Comédie en 4 actes
de Pascal PUAUD
Boulot, boulot
ou
Bora-Bora ??
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DECORS
L’action se déroule de nos jours, début mars dans le salon chic de la famille Laglue.
Au milieu du salon, un canapé avec 2 fauteuils et une table basse.
A gauche, (en regardant la scène) au premier plan, une porte ouvrant sur un couloir.
En arrière plan, un escalier montant vers les chambres.
Au fond, en renfoncement, la porte d’entrée, côté droit et l'entrée de la salle à manger côté gauche.
A droite, en 1er plan, la porte de la cuisine.
En second plan, à droite, un bar.
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LES PERSONNAGES:
( par ordre d'entrée en scène )
Alphonse LAGLUE, 62 ans, retraité, ancien commercial en produits adhésifs, étourdi, effacé devant
sa femme. Ami de Henri.
Cléopâtre, fille de Amarante et Alphonse. Un peu naïve.
Amarante LAGLUE, la soixantaine, femme de Alphonse, chirurgienne, très autoritaire et très active.
Henri GIRET, ami de Alphonse. Professeur de philo., mais aussi magouilleur.
Alexandra GIRET, femme de Henri, commerciale internationale, hautaine.
Lucie, la soeur de Amarante, au passé sulfureux. Elle a été la compagne de Henri, puis de Alphonse au
temps où elle s'appelait Charlotte.
Margarita, l'amie de Lucie. Elle a un fort accent espagnol.
César, fils de Amarante et Alphonse.
Sandra LAGAF, fille de Alexandra et Henri. Inspectrice de police.
SYNOPSIS
Alphonse, ancien commercial tout juste retraité, au rythme de vie très tranquille et son épouse
Amarante, chirurgienne très active, mènent une vie tout en opposition. Leurs enfants sont partis faire
leurs vies, mais des événements imprévus vont les faire revenir à la maison au grand dam de
Amarante. Sans parler de l'arrivée d'amis et de membres de la famille indésirables. Tout ce petit
monde va devoir cohabiter avec des intérêts et motifs personnels bien différents.
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ACTE 1
Scène 1
Un jeudi
Nous sommes dans le salon de Amarante et Alphonse.
Le rideau s’ouvre, Alphonse, habillé en Michel Polnareff avec une perruque aux cheveux longs,
lunettes et vêtements, arrive au milieu de la scène en fredonnant la chanson «Holidays» de Michel
Polnareff puis s'allonge sur le canapé, prend une revue et une chope de bière. Lumière tamisée.
Alphonse, puis Cléopâtre et Amarante.
ALPHONSE. - Bonjour, (Il montre le salon où il se trouve.) pas mal, n'est-ce pas? C'est chez moi....
enfin, je devrais dire chez mon épouse. Elle est chirurgienne.... dans une clinique privée, alors
forcément, à la fin du mois, ça tombe, ça tombe, ça tombe....... sur son compte en banque. Ah oui,
parce qu'elle ne me donne rien, pas une miette. Et moi avec ma petite rente de commercial.....Eh oui,
je suis à la retraite depuis quelques jours. Pour m'en sortir, je dois me débrouiller pour améliorer mon
train de vie. Actuellement, j’élève et je commercialise des pigeons d'ornement. J'ai commencé ma vie
professionnelle comme boucher. Puis, je me suis lancé dans la vente de colles et produits adhésifs. Ah
oui, je ne vous ai pas dit mon nom: Laglue. Alors, forcément..... Je suis parfois victime de
plaisanteries sur mon patronyme. Avec un métier et un nom pareil, j'ai longtemps été surnommé «
Superglue». Mais parlons plutôt de mon épouse, Amarante, une femme très rapide …. à la clinique
comme au volant. On l'appelle Loeb, comme le pilote automobile, Sébastien Loeb. A la maison, c'est
plutôt la fée du logis. Elle aime que ce soit nickel partout. Alors, elle me met la pression (Il montre sa
chope.) non, pas la bière, la pression.... pour que je nettoie partout. Elle me dit tous les jours: «Le
ménage, tu t'y colles Laglue. Allez, boulot, boulot.» Pas marrante, Amarante (Un temps.) Nous avons
aussi deux enfants: César qui est actuellement en train de faire le tour du monde et Cléopâtre qui
habite près d'ici. ( son portable, laissé sur un meuble à l'opposé de l'endroit où il est assis, sonne:
sonnerie, cri de Tarzan.) Oui, j'arrive, j'arrive (Il va chercher son portable d'un pas très lent.) Allô,
oui, Alphonse Laglue, commercial en colle et produits adhésifs, bonjour..... Ah, c'est toi, Cléopâtre.....
Comment, tu es à la porte? Eh bien, entre....... Ah, ok, j'arrive. (Il va ouvrir et revient avec Cléopâtre.)
