L’action de déroule de nos jours, en temps réel.
Le rideau s’ouvre, plateau vide. On entend Marie-Catherine :
Marie-Catherine (off) - Jean-Loup ? Tu es là ? (Elle entre par le couloir avec des sacs de grandes marques. Elle ouvre la porte de la chambre et appelle.) Chéri ! Je suis hyper-chargée ! Tu viens m’aider ? Chéri ?
Elle pose les sacs sur le lit et entre dans la salle de bains. Alexandre Enzo sort du bureau avec un tissu et un mètre autour du cou.
Alexandre - Madame Lebreton ? C’est vous ?
Marie-Catherine, off, appelle de la salle de bains :
Marie-Catherine (off) - C’est toi, Jean-Loup ?
Alexandre - C’est Alexandre ! Vous êtes là, madame Lebreton ?
Alexandre entre dans le bar pendant que Marie-Catherine sort de la salle de bains et entre dans la chambre.
Marie-Catherine - Jean-Loup ? Tu as une voix bizarre…
Alexandre sort du bar et entre dans le salon.
Alexandre - Madame Lebreton, je vous entends mais je ne vous vois pas !
Marie-Catherine - Je suis dans la chambre ! Mais… qui me parle ?
Alexandre - Alexandre Enzo ! Je suis dans le salon !
Marie-Catherine entre dans le salon et découvre Alexandre.
Marie-Catherine - Oh, Alexandre ! C’est vous ?
Alexandre - Ben oui, c’est moi.
Marie-Catherine - Je croyais que c’était mon mari.
Alexandre - Comment je dois le prendre ?
Marie-Catherine - Mais… vous êtes encore là, à dix-neuf heures quarante-cinq ?
Alexandre (vexé) - Ça a l’air de vous faire plaisir.
Marie-Catherine (en faisant trop) - Très ! Mais Jean-Loup et moi dînons dehors ce soir et je suis un peu en retard.
Alexandre - Et moi, vous trouvez que je suis en avance ? Ça fait deux mois que j’aurais dû finir votre appartement.
Marie-Catherine (regardant le salon) - C’est magnifique…
Alexandre (la coupant) - Et votre mari ? Qu’est-ce qu’il en pense ?
Marie-Catherine - Vous savez, Jean-Loup est débordé.
Alexandre - Et moi ? Je fais quoi ? Je joue au flipper ?
Marie-Catherine - Mais…
Alexandre (la coupant encore) - Je ne sais pas ce qu’il a… Depuis quelques jours, j’ai la vague sensation que je l’agace !
Marie-Catherine prend son portable et compose un numéro.
Marie-Catherine - Alors là, c’est faux ! (Au téléphone.) Chéri, tu es encore au bureau ? (À Alexandre en bouchant le combiné avec sa main.) Jean-Loup vous adore. (Au téléphone.) Tu montes ?… Tu n’oublies pas que nous dînons dehors…
Alexandre (chuchotant) - Demandez-lui pour les rideaux.
Marie-Catherine (au téléphone) - Ah… Heu… Alexandre te propose des rideaux…
Alexandre - … gorge de pigeon.
Marie-Catherine (à Alexandre) - Gorge de pigeon ?… (Au téléphone, répétant.) Gorge de pigeon…
Alexandre - Et des coussins peau de vache.
Marie-Catherine (au téléphone, répétant) - Peau de vache… (On entend hurler dans le combiné ; elle raccroche.) Il est très emballé… (Elle appelle.) Elena !
Alexandre - Madame Lebreton, votre appartement commence à me gonfler.
Marie-Catherine - Alexandre ! Je sais que vous n’êtes pas toujours sur la même longueur d’onde avec Jean-Loup mais…
Alexandre (la coupant) - Effectivement ! Votre mari est aussi ringard que les livres pour morveux qu’il publie.
Marie-Catherine - Je vous trouve dur.
Elena entre, accent de l’Est.
Elena - Oui, Madame Lebreton ?
Marie-Catherine - Elena, mon mari et moi dînons dehors ce soir, vous avez terminé ?
Elena - Presque. Et Madame va être contente. J’ai rien cassé.
Marie-Catherine - Bravo, Elena.
Elena - À part gros vase petit salon.
Marie-Catherine - Parfait. Je vais me préparer…
Marie-Catherine entre dans la chambre.
Elena - Je casse toujours vase quand j’ai envie gros câlin. (Alexandre la prend dans ses bras et l’embrasse fougueusement.) On peut squatter appartement ce soir si tu veux.
Alexandre - Génial !
Sonnerie de la porte d’entrée (très particulière et interminable). Marie-Catherine entre dans le salon.
Elena - Je vais ouvrir, Madame. (Elle sort.)
Marie-Catherine - Finalement, je me demande si on ne devrait pas repenser la mélodie de la sonnette.
