Du rififi au Georges VI
ACTE 1
Scène 1
(La Patronne, Bernadette)
(Quand le rideau s’ouvre, la patronne est au comptoir à lire des documents. La bonne essuie les tables)
La patronne : Vous vous rappelez Bernadette, notre conversation du mois dernier ?
Bernadette : Celle où vous m’avez annoncé que vous alliez bientôt me virer ? Ben évidemment que je m’en rappelle, vous croyez quoi ? Que j’allais ouvrir une bouteille de champagne en arrivant chez moi ….
La patronne : Allons allons, comme vous y allez, j’avais quand-même dit peut-être !
Bernadette : Ouais, quand on n’est pas sûr eh ben on se la f….. (Gênée) Pardon, mes paroles dépassent parfois mes pensées, alors ! Vous voulez en venir où ?
La patronne : Au moment où je vous ai dit ça, nous n’avions pratiquement plus de clients ….
Bernadette : C’est vrai, à part les deux faiseurs de cocus du mardi soir, personne….
La patronne : Je ne comprends pas, notre hôtel est pourtant très convenable …
Bernadette : Ouais enfin, y’a mieux, des prises qui ne marchent plus, les robinets qui fuient et j’en passe … et le choix du nom de l’hôtel ….. « Hôtel Georges VI », excusez-moi mais c’est pas très judicieux !
La patronne : Peut-être, mais en tous les cas, depuis que j’ai voulu vous congédier, dès la semaine d’après on faisait le plein, c’est incroyable, non ?
Bernadette : (ironique) Un don du ciel !
La patronne : Ecoutez, je sais que vous vous appelez Bernadette mais je ne crois pas du tout aux miracles !
Bernadette : Vous devriez, vous devriez …
La patronne : C’est ça ! Bon, nous sommes mardi, est-ce que vous avez préparé la chambre 502 ?
Bernadette : Evidemment, depuis le temps que ça dure, ça devient automatique !
La patronne : Bien Bernadette !
Bernadette : J’ai une question : On n’a que cinq chambres, alors pourquoi ne pas mettre chambres 1, 2, 3, 4 et 5 au lieu de 500, 501, 502, 503, 504…….
La patronne : Mais enfin Bernadette, quand les clients appellent et qu’ils réservent la chambre 504 par exemple, ils pensent forcément que c’est un très grand hôtel et ….
Bernadette : On n’appellerait pas ça de la publicité mensongère ?
La patronne : Aucune loi interdit de numéroter les chambres comme on le souhaite, si j’avais voulu mettre 4500, 4501 etc .., je pouvais !
Bernadette : A Las Végas, je veux bien mais là !
La patronne : Par contre pour ce soir, à part l’Inspecteur Lapeyre à la 503, nous avons encore 3 chambres de libres ! (éclair et coup de tonnerre)
Bernadette : Tiens, ça c’est un signe !
La patronne : N’importe quoi ! (elle sort)
Bernadette : (prenant son portable, appelant) Allo ! Dédé ? (silence) Pour ce soir, on a encore trois chambres de libres, si tu peux m’arranger ça, ça serait super, la patronne s’inquiète ! (silence) Quoi, le sucre ? (silence) J’aimerais mieux que tu te débrouilles tout seul, la patronne va finir par avoir des doutes ! Bon, tu peux m’en envoyer trois pour ce soir, merci mon Dédé ! (silence) Bon, ok je file t’en apporter, heureusement que t’es juste en face ! (elle passe derrière le comptoir et met un kilo de sucre dans un sac, veillant à ne pas être vue, un homme arrive d’une chambre)
Inspecteur Lapeyre : Excusez-moi, la prise de ma chambre ne fonctionne pas, je peux me brancher quelque part ici ?
Bernadette : Euh, oui bien sûr ! Tenez, ici !
Inspecteur Lapeyre : (d’un ton sévère) Merci mais je ne voudrais pas dire, hôtel Georges VI avec des prises qui ne fonctionnent pas, ça fait un peu désordre vous ne trouvez pas ?
Bernadette : Alors ça, c’est pas moi qui ai donné le nom à cet hôtel ! Vous pensez que votre voiture sera prête demain matin ?
Inspecteur Lapeyre : Oui, le garagiste me l’a confirmé !
Bernadette : Alors là, vous pouvez avoir confiance en lui, c’est mon …. (Hésitante) mon beau-frère. (À l’oreille) Par contre, je peux vous demander quelque chose ?
Inspecteur Lapeyre : Oui, Je vous écoute !
