“Je Veux Être Molière ou Rien “

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Un “Molière” trône sur la table de la cuisine…
Deux comédiennes en quête de rôles et d’amour et un auteur célèbre, dépressif et suicidaire en quête d’idées et de reconnaissance…
Deux jeunes types sans scrupules mais avec talent l’un blanc, l’autre noir, ou l’inverse…
Avec les mêmes personnages, une pièce de théâtre se joue, une autre se répète.
Précarité de saltimbanques : entre fin de mois difficiles, amours contrariés et fauteuil roulant, le vécu des comédiennes, des comédiens et de l’auteur interfèrent sur les personnages inventés dans un éternel mouvement de va et vient.
Quand la réalité se heurte à la comédie, la musique déraille.

 

 NOIR : On frappe les 3 coups. Le rideau s'ouvre.

 

1) Cabinet d'un Psy / Scène de Théâtre

FRANCK entre, seul en scène, vient s'asseoir sur un vieux fauteuil en mauvais état. Franck est un homme d'une élégance négligée, plus tout jeune mais vif de corps et d'esprit. Il est chez un (invisible) psy. D'abord un silence pendant lequel Franck, désabusé, examine et balance du bout des doigts, un couteau à pain avec des dents.

 

FRANCK (à son psy, à la salle)

… C'est pour mon suicide… Je voudrais revenir là-dessus… À priori, rien de très compliqué. Il suffit de vouloir. J'ai dit "à priori"… Car j'ai un handicap. C'est pas le seul que j'ai, mais… Je ne suis pas un manuel. Maladroit comme je suis j'ai trop peur de me rater. Alors comment, allez-vous de me dire ? Un suicide, quand ça se décide, c'est urgent… C'est là qu'intervient le couteau à pain. Un couteau à pain avec des dents.… C'est agressif, ça, les dents. Et là, je me suis dit, en criant "Allah Akbar", ça doit pouvoir faire l'effet attendu… Suffit d'écouter les infos : un type attaque au cutter un militaire ou un gendarme… Le gilet pare-balles par définition étant imperméable aux balles, il doit l'être au couteau à pain, même avec des dents. Le type en uniforme ne risque rien. Alors tu vas t'acharner, re-re-crier "Allah Akbar", et là les potes en uniforme du type avec le même uniforme doivent te trouer d'une dizaine de balles. Et là, t'es mort… Qu'en pensez-vous ? Pouvez-vous m'aider à retrouver confiance en moi… J'ai trop peur de me rater, vous comprenez…. C'est votre boulot quand même, non ? Je vous paye pour ça !… Et pour la retrouver ? (tend l'oreille) Pardon ?… Que je m'aide moi-même ?… Haaaa !… Dites ? C'est pour rire ?

 

CLAIRE, la belle cinquantaine, entre en silence. Elle est vétue de blanc et vient faire face à FRANCK qui continue à jouer avec le couteau à pain.

 

CLAIRE

… Mais enfin, Franck, t'as vraiment pensé au suicide…?…… Mais pourquoi ? T'as… Heu… Enfin, comprends moi !… Tu m'inquiètes… T'as pas… une maladie… genre une maladie qui… Grave quoi !… Alors là, je dis "oui". Le suicide, assisté ou pas, oui… Mais réponds, merde !… C'est une déprime…!… Remarque la déprime, je connais. Y en a de très sérieuses. Tu te rappelles quand Ils ont pris Adjani et pas moi ! À pile quarante ans ! Ha, ça m'a mis sur le toit pas loin d'un an. Incapable de… de rien ! Heureusement, tu étais là et… et que tu as abusé de la situation…

 

FRANCK

Et que ma femme n'en a rien su…

 

CLAIRE

… Et ben aujourd'hui, c'est moi qui suis là… Là, pour t'aider.

 

FRANCK (déprime)

L'assistanat ne marchera pas. Mon suicide, ce n'est pas pour une raison bassement médicale.

 

CLAIRE

Je t'écoute…

 

FRANCK

Tu n'es pas psy…

 

CLAIRE

Je le remplace. Toute femme a les oreilles pleines de vos gros maux, Messieurs… "Maux" : "M-A-U-X".… Je t'écoute donc…

 

FRANCK

… Quand je n'entends pas d'applaudissements dans une salle, c'est là que j'angoisse… On ne peut pas dire que "Rien ne sert de Mourir" ait fait un tabac…

 

CLAIRE

On peut même dire que ça a fait un bide. Haaa, même moi j'étais pas bonne ! J'avais rien à défendre… Entre nous, si tu me permets, et sans prendre de gants, c'était ta plus mauvaise pièce.

 

FRANCK (blessé)

C'est faux. C'est peut-être même la meilleure ! La meilleure et de loin ! C'est la plus… la plus dense… La moins… Celle qui… Mais bon. Certainement, mais pas la pire.