CLEOPATRE. - Mais enfin papa, tu n'es plus commercial en colle, machin, truc et bidule, tu es à la
retraite maintenant, d'accord?
ALPHONSE. - Oui, je sais, mais j'ai encore ce réflexe dès que je répond au téléphone.
CLEOPATRE. - Et puis quand vas-tu réparer la serrure de la porte d'entrée et mettre la sonnette plus
bas, je n'arrive pas à la joindre?
ALPHONSE. - Dès que j'aurai un moment. En attendant, j'ai laissé la porte entre-ouverte, ce sera plus
simple. Aujourd'hui, vois-tu, je termine ce que je n'ai pas pu finir hier.
CLEOPATRE. - Et que faisais-tu hier?
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ALPHONSE. - Je me reposais.
CLEOPATRE, hochant la tête. - J'aimerais aussi que tu prennes une tenue d'époque, si cela ne te
dérange pas.
ALPHONSE. - Mais, c'est une tenue d'époque.
CLEOPATRE. - Je voulais dire: de NOTRE EPOQUE.
Alphonse sort se changer et revient très vite en pantalon jaune et chemisette tahitienne
CLEOPATRE, seule. - Pauvre papa, toujours cette manie de vouloir se déguiser. ( marchant. ) Il se
sent un autre homme, dit-il. Il voudrait imiter Michel Polnareff à tout moment. Un jour, maman va
finir par lui brûler ses vêtements. ( regardant un tableau accroché au mur.) Oh là, c'est quoi ce truc
horrible? ( au public.) Mon pauvre papa, en plus, il se prend pour un artiste. ( retour d'Alphonse.)
Dis-moi, c'est toi qui a peint ce..... ce.... cette mer....
ALPHONSE. - Cette mer.....?
CLEOPATRE. - Cette mer.... heu, cette merveille.
ALPHONSE. - Eh bien, oui, cette merveille comme tu l'as si joliment décrite, c'est moi qui l'ai peinte.
Je l'ai estimé à 10.000€.
CLEOPATRE. - 10.000€? …. 10.000€..... Tu es sûr que tu n'as pas mis 2 ou 3 zéros de trop?
ALPHONSE. -… Regardes ce tableau sous cette angle. Tu vas le voir différemment.
CLEOPATRE, se met près de son père, regarde le tableau, puis son père. - Oui..... oui....
( dubitative.) Non.... non. J'ai même envie d'enlever encore un zéro, vois-tu.
ALPHONSE, se rapprochant du tableau. - On n'a pas le même regard.
CLEOPATRE. - C'est sûr..... Il faudrait peut-être que tu consultes.
ALPHONSE. - Que je consultes?
CLEOPATRE. - Oui, un ophtalmo.
ALPHONSE. - Mais non, j'ai un autre regard que toi, c'est tout. Et puis, il faut y croire dans la
peinture, comme dans la vie.
CLEOPATRE. - Si tu le dis. Enfin bref, dis-moi, maman n'est pas là?
ALPHONSE. - Comment, maman n'est pas là? ( riant puis mettant la main à l'oreille pour écouter.)
Écoutes ce calme, Cléopâtre.
CLEOPATRE, écoutant. - On se croirait dans un monastère.
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ALPHONSE. - Tu fais dans l'humour maintenant? Non, c'est calme. C'est très calme..... parce que ta
mère est au travail, vois-tu?
CLEOPATRE. - Je vois, je vois.
ALPHONSE. - C'est calme, alors que lorsqu'elle est ici, voilà ce que ça donne:
Noir très court, puis la lumière revient très intense.
Scène imaginaire où l'on voit successivement Amarante traverser le salon d'un pas rapide,
d'abord avec une pile de linge en téléphonant.
AMARANTE. - Bonjour Adélaïde, alors? L'opération de ton premier patient s'est bien passée?
Puis Amarante revient en époussetant les meubles, toujours au téléphone.
AMARANTE. - Comment? Six heures! Mais moi, c'est une opération que je réalise en trois heures
maximum.
Amarante traverse et sort côté opposé, revient en passant l'aspirateur, puis avec un panier de
légumes et sort côté cuisine tout en téléphonant. Puis on entend le bruit d'un robot de cuisine.
Amarante revient, toujours au téléphone.
AMARANTE. - Oui, la dernière semaine de ce mois, je suis en repos.....( réfléchissant.) Le jeudi?
Mais oui, je peux te remplacer......et le vendredi aussi, si tu veux. Mais non, ça ne me dérange pas. En
plus, je n'ai pas beaucoup d'heures supplémentaires ce mois-ci...... combien?..... je ne sais plus,
cinquante ….. ou cent peut-être.
Noir très court où Amarante disparaît dans les chambres.
ALPHONSE. - Tu vois comment est ta mère. C'est plutôt....
AMARANTE, en off, très fort. - Ah, non, non. Alphonse, tu as vu comment tu as fais le ménage sous
le lit, c'est vraiment du grand n'importe quoi. Il y a encore pleins de moutons.
