Au Grand Large

Édition :

Sept personnages, tous très différents les uns des autres, se retrouvent dans le salon d’un paquebot en partance, sous le regard désabusé de Scrubby, le barman. Il y a Mme Cliveden-Banks, une vieille coquette vaniteuse, Lingley, un homme d’affaire implacable, Tom Prior, un jeune viveur alcoolique, Mme Midget, une femme du peuple assez fruste et William Duke, un jeune clergyman, sans parler de Henry et d’Anne, un mystérieux couple d’amoureux. Personne ne sait ce qui les a réunis, ni quelle est leur destination. Chacun d’entre eux finit par admettre qu’il est mort et qu’il est sur le point d’être jugé par un examinateur céleste.
Ce conte fantastique a été créé à Londres en 1923 sur la scène du Everyman Theatre et à Paris en 1926, dans la traduction de Paul Vérola, à la Comédie des Champs Elysées par la Compagnie Louis Jouvet, ce dernier jouant le rôle de Tom Prior et Michel Simon celui de l’examinateur céleste. La pièce est à la fois très bien construite, mais aussi déroutante, car elle mélange l’angoisse et l’humour, le drame et la comédie et se donne même le luxe d’un happy-end.

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Sutton Vane

Au Grand Large

(Outward Bound)

Adaptation française de
Paul Vérola

Editions du Brigadier
14, rue du Quai - 59800 Lille

Personnages

Henry

Jeune homme très élégant, amant d’Anne

Anne

Scrubby

Pseudo-barman

Tom Prior

Jeune viveur désabusé et ivrogne

Mme Cliveden-Banks

Vieille coquette méchante et vaniteuse

William Duke

Jeune clergyman

Lingley

Homme d’affaire implacable et prétentieux

Mme Midget

Femme du peuple frustre et très bonne

Thomson

Clergyman, examinateur dans l’au-delà

Acte premier

Le rideau se lève sur une pièce qui suggère, plutôt qu’elle ne représente, le fumoir d’un petit paquebot transocéanique, À droite, un bar avec l’assortiment habituel de verres et de bouteilles sur le comptoir et sur les étagères du fond. À l’extrême droite, une petite table à écrire ; l’ameublement se compose des traditionnelles petites tables rondes et des fauteuils tournants que l’on trouve dans les fumoirs de la plupart des paquebots. Tout contre le bar, deux hautes chaises. Autour de la pièce, à l’arrière, épousant le mur, un divan capitonné d’étoffe rouge. Le tapis est d’un ton chaud neutre. Il y a trois portes : une derrière le bar, une autre s’ouvrant sur la gauche et la troisième au centre, donnant accès sur le pont. La porte centrale est grande ouverte et laisse voir le promenoir. La couleur ciel, à l’horizon, fixe l’attention immédiatement. C’est une étrange couleur, vague, pour ainsi dire inconnue. Il y a, sur le mur du fond, quatre sabords garnis de petits rideaux qui sont en ce moment baissés, Trois larges lampes pendent du plafond ; quelques petites appliques sur les murs. Le soleil brille et c’est une claire fin de matinée.

Derrière le bar se tient Scrubby, affairé par le polissage des verres, préparation au départ. Il porte l’uniforme ordinaire des stewards de paquebot. Ses manières sont toujours calmes et reposantes ; sa voix est douce et aimable. C’est un homme d’âge moyen, typiquement anglais. On voit Anne traverser le pont et entrer dans la pièce par la porte centrale. Elle a un chapeau et un manteau qui recouvre un costume collant, simple mais très élégant, de teinte verte. Elle est jeune, mais l’on remarque immédiatement qu’elle est terriblement nerveuse. Elle s’arrête et regarde autour d’elle d’un air effrayé. À ce moment, Scrubby heurte un verre. Elle se retourne et l’aperçoit.

Anne. — Oh ! Je vous demande pardon... Bonjour !

Scrubby. — Bonjour, madame !

