ACTE I
Bureau de Marianeau.
Obscurité.
Rosie, entrant avec des enveloppes et allumant la lumière. – Commence, Rosie, commence ta journée. Le courrier. (Elle dépose les lettres sur le bureau.) À droite, près du téléphone, comme il le souhaite. (Subitement indisposée.) Ça sent, ici. Mais… (Elle ramasse une veste trempée.) Oh ! voyons, votre veste, que fait-elle dans cette… (Elle ramasse un pantalon, lui aussi trempé.) Eh bien, on dirait que la situation devient… Comment l’exprimer ?… (Elle ramasse une chemise, elle aussi trempée.) Mais, c’est… c’est… oui, vraiment… (On entend des grognements.) Qui est là ? (Silence.) Je vous préviens que je… (Nouveau grognement.) Si vous vous trouvez drôle, sachez que… (Elle aperçoit la couverture qui bouge sur le canapé.) Ah !… Il y a quelqu’un ! Quelqu’un ici dans le bureau de… Attendez ! (Elle téléphone.) Inutile de vous… J’appelle le vigile… (La couverture se redresse.) J’ai la clef du bureau, je n’hésiterai pas…
Voix de Marianeau. – Moins fort !
Rosie. – Cette voix… Montrez-vous !
Soudain, de la couverture émerge Marianeau.
Marianeau. – Moins fort !
Rosie. – Monsieur Marianeau !
Marianeau. – Moins fort !
Rosie, moins fort. – Monsieur Marianeau !
Marianeau. – Qu’est-ce que vous faites là ?
Rosie. – Mais, vous le savez bien, monsieur, je prends mon service tôt pour pouvoir chercher mes enfants… d’ailleurs, surtout aujourd’hui, aujourd’hui en particulier, il m’a semblé…
Marianeau. – Qu’est-ce que vous faites chez moi ? (Mâchant sa langue.) Ah… le gant de toilette…
Rosie. – Chez vous ? Mais, je crois que, peut-être, vous confondez…
Marianeau. – Y a une urgence ?
Rosie. – Euh… non. Pas vraiment. Du moins, si l’on excepte, bien entendu…
Marianeau. – Quelle heure il est ?
Rosie. – Sept heures. (Regardant sa montre.) Sept heures trois.
Marianeau, se touchant la tête. – Aaah ! Bon… alors, merci d’être passée. Et maintenant, allez à l’usine. J’arrive. (Il s’extrait totalement de la couverture. Il est nu. Il perd l’équilibre et tombe.) Qu’est-ce qui… ?
Il se relève tant bien que mal et fouille dans son bureau, ouvre des tiroirs.
Rosie, se retournant pour être dos à Marianeau. – Je n’ai rien vu. À jamais, je vais effacer ces images de ma…
Marianeau, à part. – Mais où sont-elles ? (À Rosie.) Dites, Rosie, à l’usine, faites porter dans mon bureau une boîte d’aspirine.
Rosie. – Mais enfin… Mais enfin… Monsieur Marianeau, nous y sommes. Nous sommes à l’usine.
Marianeau. – Hein ?
Rosie. – Vous ne reconnaissez pas votre bureau ?
Marianeau. – Mon bureau ?
Rosie. – Et vous ne vous rendez pas compte que vous êtes… vous êtes complètement… totalement…
Marianeau, découvrant sa nudité. – Ah ! (Il se précipite vers la couverture et cache ses parties intimes.) Vous ne pouviez pas le dire ?
Rosie. – Mais je…
Marianeau. – Je me demande comment ma femme a pu vous laisser entrer ! Je sors à peine du lit. Mais d’ailleurs, Régine…
Rosie. – Vous ne comprenez pas.
Elle lui montre le canapé. Marianeau le regarde. Puis lance un regard circulaire.
Marianeau. – Qu’est-ce que je fais ici ?
Rosie. – Voilà ce que je me…
Marianeau, découvrant ses vêtements. – Et ça ?
Rosie. – Vos vêtements.
Marianeau. – Merci, je ne suis pas encore complètement… Bien. Tentons de… Hier soir. Hier soir, je n’arrive pas à me rappeler…
Rosie. – La fête.
Marianeau. – Mais oui ! La fête, bien sûr. En l’honneur de la mise au point de notre nouveau prototype de… Et alors ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
Rosie. – Je n’en sais rien.
Marianeau. – Comment ça ?
Rosie. – Je n’y étais pas. Je n’ai trouvé personne pour faire garder mes…
Marianeau. – Oui, comme d’habitude. Mais moi ? Moi ? (On entend un bâillement prolongé.) Comment ?
Rosie. – Quoi ?
Marianeau. – Qu’est-ce que vous avez dit ?
Rosie. – J’ai rien dit.
