le premier violon, puis l’autre. Il pince les cordes de l’un, puis de l’autre. Il ouvre sa mallette. Il sort l’archet « réparé ».
L’Homme. – Paco a bricolé votre archet. Je ne dis pas que ça va tenir, mais on va essayer, et nous connaissons quelqu’un qui peut en fabriquer un neuf.
La Femme, au jeune homme. – Vous l’aviez emporté ?
L’Homme. – C’était pour revenir, madame. Deux violons, même en mauvais état, ça nous intéresse, et le broc’, il n’y connaît rien.
Paco. – Et on cherche un violon pour Manolita.
L’Homme. – Manolita, c’est ma petite-fille. Elle a seize ans. Moi, c’est Juan. Lui c’est Paco, son frère. Chez nous, voyez-vous, il n’y avait que les hommes qui jouaient du violon. Mais elle, elle a appris ses notes à l’école et en me regardant jouer. Et sa professeure a dit qu’elle était douée. Alors, il lui faut un violon.
Paco. – Elle joue mieux que moi…
La Femme. – Vous ne travaillez plus avec le brocanteur ?
Paco. – Je suis dans une école de commerce. Je lui donne un coup de main, de temps en temps, pour me faire un peu de sous. Mais il paye avec un élastique, et il dit du mal de nous…
La Femme. – Il ne dit du bien de personne.
Paco commence à nettoyer les instruments, installe les cordes qui manquent. Pendant que l’Homme et la Femme discutent, on entend peu à peu une mélodie monter, d’abord un peu sourde, puis plus claire.
Juan. – Paco m’a dit qu’ils sont là depuis soixante-dix ans…
La Femme. – C’est vrai.
Juan. – Et vous n’avez jamais pensé à en jouer ?
La Femme. – Je n’ai pas l’oreille très musicienne.
Juan. – Et vos enfants non plus ?
La Femme. – Ils préféraient faire du sport. Ils faisaient de l’escrime avec les archets… C’est pour ça que je les ai mis...