Anne. — Je suis désolée de vous déranger, mais j’ai peur de m’être égarée.

Scrubby. — Où désirez-vous aller, madame ?

Anne. — À ma cabine, évidemment !

Scrubby. — À votre cabine ?

Anne. — Oui ! Là où l’on dort. J’ai peur de vous paraître un peu stupide, mais c’est mon premier voyage en mer.

Scrubby. — Ce sera un grand honneur pour notre vieux navire. Les couchettes sont en bas, là, droit devant vous.

Il désigne la gauche.

Anne. — Merci ! (Elle va à la porte ouverte du centre et parle à quelqu’un au dehors.) Henry !... Viens, mon chéri ! J’avais raison : c’est par ici !

Henry entre, venant du pont. Il porte un costume de promenade bien coupé et un chapeau mou foncé. C’est un jeune homme vif, d’une trentaine d’années, beau, d’une sensibilité contenue, sérieux et sincère. Ses manières sont plutôt mystiques ; il a l’air hagard d’un homme qui vient d’éprouver un choc violent.

Henry. — Excuse-moi ! Je regardais la mer. Que disais-tu ?

Anne. — C’est par ici, mon chéri !

Henry. — Ah ! Bien ! Nous trouverons sans doute nos bagages dans la cabine. Mais comment as-tu pu ?...

Anne. — C’est monsieur qui m’a indiqué...

Elle désigne Scrubby.

Henry. — Oh !... Bonjour !

Scrubby. — Bonjour, monsieur !

Anne descend vers la gauche.

Henry. — Un peu déconcertants, ces bateaux, n’est-ce pas ?

Scrubby. — Oui, monsieur, au début.

Anne. — Viens, mon chéri !

Henry. — Je me sens horriblement fatigué.

Anne. — Cela t’étonne, après tout ce qui nous est arrivé ?

Henry. — Non, évidemment ! Mais, tu comprends... je ne parviens pas encore à me ressaisir. Enfin, nous n’en aurons pas moins un radieux voyage, n’est-ce pas ?

Anne. — Oui, mon chéri !

Henry. — Quant au reste... le calme et... et...

Anne. — Ne te tourmente pas ainsi, mon chéri !

Henry. — Et l’oubli de tout...

Anne. — Je t’en prie, mon chéri, ne te tourmente pas !

Henry. — Non, il ne faut pas se tourmenter. (À Scrubby :) Merci de m’avoir indiqué... d’avoir indiqué à ma femme le chemin.

Anne. — Donne-moi la main.

Henry. — Pourquoi ?

Anne. — Donne-moi la main, mon chéri !

Henry. — Tu me traites comme un enfant. Je vais tout à fait bien, je t’assure !

Anne. — Donne-moi la main ! (Il va à elle et lui prend la main.) Là !

Henry. — Merci !

Anne. — Viens !

Ils sortent ensemble par la gauche ; un moment après, Tom Prior entre par la porte du centre. Prior est un petit jeune homme frêle, très sensitif.

Tom. — Oh !... Heu !... Bonjour, steward !

Scrubby. — Bonjour, monsieur !

Tom. — C’est bien ici le fumoir, je suppose ?

Scrubby. — Oui, monsieur !

Tom. — Voyons... Alors... Dans combien de temps partons-nous ?

Scrubby. — Dans un quart d’heure, monsieur, ou plus tôt, ou plus tard.

Tom. — Alors, voyons, pourrais-je... avoir quelque chose à boire ?

Scrubby. — Certainement, monsieur.

Tom. — Bravo ! (Il passe à droite et s’assied.) J’en ai besoin.

Scrubby. — Que vous servirai-je, monsieur ?

Tom. — Un scotch whisky.

Scrubby. — Avec du soda, monsieur ?

Tom. — Non, merci.

Scrubby. — Scotch sec !

Tom. — Il y a une chose certaine, barman, c’est que vous me verrez souvent, pendant cette traversée. Autant vous prévenir tout de suite.