Bernadette : Si vous pouviez éviter de dire aux autres que vous êtes tombés en panne à la station service de mon beau-frère, ça m’arrangerait, ça pourrait lui faire de la mauvaise pub !
Inspecteur Lapeyre : Pas de soucis. Surtout qu’il a insisté pour faire le plein lui-même, et pendant ce temps-là il m’a même proposé de prendre un café gratos à la boutique. C’est un gars bien, votre beau-frère !
Bernadette : Ça c’est sûr ! Vous m’excusez deux minutes, je dois aller lui porter quelque chose, je reviens !
Inspecteur Lapeyre : Faites donc ! (elle sort. Il appelle) Allo ! (silence) Lapeyre au téléphone ! (silence) Je suis désolé, je suis en panne, je ne pourrai pas être là pour le débriefing ! (silence) Non, désolé, j’ai perdu sa trace, comme il s’était enfui, j’avais mis une balise sous sa voiture, pensant qu’il reviendrait la chercher à un certain moment, mais il a peut-être changé de véhicule ! (silence) Je suis à l’hôtel pour la nuit, je vous rappelle demain matin ! (la patronne revient)
La patronne : Ah, monsieur Lapeyre, tout se passe bien ? (le voyant brancher son portable) Bon, désolé pour les prises !
Inspecteur Lapeyre : (ton sévère) Vous auriez pu m’avertir !
La patronne : Demain matin, normalement l’électricien vient, je vous tiens au courant !
Inspecteur Lapeyre : Très drôle, mais vous allez vite comprendre que l’humour ne fait pas vraiment partie de mes qualités !
La patronne : Oh là, désolé ! Vous n’avez pas croisé Bernadette ?
Inspecteur Lapeyre : Bernadette ?
La patronne : Oui, la femme de service qui s’occupe des chambres !
Inspecteur Lapeyre : Ah si, elle est sortie voir son beau-frère qui tient la station service d’en face !
La patronne : (surprise) Son beau-frère ?
Inspecteur Lapeyre : Oui celui qui m’a conseillé votre hôtel du fait que …. (Bernadette revient)
Bernadette : Désolé madame, j’étais parti porter quelque chose à …
La patronne : à votre beau-frère !
Bernadette : (surprise) Euh oui …. Mon beau-frère !
La patronne : Vous ne m’aviez pas dit que le patron de la station était votre beau-frère !
Bernadette : Ben, vous me l’aviez pas demandé non plus !
Inspecteur Lapeyre : Désolé de couper cette intéressante conversation, mais pourrais-je avoir une boisson, le temps que mon téléphone se recharge ?
La patronne : Bernadette, occupez-vous de monsieur !
Bernadette : Bien madame ! (la patronne sort) Quand je pense qu’elle voulait me virer le mois dernier !
Inspecteur Lapeyre : Vous virer ?
Bernadette : Ben oui, me virer, me lourder, me licencier quoi !
Inspecteur Lapeyre : Ça va j’ai compris et pourquoi elle a voulu vous virer ?
Bernadette : Pas assez de clients, et ben vous savez quoi, depuis qu’elle a voulu me virer, eh bien on fait le plein tous les soirs, c’est incroyable ça !
Inspecteur Lapeyre : Le hasard !
Bernadette : (malicieuse) C’est ça, le hasard. Bon vous voulez quoi ?
Inspecteur Lapeyre : Un thé ! Vous avez une terrasse ?
Bernadette : Euh oui, vous prenez la porte en face et je vous apporte votre thé !
Inspecteur Lapeyre : Merci ! (il sort)
Bernadette : Un thé ! Il se prend pour Sherlock Holmes ce mec, pas vraiment sympathique… (Elle prend son portable) Oui Dédé, c’est moi, dis-donc le mec que tu viens de m’envoyer, quel rustre, essaie de faire mieux le prochain coup ! (silence) Quoi, tu m’envoies déjà quelqu’un d’autre, super ! J’espère que tu m’as trouvé quelqu’un de mieux à ce coup-ci ! (silence) Différent ? On verra ! Au fait, je dis aux clients que tu es mon beau-frère, ça passera mieux au cas où ! (la porte s’ouvre) Je te laisse, une cliente arrive ! (elle raccroche)
Scène 2
(Brigitte, Bernadette, la patronne)
(Une jeune femme entre. Elle porte une tenue très provocante. Elle mâche un chewing-gum)
Brigitte : Salut !
Bernadette : (surprise, dévisageant Brigitte) Ouah …Euh … salut !
