C’est Ma Vie A Moi, Non ?

Édition :

L’action se déroule dans un hôpital. Claire Harrison, sculptrice de profession, est devenue tétraplégique à la suite d’un accident de voiture. En toute conscience, elle est déterminée à mettre fin à ses jours, mais ne peut évidemment le faire elle-même. Or, l’hôpital refuse de l’entendre, arguant qu’il s’agit d’une dépression post-traumatique qui s’estompera avec le temps. Claire n’a donc d’autre choix que de faire appel à la justice pour faire valoir son droit à mourir…
La problématique du suicide assisté est un sujet grave, voire insoutenable, mais grâce au talent de Brian Clark, la pièce baigne dans un climat d’humour, de tendresse et d’humanité. Elle ne fait pas tant appel à la compassion (même si certaines scènes sont très émouvantes), qu’à l’intelligence et à la compréhension. C’est finalement à chacun qu’il reviendra de décider, en son for intérieur, quel serait son choix le cas échéant.

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Brian Clark

C’est Ma Vie

À Moi, Non ?

(Whose Life Is It Anyway?)

Version française de
Éric Kahane et Jean-Joël Huber

Editions du Brigadier
14, rue du Quai - 59800 Lille

Personnages

Claire Harrison, 35 ans, la patiente

Mme Anderson, 50 ans, infirmière-chef

Kay Sadler, 18 ans, infirmière stagiaire

John, 20 ans, garçon de salle originaire des Caraïbes

Docteur David Scott, 29 ans, interne de l’hôpital

Professeur Emerson, 41 ans, chirurgien-chef de l’hôpital

Mme Boyle, 35 ans, assistante sociale

Maitre Helen Hill, 38 ans, conseillère juridique, avocate de Claire Harrison

Dame Jane Millhouse, juge

Décor

Un hôpital. La scène se divise en quatre zones. En avant-scène, une aire de jeu « neutre ». La scène comprend trois aires de jeu séparées par des couloirs. Au centre, la chambre de Claire Harrison (lit basculant, table de chevet, sièges...). D’un côté, le bureau du professeur Emerson (bureau avec téléphone, sièges...). De l’autre côté, le bureau des infirmières (bureau avec un fauteuil, classeurs, téléphone, table de soins, placard à pharmacie, sièges...). Ces différentes zones sont délimitées et précisées par les lumières. La pièce se passe à Londres, au début des années 80.

Note de l’éditeur : La pièce de Brian Clark Whose Life Is It Anyway? date de 1978. Elle a été traduite et adaptée en français par Éric Kahane en 1980 sous le titre Une Drôle de Vie. Brian Clark a ensuite modifié sa pièce, notamment en faisant du personnage principal une femme au lieu d’un homme. D’autres personnages ont également subi ce changement. Eric Kahane avait également choisi dans son adaptation de situer la pièce en France, ce qui a des répercussions importantes sur l’intrigue, notamment les débats juridiques de la dernière partie. Dans cette nouvelle version, nous nous appuyons sur le texte d’Éric Kahane, tout en intégrant les changements de personnages voulus par Brian Clark et en resituant la pièce dans le contexte culturel et juridique du Royaume-Uni des années 80.

Acte I

L’infirmière-chef, Mme Anderson, et la jeune infirmière stagiaire Kay Sadler, entrent dans la chambre de Claire Harrison, la patiente, en poussant un chariot de service. Claire est tétraplégique, complètement immobile dans son lit.

Mme Anderson. — Bonjour, Mme Harrison. Regardez, je vous amène une petite nouvelle. On peut dire que vous êtes gâtée !

Claire. — Ça oui, on peut le dire. Elle est adorable !

Kay. — Bonjour, madame.

Claire. — Bonjour bonjour. Je suis navrée, je ne peux pas vous tendre la main. Il faudra vous contenter de mon derrière, comme vos collègues. (Elles abaissent la tête du lit.) On descend... Premier sous-sol, gynécologie, fauteuils roulants, lingerie fine, jambes de bois... (Elles la retournent sur le côté, lui frottent le dos avec une solution alcoolisée, puis la talquent. Elle sourit.) C’est drôle, vous savez ! J’ai toujours rêvé de me trouver dans une situation comme celle-ci.

Mme Anderson. — Dans un lit d’hôpital ?

Claire. — Non, dans un lit tout court, en train de me faire masser par deux éphèbes, incroyablement forts, mais aussi délicats au possible.

