Acte 1
Lorsque le rideau se lève, une secrétaire tape à la machine, on la voit de dos. Le patron entre, attaché-case à la main, élégant et sûr de lui, la cinquantaine peut-être, il se dirige vers la secrétaire qu’il embrasse dans le cou, celle-ci pousse un cri de surprise et se lève brusquement.
Elisabeth (elle est plutôt laide) - Oh Monsieur !
Julien - Oh excusez-moi Elisabeth, je croyais que c’était Brigitte.
Elisabeth (confuse) - Mais il n’y a pas de mal Monsieur, mais Brigitte viendra un peu plus tard, elle a téléphoné, elle est légèrement souffrante.
Julien - Bon excusez-moi s’il vous plaît, oubliez cela.
Elisabeth - Comme vous voudrez, Monsieur… comme il y avait du courrier urgent, j’ai cru bien faire...
Julien - … Vous avez bien fait...
(On entend frapper à la porte de service.)
… Entrez !…
(Personne n’entre, Julien répète en criant.)
… Entrez !…
(C’est Dutilleul le comptable sourd et homosexuel qui entre.)
... Décidément Dutilleul, vous entendez de moins en moins, ça devient gênant, je finirai par me passer de vos services.
(Elisabeth continue à taper.)
Dutilleul - Ne faites pas ça Monsieur Valadier, je me soigne, je fais tout pour vous faire plaisir, vous pouvez tout me demander, mais derrière la porte !…
Julien - Alors qu’est-ce que vous voulez ?
Dutilleul - Vous m’avez hier au soir demandé un dossier sur les langues indonésiennes pour votre appareil à traduction simultanée.
Julien - Ah oui, très bien, je veux que mon traducteur électronique traduise toutes les langues.
Dutilleul - C’est merveilleux ce que vous faites Monsieur Valadier.
Julien (exaspéré) - Oui je sais.
Dutilleul - J’ai fait vite pour l’Indonésie, je veux tellement que vous soyez content de moi.
Julien - Je vous en prie Dutilleul, arrêtez d’être obséquieux et d’afficher votre homosexualité, je vous tolère depuis quatre ans parce que vous êtes un bon comptable, d’ailleurs au début vous n’étiez pas comme ça, vos oreilles fonctionnaient et on pouvait croire que le reste aussi.
Dutilleul - Si on me parle dans l’oreille j’entends très bien.
Julien (dans l’ironie) - Je pourrais vous prendre sur mes genoux peut-être !
Dutilleul - Ah mais si vous voulez Monsieur !
Julien - Oh assez Dutilleul ! Votre comportement et vos oreilles en chômage technique permanent, commencent à faire chauffer mon transistor.
Dutilleul (il a mal compris) - Ah non je ne veux pas vous faire du tort.
Julien - Vous devriez quand même envisager un sonotone !
Dutilleul - Quelle horreur ! S’introduire un truc pareil dans l’oreille !
Julien (au public) - Qu’est-ce qu’il m’énerve… (À Dutilleul) Bon, allez maintenant laissez-moi.
Dutilleul - Accordez-moi quelques minutes, en pensant à vous cette nuit j’ai fait un poème sur ma très légère surdité.
Julien - Un poème… Vous faites des poèmes vous ?
Dutilleul - Oui Monsieur Valadier, ça s’appelle « Prière d’un sourd ».
Julien - Bon ! bravo, mais une autre fois, là je n’ai pas le temps… (Au public plus bas.)… Je vais le virer je ne peux plus l’encadrer.
Dutilleul - Ah non, ce n’est pas un poème à encadrer, c’est à écouter… alors voici : « Prière d’un sourd, je vais demander à un papillon qu’il aille prendre sur vos lèvres les mots que je n’entends pas et les rapporte à mon oreille. Je lui demanderai qu’il garde pour lui les mots amers et qu’il ne me restitue que les mots d’amour. »
Julien - C’est ridicule, ce n’est pas en vers et c’est idiot.
Dutilleul - Merci Monsieur d’avoir trouver ça beau.
Julien - Bon allez ça suffit maintenant, laissez-moi tranquille.
Dutilleul - Au fait Monsieur Valadier, il y a une dame qui vous attend depuis neuf heures ce matin.
