acte I
(Thomas finit de mettre le couvert sur la table de jardin en sifflotant. Il s'applique. Dominique arrive avec une nappe).
DOMINIQUE
Mais qu'est-ce que tu fais, Thomas ?
Thomas
Je prépare la table. Il y a un problème ?
DOMINIQUE
Mais enfin, regarde ! Tu as mis le couvert sans mettre de nappe !
Thomas
Eh bien oui Dominique, on a dit « à la bonne franquette » ! Ce n'est qu'un barbecue.
DOMINIQUE
Ça n'empêche pas d'être bien élevé ! Mais où as-tu appris les bonnes manières ? Et qu'est-ce que je vois là ?
Thomas
Quoi ?
Dominique
Tu as mis les couteaux à gauche et les fourchettes à droite.
Thomas
Oui. C'est bien comme ça que ça se place ?
Dominique
Pas du tout, c'est le contraire ! Je te l'ai répété cent fois. Rappelle-toi ma technique pour ne pas oublier : FC, comme Football Club. F comme fourchette, C comme couteau.
Thomas
Ah ? Moi, j'avais retenu CF, comme club de foot. Je n'étais pas loin.
DOMINIQUE
Heureusement que pour le mariage de Charlène, c'est un traiteur qui va s'occuper de la table. Allez ! Enlève-moi tout ça que je mette la nappe.
(Thomas débarrasse la table).
Thomas
Tu parles d'une bonne franquette. On ne reçoit pas le président non plus !
DOMINIQUE
Non, mais on reçoit tout court, donc il y a un minimum quand même ! Et d'ailleurs, je me demande bien ce qui t'a pris d'inviter nos voisins à manger, à deux semaines du mariage de notre fille. On a autre chose à faire !
(Dominique met la nappe).
Thomas
Ils viennent d'emménager, chérie. Je me suis dit que c'était la moindre des courtoisies de les inviter. Tu sais, Dom, c'est important, les bonnes relations entre voisins.
DOMINIQUE
Oui, mais de là à leur sauter dessus devant le camion de déménagement !
Thomas
Il faut savoir être accueillant.
DOMINIQUE
Tu aurais dû m'appeler. A deux, on leur aurait fait une haie d'honneur au milieu des cartons !
Thomas
Il ne faut pas exagérer non plus.
Dominique
Et j'ai un grand tapis rouge que j'aurais pu dérouler jusqu'à leur porte d'entrée.
Thomas
Oh, c'est bon !
Dominique
Et on aurait chanté la Marseillaise.
Thomas
C'est ça, moque-toi ! Il n'empêche qu'on sera les premiers à les inviter. La voisine n'aura pas eu ce plaisir !
DOMINIQUE
Adèle ? Ça m'étonnerait qu'elle invite quelqu'un un jour, cette sorcière. Tu sais, tu peux inviter n'importe qui, je pense qu'elle s'en fiche.
(Thomas enfile un tablier représentant un corps de femme sexy).
Thomas
Ne crois pas ça. Je suis sûr que ça va bien l'emmerder qu'on sympathise avec eux avant elle !
DOMINIQUE
C'est complètement idiot comme remarque. C'est pas un concours ! D'ailleurs, à propos de ridicule, c'est quoi ce tablier ? Tu ne vas pas mettre ça quand même ?
Thomas
Je te signale que c'est dans tes affaires que je l'ai trouvé !
DOMINIQUE
Oui, c'est normal. On me l'a offert pour mon enterrement de vie de jeune fille, il y a une éternité. Comment tu as pu retrouver ça dans mes affaires ?
Thomas
Pour tout t'avouer, c'est dans le grenier que je l'ai trouvé. Ça m'a fait rire, alors je l'ai sorti. Et puis, je n'ai rien trouvé d'autre pour protéger ma chemise avec le barbecue. Prends ça comme un hommage au passé, à nos jeunes années !
(Thomas prend Dominique par la taille).
Dominique
Ah ! Nos jeunes années ! Elles sont déjà si loin.
(Elle met ses bras autour du cou de Thomas).
Thomas
Mais nous allons les retrouver avec le mariage de Charlène. Ça va nous rappeler le nôtre, ma chérie.
Dominique
Elle va mettre ma robe, ma petite fille. Je vais avoir l'impression de me voir dans un miroir de jouvence.
Thomas
Finalement, rien n'a changé. On a beau nous parler de l'évolution des mœurs, il y a des choses qui resteront toujours là.
Dominique
Oui. Quand on y pense, le mariage de Charlène sera comme notre mariage, qui était comme le mariage de nos parents. Ça a un côté rassurant.
Thomas
C'est la tradition, ma chérie. La tradition est toujours rassurante.
Dominique
(se détachant de Thomas) A propos de tradition, j'espère qu'elle n'aura pas le même tablier pour son enterrement de vie de jeune fille. Il est horrible.
Thomas
Ça t'avait pourtant bien fait rire à l'époque ! Et puis c'est pratique pour le barbecue.
DOMINIQUE
J'aurais quand même préféré que tu le mettes un jour où nous n'avons pas d'invités. Parce que pour le coup, il n'a rien de « traditionnel ».
