1ère partie
Quand le rideau s’ouvre, on aperçoit dans la pénombre un couple qui dort.
Après quelques instants, l’homme bouge un peu et finit par ouvrir un œil avec beaucoup de difficulté. Il finit tout de même par s’asseoir, mais à la tête qu’il fait on comprend qu’il souffre d’un mal de tête très important. Il promène sur la pièce un regard vide d’expression et soudain écarquille les yeux. Il a l’air complètement décontenancé. Il regarde tout autour de lui et se lève brusquement. Manifestement, il ne semble pas très bien savoir où il se trouve. Soudain il sursaute à nouveau en apercevant la femme qui dort encore.
Il fait le tour du lit et s’en approche avec précaution.
Il soulève le drap doucement en regardant attentivement le visage de la femme qui manifestement ne lui rappelle rien.
Complètement désemparé, il se gratte la tête, très anxieux.
Michel (entre ses dents) - Merde ! Merde !
En se retournant il fait tomber un objet de la table de nuit qui a pour effet de réveiller la jeune femme. Celle-ci ouvre les yeux et, en apercevant Michel, elle sursaute et s’assoit brusquement.
Elle porte la main à son front, mais il semble que pour elle la mémoire lui revienne.
Laura - Mais… (Se souvenant brutalement.) Ah !… Oh oui… C’est vrai… Excusez-moi, mais sur l’instant je ne me souvenais pas. J’espère que vous ne m’en voulez pas ?
Michel - Heu… je…
Laura - Quelle nuit, hein !
Michel - Heu…
Laura - Je m’en souviendrai… Pas vous ?
Michel - Heu…
Laura - Mais qu’est-ce que vous avez ?
Michel - Je… j’ai… heu… enfin à dire vrai… je ne…
Laura - Oui… Vous ne quoi ?
Michel - Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
Laura - Non !
Michel - Oui, je comprends, ça peut vous paraître très bizarre.
Laura - Vous avez du mal à vous souvenir, c’est ça ?
Michel - À me souvenir de quoi ?
Laura - Mais de cette nuit !
Michel - Cette nuit… Excusez-moi, mais…
Laura - Vous ne vous rappelez pas ?
Michel - De rien.
Laura - De rien ?
Michel - De rien du tout. Je suis vraiment très gêné… Excusez-moi.
Laura - Remarquez, cela ne m’étonne qu’à moitié, avec ce que vous teniez…
Michel - Ah ! j’avais bu !
Laura - Le mot est un peu faible.
Michel - C’est affreux… J’essaie de me souvenir… Un trou… noir…
Laura - Effectivement.
Michel - Je… je… je ne sais même pas où je suis.
Laura - Chez moi.
Michel - Ah ! chez vous… Parfait. Ici, c’est chez vous… Vous allez me trouver grossier, mais même votre visage…
Laura - … vous est inconnu ?
Michel secoue la tête.
Michel - Je sens bien que ce n’est pas très élégant, mais c’est la vérité.
Laura - Parfait. Eh bien, je me présente : Laura Bourdelin.
Michel - Enchanté. Et moi, c’est Michel…
Laura - … Serpollet… Vous voyez, moi, je me souviens de votre nom.
Michel - Oh ! vous me voyez effondré !
Laura - Vous pouvez, parce que tout de même, ne rien vous souvenir du tout, après tout ce qui s’est passé !
Michel - Oh ! vous voulez dire que l’on a…
Laura - Ah non ! Pas du tout ! Dans l’état dans lequel je vous ai ramené, ça ne risquait rien. Non, je parlais de ce qui s’était passé avant.
Michel - Ah ! parce que nous avons passé la soirée ensemble !
Laura - Oui, depuis « Les Bains Douches ».
Michel - Quels « Bains Douches » ?
Laura - La boîte de nuit.
Michel - Moi ! Aux « Bains Douches » ! Mais je ne sais même pas où c’est !
Laura - C’est pourtant là que je vous ai rencontré… dansant sur de la techno… complètement déchaîné.
Michel - Déchaîné ! Moi !
Laura - Ah ! je vous assure ! C’est d’ailleurs ce qui a fait que je vous ai trouvé tout de suite très sympathique.
Michel - Et alors ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Je vous ai draguée ?
Laura - Non, c’est moi.
Michel - Encore un mystère.
Laura - Effectivement, ça peut paraître étrange, mais j’avais mes raisons.