Alexandre - Vous voulez rajouter un couplet ?
Cyrielle Courtois entre.
Cyrielle - Marie-Cath, c’est la cata !
Marie-Catherine - Qu’est-ce qu’il y a, Cyrielle ?
Cyrielle - C’est la ca-ta, Cath !
Alexandre - Bonsoir, madame Courtois.
Cyrielle - Bonsoir, Alexandre.
Alexandre - Alors ? Qu’est-ce que vous en dites ?
Cyrielle - De… ?
Alexandre - Sincèrement, qu’est-ce que vous pensez de la mélodie de la sonnette ?
Cyrielle - La mélodie de… ?
Alexandre - La sonnette !
Cyrielle (complètement ailleurs) - J’ai pas entendu.
Alexandre - Jamais je n’ai été humilié de la sorte.
Alexandre sort, digne.
Marie-Catherine - Il a son caractère mais je lui pardonne tout ! Il a un talent…
Cyrielle - Arnaud et Jean-Loup sont encore au bureau ?
Marie-Catherine - Oui, mais Jean-Loup va monter d’une minute à l’autre, on a un dîner mortel avec des éditeurs…
Cyrielle - À tous les coups Arnaud va monter avec lui. Et s’il vient maintenant, c’est la cata !
Marie-Catherine - Qu’est-ce qu’il se passe ?
Cyrielle - Avant tout, crois-moi sur parole : tu ne seras pas impliquée le moins du monde.
Marie-Catherine - Impliquée ? Dans quoi ?
Cyrielle - Et surtout garde ton calme, Marie-Catherine, tu n’as aucune raison de paniquer.
Marie-Catherine - Mais enfin je ne…
Cyrielle (la coupant) - Voilà, c’est tout simple… Nous souhaitons t’emprunter ton appartement.
Marie-Catherine - Quand ?
Cyrielle - Ce soir.
Marie-Catherine - Qui ?
Cyrielle - Nous…
Marie-Catherine - Arnaud et toi ?
Cyrielle - Non, Serge et moi.
Marie-Catherine - Ah ! Serge et toi ! (Brusquement.) Serge ?
Cyrielle (coquine) - Ben oui, Serge.
Marie-Catherine - Et Arnaud ?
Cyrielle - Arnaud ? Il passe sa vie à me tromper. Et à me mentir. Mal… Tellement mal… C’est toujours la même histoire : « Désolé, chérie, tu sais ce que c’est, encore un dîner barbant… »
Alexandre sort précipitamment du bureau.
Alexandre - Que personne ne bouge ! Quelqu’un est assis sur mes ciseaux crantés. (Marie-Catherine et Cyrielle sursautent.) Fausse alerte. Je les ai !
Marie-Catherine - Excusez-moi, Alexandre, pouvez-vous nous laisser ?
Alexandre - Ah ?
Cyrielle - Oui, Marie-Catherine doit me donner la recette de son gratin de macaronis.
Alexandre (sceptique) - Bien sûr. Appelez-moi quand ça devient chaud. (Il retourne au bureau.)
Marie-Catherine - Il a un talent…
Cyrielle - Ma chérie, figure-toi que nous étions partis pour passer cette nuit – la toute première – chez Serge.
Cyrielle sort une lettre de trois pages de son sac.
Marie-Catherine - Très bonne idée !
Cyrielle - Laisse-moi finir, s’il te plaît. Voilà… Serge… Serge a une mère.
Marie-Catherine - Vraiment ? Le pauvre.
Cyrielle - Il avait prévu de s’en débarrasser…
Marie-Catherine - Et alors ?
Cyrielle - Le plan a échoué. Le pauvre Serge est au bord du gouffre. Darling, il faut absolument que tu nous sortes de là. Tiens, lis. (Elle tend la page 1 à Marie-Catherine.)
Marie-Catherine (lisant le début) - « Ma déesse… »
Cyrielle (modeste) - C’est moi.
Marie-Catherine (lisant) - « Je suis au bord du gouffre. »
Cyrielle - Tu vois ! Je te l’avais dis !
Marie-Catherine (lisant) - « Mère est au lit avec 39,8. » Ah oui, quand même ! Il doit y avoir une épidémie de grippe en ce moment…
Cyrielle - Continue, je t’en supplie !
Marie-Catherine - « Je ne pourrai jamais oublier le jour où vous succombâtes à mes avances lorsque nous buvions un chocolat chaud sur la terrasse du “Café Beaubourg”. Cela fut pour moi, ô combien, une sur… » (Cyrielle lui tend la deuxième page.) « … prise dans tous les sens… Alors, je vous en conjure, tentez d’organiser un rendez-vous… Car malgré tout le respect que j’ai pour votre mari, je brûle de vous prendre à nouveau… » (Cyrielle lui tend la troisième page. Marie-Catherine laisse tomber sans s’en rendre compte la deuxième page sur le canapé.) « … dans mes bras. Serge. »
Cyrielle - Nous serons là de vingt heures trente à vingt-trois heures trente.