Thomas
Ne t'inquiète pas. On a dit « à la bonne franquette ». Et puis ça va détendre l'atmosphère.
DOMINIQUE
Ou ça va créer un malaise. C'est franchement ridicule, ce tablier ! Tu le retireras pour passer à table en tout cas. Bon, je vais chercher le reste.
(Dominique repart dans la maison. Adèle entre sur scène par sa porte).
Adèle
Vous recevez du monde aujourd'hui ?
Thomas
Bonjour d'abord !
Adèle
Oui, bonjour, MONSIEUR Dubreuil. Alors, qui a l'honneur d'être invité chez vous ?
Thomas
Je ne vois pas en quoi ça vous regarde, Adèle ! Et vous le saurez bien assez tôt. Puisque vous entrez sur mon terrain comme dans un moulin. Je ne sais pas ce qui me retient de vous virer à grands coups de pied au cul !
Adèle
Oh, Thomas, ne soyez pas si agressif. Vous voulez vraiment que je vous montre à nouveau les papiers du jugement ? Je ne voudrais pas vous faire du mal.
(Dominique revient).
DOMINIQUE
Qu'est-ce qui se passe ici ?
Thomas
Cette sorcière joue les curieuses !
Adèle
(à Dominique, d'une voix mielleuse) Non, je voulais juste savoir pour qui vous dressiez une aussi jolie table.
DOMINIQUE
Nous avons invité les nouveaux voisins. Vous savez ? En face dans la rue. C'est important de savoir accueillir ses nouveaux voisins, Adèle.
Thomas
(sarcastique) Surtout pour avoir une bonne relation avec eux ensuite.
Adèle
Oui, j'ai discuté avec eux la semaine dernière, après leur emménagement. Très sympathiques.
Thomas
(fier de lui) Oui, et ils m'ont aussi trouvé très sympathique quand je leur ai proposé de venir manger chez nous ce midi.
Adèle
Moi, ils m'ont invitée à dîner samedi prochain. Ils ne vous ont pas invités ?
Dominique
Heu... non, mais ils vont certainement le faire.
Adèle
Ils ne doivent pas vous apprécier tant que ça s'ils ne vous ont pas invités.
Thomas
Bon, on a du travail ! Vous n'avez pas autre chose à faire ?
Adèle
A vrai dire, non. Je serais bien restée à vous regarder.
(regardant son tablier) D'ailleurs, vous êtes très élégant, Thomas, pour recevoir. Quel beau tablier ! La grande classe !
Thomas
Je me passe de vos commentaires. Rentrez chez vous !
Adèle
C'est bon, c'est bon. De toute façon, je serai mieux sans votre compagnie.
(Adèle retourne chez elle. Thomas et Dominique continuent de mettre le couvert).
DOMINIQUE
Tu te rends compte, Thomas ? On les invite chez nous, et en retour, c'est cette vieille folle qu'ils invitent !
Thomas
Oui, je n'en peux plus de cette bonne femme ! Vivement que tout soit arrangé avec ce foutu droit de passage !
DOMINIQUE
Au fait Thomas, qu'est-ce que tu as prévu pour le barbecue ?
Thomas
Je me suis dit qu'il fallait faire simple pour une première fois. Juste des saucisses.
DOMINIQUE
Des chipolatas ?
Thomas
Oui, des chipolatas.
DOMINIQUE
Tant mieux, tout le monde aime les chipos.
Thomas
Oui. A moins de ne pas manger de porc, tout le monde aime ça.
DOMINIQUE
Arrête ! Imagine qu'ils ne mangent pas de porc !
Thomas
Ça serait ballot.
DOMINIQUE
Si ça se trouve, ils sont musulmans. Ou pire, végans !
Thomas
Ah oui, c'est vrai que je n'ai pas pensé à ça. En même temps, s'il faut connaître à l'avance le goût des gens avant de les inviter, on ne s'en sort plus !
DOMINIQUE
Comment ils s'appellent, déjà ?
Thomas
Je crois que c'est monsieur et madame Amar, ou Omar, ou quelque chose comme ça.
DOMINIQUE
Ça fait maghrébin, ça ! Oh la la ! Si on leur parle de chipolatas, on est mal !
Thomas
Ah merde ! Et j'ai pas prévu de plan B. Il n'y a que ça comme viande.
DOMINIQUE
Il y a bien quelques tranches de jambon blanc au frigo.
Thomas
Dom ! C'est aussi du porc !
DOMINIQUE
Non, c'est du jambon blanc de poulet.
Thomas
Ouf ! Ça nous laissera une solution.
(Ça sonne).
Thomas
Ah ! Ça doit être eux, je vais aller leur ouvrir.
(Thomas part dans la maison et Dominique finit de préparer la table).
Dominique
Oh la la ! Comment on dit bonjour en musulman, déjà ?... Et j'espère qu'ils mettent la fourchette à gauche !
(Adèle ouvre sa porte).
Adèle
Qu'est-ce que c'est ?
DOMINIQUE
Qu'est-ce que vous voulez, Adèle ?
Adèle
A vous de me le...