Scrubby. — Ce sera un honneur pour moi, monsieur.

Tom. — Merci ! Combien vous dois-je ?

Scrubby. — Oh ! Pas besoin de payer, monsieur.

Tom. — Comment ?

Scrubby. — Vous n’avez qu’à signer ici.

Il lui tend un registre.

Tom. — Ah ! Oui ! C’est vrai ! J’avais oublié ce truc... Prenez-vous quelque chose ?

Scrubby. — Non, merci, monsieur.

Tom, buvant. — Ah ! Ça va mieux ! Ce qui est certain, steward, c’est que j’ai eu une nuit plutôt dure, la nuit dernière.

Scrubby. — Vraiment, monsieur ?

Tom. — Oui... Oui... et je cherche à m’y reconnaître. Sapristi... il faut que j’aie été joliment malade dans la nuit, car je ne puis me souvenir de rien. Mais peu importe... (Il boit encore.) Splendide matinée, en tout cas.

Scrubby. — Splendide, en effet, monsieur ! Quel dommage qu’il y ait des vivants pour la gâter !

Tom. — Que dites-vous ?

Scrubby. — Je me parlais à moi-même, monsieur.

Tom. — Dites-moi, barman !... Combien de passagers à bord ?

Scrubby. — Pas beaucoup, monsieur. C’est la morte-saison.

Tom. — La dernière fois que j’ai été sur mer... Voyons... il doit bien y avoir plus de dix ans de cela... j’allais faire de la culture de thé et... et... j’avais environ dix-neuf ans et... Mon Dieu, comme le temps file !... Donnez-moi des cigarettes.

Scrubby. — Oui, monsieur. Egyptiennes, turques, Virginiennes ?

Tom. — Bout doré ! Quel genre d’homme, le vieux capitaine ?

Scrubby. — Très respectable, ai-je entendu dire. Très respecté, je le sais.

Tom. — Ah ?... je n’aime pas ce genre... pas sur ces petits bateaux. À mon dernier voyage, autrefois...

Scrubby. — Voici vos cigarettes, monsieur.

Tom. — Merci ! Et donnez-moi encore un verre... Du même.

Mme Cliveden-Banks entre par la porte du centre et va droit à Tom. C’est une vieille mégère décatie de cinquante ans, probablement belle jadis. Elégamment vêtue d’un costume de voyage. Elle charrie brassée de magazines.

Mme Cliveden-Banks. — Ah ! ah ! Il me semblait bien reconnaître cette voix.

Tom. — Qu’y a-t-il ? (Il se lève et se retourne.) Oh ! Est-ce possible ? Grands dieux ! Madame Cliveden-Banks... Comment allez-vous ? En voilà une surprise !

Poignée de main.

Mme Cliveden-Banks. — J’ai vu votre nom sur la liste des passagers ; j’ai aussitôt demandé où était le bar... Et vous voilà...

Elle s’assied à gauche de la table.

Tom. — Enchanté ! Venez vous asseoir. Que faites-vous ici ?

Il s’assied à la table.

Mme Cliveden-Banks. — Je vais rejoindre mon cher mari. Et je crains que nous n’ayons un voyage bien maussade. Il n’y a personne à bord — je veux dire personne qui soit quelqu’un. Evidemment, ces pauvres créatures n’y peuvent rien. Vous me comprenez !... Ce que j’en dis n’a rien de désobligeant, mais il n’en est pas moins vrai que c’est ainsi.

Tom. — Bah !... En y mettant chacun du nôtre, madame Banks...

Mme Cliveden-Banks. — Oui, bien entendu ! Sur mer, pas d’étiquette !... À propos, mon nom est Cliveden-Banks. Vous le savez, évidemment, mais il y a si longtemps que nous ne nous sommes rencontrés... On s’est occupé dernièrement, à la cour des divorces, d’une certaine Mme Banks tout court — si stupide de sa part ! — et une femme si commune, à en juger par les photographies des journaux... Tout à fait étrangère à moi, évidemment ! Malgré tout, je tiens plus que jamais à mon double nom. Non pas que je sois de celles que l’on risque jamais de voir comparaître devant une cour de divorces...

