Equinoxe

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Le bistrot de Dudu ne déborde pas de clientèle en ce temps de marée d’équinoxe pluvieuse. Gaby apporte son poisson et sa tristesse, Lily son caractère de cochon et l’étrange Mireille une valise qui ne semble pas contenir grand-chose. Et ces quatre-là vont partager un moment d’humanité intense, entre rire et larmes, entre silence et bourrasque.

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ACTE I

 

Dudu descend de l’étage en secouant la tête.

Il se dirige vers le bar, met un comprimé dans un verre et boit.

Il se frotte le crâne, en proie à une migraine.

Il va à la porte d’entrée, ramasse le courrier qu’on a glissé dessous.

Dudu. – Faut tout faire ici. Qu’est-ce qu’elle fiche ?

Il retourne au zinc avec sa poignée de lettres.

Il regarde les enveloppes ; quand c’est de la publicité il la laisse tomber dans sa poubelle. Quand c’est une facture il la met de côté. Il énumère les lettres.

Dudu, entre ses dents. – Publicité… publicité… facture… publicité… facture…

Puis il regarde fixement une lettre. Il ne dit rien.

Il prend un couteau, l’ouvre, retire une feuille, la déplie, lit.

Il semble abattu.

Dudu, entre ses dents. – Oh putain !

Il ouvre un tiroir, en sort une enveloppe bleue médicale, y range la lettre du jour, referme.

Il reste un moment appuyé sur le zinc, puis se frotte le visage.

Dudu. – Saloperie !

Il va aux quelques guéridons qui meublent la salle et retourne les chaises pour les mettre au sol.

On entend un vieux carillon tinter dans l’arrière-cuisine.

Dudu. – Mais qu’est-ce qu’elle fout ? Je vais pas la payer à se balader en ville. En plus, avec le temps qu’il fait, c’est un coup à attraper la crève.

Il jette un coup d’œil au cadre accroché dans le café, le portrait d’une belle femme.

Dudu. – Toi, tu m’aurais dit : « laisse, un retard c’est pas grand-chose, on arrive toujours trop tôt au cimetière ». Eh oui ! T’as gagné la course, toi, ma pauvre Martha.

Gaby entre dans le café. Il est en tenue de marin pêcheur avec un ciré vert sur le dos. Il dégouline de pluie.

Gaby. – Saloperie de gros temps ! T’as vu ce qu’il dégringole.

Dudu. – J’ai pas vu mais j’entends.

Gaby. – Eh ben, Dudu ! Qu’est-ce que tu fais ? Lili est pas là ?

Dudu. – Non.

Gaby. – Laisse, je vais le faire.

Dudu. – Mais je peux bien…

Gaby. – Laisse je te dis ! Ça me fera mes abdominaux du matin.

Il prend une chaise et la soulève au-dessus de sa tête plusieurs fois de suite.

Il finit de mettre la salle en ordre tandis que Dudu va lui faire un café puis lui remplir un petit verre de Calva.

Gaby. – Je vais aller au bateau pour rien. À mon avis on va encore pas sortir, vu le gros temps.

Dudu. – Ce serait plus raisonnable. On aime pas trop entendre le glas.

Gaby. – Tu dis ça mais avec quoi je vais gagner ma vie ?

Dudu. – T’as le choix entre ne pas la gagner ou la perdre.

Gaby. – Bof… Pour ce que j’en fais.

Dudu. – Je sais, Gaby.

Gaby a fini de ranger les chaises autour des tables.

Il se dirige vers des casiers à bouteilles empilés près de la porte.

Gaby. – C’est arrivé ou ça repart ?

Dudu. – Tu vois bien qu’elles sont pleines ? Tu fais plus la différence ?

Gaby. – Je suis con !

Dudu. – C’est arrivé hier soir mais j’ai pas eu le courage de les ranger.

Gaby. – Je vais le faire. Je mets ça où ?

Dudu. – Laisse, ton pâté va refroidir.

Gaby. – Mon quoi ?

Dudu, cherchant le mot. – Ton… ton… ton café.

Gaby. – D’habitude il est trop chaud… Alors ?

Dudu. – Là, derrière.

Gaby porte les deux ou trois casiers dans la remise. Pendant les trajets il pose des questions.

Gaby. – Elle commence à quelle heure, Lili ?

Dudu. – 7, d’habitude.

Gaby. – Il est la demie.

Dudu. – Je sais.

Gaby. – Elle a changé, tu trouves pas ?

Dudu. – Pourquoi tu dis ça ?

Gaby. – Ben parce que…

Dudu. – Tu trouves que c’est plus la même Lili ?

Gaby. – Ben non. Avant c’était elle qui ouvrait, qui servait le café, qui faisait le ménage. Et toujours le sourire. Une ’tite blague par-ci par là. C’était…

Dudu. – C’était le rayon de soleil de la maison.

Gaby. – Exact. Voilà. Le rayon de soleil.

Dudu. – Eh ben aujourd’hui il pleut.

Gaby a fini le transport. Il va boire son café.

Gaby. – C’est depuis qu’elle a rencontré Denis, tu crois pas ?

Dudu. – Hmmm…

Gaby. – Il a une mauvaise influence sur elle. Hein ?

Dudu. – Bofff…

Gaby. – Dis pas le contraire, c’est un type bizarre. On sait pas d’où il vient, le voilà vigile d’un seul coup, et pis y laisse tomber, et pis y fait la loi dans le pays, et parfois même le coup de poing, jamais bonjour, jamais bonsoir… C’est lui qui l’a changée, non ?