Michel - Ah !
Laura - J’étais furieuse après mon mari.
Michel (sursautant) - Vous êtes mariée ? Où est-il ?
Laura - Ne vous inquiétez pas, il est en province et ne rentre que demain.
Michel - Ça n’explique toujours pas ma présence ici.
Laura - Bon, je vais tout vous raconter. Je vous dois bien ça. Figurez-vous que mon mari – qui lui, par ailleurs, est jaloux, mais alors comme un tigre ! – m’a fait hier soir le coup du voyage d’affaires avec les soi-disant clients japonais qui s’éternisent et qui l’obligent à passer une nuit de plus à Marseille. « Tu comprends, ma chérie, je ne peux pas faire autrement, ce sont de gros clients, etc. »
Michel - Ah oui ! Je vois ! Il arrive parfois que ce soit vrai…
Laura - Oui, mais dans ce cas-là, la secrétaire ne téléphone pas ici à dix-huit heures pour demander à lui parler… Elle doit savoir où il se trouve. Hier soir cette gourde appelle en demandant à parler à Marc. Je lui réponds qu’il est toujours à Marseille… Alors comme elle sent qu’elle a commis une gaffe, elle commence à rire bêtement, elle bafouille et elle raccroche. J’ai tout de suite compris.
Michel - Oui… Effectivement, ce n’est pas très adroit.
Laura - C’est simple : ce coup de téléphone m’a mise hors de moi. J’étais dans un état de rage ! J’imaginais la secrétaire gloussant avec ses copines… Enfin bref, comme je ne suis pas du genre à pleurer dans les rideaux en attendant le retour de monsieur, j’ai décidé de lui appliquer la loi du talion.
Michel - Œil pour œil.
Laura - Tu me trompes, je te trompe. Et sans attendre, encore ! À chaud ! Je me suis précipité sur ma garde-robe, j’ai enfilé la robe la plus explosive que j’avais, je me suis maquillée… et folle de rage, je suis montée dans ma voiture en me jurant de ramener, cette nuit même, dans mon lit, le premier type potable que je rencontrerais.
Michel - Et ce fut moi.
Laura - Exactement… Chaussures élégantes, chemise de marque… bref…
Michel - Potable.
Laura - Vous dansiez avec une grande pétasse rousse très vulgaire.
Michel - Ah bon !
Laura - Oui, on l’aurait dit tombée d’un magazine porno. Des seins énormes qui ballottaient sous la chemise, une paire de fesses qui semblaient vouloir exploser… On ne voyait qu’elle !
Michel - Vraiment ? Oh ! ce que c’est bête ! Je ne me souviens de rien… Une grande rousse, vous dites ?
Laura - Oui… Un mètre soixante-dix au garrot minimum.
Michel - Et qu’est-ce qu’elle est devenue ?
Laura - Eh bien, comme vous aviez sans doute de plus en plus de mal à tenir debout, à un moment donné, elle a dû vous lâcher et c’est là que je vous ai récupéré. Je n’ai pas vu tout de suite l’état dans lequel vous étiez, mais j’aurais dû me méfier parce que vous avez re-commandé à boire.
Michel - Ah… Et je buvais quoi à ce moment-là ?
Laura - De la tequila.
Michel - Aïe !
Laura - Je vous ai proposé de vous emmener chez moi.
Michel - Ah !
Laura - Mais vous avez refusé.
Michel - Non !
Laura - Oui… Ça m’a énervée !
Michel - Quel mufle !
Laura - Vous m’avez rétorqué que la soirée commençait à peine… mais que si je voulais rester… je pouvais… Enfin, que des choses agréables… Ah ! on peut dire que vous n’êtes pas un type facile !
Michel - Ça alors ! Je n’en reviens pas. Mais pourquoi teniez-vous tant à me ramener chez vous ? Quand on se lance dans ce genre d’aventure, on peut très bien aller à l’hôtel ; à Paris, ce n’est pas ce qui manque.
Laura - Parce que pour une vengeance, on a encore rien trouvé de mieux que le lit conjugal.
Michel - Ah bon ! Pourquoi ?