Tom, la détaillant narquoisement. — Oh ! non ! Pas du tout.

Mme Cliveden-Banks. — Néanmoins, vous voyez ce que je veux dire.

Scrubby pose une consommation sur la table.

Tom. — Bien sûr !... Merci !... Madame Cliveden-Banks, voulez-vous prendre quelque chose ?

Mme Cliveden-Banks. — Volontiers ! Qu’êtes-vous en train de boire ? Une citronnade ?

Tom. — Non... Euh... Whisky.

Mme Cliveden-Banks. — À pareille heure ?

Tom. — À toute heure, matin, après-midi, soir !

Mme Cliveden-Banks. — Toujours aussi mauvais sujet !... Je prendrai une citronnade. (Scrubby s’occupe de sa commande.) Quand je dis qu’il n’y a personne à bord, cher monsieur Prior, entre vous et moi, il s’y trouve quelqu’un dont la présence est intolérable. Un pasteur !

Tom. — Pauvre diable ! Il est plus à plaindre qu’à blâmer.

Mme Cliveden-Banks. Vous ne savez donc pas ? En mer, les pasteurs, ça porte la guigne. Nous irons probablement tous au fond de l’eau et c’est lui qui en sera la cause. À mon avis, les compagnies ne devraient pas admettre les pasteurs sur leurs bateaux. Les pasteurs doivent rester chez eux, dans leur propre paroisse, et faire du bien au lieu de vagabonder à travers le monde pour mettre la vie des autres en danger...

Scrubby. — Voici, madame !

Il pose la boisson sur la table.

Mme Cliveden-Banks. — Merci ! (Elle boit.) N’est-ce pas vrai ?

Scrubby. — N’est-ce pas vrai, quoi, madame ?

Mme Cliveden-Banks. — Oh ! Voyons ! Vous avez pourtant bien écouté ce que je disais.

Scrubby. — Je vous assure que non, madame.

Mme Cliveden-Banks. — Vraiment curieux ! (D’un geste, Tom demande un autre whisky.) Je faisais remarquer que les gens de mer considèrent la présence d’un pasteur à bord comme un mauvais présage.

Scrubby. — Je crois, en effet, qu’il existe une superstition de ce genre, madame. Oui !

Il retourne derrière le bar.

Mme Cliveden-Banks. — Vous le voyez ? C’est bien ce que je disais ! Enfin !... Ce que nous avons de mieux à faire, c’est de tenir cet individu à l’écart... Poliment, bien sûr, mais avec fermeté.

Tom. — Comme vous voudrez !... Et cela nous empêchera de couler ?

Mme Cliveden-Banks. — Ne plaisantez donc pas !

Tom. — Voyons, parlez-moi de...

Le Révérend William Duke entre par la gauche, va à la table à écrire et cherche du papier et une enveloppe. Ce faisant, il adresse la parole à Tom. Duke est un jeune clergyman sincère et sérieux.

Duke. — Bonjour, monsieur !

Tom, à voix haute, à Mme Cliveden-Banks. — Comment va le colonel ?

Mme Cliveden-Banks. — Ce cher Benjamin ! J’ai le regret de vous dire que la chaleur l’éprouve terriblement. Je devais le rejoindre l’année dernière, mais, pour une raison ou pour une autre, je n’en ai jamais eu le temps... Les obligations mondaines !... Ma grande amie, Mabel, la duchesse de Middleford, vous ne pouvez évidemment pas la connaître, me disait justement, l’autre jour, au palais...

Duke, assis à la table à écrire avec du papier à lettre, etc., s’adressant à Tom. — Bonjour.

Tom, après un peu d’hésitation. — Bonjour !

Mme Cliveden-Banks. — Qui est cet homme ?

Tom. — En vérité, madame Cliveden-Banks, je l’ignore... je...