Mme Anderson. — Voulez-vous bien vous taire ! Sinon, j’interdirai à mes petites stagiaires d’entrer ici.

On entend au loin une sonnerie de téléphone.

Mme Anderson, à Kay. Vous pouvez vous débrouiller seule un moment ?

Kay. — Bien sûr, Mme Anderson.

Mme Anderson. — Installez Mme Harrison. Et calez bien les oreillers derrière sa tête. Voulez-vous que je vous mette les jambes en l’air ?

Claire. — Oh oui, Mme Anderson, faisons une partie de jambes en l’air !

Mme Anderson, souriant. — Vous êtes impossible.

Elle sort.

Claire. — Comment vous appelez-vous ?

Kay. — Kay. Mais mes amis m’appellent Puce.

Claire. — C’est très joli, mais attention que l’infirmière-chef ne vous entende pas, elle vous tirerait les oreilles.

Kay. — Pourquoi donc ?

Claire. — Quel est votre nom de famille ?

Kay. — Sadler.

Claire. — Alors, quand un patient vous demande votre nom, il faut répondre « Mlle Sadler » avec un grand sourire chaleureux mais... surtout pas personnel.

Kay. — Je suis désolée, je...

Claire. — Pas moi. Kay... j’aime beaucoup votre surnom. Je vous appellerai Puce lorsque nous serons seules, juste vous et moi... pendant que vous me caressez le bas du dos.

Kay. — Je suis en train de vous frictionner les talons.

Claire. — Chut, ne me gâchez pas mon plaisir. Pour ce que ça change ! De toute façon, je ne sens strictement rien... C’est votre premier hôpital ?

Kay. — Oui. Je suis à la fin de mon stage.

Claire. — Et ensuite ?

Kay. — J’ai mon examen la semaine prochaine.

Claire. — Et vous brûlez d’être infirmière ici à plein temps !

Kay. — Je brûle surtout d’en finir avec cette sacrée école. Trois ans, c’est long.

Claire. — Ah, les étudiants ! Ils n’arrêtent pas de rouspéter. Tous les mêmes !

Kay. — Vous étiez professeur ?

Claire. — Tss-tss. Deuxième leçon : ne jamais parler au passé.

Kay. — Comment ça ?

Claire. — Vous m’avez demandé si j’étais professeur. Il fallait me demander si je suis professeur. Vous comprenez, Kay ? Vous êtes entrée dans l’industrie de l’optimisme. Vous devez donc jouer le jeu et faire semblant de croire que, pour la première fois dans les annales de la chirurgie, une moëlle épinière écrabouillée va se recoller toute seule — il suffit juste de ne pas trop s’impatienter.

Kay. — Je vous demande pardon... vous ne m’en voulez pas trop ?

Claire. — Au contraire, Puce, vous êtes comme une bouffée d’air frais.

Kay. — Que voulez-vous dire ?

Un temps.

Claire. — Je suis entourée de ce qu’on appelle le professionnalisme. Tout le monde utilise avec moi un langage policé fait de mots savants et d’euphémismes. Ne vous méprenez pas, je ne pense pas qu’ils fassent cela par méchanceté, cruauté ou que sais-je encore. Mais je ne peux pas me permettre de penser qu’ils se soucient de moi, en tant que personne. Car ils ne peuvent pas. Nous sommes trop nombreux et ils ont, eux aussi, leur vie à mener. Je dois donc me construire une carapace...

Kay. — Une quoi ? ...

Claire. — Une carapace, bien dure. Parce que je ne peux pas les toucher, pas de manière profonde, je ne peux pas non plus les laisser me toucher. Mais vous, vous êtes encore innocente — pour le moment. Et j’ai apprécié cela. Une bouffée d’air frais.

Kay. — Mais vous n’avez pas de famille, de petit ami ?

Claire. — Si, je les ai tous renvoyés.

Kay. — Mais c’est terrible.

Claire. — Non. J’ai des choses à faire et je dois les faire seule. Je dois essayer de ne pas les blesser .... et ...

Mme Anderson revient.

Mme Anderson. — Vous avez l’air de bien vous entendre. (À Kay :) Vous avez fini ?

Kay. — Oui, j’ai fini.

Claire. — Toutes mes félicitations, cheftaine, votre nouvelle recrue fait honneur au bataillon des infirmières.

Mme Anderson. — Bravo, vous avez encore fait une conquête.

Claire. — Oh, n’exagérons rien. J’ai essayé de lui expliquer le métier d’infirmière du point de vue du patient, mais j’ai eu beau faire, elle est toujours enchantée de travailler ici.