 

CLAIRE (un temps)

Une pseudo comédie misanthrope qui n'a fait rire personne… Si tu avais su fonder une famille, tu verrais la vie autrement.

 

FRANCK

Haaaaaa…! L'expression "fonder une famille" !". Toi, tu vis avec un con de droite. Ma femme avec un con de gauche… Je parle de moi… Toi, tu es parfaite, toujours aimable, la gentillesse même. (un temps)… En ratant ma tentative de suicide j'ai eu un grand vertige. Entre plaisir et imprudence… Depuis je suis bizarre. Je me sens… étrangement bien. Vraiment très très bien. C'est la première fois que… J'ai pas l'habitude de me sentir bien, voilà.

 

Franck, devenu presque joyeux, inspire, souffle, inspire…

 

CLAIRE

Donc tu te sens bien ! Tu dois être drôlement malade. De là à se pointer aux urgences parce qu'on en peut plus de se sentir si bien…! La sécu remboursera pas.

 

FRANCK

Et pourtant, aux urgences, j'y suis. Tu comprends mon désarroi.

 

CLAIRE

Je vois pas comment je peux t'aider…

 

FRANCK

En me disant des choses pas cool. Prends sur toi, dis-moi mes quatre vérités en face ! Arrête d'être gentille ! Assassine-moi !

 

CLAIRE

Je croyais avoir déjà commencé…

 

FRANCK

Vise au cœur !

 

CLAIRE

Mais tu n'en as pas !… Enfin, techniquement, si… Je sais pas si je vais pouvoir faire ça. Je t'aime beaucoup comme tu es… Bon, tant pis pour toi : j'essaie… T'as un côté chiant, voilà…

 

FRANCK (bléssé)

Ha ! Tu vois quand tu veux. Précise, s'il te plait.

CLAIRE

Chiant… Non, quand je dis chiant, c'est pas le choléra, non plus… Tu serais plutôt grippe intestinale. Une tourista sans amibes. Ça passe en trois jours et on continue le voyage en sifflotant…

 

FRANCK
C'est pas un meurtre ça. Ça ne me blesse pas, puisque, être chiant, c'est mon fond de commerce… Pour me faire remarquer. Je travaille mon coté chiant pour vous faire réagir. Tous !… (se calme) Mieux vaut être haï qu'ignoré… Sinon, je me sens transparent. Je me sentais… Parce que maintenant, non, je me sens bien.

 

CLAIRE

Mais surtout, surtout, tu es de mauvaise foi. Même sur le bûcher, tu ne reconnaitras jamais que tu n'as pas toujours entièrement raison… Ouf, c'est dit.

 

FRANCK (de mauvaise foi)
Ho ? De mauvaise foi… de mauvaise foi… Tu exagères un tout petit peu.

 

CLAIRE

Non. Chaque fois qu'un critique t'en fait une mauvaise, c'est que c'est un abruti qui n'a rien compris… Qu'il avait trop bouffé, ou pas assez, qu'il venait d'avoir un redressement, qu'il venait de voir une pièce à dormir mal assis aux Bouffes du Nord… Qu'il ne reconnaisse pas ton génie, toi qui en déborde… Tu as bien offert une paire de lunettes et un sonotone à celui du Monde, Victorien Sabrou !… Ça, c'est de la mauvaise foi caractérisée.

 

FRANCK

Chez moi, c'est un réflexe. Un long entrainement. Seulement voilà, maintenant : la mauvaise foi, c'est fini.

 

CLAIRE

Fini ? Tu vas pas tenir, ça va remonter dès que tu vas te sentir moins bien. Mais moi, je vais mieux… D'avoir vidé mon sac. D'avoir vidé mon sac, je vais mieux. Beaucoup mieux. Merci. C'est vrai, tu as l'air de te sentir bien.

 

FRANCK

C'est ça mon drame.

 

 

CLAIRE

… Franck… Y aura un rôle pour moi… ?

 

FRANCK

Ce sont les personnages qui décident. Pour l'instant, tu le sais, j'ai une commande. Enfin, une pré-commande… Répétons… (fort) VIRGINIE !… "Petruchio" ! Nous t'attendons pour répéter ! Et tu sais que nous répétons en direct "live" ! Alors bouge ton boule !

 

CLAIRE (consterné, à Franck)

'Bouge ton boule" !… Le jeunisme, ça se soigne tu sais. Une question de temps…

 

Pleins feux avec effets stroboscopiques, sur le devant de la scène.

FRANCK se met en retrait.

VIRGINIE entre sur scène à grands pas décidés. Elle porte un large chapeau à plumes et une épée au coté. Puis Virginie se fige.