Marie-Catherine (faible) - Écoute, il faut que je me prépare.
Marie-Catherine va dans la chambre, suivie de Cyrielle.
Cyrielle - Alors, c’est oui ?
Elle suit Marie-Catherine dans la salle de bains pendant que Jean-Loup et Arnaud entrent.
Jean-Loup - Non !
Arnaud - Écoute, Jean-Loup…
Jean-Loup - Le chapitre est clos. (Découvrant la déco du salon.) Je ne peux plus sacquer ce décorateur !
Arnaud - Mais j’ai déjà tout prévu…
Jean-Loup - Eh ben, t’as eu tort. Je ne sais pas si tu t’en rends compte mais ta vie privée empiète totalement sur ta vie professionnelle.
Arnaud - Tu n’as pas l’impression d’exagérer un peu ?
Jean-Loup - À ce train-là, on va mettre la clé sous la porte. La société n’a pas publié de best-seller depuis des années.
Arnaud - Effectivement. Qui a laissé filer les Pokémons ?
Jean-Loup - C’est petit, Arnaud.
Arnaud - Mais je te demande juste un peu de coopération.
Jean-Loup - Tu me fatigues.
Arnaud - Tout ce que tu as à faire c’est aller dîner. C’est moi qui me tuerai à la tâche. Comme d’habitude…
Jean-Loup - La façon dont tu trompes ta femme est consternante…
Arnaud - Mais pas du tout. Tu sais que c’est dans son intérêt que je fais ça.
Jean-Loup - Ben voyons.
Arnaud - Mais absolument ! C’est excellent pour ma forme et mon moral… Du coup Cyrielle est la première à en profiter.
Jean-Loup - Tu veux dire qu’elle est au courant ?
Arnaud - Non, évidemment. En revanche, elle est totalement admirative de mon dévouement à la société. (Jean-Loup le regarde.) Eh oui… Je passe tellement de soirées avec des auteurs…
Jean-Loup - Et qui est-ce ce soir ?
Arnaud (regardant dans un petit calepin) - Ce soir… Un vieil instituteur de Jouy-en-Josas, qui a écrit un conte passionnant ayant pour héros un crapaud dépressif.
Jean-Loup - Et je suppose que l’instituteur est blonde aux yeux bleus.
Arnaud - Aucune idée.
Jean-Loup - Comment ça ?
Arnaud - Jamais vue ! Mais je lui ai parlé ce matin au téléphone. Lydie Boulet est stagiaire au 118 218.
Jean-Loup - Tu veux dire que t’as dragué cette fille au téléphone ?
Arnaud - Dragué ? Non, je lui ai donné rendez-vous ici à vingt heures trente !
Alexandre entre du bureau.
Alexandre - Madame Lebreton, pourriez-vous… (Brusquement, voyant Jean-Loup.) Ah, Dieu soit loué, vous êtes de retour !
Jean-Loup - Oh non, pitié.
Alexandre - Vous êtes toujours aussi aimable, c’est un bonheur ! Monsieur Lebreton, j’ai expliqué à votre épouse que les coussins peau de vache…
Jean-Loup (le coupant) - Oui, oui, c’est très bien…
Alexandre - Mais c’est votre bureau enfin, impliquez-vous un minimum.
Jean-Loup - Je vous l’ai déjà dit, mais vous n’en faites qu’à votre tête. Je voulais que notre nouvel appartement soit dans les mêmes tons que l’ancien : havane et acajou. On voit le résultat !
Alexandre (méprisant) - Havane et acajou. Et pourquoi pas maronnasse ?
Jean-Loup - Écoutez, si ma femme a absolument tenu à engager un décorateur, je…
Alexandre (le coupant) - Architecte d’intérieur.
Jean-Loup - Quelle différence ?
Arnaud - La facture !
Alexandre (sans expression, à Arnaud) - C’est hilarant. Monsieur Lebreton, je ne quitterai pas cette pièce tant que vous ne m’aurez pas accordé trois minutes dans votre bureau.
Arnaud - Écoute, Jean-Loup… Allons-y, c’est plus simple.
Il pousse Jean-Loup vers le bureau.
Alexandre - Merci monsieur Courtois, vous êtes très…
Arnaud (lassé) - … courtois…
Alexandre (le reprenant) - Aimable ! Et vous avez des yeux magnifiques.
Arnaud - Pardon ?
Alexandre - Après vous.
Ils entrent dans le bureau. Cyrielle et Marie-Catherine sortent de la salle de bains et se dirigent vers le salon.
Marie-Catherine - Que ce soit bien clair : c’est la première et la dernière fois.
Cyrielle - Je ne te...