Air de saxophone avant lumière sur scène, un peu lancinant, ambiance New Orleans
Salon d'appartement, murs en briques rouges. Mobilier typique américain, sofa tissu écossais,table basse, télévision plutôt vieille, un fauteuil, table et chaises en bois, posters du Mardi Gras au mur. Une porte donne sur la cuisine, une porte fenêtre donne sur un petit balcon de bois, on voit des feuilles de magnolia, il fait sombre. Un couloir mène aux deux chambres, un ventilateur tourne au plafond, lentement.
On entend la voix d’une femme qui appelle
« Henri! Henri, tu es là? »
Jacqueline entre sur scène. Elle a la cinquantaine. Elle porte une veste légère, un pantalon de toile, a un air sévère et fier.
Elle pose sa valise, sort un mouchoir de son sac, s'essuie le visage et le cou.
« Henri? Il n'y a personne? Hello? »
Juliette arrive du couloir, elle sort de la douche, elle a une serviette autour d'elle, un flacon de vernis à ongles à la main et un paquet de coton. Jolie petite brunette aux cheveux courts, air espiègle, petite vingtaine d'années. Elle s'arrête et regarde Jacqueline.
Jacqueline, avec un fort accent français: Hello, I am looking for Henri .
Juliette, souriant : Bonjour, je suis Juliette .
Jacqueline la regarde étonnée.
Juliette : Je suis belge, mais je parle aussi français .
Jacqueline : Je ne suis pas chez Henri Deferre? Je me suis trompée d'appartement, excusez-moi .
Juliette: Non c'est bien ici .
Jacqueline : Ah, il ne m'a pas dit qu'il avait de la visite .
Juliette : J'habite aussi ici, je suis sa « roommate », sa colocataire .
Jacqueline, la regardant de haut : Je vois. Je n'étais pas au courant, comme d'habitude.
Elle regarde vers le couloir.
Juliette : Oui, il y a deux chambres.
Jacqueline : Mais Henri ne me doit pas de comptes, c'est un adulte. Je suis Jacqueline Deferre, sa maman.
Juliette : Oui, je me doutais que vous n'étiez pas Blanche Dubois.
Jacqueline la regarde interloquée.
Juliette : Ah, quand on vient à La Nouvelle Orléans, il faut réviser Tennessee Williams. Surtout quand on habite dans le Vieux Carré, près de la rue Dumaine. Henri vous expliquera.
Juliette s'assoit et se met à se vernir les ongles des pieds.
Jacqueline : Mon avion était très en retard, j'ai loupé ma correspondance à Atlanta, je suppose qu'il n'a pas pu m'attendre à l'aéroport.
Juliette : Oui, il devait retourner à l'hôpital, il était un peu embêté de vous laisser vous débrouiller.
Jacqueline : Il m'avait donné toutes les explications, je sais encore prendre un taxi toute seule, je me doutais bien qu'il n'y avait plus de tramway nommé Désir.
On entend la porte d'entrée s'ouvrir. Jacqueline se retourne souriante, mais son sourire se fige.
Miss Thing entre, afro-américain, petite vingtaine aussi, tee shirt argenté et short rose, et regarde Jacqueline et sa valise :
Miss Thing : Oh my Lord! It's Blanche Dubois!
Juliette : Miss Thing, it's Henri's mom.
Miss Thing, avec un très fort accent américain : Oh vous êtes le mère de Henri. Je parle aussi le français, je suis allé à le Alliance Française de Chicago (pas chez les Cajuns thanks God!) Pleased to meet you, heu , enchanté?
Jacqueline lui tend la main avec un sourire crispé: Bonjour...Monsieur?
Miss Thing : Oh honey, call me Miss Thing, euh Mademoiselle Chose, ok? (Il rigole)
C'est plus chic en français hein? Sorry, je suis « dépêché », je cherche des plumes pour mon Mardi Gras.
Il part dans le couloir vers une chambre.
Jacqueline regarde Juliette qui continue son vernis: Mardi Gras fin août?
Juliette : Ah ici, on prépare Mardi Gras toute l'année, surtout Miss Thing.
Jacqueline : Je vois, et vous ne fermez jamais la porte d'entrée?
Juliette : Welcome to New Orleans!
Jacqueline s'assoit sur le canapé.
Juliette : Je ne vous ai pas proposé à boire, ou à manger?
Jacqueline :Merci j'ai trop chaud et je commence à sentir le décalage. Cette humidité, c'est terrible, je voudrais bien un verre d'eau.
Juliette se lève, marche sur les talons en écartant les doigts de pieds, va dans la cuisine et revient avec une carafe d'eau et un verre qu'elle pose devant Jacqueline.
Jacqueline : Je vous remercie.
Elle se sert, boit. Regarde autour d'elle, s'essuie à nouveau le front et le visage.
Juliette, qui continue son vernis : Les premiers jours sont les plus difficiles, après on s'habitue. C'est le soir le plus pénible, on espère un peu de fraîcheur, mais ça ne vient pas, la température ne baisse pas, c'est un peu comme une torture. La première semaine, j'ai cru que j'allais retourner à Mons chez ma mère!
Jacqueline, regardant le ventilateur : Vous n'avez pas de climatisation?
Juliette : Elle est branchée, mais les appareils sont aux fenêtres des chambres! Ce sont de vieux appartements dans le Vieux Carré, tout est un peu vétuste, et puis la journée on la baisse un peu, on la réserve pour la nuit. Ca fait fuir les cafards!
Jacqueline n'a pas le temps de répondre, Miss Thing revient de la chambre. Il porte un masque de cuir avec des plumes de paon et un boa noir autour du cou et chante un classique de Mardi Gras :
Miss Thing : « If you go to New Orleans , you should see the Mardi Gras ».
Juliette : Oh Miss Thing, please, will you stop!
Miss Thing : Well, le maman de Henri a le droit de connaître le chanson classique.
Juliette : Oui mais c'est bon, Mardi Gras c'est dans six mois, je n'en...