Brigitte : Vous avez une chambre ? On m’a dit que f’était poffible !
Bernadette : Bien sûr, mais qui vous a dit ….
Brigitte : Le mec fuper canon de la ftation d’en fafe. Il f’occupe de ma caiffe qu’a un problème.
Bernadette : (surprise par le parler) Vous savez quoi, le mec super canon de la station d’en face, c’est mon …beau-frère alors .. pas touche merci, il est déjà pris ! C’est quoi votre nom ?
Brigitte : Moi c’est Brigitte !
Bernadette : Ok pour Brigitte mais votre nom c’est quoi ?
Brigitte : Dis-donc, t’es bien curieuse !
Bernadette : Je ne suis pas curieuse mais ….
Brigitte : Mais t’aime bien favoir !
Bernadette : C’est à cause de vigipirate, on doit avoir les noms c’est tout !
Brigitte : Ok, ok, mon nom c’est Le Buiffon !
Bernadette : (elle note. Brigitte regarde le registre)
Brigitte : Qu’est-ce que vous avez écrit, c’est pas le Buiffon, c’est le Buiffon !
Bernadette : Euh, i don’t understand !
Brigitte : Le buiffon, le buiffon comme la haie quoi !
Bernadette : Okay, okay, le buisson !
Brigitte : Voilà !
Bernadette : Bien, vous aurez la chambre 503, voici les clés ! Dites-moi, vous êtes tombée en panne ?
Brigitte : Ouais, comment t’as deviné ? Ton beauf, le fuper canon, il a infisté pour faire le plein lui-même, vachement fympa …. En plus, pendant qu’il faisait le plein, il m’a proposé un café gratos à la boutique. Vachement fympa ton beauf…
Bernadette : Okay, ça va j’ai compris, il est fympa et alors ….
Brigitte : Eh bien après, pas moyen de démarrer. C’est là qu’il m’a proposé de venir à votre hôtel ! Vous pouvez me dire où fe trouve le jacuzzi ?
Bernadette : (ironique) Le jacuzzi, pas de jacuzzi, vous rêvez …
Brigitte : Ok ! J’me contenterai de la pifine ! (elle prend les clés et monte)
Bernadette : La pifine … c’est ça ! Le petit dej, de sept heures à huit heures !
Brigitte : Ouah, ça fait vachement tôt, je fuis pas fûre d’être levée.
Bernadette : Avec le calme d’ici, vous inquiétez-pas vous allez dormir comme un loir.
Brigitte : Dormir, dormir, fa va dépendre… (La patronne revient)
La patronne : Alors ?
Bernadette : Une cliente vient d’arriver, mais pas n’importe quelle cliente !
La patronne : Comment ça ?
Bernadette : Je vous explique pas la dégaine.
La patronne : C’est qui ?
Bernadette : Brigitte … Lahaye !
La patronne : Quoi ! Brigitte Lahaye a pris une chambre dans notre hôtel ? C’est extraordinaire !
Bernadette : Vous la connaissez ?
La patronne : Voyons Bernadette, c’est une actrice !
Bernadette : Ah bon, connais pas, elle a joué dans quel film ?
La patronne : (gênée, changeant de conversation, consultant le registre) Bon, alors on en est à ….. Qu’est-ce que vous me racontez ? Je ne vois pas Brigitte Lahaye dans le registre. Je vois juste une certaine Brigitte Le Buisson mais …
Bernadette : Ouais, ben j’me suis gourrée, Le Buisson et La haie pour moi c’est pareil, non ! Je monte faire la chambre 504.
La patronne : Dites Bernadette, vous avez dit tout à l’heure que le patron de la station c’était votre beau-frère !
Bernadette : Oui, et alors ?
La patronne : Hier, je vous ai vue en train de l’embrasser. Ça ne me regarde pas, mais vous avez une drôle de façon d’embrasser votre beau-frère dîtes donc !
Bernadette : (Surprise) Hier, ah … oui, bien sûr. En fait, j’étais en train de lui apprendre le baiser théâtral, vous connaissez le baiser théâtral ?
La patronne : Oui, bien sûr !
Bernadette : Eh bien, comme je viens de vous le dire, j’étais en train de lui apprendre le baiser théâtral, c’est tout.
La patronne : On met bien le pouce sur la bouche du partenaire pour le baiser théâtral ?
Bernadette : Evidemment !
La patronne : Vous aviez les deux mains sur les fesses du garagiste alors .. pour le pouce !
Bernadette :...