Dudu. – Je me mêle pas des affaires des autres.

Gaby. – Il parait même… c’est des « on dit » mais, y’a pas de fumée sans feu… Y’en a qui disent qu’il aurait fait de la prison.

Dudu. – Ça arrive à des gens très bien. Y’a que les vrais voyous qui vont jamais en prison.

Lili est entrée, elle referme son parapluie.

Dudu fait signe à Gaby de changer de conversation.

Lili. – Qui c’est qu’a tout mouillé par terre ?... C’est toi Gaby ?

Gaby. – Sans doute, vu que personne d’autre n’est entré.

Lili. – Tu pouvais pas t’essuyer les pieds. Le paillasson est pas fait pour les chiens.

Gaby et Dudu échangent un regard sans rien dire.

Gaby avale son café puis son calva et fait signe à Dudu de remettre ça.

Lili passe dans la remise pour ôter son imperméable.

Gaby va s’installer à une table. Il sort un paquet de cigarettes et s’en colle une au bec. Lili revient et le voit.

Lili. – Dehors !

Gaby. – Il pleut.

Lili. – Dehors !

Gaby. – Si je laisse la porte ouverte ?

Lili. – Pour qu’on attrape la crève ? Dehors !

Gaby garde sa cigarette au bec sans l’allumer.

Dudu lui apporte son café et le calva.

Gaby. – Tu t’en prends un Dudu ?

Dudu. – Faudrait pas… Le cœur… Mais bon…

Il va s’en préparer un.

Gaby. – T’en prends un Lili ?

Lili. – Non.

Gaby. – C’est moi qui paye.

Lili. – Tu ferais mieux d’économiser.

Gaby. – Ça me regarde. T’en veux un ?

Lili. – Non. Et pis j’ai du travail.

Elle va déposer un seau d’eau et un balai brosse près d’une table inoccupée.

Lili. – Regarde-moi ça. Il retourne les chaises alors que c’est pas lavé. Et pis les verres. Tu les as vus, les verres ?

Gaby. – Non.

Lili, à Dudu. – Vous les avez vus les verres que vous avez lavés ?

Elle fonce derrière le zinc et y prend un verre qu’elle tourne dans la lumière.

Lili. – C’est-y propre ça ? On voit encore les traces de doigts. Et celui-là, du rouge à lèvre. Sont tous à relaver. Faire et refaire c’est pas du boulot. Vous m’aidez point Dudu, vous me compliquez le travail.

Dudu. – Je fais comme je peux.

Lili. – Mais vous pouvez plus rien. Vous êtes tout le temps fatigué, mal à la tête, vous y voyez plus rien, vous trébuchez sur une feuille morte. Vous avez fait votre temps, vous le comprenez ça ? Vous aviez dit que vous alliez tout arrêter et vendre. Vous l’avez dit oui ou non ?

Elle revient au balai brosse et passe une serpillière sur le sol.

Dudu. – Je l’ai dit.

Lili. – Eh oui, il l’a dit. Et pis il le fait pas. Et qui c’est qui se crève au boulot ? C’est Lili ! Soulevez vos pieds !

Ils lèvent leurs pieds et elle passe la serpillière en dessous.

Lili. – Vous avez acheté le pain ?

Dudu. – Ah non !

Lili. – Et voilà ! En plus il perd la boule. Et comment qu’on va faire les sandwichs si y’a de la demande ?

Dudu. – Aujourd’hui ? Avec le temps qu’il fait ?

Lili. – Y’a pas de jour pour le sandwich.

Dudu. – Je vais y aller.

Lili. – Sûr que vous allez y aller. C’est pas moi qui vais encore me taper la balade sous la flotte.

Dudu. – J’y vais, j’y vais, crie pas.

Lili. – Je crie parce que vous voulez pas entendre ce qu’on vous dit. Arrêtez ! Profitez de la vie ! Laissez la place aux jeunes. Si vous vendez, moi, je connais une repreneuse.

Elle a fini de laver.

Ils baissent les pieds et boivent leur café, tête baissée comme des enfants qui ont fait une bêtise.

Lili emporte le seau dans la remise. On l’entend rouspéter.

Lili, off. – Ça pue là-dedans ! On dirait qu’il y a un rat crevé. Vous avez regardé s’il y a pas un rat crevé ?

Dudu. – Je sens rien.

Lili, off. – Y sent rien ! Je vous dis qu’il y a un rat crevé, moi.

Gaby et Dudu se regardent en souriant.

Lili. – Évidemment, quand on n’est même pas capable de sortir les poubelles le soir !

Ils boivent cul sec leur calva. Lili déplace les poubelles.

Lili, off. – Ooooooh, l’infection ! Un camembert ! Qui c’est qu’a foutu un vieux camembert derrière la poubelle ?

Gaby et Dudu éclatent de rire. Lili arrive avec un camembert à la main.

Lili, off. – Vous savez même plus viser la pou… (Elle apparaît.) Et ça rigole en plus ! (Entre ses dents.) Connards !

Gaby. – Mais calme-toi, Lili. Ça fait 5 minutes que t’es arrivée et tu cries, tu cries, tu cries.

Lili, en sortant dans la remise. – Eh ben oui, y’en a qui crient et y’en a d’autres qui disent rien.

Gaby. – C’est pour moi que tu dis ça ?

Dudu. – Mais non, fais pas attention, elle est nerveuse.

Gaby. – Mais pourquoi elle est...

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