 

VIRGINIE

Et puis, non ! Franck, pour ton grand retour dans le théâtre public que tu choisisses "La Mégère Apprivoisée", je me dis que tu cherches d'abord à régler un compte personnel, et moi, ta femme, je dis que je refuse d'être soumise à ton bon vouloir !

 

CLAIRE (à Franck)

C'est vrai, ça : l'audace de faire jouer "Petruchio" par une femme, c'est juste de la récup'!

 

VIRGINIE

Et arrête-moi ce stroboscope ! Ça fait années 80 et ça me brûle les yeux !

 

CLAIRE

Mais enfin, Franck, et si tu abandonnais Shakespeare ?… Tu racontes tout sur ta vie depuis trente ans, pourquoi tu continues pas ? C'est ce que tu fais de mieux.

 

FRANCK (désabusé)

Ma vie… Même moi, aujourd'hui je m'en fiche totalement. J'ai bien sûr, autre chose en gestation : une pièce théâtrale avec musique.

 

CLAIRE

Une comédie musicale, quoi…

 

FRANCK

Non, car ce serait un drame, mon premier drame. L'histoire d'un auteur qui doit monter un Feydeau avec des dyslexiques…

 

CLAIRE (stupéfaite)

Dramatique !… Ça commence comment ?

 

FRANCK

Nous sommes au sérail. La Princesse lance à la ronde : "Je troque trente trucs turcs contre treize textes tchèques."

 

VIRGINIE

Je vais refuser le rôle, je le sens. À toi Claire…

 

FRANCK (à Claire)

Pousse un peu la voix. Imagine, derrière toi, les chœurs de l'armée rouge…

 

CLAIRE (s'éclaircit la voix)

"Je troque trente trucs… turcs contre treize textes… tchèques."

 

Mais la voix CLAIRE se casse. Plus rien, plus de voix !

Sur le coté de la scène : FRANCK fait le signe impératif de baisser le rideau.

Furieux, il s'y reprend deux-trois fois… Mais rien ne se passe.

CLAIRE et VIRGINIE sortent de scène en urgence.

 

FRANCK (pour lui-même)

Je vais essayer le suicide littéraire…

 

FRANCK s'adresse alors au public dans la salle.

 

FRANCK (se voulant léger)

Chers amis !… Pauvre Claire ! Saviez-vous que ce soir, c'était la dernière représentation de "Rien ne sert de Mourir"? Oui, c'est la fin de la tournée. Et je suis sûr que Claire sera heureuse d'avoir perdu sa voix parmi vous… Si vous la retrouvez sous votre fauteuil, je vous prie de bien vouloir la déposer au vestiaire, Claire vous en sera reconnaissante… Merci pour vos applaudissements.

 

Des coulisses, on reconnaît la voix de VIRGINIE…

 

VIRGINIE (off)

Mais quel abruti !

 

FRANCK (encaisse)

Alors avec toutes nos excuses… Et encore merci.

 

FRANCK applaudit le public et sort. L'avant scène est vide de comédiens.

 

 

2) Loge de théâtre / Scène de théâtre

 

Le décor minimaliste ressemble à une loge de théâtre.

Mais à l'arrière, on retrouve CLAIRE, VIRGINIE. FRANCK vient vers elles.

 

FRANCK

Allez… C'est un accident. Le public adore ça, les accidents en direct. Pour la Corrida ou la formule UN, pareil… On va saluer !

 

VIRGINIE lui fait signe qu'il est "dingue" et ensuite fait "Non" en désignant CLAIRE, effondrée. Mais CLAIRE se lève et, avec autorité, prend VIRGINIE et FRANCK par la main. Ils arrivent d'un pas vif sur le devant de la scène.

Ils saluent, remercient le public… qui applaudit.

Ils sortent, puis reviennent en changeant de place.

Ils se prennent par la main, saluent encore, désigne d'un geste les personnes à la régie, à la lumière et au son… On imagine que le public applaudit encore… Ils sortent et ne reviennent pas.

Mais ils entrent bientôt par le fond de la scène. CLAIRE s'affale dans le petit canapé. VIRGINIE retire son grand chapeau, donne un verre d'eau à CLAIRE.

CLAIRE se prépare une potion pour se faire un gargarisme.

 

CLAIRE (quasi aphone)

Heureusement c'était la dernière…

 

FRANCK (à CLAIRE)

Hein ? Qu'est-ce que tu dis ? (à Virginie) Qu'est-ce qu'elle a dit ?

 

VIRGINIE se plante devant un miroir pour se démaquiller.

 

VIRGINIE (énervée)

Mais ne la force pas à répéter !

FRANCK

Je ne suis pas sourd et je lis sans lunettes, mais ya des limites !

 

VIRGINIE (à Claire)

Il s'est fait opérer de la cataracte… (à Franck)...

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