Marianeau. – Si. Vous avez fait « Aaaoooohuummmm ».
Rosie. – Mais non !
On entend de nouveau un bâillement.
Marianeau. – Ça vient de là. (Il désigne la porte donnant sur la salle de bains.)
Marianeau ouvre la porte derrière laquelle Ginette apparaît en sous-vêtements, en train de s’étirer et de bâiller.
Ginette, à Marianeau, après s’être presque décroché la mâchoire. – Ah ! t’es là ! (À Rosie.) Tu nous apportes deux cafés ?
Marianeau. – Vous êtes qui ?
Ginette. – Comment ça, qui que chuis ? Tu te fous de ma gueule ?
Rosie. – Ginette, enfin, qu’est-ce que vous faites là ?
Marianeau. – Ginette ?
Rosie. – Mais enfin Ginette, mais enfin, vous êtes en… en… vous n’avez pas de… hein ? Où sont vos…
Marianeau. – Vous pouvez faire les présentations ?
Rosie. – Mme Bronchu, service nettoyage.
Marianeau, horrifié. – Mme Bronchu ? (À Ginette.) Madame Bronchu, pouvez-vous m’expliquer ce que vous fabriquez dans la salle d’eau attenante à mon bureau, s’il vous plaît, et qui plus est dans cette… cette…
Ginette. – Comment ça, quoi qu’j’y fabrique ? T’es un peu drôle, tu sais.
Marianeau. – Je vous suggère d’arrêter immédiatement ce genre de…
Ginette. – Eh, dis donc, toi, t’étais plus câlin hier soir.
Marianeau. – Pardon ?
Rosie. – Je vous laisse.
Marianeau. – Ah ! non, Rosie ! Non ! Vous restez là. On va tirer tout ça au clair.
Rosie. – Ça me paraît très clair.
Marianeau. – C’est la première fois que je vois cette dame.
Ginette. – Ah ! vingt ans de boutique !
Marianeau. – Vous, ça va ! Rhabillez-vous ! Un peu de décence.
Rosie. – Vous aussi.
Marianeau. – Moi aussi ?
Rosie. – Vous aussi, il faut vous rhabiller. Et vite. Je vous rappelle que…
Marianeau. – Et avec quoi ? (Ramassant ses vêtements pleins d’eau et les essorant.) Pas avec ça, en tout cas. Je me demande vraiment ce qui…
Ginette. – C’est bon, j’ai compris. Tous les mêmes. Seulement, moi, avec tes conneries, j’ai plus de robe.
Marianeau. – Plus de robe ?
Ginette, saisissant une robe en lambeaux dans la salle de bains. – À ton avis, c’est qui qui m’a fait ça ?
Marianeau. – Mais, j’en sais rien !
Rosie. – Ben voyons !
Marianeau. – Ah ! non, Rosie ! Non ! Si vous aussi… (À Ginette.) Mais pourquoi est-ce que j’aurais… je vous aurais… Pourquoi ?
Ginette. – Pourquoi qu’t’as arraché ma robe ? Ah ! t’es un peu drôle, tu sais !
Marianeau, dont l’imagination travaille. – Ah non ! Ah non ! Non, non, non, non ! Ne me dites pas…
Ginette. – Pas grave. On oublie. Tu ne m’as pas arraché ma robe. Tu ne m’as pas entraînée sous la douche. Et on n’a pas…
Marianeau. – Eh ben non, on n’a pas ! On n’a pas du tout ! Des preuves, vous en avez ?
Ginette. – On s’croirait chez le juge d’instruction. (Sortant un slip de son soutien-gorge.) C’est un peu flou dans mon esprit, mais quand même ! Tu m’as pas offert ça en me disant : « Je t’en fais cadeau, garde-le sur ton cœur, ma princesse » ?
Marianeau, saisissant le slip et lisant. – « À ma Gigi d’amour. » Donnez-moi ça ! À vrai dire, je crois que j’ai trop bu pour me souvenir…
Ginette. – T’es vraiment un beau salaud.
Marianeau. – Maintenant, dégagez ! Je vous ai assez vue comme ça. Je savais que cette fête était…
Ginette. – Que je dégage ?
Marianeau. – Je vous paie pour nettoyer cette usine, il me semble.
Rosie. – Comment voulez-vous qu’elle rejoigne son poste de travail ?
Marianeau. – Mais par la porte !
Rosie. – Elle ne peut pas sortir comme ça !
Marianeau, excédé. – Cette franc-maçonnerie des bonnes femmes…
Rosie. – Réfléchissez : vous imaginez ce qui va se passer si on voit une femme de ménage sortir de votre bureau dans cette tenue ? Surtout que dans quinze minutes à peine…
Ginette. – Technicienne de sur…
Marianeau, à Rosie. – Vous avez raison. (À Ginette.) Madame Bronchu, est-ce que vous…
Ginette. – Oh ! mais m’appelle pas comme ça !
