Moi c’est Talia

Un jour au collège, Talia voit débarquer Jade, intervenante en méditation.
En suivant les conseils de Jade, Talia tente de faire le vide en elle pour atteindre le but suprême : ne penser à rien.
Seulement, il y a une voix à l’intérieur de Talia qui n’est pas prête à se taire : c’est Taliabis, qui n’arrête jamais de parler, d’imaginer, d’interroger, d’analyser, de juger, de questionner.

“Moi c’est Talia” nous fait entrer dans la tête d’une collégienne et observe le tournant de l’adolescence du point de vue de la pensée.
« En fait, c’est un peu comme si j’avais une autre voix dans ma tête. Comme s’il y avait une autre personne. Je m’en étais pas vraiment rendue compte avant. Elle fait que parler cette voix, elle s’arrête jamais. »

 

1. Les yeux fermés

Nous sommes dans une salle du CDI. Tous les élèves de la classe sont assis en tailleur sur le sol, les yeux fermés. Ils et elles écoutent la voix de Jade, intervenante en méditation. Talia est assise au milieu des autres. Jade n’entend pas les paroles de Talia.

JADE

Avant de commencer, nous allons prendre le temps de respirer tous ensemble. Installez-vous confortablement au fond de votre siège, fermez les yeux. Je vais compter jusqu’à trois et on va prendre tous ensemble une grande inspiration par le nez puis on va expirer par la bouche. Vous êtes prêts ? Un, deux, trois.

Inspiration, expiration.

On va le refaire deux fois. Imaginez que vous avez un ballon dans la poitrine. Un ballon que vous remplissez au maximum… puis que vous dégonflez intégralement.

Inspiration, expiration.

Inspiration, expiration.

C’est bien. Maintenant on peut retrouver notre respiration habituelle. Et vous allez l’observer, votre respiration. En silence. Sans la modifier. Sans agir dessus. Juste l’observer. Allez-y.

TALIA, dans sa tête.

Franchement, j’avais pas du tout compris qu’on devait aller au CDI. J’ai bien vu qu’il y avait un problème quand je suis arrivée en 227 : il n’y avait ni la prof ni les gens qui comprennent toujours toutes les consignes. Heureusement que la prof est venue nous chercher. « Aujourd’hui on est au CDI pour l’intervention sur la méditation, je vous l’avais dit pourtant. » Elle avait vraiment l’air exaspérée.

JADE

Concentrez-vous sur votre respiration. Essayez de ne penser à rien d’autre qu’à l’air qui entre dans vos narines, voyage jusqu’à vos poumons, puis ressort dans la pièce.

TALIA, dans sa tête.

Je me demande si c’est vrai cette histoire des quinze minutes. À chaque fois qu’un prof n’arrive pas, il y en a qui disent qu’après quinze minutes de retard le cours est annulé. Mais on ne peut jamais vérifier vu que le prof finit toujours par arriver au bout de la douzième ou de la treizième minute.

JADE

Remarquez la différence de température de l’air entre le moment où il pénètre dans vos narines et le moment où il en ressort.

TALIA, dans sa tête.

La différence de température de l’air ? Moi c’est pareil, j’ai l’impression. Ils font quoi, les autres, avec l’air pour qu’il change de température ? Allez, j’ouvre les yeux discrètement.

Talia ouvre les yeux et regarde autour d’elle.

Ben dis donc, je les ai jamais vus aussi calmes.

JADE

Gardez bien les yeux fermés.

Talia referme les yeux brusquement.

TALIA, dans sa tête.

Grillée !

JADE

C’est normal que votre esprit papillonne. Remarquez simplement à quoi vous étiez en train de penser et ramenez votre attention sur votre souffle.

TALIA, dans sa tête.

Elle a pas les yeux fermés, elle… Ils sont beaux, ses yeux. Ils sont bleus. Quand j’étais petite, je croyais que si certaines personnes avaient les yeux bleus c’est parce qu’elles avaient beaucoup pleuré. Je pensais que tout le monde naissait avec les yeux noirs comme moi et que les gens qui pleuraient beaucoup perdaient la couleur petit à petit, jusqu’à avoir les yeux bleus. Moi je voulais avoir les yeux bleus comme Eva. Alors je me forçais à pleurer. J’imaginais que mes parents mouraient dans un accident de voiture et que j’étais orpheline. Et je me mettais à pleurer. Mais après j’ai arrêté parce que j’avais peur que ça leur porte malheur et qu’ils meurent pour de vrai.

JADE

Très bien. Maintenant, revenez doucement dans la pièce.

TALIA, dans sa tête.

Pourquoi, on était où ?

JADE

Visualisez votre corps dans l’espace.

TALIA, dans sa tête.

L’espace ?

JADE

Je vais compter jusqu’à trois et vous rouvrirez les yeux doucement.

Un, deux, trois.

Félicitations, vous venez de faire votre première séance de méditation.

TALIA, dans sa tête.

Hein ? C’est tout ?

JADE

Est-ce que vous avez des questions, des remarques, des impressions ? Vous avez vu, c’est dur de ne penser à rien, hein ?

TALIA, dans sa tête.

De ne penser à rien ? C’est ce qu’on était censé faire ? Elle n’a jamais dit ça. Elle m’a embrouillée avec ses histoires de température d’air, là. J’espère que c’est pas noté. Ne penser à rien ? C’est possible, ça ?

2. Rien

Talia est seule dans sa chambre. Elle tente de méditer.

TALIA

J’essaie de m’entraîner parce que la dame de la méditation va revenir. J’ai demandé si ça allait être noté et la prof a dit que non, sauf si on se remettait à faire n’importe quoi comme avant le conseil de classe.

Donc d’abord on devait respirer. Ça c’est bon, je l’ai fait.

Et puis ne penser à rien.

Là c’est bon.

Je ne pense à rien.

Ben si, tu penses à quelque chose.

Tu viens de dire « je ne pense à rien ».

C’est une pensée, ça.

C’est pas rien.

Bon…

Et si j’enlève la négation. Si je dis : je pense à rien… Ha ! ha !

Je pense à une chose et cette chose c’est : rien.

Là, ça marche !

Le problème c’est que je pense toujours à quelque chose, même si c’est rien.

Mais bon, penser à rien, c’est pas grand-chose.

C’est peut-être mieux que rien.

Enfin non, justement, c’est peut-être mieux de penser à rien que de penser à quelque chose comme… la piscine, par exemple. J’avais vraiment la honte au début avec ce nouveau maillot...

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