ALPHONSE. - Je n'ai pas enlevé les moutons parce que j''avais peur d'y trouver aussi le berger.
( riant)
AMARANTE, en off. - Abrutiiiiiii.
Noir très court, puis la lumière revient
ALPHONSE. - Tu vois l'ambiance et surtout la différence.
CLEOPATRE. - Que veux-tu mon pauvre papa, maman est comme ça. Les piles sont toujours neuves.
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ALPHONSE, désolé. - Moi, ça m'épuise. Ce n'est pas du repos.
CLEOPATRE. - Oui, mais elle, c'est le contraire, c'est le repos qui l'épuise. Il faut qu'elle soit toujours
en mouvement pour se sentir utile. Enfin, bref, passons à autre chose. Je voulais te demander si ton
contrôle fiscal s'était bien passé.
ALPHONSE, surpris. - Mon...... Ah, oui, oui, oui, oui. C'était....... juste une vérification sans
importance. Le contrôleur est resté très peu de temps. Il n'a rien relevé de litigieux .... Normal, tu me
connais, toujours réglo.
CLEOPATRE. - Très bien, ça me rassure. ( au public.) Il a tellement magouillé dans sa vie.
ALPHONSE. - Tu sais les contrôles fiscaux, je connais, j'ai eu mon premier alors que je n'avais pas
25 ans, alors....
CLEOPATRE. - Tiens, à propos de ta jeunesse, il y a quelque chose que je voudrais te demander.
Avant de connaître maman, j'ai entendu parler d'une relation que tu as eu avec une autre femme. Tu
ne m'en as jamais rien dit?
ALPHONSE. - Mais, qui t'as parlé de ça?
CLEOPATRE. - Quelqu'un, quelqu'un.
ALPHONSE, réfléchissant. - C'est sûrement mon copain Henri. ( en aparté.) Mais de quoi il se mêle
celui-là?
CLEOPATRE. - Peu importe, alors?
ALPHONSE. - Alors, alors...... c'est une histoire sans importance.
CLEOPATRE. - Et ça a duré combien de temps?
ALPHONSE. - Trois ans.
CLEOPATRE. - Trois ans... et tu appelles ça une histoire sans importance?
ALPHONSE. - Elle s'appelait Charlotte.
CLEOPATRE. - Et elle ne s'appelle plus Charlotte?
ALPHONSE. - Si, si, elle doit encore s’appeler Charlotte, mais tu sais, je ne l'ai plus revu, alors......
CLEOPATRE. - C'est un bon souvenir?
ALPHONSE. - Pas du tout, plutôt un cauchemar..... oh, oui, un horrible cauchemar.
CLEOPATRE. - Et ça s'est terminé comment?
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ALPHONSE. - Eh bien.... eh bien, sans me donner de raison, un jour, elle m'a mis à la porte. Je me
suis retrouvé à la rue, sans argent. Heureusement, Henri m'a recueilli chez lui.
CLEOPATRE, regardant sa montre. - Quand j'aurai plus de temps, j'aimerais quand même que tu
m'en parles plus en détails, tu veux bien?
ALPHONSE. - Oui, oui, si tu y tiens, mais tu sais, c'est une période de ma vie que j'ai un peu oublié,
alors.....
CLEOPATRE. - Dans ce cas, si c'est douloureux, je comprends que tu ne sois pas très enthousiaste
d'en parler. Bon, il faut que je te laisse. L'heure de mon rendez-vous approche. A plus tard. ( elle sort,
accompagnée de son père.)
Noir très court, puis la lumière revient
Alphonse, Amarante puis Henri.
ALPHONSE, revenant,seul. - Mais pourquoi Cléopâtre me parle de Charlotte..... et de mon contrôle
fiscal ? (Réfléchissant.) D'ailleurs, mon contrôle fiscal n'est pas passé en fait? (Il regarde son agenda
sur son portable.) Oh, non, c'est pas vrai, c'est aujourd'hui, je l'avais complètement oublié. Qu'est-ce
que j'ai fait pour mériter un contrôle fiscal, alors que je suis à la retraite? Juste quelques petites
entorses au règlement de rien du tout lorsque j'étais en activité. Pas de quoi, fouetter un chat? …... Ni
un Laglue d'ailleurs. Moi qui rêvais de passer ma première fin de semaine avec mon épouse, en
amoureux. Enfin, en amoureux, le terme est un peu fort, disons, tous les deux, tranquillement. Pour
une fois, qu'elle est en repos. C'est simple, depuis que je suis à la retraite, elle a travaillé tous les
week-end. «Boulot, boulot » qu'elle dit. Et moi qui pensais partir en voyage cette année..... Ce n'est
pas gagné. Il faudrait peut-être qu'Amarante pense un peu moins au travail.... et plus aux vacances et
aux voyages.... Ah, les voyages: Tahiti, Bornéo, les...