Laura - Parce que c’est bien meilleur ! Et je m’en réjouissais à l’avance. J’étais même euphorique à l’idée de ce que je m’apprêtais à faire. Ah ! monsieur me prenait pour une gourde ! Eh bien, j’allais lui rendre la pareille, et en plus dans son lit… Quel bonheur ! Si j’avais su tout ce qui allait arriver, je vous aurais laissé choir tout de suite, seulement, comme j’avais décidé que se serait vous et qu’en plus comme me résistiez, je me suis accrochée.
Michel - Et alors ?
Laura - Alors ! Nous sommes sortis… Et alors là !
Michel - Et alors là quoi ? Vous me faites peur. Qu’est-ce qui s’est passé ? Racontez-moi !
Laura - Oui… Oui… Je vous promets que je vais le faire, mais chaque chose en son temps.
Michel - Il a tout de même bien fallu que je finisse par arriver ici, tout de même !
Laura - Oui, vers cinq heures du matin.
Michel - Oh !
Laura - Vous vous êtes répandu sur le lit et je vous ai déshabillé.
Michel - Vous m’avez déshabillé ?
Laura - Réfléchissez : si vous n’aviez pas été déshabillé, il n’y aurait pas eu de vengeance.
Michel - Et vous me dites que je me suis endormi tout de suite ? J’espère que vous ne m’en voulez pas trop ?
Laura - De quoi ?
Michel - De mon inélégance. Parce que je me mets à votre place… Vous vous donnez un mal fou pour ramener chez vous un monsieur avec lequel vous espériez passer un bon moment et puis… flop, ce type manque à tous ses devoirs… C’est d’une grossièreté… Excusez-moi encore… Je suis vraiment désolé.
Laura - Ne vous excusez pas car cela n’a aucune importance !
Michel - Vraiment ?
Laura - Je m’étais juré de ramener un type dans mon lit, eh bien je l’ai fait.
Michel - Oui, mais comme vous me dites qu’il ne s’est rien passé…
Laura - Quelle importance ? Pour moi cela revient au même.
Michel - Ah bon ! Vous trouvez, vous ?
Laura - Pour vous aussi d’ailleurs, puisque même si cela avait eu lieu, vous ne vous en souviendriez pas.
Michel - Oui, vous avez raison.
Laura - Quant à mon mari, imaginez qu’il nous surprenne ensemble dans cette chambre, vous et moi dans cette tenue ! Vous croyez qu’il nous croirait ? Toutes les femmes prises dans cette situation jurent qu’il ne s’est rien passé. Donc pour moi, je me considère comme vengée.
Michel - Mais si vous vouliez que votre vengeance soit vraiment complète, vous devriez être obligée de tout lui raconter.
Laura - Vous avez vu les armes au râtelier ? Jaloux comme il est, il vous tirerait comme un lapin.
Michel - Je vous remercie bien ! Mais s’il ne l’apprend jamais, votre vengeance, elle sert à quoi ?
Laura - À faire des souvenirs. C’est très important, car même un souvenir comme celui-là un jour peut devenir une arme.
Michel - Le souvenir, une arme ?
Laura - Oui, une arme dont je me sers de temps en temps contre mon mari.
Michel - Je ne vois vraiment pas comment.
Laura - Imaginez qu’au cours d’une scène, il me prenne en flagrant délit de mauvaise foi. Il n’y a rien de pire pour une femme. Eh bien, au lieu de devenir folle de rage, ce qui risque d’envenimer la situation, j’irai chercher le souvenir de cette nuit à mon secours. Car en vous revoyant dans cette chambre et dans le lit conjugal, je suis certaine que ma colère tombera tout à coup pour faire place à un fou rire qui ramènera aussitôt le calme dans la maison. Voilà à quoi ça sert parfois, les souvenirs : à survivre.
Michel - Moi, je vous avouerai que je n’aurais jamais pensé à un truc pareil.
Laura - Forcément. Vous, vous êtes un homme. Si quelqu’un devait être furieux après quelqu’un, ce pourrait bien être vous, car après tout, se retrouver être utilisé pour une vengeance, vous pourriez m’en vouloir.
Michel - La seule raison qui pourrait me vexer dans une histoire pareille, c’est que la femme soit laide ; mais comme c’est tout le contraire, on se retrouve plutôt flatté d’avoir été choisi.
Laura - Donc vous ne m’en voulez pas ?
Michel - Pas le moins de monde, mais j’ai encore une ou deux questions à vous poser.
Laura - Je vous en prie.
Michel - Où sommes-nous ici ?
Laura - Je...