Mme Cliveden-Banks. — C’est inouï, les singuliers individus que l’on est exposé à rencontrer dans les lieux publics. Laissons cela ! Voyons, de quoi parlions-nous ?

Tom. — De votre grande amie, la duchesse que je ne puis évidemment pas connaître.

Mme Cliveden-Banks. — Ah ! Oui ! C’est vrai ! (Le Révérend William Duke est assis à gauche et écrit.) C’est à ce moment que cet étrange personnage, que ni vous ni moi ne connaissons, m’a interrompue pour vous dire bonjour. Mabel m’a démontré très clairement que je me compromettais en négligeant mon devoir. Elle m’a dit franchement, presque brutalement, car elle peut être parfois très brutale : « Ma chère Geneviève, m’a-t-elle dit, vous ne devez pas oublier que vous êtes fille et femme d’officiers supérieurs. Votre place est aux côtés de votre mari, là-bas, au fin fond de l’Inde. » Et elle a mis une telle insistance à me faire quitter l’Angleterre que, si je ne la connaissais pas aussi bien que je la connais, j’aurais pu croire qu’elle voulait se débarrasser de moi. J’ai donc suivi son conseil ; j’ai abandonné les joies de Londres et me voilà en route pour aider ce pauvre cher Benjamin à gouverner un tas de sauvages ! Franchement, je ne puis me faire à cette idée.

Duke, toujours assis à sa table, se retourne. — Je suis désolé de vous déranger, madame, mais pourriez-vous me dire à quelle date nous sommes ?

Mme Cliveden-Banks, à Tom. — Que veut-il dire ?

Duke. — Je désirerais savoir, c’est bien naturel, la date de notre départ. Ma mémoire est tellement...

Mme Cliveden-Banks. — Vous dites bien la date ?

Duke. — Oui, s’il vous plaît.

Mme Cliveden-Banks. — La date ?

Duke. — Si vous le voulez bien.

Mme Cliveden-Banks. — Vous cherchez tout bonnement à engager la conversation avec moi, n’est-ce pas ?

Duke, riant. — Soit ! Je l’avoue. Mais puisque nous devons être compagnons de voyage, plus tôt nous nous connaîtrons, mieux cela vaudra. Ne trouvez-vous pas ?

Mme Cliveden-Banks. — C’est là une question d’appréciation, jeune homme !

Duke. — Ah ?... Je suis tout à fait au regret ; je ne pensais pas que des présentations fussent nécessaires à bord d’un bateau.

Mme Cliveden-Banks. — Il se peut qu’elles n’aient pas été nécessaires au temps des pirates ; je l’ignore, n’y ayant pas vécu. Mais les usages changent, même sur mer, jeune homme ! Il n’y a que l’Eglise qui ne change pas ! Dans ces conditions, vous voudrez bien me dispenser de vous indiquer la date.

Duke. — Je vous demande pardon. Je tâcherai de la trouver tout seul.

Mme Cliveden-Banks, à Tom. — Était-ce assez cassant, cher monsieur Prior ?...

Tom. — Oui ! Plutôt !... Mais, au fond, que signifie tout cela ?

Mme Cliveden-Banks. — Je n’en sais rien.

Mme Midget accourt du pont. Une pauvre femme de ménage, en petit bonnet noir, vêtement et châle noirs, ce qu’elle a de mieux. Très humble, simple et visiblement déplacée dans cet étrange entourage, mais douce et maternelle.

Mme Midget. — Faites excuse, madame, mais...

Mme Cliveden-Banks, se retournant et l’apercevant. — Ah ! non ! Il ne manquait plus que ça !

Mme Midget. — Faites excuse, mais faut que j’dise quelque chose à quelqu’un, et comme vous êtes la seule dame que j’aie vue à part moi-même, faut que j’vous demande de m’donner un...

Mme Cliveden-Banks. — Monsieur Prior, va-t-on continuer à m’assaillir ainsi de tous les côtés à la fois !

