Casimir Et Caroline

Édition :

Casimir et Caroline sont deux jeunes gens amoureux l’un de l’autre, qui se rendent à une fête foraine pour passer un bon moment ensemble. Mais nous sommes en 1930 à Munich, la crise économique frappe l’Allemagne de plein fouet et Casimir, jusqu’à présent épargné, se retrouve brusquement sans emploi. Il est donc de mauvaise humeur alors que Caroline souhaite s’amuser. Ils se disputent, se séparent et parcourent ensuite la fête séparément. Casimir et Caroline rencontrent chacun divers personnages et diverses tentations, ce qui les amène à s’interroger sur leurs valeurs profondes et ce qu’ils attendent de la vie. Ces questions sont toujours d’actualité.

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Ödön von Horváth

Casimir et
Caroline

(Kasimir und Karoline)

Nouvelle traduction française de
Henri Christophe

Editions du Brigadier
14, rue du Quai - 59800 Lille

Personnages

Casimir

Caroline

Tapp

Pick

Le Bonimenteur

Le Lilliputien

Juppmacker

Franzel Mark

Erna, sa petite amie

Elli

Maria

L’Homme à la Tête de Bouledogue

Juanita

La Grosse

La Serveuse

L’Infirmier

Le Médecin

Phénomènes et Badauds de la Foire

Et jamais l’amour ne passera

À la fête de la bière, en octobre, à Munich, de nos jours.

Scène 1

Le noir se fait dans la salle, l’orchestre joue l’hymne de la bière : Tant que ce brav’ saint Pierre. Puis le rideau se lève.

Scène 2

La scène : juste derrière le village des négresses à plateau. À gauche, un marchand de glaces, de nougats et de ballons. À droite, un appareil classique pour mesurer la force, tu tapes avec un maillet de bois sur un coin, un autre coin monte le long d’une hampe ; si le coin touche le sommet de la hampe, ça fait un grand boum et tu reçois une médaille, pour chaque boum, une médaille.

C’est l’après-midi, tard déjà : à l’instant, le Graf Zeppelin survole à très basse altitude l’aire de la foire ; au loin, clameurs, fanfares en règle et roulements de tambour.

Scène 3

Tapp. Bravo Zeppelin ! Bravo Eckener ! Bravo !

Un Bonimenteur. Hourra !

Pick. Majestueux ! Hourra !

Un temps.

Un Lilliputien. Quand on y pense, l’homme, à tout ce que nous sommes arrivés déjà…

Il agite son mouchoir. Un temps.

Caroline. II ne va pas tarder à disparaître, le Zeppelin…

Le Lilliputien. À l’horizon.

Caroline. Je ne le vois presque plus…

Le Lilliputien. Je le vois encore très distinctement, moi.

Caroline. Je ne vois plus rien maintenant. (Elle aperçoit Casimir. Avec un sourire.) Tu vois, Casimir, dans pas longtemps, nous volerons tous.

Casimir. Allez, lâche-moi un peu.

II se dirige vers l’appareil à droite et tape sur le coin devant un public muet mais intéressé ; ça ne fait boum qu’au troisième coup : alors Casimir paie et reçoit sa médaille.

Caroline. Félicitations.

Casimir. Pourquoi ?

Caroline. Pour ta médaille, là.

Casimir. Merci.

Un silence.

Caroline. Maintenant, il vole vers Oberammergau, le Zeppelin, et puis après, il reviendra et il décrira plusieurs boucles au-dessus de nos têtes.

Casimir. Je m’en fous ! Pendant que vingt capitaines d’industrie s’envoient en l’air, des millions de gens crèvent de faim ici-bas. Ton Zeppelin, je l’emmerde, c’est de l’esbroufe, je connais, suffit de raisonner… le Zeppelin, tu comprends, c’est un aéronef, et quand nous autres on voit voler cet aéronef, on a l’impression que nous aussi, on est du voyage… Alors que nous, c’est les semelles trouées et le coin de la table pour s’écraser la gueule dessus !

Caroline. À te voir si triste, je deviens triste aussi.