Julien - Vous auriez pu me le dire plus tôt, elle a un rendez-vous?
Dutilleul - Non Monsieur, mais elle m’a dit qu’avec ce petit mot vous la recevriez tout de suite.
( Il lui tend une enveloppe, Julien ouvre et lit.)
Julien - Merde, mon ex !
Dutilleul - Comment dites-vous ?
Julien - Rien ! Faites entrer cette dame.
(Dutilleul sort.)
Julien (à Elisabeth) - Elisabeth, veuillez dire à Brigitte qu’elle fasse passer une annonce pour un nouveau comptable, celui-là, ça n’est plus possible.
(Dutilleul revient et introduit une femme un peu vulgaire, en uniforme de contractuelle, Üutilleul se retire immédiatement.)
Julien - Catherine !
Catherine - Surpris hein !
Julien - Plutôt...Tu es contractuelle ?
Catherine - Comme tu vois, je ne suis pas petite sœur des pauvres.
Julien - Ça te va bien… J’ai laissé ma voiture en double file ?
Catherine - Il ne s’agit pas de ça, c’est une visite privée.
Julien - Ah bon, ce n’est pas pour ma voiture… D’ailleurs elle est dans le parking de l’immeuble, alors !
Catherine - Non rassure-toi, c’est ta femme qui veut te parler.
(Julien, inquiet, à Elisabeth :)
Julien - Elisabeth, voulez-vous nous laisser… (Elle sort.) Alors quoi de neuf, la santé ça va ? Tu as un bel uniforme… fonctionnaire… Tu as raison, la sécurité… La retraite et la considération et…
Catherine - … Julien ne te fous pas de ma gueule.
Julien - Mais non, pourquoi !
Catherine - Le petit employé des Pompes Funèbres, dingue d’électronique est devenu un gros industriel, tu fabriques des puces, des micro-protecteurs…
Julien - … Processeurs !
Catherine - … Oui ! Enfin pro comme tu voudras… Tu travailles pour l’Armée, tu vends ta camelote aux Russes, aux Américains, les Japonais font la gueule, tu les concurrences paraît-il ?
Julien (il siffle) - Mais où as-tu appris tout ça ?
Catherine - « L’EXTENSION » tu connais ? C’est un canard économique très côté.
Julien - « L’EXPANSION » ! Pas PAN mais TEN… Enfin non… Pas TEN mais PAN…
Catherine - … T’as un problème ? ..
Julien - Non, enfin je veux dire le journal dont tu parles, tu lis ça toi ?
Catherine - Non, mais quand je fais le trottoir, je m’arrête parfois pour passer le temps devant les kiosques à journaux, et j’ai lu : « JULIEN VALADIER, L’HOMME QUI FAIT TREMBLER LES JAPONAIS », j’ai acheté le canard et me voilà.
Julien - Et bien je suis très content de ta visite, c’est gentil, tu n’as pas changé sauf la tenue, mais c’est très seyant.
Catherine (changement de ton, elle devient tendre) - Quel bonheur de te retrouver, je t’ai cherché partout.
Julien - Si tu n’étais pas partie avec un professeur de culture physique…
Catherine - … Un coup de tête que j’ai beaucoup regretté.
Julien - Un coup de tête qui a quand même duré trois ans, pour moi tu n’es qu’un souvenir comme ma dent de sagesse qui m’a fait tant souffrir.
Catherine - Méchant, je n’ai pas cessé de penser à toi.
Julien - Ça a dû te fatiguer et te donner la migraine.
Catherine - Tu ne me crois pas ?
Julien (dans l’ironie) - Bien sûr que si… Alors ton prof de culture physique qui ne savait compter que jusqu’à trois…
( Il fait des gestes de culture physique. )
... Un… Deux… Trois, il t’a épuisée, tous les matins : expirez, inspirez… Les bras en l’air…
( Il continue les gestes.)
Rentrez le ventre… Bombez le torse, ça doit finir par être monotone.
Catherine - Mets-toi à ma place, il était beau, il causait bien.
Julien - Tandis que moi j’étais moche et je n’avais pas de conversation… Evidemment, dans les pompes funèbres, on ne fait pas le grand écart en présentant ses condoléances.