Mme Midget, sursautant à ce nom. — Monsieur Prior ?

Tom. — Eh bien, quoi ? Ça ne vous va pas ?

Mme Midget. — Oh ! si, m’sieur ! Très heureuse de vous rencontrer. Voyez-vous, madame, j’ai dû vous suivre parce que, voyez-vous, madame, je viens d’avoir les sangs retournés.

Mme Cliveden-Banks. — Vous avez eu quoi ?

Mme Midget. — Ben, les sangs retournés !

Mme Cliveden-Banks. — Monsieur Prior, venez à mon secours. Faites quelque chose pour cette bonne femme, vous aussi !... Il paraît qu’elle a eu les sangs retournés, si toutefois vous savez ce que cela veut dire.

Tom. — Voyons, ma bonne femme, qu’y a-t-il ?

Mme Midget. — Voici la chose, monsieur. Le dernier samedi, Mme Roberts et moi parlions au sujet des draps qu’étaient humides, et moi, j’y dis...

Mme Cliveden-Banks. — Ah !... Les draps humides... Cette bonne femme est évidemment au service des cabines.

Tom. — Est-ce vrai ?

Mme Midget. — Je suis quoi ?

Tom. — Au service des cabines de ce bateau.

Mme Midget. — Mais non ! Je suis une passagère.

Mme Cliveden-Banks. — Ah ! je vois ce que c’est ! Je comprends. Tout m’est apparu comme dans un éclair... Ne vous tourmentez pas davantage, monsieur Prior. C’est une passagère qui s’est égarée ! N’est-ce pas, ma brave femme ?

Mme Midget. — C’est bien ça, madame !

Mme Cliveden-Banks. — Monsieur Prior, demandez à ce barman de dire à quelqu’un de reconduire immédiatement cette brave femme à sa place. Elle s’est égarée. Elle s’est trompée de porte ; elle s’est trompée de classe. Adieu, ma brave femme ! Adieu ! Je suis heureuse d’avoir pu me tirer d’embarras.

Mme Midget. — Merci, madame.

Tom, allant à elle. — Eh ! garçon ! Trouvez donc quelqu’un pour mener cette femme à l’entrepont... Euh... au pont des troisièmes classes... ou quelque chose dans ce genre. Voulez-vous ?

Scrubby, se tournant vers Tom. — La troisième classe, monsieur ?

Tom. — S’il vous plaît.

Scrubby. — Je pense que vous faites erreur, monsieur. Il n’y a qu’une seule classe sur ce bateau.

Le Révérend William Duke achève sa lettre et sort par la gauche.

Mme Cliveden-Banks, défaillante. — Qu’a-t-il dit ?

Tom, à Scrubby. — Une seule classe ?

Scrubby. — Oui, monsieur. Une seule classe sur toute cette ligne.

Mme Cliveden-Banks. — Qu’a-t-il dit ?

Tom, à Scrubby. — Désolé ! Je n’en savais rien. (Se tournant vers Mme Cliveden-Banks.) Madame Cliveden-Banks...

Mme Cliveden-Banks. — Monsieur Prior, ai-je ou n’ai-je pas entendu ce garçon dire qu’il n’y avait qu’une seule classe sur ce bateau ?

Tom. — Il l’a dit, en effet.

Mme Cliveden-Banks. — Monsieur Prior, c’est une chose impossible.

Tom. — Il doit pourtant le savoir.

Mme Cliveden-Banks. — Comment a-t-elle osé ?... Comment ma secrétaire a-t-elle osé me réserver une cabine sur un paquebot où il n’y a qu’une seule classe ?... Dans ces conditions, comment distinguer les gens du monde de ceux qui ne le sont pas ?

Tom. — Allons, allons, ne vous surexcitez pas !

Mme Cliveden-Banks. — Me surexciter ! Monsieur Prior, une idée épouvantable vient de me frapper. Cette femme-là...

Tom. — Bon ! Qu’a-t-elle fait encore ?

Mme...

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