Mme Anderson. — Si elle n’a pas changé d’avis après avoir passé cinq minutes seule avec vous, elle mérite ses galons d’infirmière.

Claire. — Je ne sais pas comment prendre ça, Mme Anderson. Vous m’avez cloué le bec.

Elles retournent Claire sur le dos et remettent le lit en position.

Mme Anderson. — La garde de nuit m’a dit que vous avez dormi comme un loir.

Claire. — Ha ha, je l’ai bien eue ! Après sa dernière ronde, j’ai fait le mur avec un copain, et on a passé toute la nuit à faire du skateboard au clair de lune.

Mme Anderson. — Ah bon ?... Vous vous êtes bien amusés, j’espère ?

Claire. — Mon copain oui, moi pas tellement... parce que c’était moi qui servais de skate.

Mme Anderson, donnant une dernière pichenette aux draps. Voilà. Vous êtes bien ?

Claire. — Un rêve. Je suis vraiment dans de beaux draps. Je ne les sens même pas.

Mme Anderson. — À tout à l’heure, Mme Harrison.

Kay, avec un sourire radieux. Au revoir. (Claire lui rend son sourire. Elles sortent avec le chariot.) Mme Anderson... Elle est ici depuis longtemps, Mme Harrison ?

Mme Anderson. — Ça doit faire six mois.

Kay. — Est-ce qu’elle va jamais guérir ?

Mme Anderson. — Non, ma petite. Non.

Kay. — Qu’est-ce qui va se passer ?

Mme Anderson. — Eh bien, dès que son état sera stabilisé, on la transfèrera dans un établissement spécialisé... un hôpital de long séjour.

Kay. — Jusqu’à la fin de sa vie ?

Mme Anderson. — Oui.

John, le garçon de salle originaire des Caraïbes, apparaît au bout du couloir, portant un plateau chargé d’affaires de toilette. Il est vêtu d’une blouse blanche ouverte, par-dessus son T-shirt et son jean.

John. — ‘jour, Mme Anderson, ça va ce matin ?

Mme Anderson. — Bonjour, John. Vous allez chez Mme Harrison ?

John. — Oui.

Mme Anderson. — Elle vous attend.

John. — J’y vais.

Il se dirige vers dans la chambre de Claire.

Mme Anderson. — Emmenez le chariot dans la grande salle, je vous rejoins tout de suite, il faut s’occuper de M. Phillips

Elle passe dans son bureau pendant que Kay sort avec le chariot. John entre dans la chambre de Claire.

John. — ‘jour, Mme Harrison, ça va ce matin ?

Claire. — Bonjour, John. (John commence à épousseter la chambre, à vider une corbeille tout en esquissant des mouvements de danse.) Eh bien dites-moi, vous savez bouger votre corps.

John. — Dites-le à Mme Anderson, voulez-vous ? Chaque fois que je m’assieds, c’est le moment qu’elle choisit pour entrer dans la pièce et me voir à ne rien faire.

Claire, enjouée. Je trouve que vous bougez admirablement bien.

John. — C’est parce que je suis Noir.

Claire. — C’est parce que vous êtes quoi ?

John, claquant des doigts, ironique. Noir. Nous savons chanter, nous savons danser, nous avons le rythme dans la peau...

Claire. — Hé ! Je ne me moquais pas de vous. J’étais sculptrice, vous vous rappelez, j’étudiais les mouvement.

John. — Ah bon. Les statues, ça ne bouge pas.

Claire. — D’une certaine façon, si.

John. — Je peux vous dire que si la statue de Nelson descendait de sa colonne de Trafalgar Square, ça ferait un sacré bazar.

John s’assied, juste au moment où Mme Anderson passe la tête par la porte.

Mme Anderson. — John !

John saute sur ses pieds.

John. — Présent.

Mme Anderson. — Dépêchez-vous un peu, voulez-vous ? Le docteur Scott vient plus tôt ce matin, c’est le jour de visite du grand patron.

John. — J’ai presque fini.

Mme Anderson sort.

Claire. — Jupiter descend de son Olympe.

John. — Hein ?

Claire. — Les dieux viennent faire un tour parmi les simples mortels.

John. — Oui. Dispenser leurs oracles.

Claire. — Et votre collègue... Marcia, je crois, non ? Elle ne travaille plus ici ?

John. — Non. Elle n’a pas fait long feu. Elle est partie dans le nord... Pour se marier.