Catherine - Tu ne pensais qu’à étudier tes transistors, tes lasers, tes machins, tes trucs.
Julien - Mes machins, mes trucs comme tu dis, c’est plusieurs brevets, ce sont des inventions qui intéressent le monde entier, la voiture électrique qui roule à 200 à l’heure pendant 50 heures, c’est moi, les trains, les avions sans pilotes, c’est moi, et bien d’autres choses… Tu connais la bible toi ?
Catherine - Bien sûr, j’ai vu joué Ben’hur.
Julien - Rien à voir, écoute : dans le second chapitre des actes des Apôtres, il est dit: « Le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble dans le même lieu. Tout à coup, il vint du Ciel un bruit comme celui d’un vent impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis. Et ils furent tous remplis du Saint Esprit, et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer. Chacun les entendait parler dans sa propre langue. »
Catherine - Ah c’est beau !
Julien - Et bien moi, j’ai mis au point un petit appareil pas plus gros qu’un paquet de cigarettes, qui rendra complètement inutile l’apprentissage des langues étrangères, en effet il permettra de traduire simultanément n’importe quelle langue, ainsi un Japonais, un Portugais, pourront converser avec un Russe ou un Français.
Catherine - Mais c’est formidable, parce que moi les langues !
Julien - Tiens, je vais te faire une confidence, j’ai mis au point une machine électronique qui peut imprimer n’importe quel billet de banque, si je voulais je serais le plus gros faux monnayeur qu’on n’aie jamais connu.
Catherine - Et tu ne l’es pas ?
Julien - Article 139 du code pénal réclusion à perpétuité, j’aime trop la vie, les femmes, les voyages et la bonne bouffe.
Catherine - N’importe comment tu as fait fortune.
Julien - Merci ça va, c’est mieux que les pompes funèbres.
Catherine - Julien je t’aime.
Julien - Arrête… Et ta chose toute en muscles, ton guignol désarticulé, qu’est-ce qu’il est devenu ? Tu l’as cassé ?
Catherine - Un minable, il a voulu me mettre sur le trottoir.
Julien - Et c’est ce qui t’a donné l’idée d’être contractuelle ?
Catherine - J’ai fait ce que j’ai pu, quand j’ai quitté Aldo, j’étais désemparée.
Julien - Ah quel beau nom, il s’appelle Aldo ?
Catherine - Oui, il est italien.
Julien - Ah je comprends, il jouait de la mandoline et pas moi, c’est pour ça que tu m’as quitté.
Catherine - Non, c’était un mufle, un rustre, un inculte, une brute… Un connard et il a pris 15 kilos, il est devenu hideux.
Julien - Ça, c’est les spaghettis.
Catherine - Toi tu es beau, tu es baraqué comme Silvester Stallone.
Julien - Parfois tu idéalises un peu, mais ça ne fait rien… Ecoute, tu vas aller retrouver Aldo, tu vas lui dire qu’il a des muscles en acier suédois, ça fait toujours plaisir… Qu’il est beau comme une mandoline et que…
Catherine - … Pas question, on est toujours marié.
Julien - Hélas oui !
Catherine - Alors je réintègre.
Julien - Quoi !
Catherine - Je réintègre le domicile conjugal, tu habites où ?
Julien (machinalement) - Neuilly.
Catherine - Moi, à Aubervilliers, mais je me ferai une raison.
Julien - Tu divagues, reste à Aubervilliers, d’ailleurs je ne suis pas libre.
Catherine - Tu ne m’as tout de même pas remplacée ?
Julien - Justement si… Et plusieurs fois, je ne suis pas resté abstinent, j’ai de la santé et un outillage en parfait état de marche.
Catherine (dans la colère) - Tu n’as pas le droit, je suis ta femme.
Julien - Ça m’était sorti de l’idée figure-toi, je t’en prie laisse-moi tranquille et va tripoter tes essuie-glaces.
Catherine - Ce n’est pas digne de toi, je suis une pauvre petite créature délaissée et toi qui possèdes des usines, des bureaux, un appart à Neuilly, une propriété au Lavandou, trois voitures, deux Labradors et…
Julien - Tu es bien renseignée...