Marianeau. – Ah non ! Vous n’allez pas…
Rosie. – Le temps presse, il faut…
Marianeau. – Rosie, s’il vous plaît ! Silence. Dans mon cerveau, tout est déjà si…
Ginette. – J’ai un prénom.
Marianeau. – Oui, bon. O.K., O.K., O.K. Ginette, est-ce que vous voulez bien…
Ginette. – Hier, tu me disais « tu ».
Marianeau. – Hier, c’était hier, et aujourd’hui, c’est…
Rosie. – On pourrait peut-être essayer d’aller un peu plus vite sur toutes les questions de…
Marianeau. – Rosie, s’il vous plaît, quoi, merde ! Si vous croyez que c’est facile pour moi de tenir deux conversations alors que…
Ginette. – Dis-moi « tu ».
Marianeau. – Que je vous dise « tu » ? Je ne crois pas que…
Ginette. – Allez, dis-moi donc « tu ».
Rosie, à Marianeau. – Mais allez, dites-lui « tu », puisqu’elle vous le demande !
Marianeau. – Très bien ! Très bien ! Vous avez gagné. (À part.) Je suis réveillé, là ? (À Ginette.) Eh bien… Ginette, est-ce que tu aurais, dans ton casier, des vêtements de rechange ?
Ginette. – Bien sûr !
Marianeau. – Alors, donnez votre clef… euh… non, pardon, zut ! Donnez donne vota clef à Rosie, et puis…
Ginette. – Chais pas où que j’l’ai fourrée, ma clef.
Marianeau. – Quel numéro ?
Ginette. – Quatorze.
Marianeau, à Rosie. – Il doit y avoir un passe.
Ginette. – En attendant, tu sais, je vais te dire, je vais prendre un bain.
Marianeau. – Un bain ?
Ginette. – Un grand bain. Bien chaud. Avec plein de mousse.
Marianeau. – Si vous voultu veux. Si vous voultu veux. Comme vous voudras, comme tu voudrez. Très bonne idée, excellente idée que vous avez t’as eue.
Ginette. – À tout à l’heure, mon petit poulet.
Elle sort par la porte de la salle de bains qu’elle referme, tandis que Marianeau laisse tomber le slip par terre.
Marianeau. – Elle se croit tout permis !
Rosie. – Et vous ?
Marianeau. – Et moi ?
Rosie. – Vous aussi, il vous faut des vêtements de rechange. (Elle essore les vêtements trempés de Marianeau.)
On entend de l’eau couler.
Marianeau. – J’en ai pas.
Rosie. – Et votre femme ? Elle peut vous en apporter ?
Marianeau. – Ma femme est au bout du monde, figurez-vous.
Rosie. – Tiens ?
Marianeau. – Elle est à Pau, dans le Béarn, pour son tournoi.
Rosie. – Une coïncidence, quoi.
Marianeau. – Vous savez qu’elle s’intéresse très peu à l’entreprise. Elle m’a même fait promettre : « Chéri, tu quitteras ta fonction de directeur ? »
Rosie. – Vous allez nous quitter ?
Marianeau. – Sûrement pas ! Vu le prêt que je viens de contracter pour notre villa à Marbella… La nature chevaleresque de Régine la tient très éloignée de nos préoccupations. Elle doit repasser aujourd’hui, à la maison, je ne sais pas quand au juste, le temps de prendre une tenue propre, parce qu’elle a une compétition à…
Rosie. – Imaginez qu’elle apprenne…
Marianeau. – Qu’elle apprenne quoi ?
Rosie. – Tout ça.
Marianeau. – Tout ça quoi ?
Rosie. – Vous m’avez très bien comprise.
Marianeau. – Ne soyez pas grotesque.
Rosie. – Grotesque ? J’ouvre la porte de la salle d’eau. Je prends une photo. Je l’envoie à Régine. On verra qui sera grotesque.
Marianeau. – Qu’est-ce que vous voulez ?
Rosie. – Un chèque. Ou des espèces.
Marianeau. – Hors de question.
Rosie. – Très bien. 06 27 64 34 17. C’est bien ça ?
Marianeau. – C’est bon ! (Il ouvre un tiroir, sort un chéquier et écrit. Pour lui.) Qu’est-ce qui me tombe aujourd’hui ?
Rosie, lisant par-dessus l’épaule de Marianeau. – Vous pouvez ajouter un zéro.
Marianeau. – Et puis quoi encore ?
Rosie. – Pour vous, c’est de l’argent poche.
Marianeau. – La plaisanterie a assez duré. (Il referme son chéquier sans avoir écrit.)