Claire. — Marcia s’est mariée ? Avec qui ? Un chauffeur poids lourds ?

John. — Vous êtes bien teigneuse, aujourd’hui.

Claire. — Dites plutôt... envieuse. Au point où j’en suis, si j’arrivais à quelque chose, même avec la main gauche, ce serait Byzance... (Un temps.) Oh, excusez-moi, John, vous avez raison, je n’arrête pas de me plaindre ce matin. Et je ne peux même pas dire que je me suis levé du pied gauche... (John rit.) Et vous, vous comptez rester longtemps ici ?

John. — Oh non ! Je serai bientôt professionnel, et alors salut !

Claire. — Professionnel ? Dans quelle branche ?

John. — La musique. On a monté un petit groupe... le reggae, la musique des Caraïbes et tout ça. Je m’occupe des percussions. Ça commence à marcher. On doit passer à la télé d’ici quelque temps, et ensuite...

Claire. — C’est formidable. Je suis ravie pour vous. J’adore le reggae. Ça me fascine qu’on arrive à faire de la musique en tapant sur des vieux bouts de ferraille tout pourris... Vous pourriez tirer quelque chose de moi ?

John. — Bien sûr.

Il s’approche et, tout en pianotant du bout des doigts sur le corps de Claire, il fredonne une chanson en dansant sur place. Claire est ravie. Le Dr. Scott, un jeune médecin interne, entre et John s’interrompt brusquement.

Claire, à John. Ce n’est vraiment pas votre jour.

Dr. Scott. — Que se passe-t-il ici ?

Claire. — Il est en train de tester mes réflexes.

Dr. Scott. — Oh... Et comment vont-ils ?

John se dirige vers la porte.

Claire. — Merci, John... Dites, j’y pense, si le Dr. Scott me perçait quelques trous dans le crâne, je pourrais peut-être vous servir de clarinette !

John. — On va étudier ça.

Il lui sourit et sort.

Dr. Scott. — Vous semblez toute joyeuse, aujourd’hui, c’est bien.

Claire, ironique. C’est épatant, hein, le courage de l’esprit humain !

Dr. Scott, d’une voix neutre. Je félicite l’esprit humain. Maintenant, voyons les poumons.

Il prend son stéthoscope et ausculte la poitrine de Claire.

Claire, en rythme. Boum-badoum, boum-badoum.

Dr. Scott, souriant. Ne faites pas ça, vous allez me crever le tympan.

Claire. — Excusez-moi. (Il continue de l’ausculter.) Qu’est-ce qu’il vous raconte ?

Dr. Scott, se redressant. Qui ça ?

Claire. — Mon cœur, bien sûr. Quels secrets vous dit-il ?

Dr. Scott. — Il me dit qu’il va beaucoup mieux qu’il y a six mois.

Claire. — Brave petit cœur. Il garde bien son secret.

Dr. Scott. — Tiens, tiens, quel secret ?

Claire. — Vous l’avez entendu faire boum-badoum, boum-badoum ? Deux battements ?

Dr. Scott. — Oui, et heureusement !

Claire. — Eh bien, je vais vous expliquer pourquoi. C’est parce qu’il est brisé... cassé en deux. Mais chaque moitié continue à battre héroïquement de son côté... pour les beaux yeux d’un jeune homme en blouse blanche.

Dr. Scott, souriant. Et moi qui imaginais bêtement que c’était une histoire de systole et de diastole, comme dans tous les autres cœurs.

Claire. — Les médecins ne savent pas tout... Le grand patron vient faire sa visite ce matin ?

Dr. Scott. — Oui.

Claire. — Je suis impatiente de le voir, trônant sur son nuage avec son cortège de nymphes et d’angelots bardés de stéthoscopes.

Dr. Scott. — Ce n’est pas très chic de votre part.

Claire. — Pourquoi donc ?

Dr. Scott. — Il ne s’en fiche pas, vous savez. Loin de là.

Claire. — De quoi ?

Dr. Scott. — De ses patients.

Claire. — Je ne voulais pas dire ça.

Dr. Scott. — Très loin de là ! Quand vous êtes arrivée ici, il a travaillé jour et nuit pour vous tirer d’affaire.

Claire. — Oui, je suis injuste, excusez-moi.

Dr. Scott. — Oh, je vous comprends.

Claire. — Mais la question qui se pose maintenant, c’est... pourquoi.

Dr. Scott. — Pourquoi quoi ?

Claire. — Pourquoi s’être donné tant de...

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