Casimir. Je ne suis pas quelqu’un de triste.

Caroline. Si. Tu es un pessimiste.

Casimir. Ça oui. Quand on est intelligent, on est forcément pessimiste. (Il l’abandonne à nouveau pour taper sur le coin. Cette fois-ci, ça fait trois fois boum, il paie et reçoit trois médailles. S’approchant à nouveau de Caroline.) Tu peux rire, toi, t’as pas à t’en faire. Je te l’avais dit : je n’irai pas à ta foire, pour rien au monde ! Hier, j’ai été renvoyé ; demain, je pointe au chômage, mais aujourd’hui on s’amuse, on rit aux éclats.

Caroline. Je n’ai pas ri.

Casimir. Mais si, tu as ri. Tu as bien raison… Tu as toujours ta paie, toi, et tu vis chez tes parents qui ont droit à la retraite. Je n’ai plus de parents, moi, je suis seul dans le monde, tout ce qu’il y a de plus seul.

Un silence.

Caroline. Nous pesons peut-être trop lourd l’un sur l’autre…

Casimir. Qu’est-ce que tu veux dire ?

Caroline. Parce que tu es un pessimiste, et moi aussi, tu vois, j’aurais plutôt tendance à la mélancolie… Tout à l’heure, par exemple, quand le Zeppelin…

Casimir. Mais ferme ta gueule, toujours avec ton Zeppelin !

Caroline. Arrête de me crier après tout le temps, je n’ai pas mérité ça !

Casimir. Va te faire voir !

II sort.

Scène 4

Caroline le suit du regard ; puis elle se dirige lentement vers le marchand de glaces, achète un cornet et, pensive, lèche sa glace. Juppmacker, lui, en est à lécher sa deuxième glace.

Caroline. Qu’est-ce que vous avez à me regarder avec cet air idiot ?

Juppmacker. Pardon ! Je pensais à tout à fait autre chose.

Caroline. C’est ça.

Un silence.

Juppmacker. Je pensais au Zeppelin.

Un silence.

Caroline. Le Zeppelin s’est envolé vers Oberammergau.

Juppmacker. Vous avez déjà fait le pèlerinage d’Oberammergau, mademoiselle, voir la Passion du Christ ?

Caroline. Trois fois déjà.

Juppmacker. Chapeau !

Un silence.

Caroline. Mais les gens là-bas, c’est pas des saints non plus. L’homme est mauvais partout.

Juppmacker. II ne faut pas dire cela, mademoiselle ! L’homme n’est ni bon ni mauvais. Seulement, le système actuel le contraint à être plus égoïste que nature, pour subsister. Vous me comprenez ?

Caroline. Non.

Juppmacker. Vous allez me comprendre. Supposons : vous êtes amoureuse d’un homme. Supposons ensuite : cet homme devient chômeur. Alors ١’amour flanche, automatiquement.

Caroline. Ça, je ne crois pas.

Juppmacker. C’est sûr et certain !

Caroline. Non ! Si son homme a des ennuis, une femme de qualité lui sera d’autant plus attachée, c’est du moins ce que j’imagine.

Juppmacker. Pas moi.

Un silence.

Caroline. Vous savez lire dans la main ?

Juppmacker. Non.

Caroline. Peut-on savoir le métier de monsieur ?

Juppmacker. Devinez.

Caroline. Mécanicien de précision.

Juppmacker. Non. Tailleur.

Caroline. Ça alors, je n’aurais pas cru.

Juppmacker. Et pourquoi non ?

Caroline. Parce que je n’aime pas les tailleurs. Les tailleurs ont tous la grosse tête.

Un silence.

Juppmacker. Moi, c’est une exception. Un jour, j’ai réfléchi au problème de la fatalité.

Caroline. Vous aussi, vous aimez la glace ?

Juppmacker. C’est ma seule passion.

Caroline. La seule ?

Juppmacker. Oui.

Caroline. Tant pis !

Juppmacker. Pourquoi ?

Caroline. Il vous manque quelque chose, je veux dire.