Rosie, composant un numéro. – Régine Marianeau… Allô ! Madame Marianeau ?
Marianeau, murmurant et rouvrant son chéquier. – Arrêtez ça tout de suite !
Rosie, au téléphone. – Excusez-moi, c’est une erreur. (Elle raccroche.) On en était où ? Ah oui ! Mon chèque de dix mille !
Marianeau, faisant le chèque. – J’aimerais bien savoir quelle mouche vous pique.
Rosie. – Une prime. Je me l’accorde à moi-même. Trois ans que vous me la refusez.
Marianeau. – Vous savez bien que la conjoncture…
Rosie. – Vous me dégoûtez.
Marianeau. – J’eusse aimé que nous restassions dans les strictes limites de la correction…
Rosie. – Correction ? Mon cul !
Marianeau, lui tendant le chèque. – Il est honteux de profiter de la situation…
Rosie. – Ça, vous me le copierez. (Elle prend le chèque et ouvre la porte donnant sur le couloir.) Je vous rapporte un costume.
Marianeau. – Vous allez où ?
Rosie. – Chez Lambert.
Marianeau. – Il est déjà là ?
Rosie. – Non, justement. Il a toujours des costumes de rechange.
Marianeau. – Vous avez vu sa carrure ? Je vais nager complet, moi, là-dedans.
Rosie. – Vous bomberez le torse.
Marianeau. – Attendez. Je vous donne mes clefs, vous allez chez moi et…
Rosie. – Pas le temps.
Marianeau. – Pas le temps ? Mais il est sept heures du matin !
Rosie. – J’ai l’impression que vous avez complètement oublié Le Chiffre.
Marianeau. – Hein ?
Rosie. – Le Chiffre.
Marianeau. – Mon chèque n’est pas bien rempli ?
Rosie. – Le Chiffre. Otto Le Chiffre.
Marianeau. – Ah ! Le Chiffre ! Je croyais que… Eh ben quoi, Le Chiffre ?
Rosie. – C’est ça. Complètement oublié.
Marianeau. – Le Chiffre était à la fête, lui aussi ?
Rosie. – Le Chiffre vient ce matin.
Marianeau. – À quelle heure ?
Rosie, regardant sa montre. – Maintenant.
Le téléphone sonne.
Marianeau, répondant. – Quoi ?… Le Chiffre est là ? Mais est-ce que c’est une heure pour un rendez-vous ?… Oui, bien entendu… Je sais parfaitement que c’est ce qui avait été… (À Rosie.) Allez me le chercher ! (Reprenant.) Non, c’est pas à vous que je… Ah non ! Surtout pas ! Surtout, n’allez pas le chercher !… Il est dans le hall ? Arrêtez-le ! Non, je veux dire, faites-le patienter… Eh bien, je ne sais pas, moi… (Le portable de Marianeau sonne.) Attendez. (Il décroche son portable.) Oui ?… Oui, ma chérie ?… Alors ? Le bronze ?… Mais c’est… Mais c’est… Excuse-moi. (Reprenant le fixe.) Montrez-lui la cafétéria… Oui, c’est ça. Il ne la connaît pas. Vous lui montrez… Quoi ?… Attendez. (Reprenant le portable.) Oui ?… Oui, c’est Rosie qui t’a… Oh ! tu sais, elle voulait… elle voulait… parce que Le Chiffre est là. (À Rosie qui revient avec un costume.) Non, pas celui-là ! Il est immonde ! (Rosie repart. Au portable.) Pardon ?… Oui, écoute, immonde ! Il s’est fait refaire le nez, c’est un pic, c’est un cap, que dis-je, c’est un cap, c’est une… Je sais, tu n’as jamais vu Le Chiffre et tu aurais voulu… Oui… Oui… Une seconde ! (Reprenant le fixe.) Alors ? (À Rosie qui revient.) Quoi ? (Rosie reprend une clef de placard qu’elle a laissée sur le bureau de Marianeau. Puis elle repart. Reprenant le fixe.) Hein ? Il est là ? Oh non… Il veut me… Hallo Otto ! Willkommen ! Ja, ja 1… Monte, je t’attends. (Reprenant le portable.) Je te laisse, il arrive. Mais oui, c’est dommage, on ne pourra pas… Je te dis à dans trois jours… C’est ça, je t’embrasse ! (Il appuie sur un bouton.) Comme ça, je vais être tranquille. (Reprenant le fixe.) Mais vous ne comprenez donc rien ? Dites-moi, votre stage, il est pas encore validé ?… Eh bien, je peux vous dire que… Hein ? L’ascenseur ? Vous bloquez !… Oui, vous m’avez bien entendu, vous bloquez !… Eh ben, avec un caillou, un lapin nain, un os de sanglier, quelque chose ! Un...