Scène 5

Casimir réapparaît et fait signe à Caroline de le rejoindre. Caroline s’exécute.

Casimir. Qui c’est, là-bas, le type avec qui tu parles ?

Caroline. Un ami à moi.

Casimir. Depuis quand ?

Caroline. Oh, depuis longtemps. Nous venons exceptionnellement de nous rencontrer. Tu ne me crois pas ?

Casimir. Pourquoi je ne te croirais pas ?

Un silence.

Caroline. Qu’est-ce que tu me veux ?

Un silence.

Casimir. Qu’est-ce que tu voulais dire tout à l’heure quand tu as dit qu’on pèse trop lourd l’un sur l’autre ? (Caroline garde un silence malicieux.) Est-ce qu’éventuellement on ne serait pas faits l’un pour l’autre ?

Caroline. Éventuellement.

Casimir. Alors est-ce qu’éventuellement cela voudrait dire qu’éventuellement on devrait se séparer, et que tu as ce genre d’idées en tête ?

Caroline. Ce n’est pas le moment de me poser des questions !

Casimir. Et pourquoi non, si tu permets ?

Caroline. Parce qu’en ce moment je suis énervée. Et que, dans cet état, je ne te dirais rien de sensé !

Un silence.

Casimir. Bon. Bon. C’est donc bien ça. Exactement ça. Il n’y a pas d’exception. Ridicule !

Caroline. Qu’est-ce que tu racontes ?

Casimir. C’est ça, exactement ça !

Caroline, le dévisageant.  Quoi ?

Un silence.

Casimir. Tu ne trouves pas ça étrange peut-être que, le jour où on m’a renvoyé, tu t’aperçoives qu’éventuellement on ne serait pas faits l’un pour l’autre…

Caroline. Je ne te comprends pas, Casimir.

Casimir. Réfléchis. Réfléchis, mademoiselle !

Un silence.

Caroline, brusquement.  Quel ingrat tu fais ! Est-ce que je n’ai pas toujours été de ton côté ! Tu ne te rappelles pas peut-être toutes les embrouilles que j’ai eues avec mes parents parce que je ne me suis pas fiancée avec un fonctionnaire, que je n’ai pas voulu renoncer à toi, et que j’ai toujours pris ton parti ?

Casimir. Ne t’excite pas, mademoiselle. Pense plutôt à ce que tu m’as fait.

Caroline. Et qu’est-ce que tu me fais, toi ?

Casimir. Je constate une vérité. Voilà. Et maintenant je te plante là.

II sort.

Scène 6

Caroline le suit du regard ; puis elle se tourne vers Juppmacker. Déjà, le soir tombe.

Juppmacker. Qui était ce monsieur ?

Caroline. Mon fiancé.

Juppmacker. Vous êtes fiancée ?

Caroline. II m’a fait beaucoup de peine, à l’instant. Hier, on l’a renvoyé, et voilà qu’il prétend que, parce qu’on l’a renvoyé, je veux le quitter.

Juppmacker. Toujours la même chanson.

Caroline. Parlons d’autre chose !

Un silence.

Juppmacker. Tenez, là-bas, il nous observe.

Caroline. J’aimerais bien aller sur le grand ٨, maintenant.

Juppmacker. Ça coûte cher.

Caroline. Mais puisque je suis là, et que je me l’étais promis ! Allez, faites un tour avec moi !

Juppmacker. Un seul alors.

Caroline. À vous de voir !

Noir.

Scène 7

L’orchestre joue L’Idylle des vers luisants.

Scène 8

Autre lieu : à côté du grand 8, là où finit l’aire de la foire. L’endroit est un peu à l’écart et faiblement éclairé. La nuit est tombée, au loin scintillent les lumières de la fête. Caroline et Juppmacker entrent, écoutant fuser les rames du grand 8 et les gens hurler de plaisir.

Scène 9

Caroline. Ça, c’est le vrai grand ٨. Il y en a un autre, mais il finit beaucoup trop vite. La caisse est par là. Zut, ça a craqué.

Juppmacker. Qu’est-ce qui a...

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