SCENE 1
Chez Mireille.
Nous sommes en 1990.
Un pavillon pas très bien entretenu, ça sent la pauvreté.
Il y a du linge sur une table à repasser, des affaires de gamins, des jouets, des paquets de couches.
Mireille sillonne la pièce comme une folle, elle pleure, crie, répète sans arrêt la même phrase.
MIREILLE
Mon dieu, mon dieu, qu’est-ce que j’ai fait ? Je suis folle. Mon dieu, bordel, c’est pas possible.
Elle prend un téléphone, appelle sa copine Magali.
MIREILLE
Allô ? Allô, Magali, j’ai fait une connerie. Tu m’entends ? J’ai fait une connerie, viens vite. Je sais pas quoi faire. Je deviens folle. Viens.
On entend un bébé qui commence à pleurer.
MIREILLE
Arrête ta télé ! Arrête-là, bordel ! Je te dis que c’est grave. Viens. Je suis folle, j’en peux plus. J’ai fait une connerie, je te dis. Mais non, ah j’en ai marre de cette vie de merde. Viens. J’ai fait du mal à Kévin. J’ai perdu la tête. Je suis à bout. Ce môme n’arrête pas de pleurer alors j’ai craqué. J’ai fait une connerie. Je sais pas, je sais plus, je l’ai frappé, ou je l’ai jeté, non, attend, il était dans son bain alors je l’ai, non, c’était après, je sais plus Magali je sais plus mais je lui ai fait mal. Quoi ? Mais non je regarde pas la télé. Quoi ? Mais c’est chez moi. Oui c’est chez moi les pleurs. Hein ? Ben un bébé. (réalisant soudain) Oh c’est Kévin ! C’est Kévin ! Alors il est pas…Je suis folle !
Elle se précipite vers la chambre d’où proviennent les pleurs.
SCENE 2
Magali et Mireille sont sur un canapé.
Mireille est encore effondrée.
Une bouteille de vin est débouchée.
MIREILLE
Je te jure que j’y ai cru. Ça tournait dans ma tête, j’avais toutes les idées qui s’emmêlaient, Kévin n’arrêtait pas de brailler, j’ai cru que j’allais devenir folle. Je te jure que j’ai cru que je l’avais balancé, je me vois, j’ai encore l’image…
MAGALI
Calme-toi. Tiens, bois un godet, c’est du bon, je l’ai piqué chez l’arabe du coin.
MIREILLE
T’as bien fait. Il m’arnaque sur les paquets de couches. Mais je peux pas les prendre chez Mammouth ça fait trop loin pour ramener. Ah, ça fait du bien de te voir. Merci Magali.
MAGALI
Arrête, ça sert à ça les copines.
MIREILLE
Il s’est calmé tout de suite avec toi. Moi, j’avais l’impression qu’il m’engueulait, il était tout rouge, il s’est presque fait vomir, ce petit con.
MAGALI
Il te sent stressée, c’est pour ça. Il ressent que tu vas pas bien alors il gueule, c’est sa façon de réagir.
MIREILLE
Ah le petit braillard ! J’ai eu peur. T’es sûr qu’il a rien ? T’as pas vu de bleus ?
MAGALI
Rien. T’as rêvé. T’as cru que tu le frappais mais c’est tout. Il a rien, il va bien.
MIREILLE
J’ai trop les boules. Ça me rend dingue. Je suis dans la mouise jusqu’au cou, plus un kopeck, son père m’envoie plus rien. Je ne sais même pas où il est. Je te jure ! Je tombe toujours sur ce genre de sale type.
MAGALI
Ils doivent te repérer. Ces connards ils ont du flair. Ils se disent « avec elle ça va être facile ». Et puis quand ils t’ont piqué tout ton fric, qu’ils ont fait le tour de la question au plumard et qu’ils t’ont mis un petit jésus dans le tiroir, ils taillent la route.
MIREILLE
C’est pour mes mômes que j’ai peur. Je veux pas qu’on me les retire.
MAGALI
On te les retirera pas.
MIREILLE
Mais si je me mets à les frapper ?
MAGALI
Tu les frappes pas, c’est dans ta tête, c’est tout. Et Mickael, il est où ?
MIREILLE
Chez sa grand-mère. Au moins, pendant ce temps-là il mange bien. Mais elle ne le garde que trois jours, elle fatigue vite.
Arrivée de Françoise, les bras chargés de sacs de légumes.
FRANCOISE
Eh ben, tu fermes plus ta porte ?
MAGALI
C’est moi, je suis arrivée en catastrophe.
FRANCOISE
Regardez ce que je vous apporte, les filles. Des beaux légumes bien fanés. Bon, il y a quelques feuilles à enlever, c’est les invendus du marché, mais il y a de quoi faire une bonne soupe.
MIREILLE
Super Françoise, c’est drôlement gentil.
FRANCOISE
Vous en faites des têtes ? Quelque chose qui va pas ?
MIREILLE
Tu rigoles, rien ne va. On est le quinze j’ai déjà plus rien. Deux mois de retard. L’arabe me fait plus crédit. Et en plus j’ai frappé Kevin.
MAGALI
Dans sa tête. Elle a cru qu’elle le frappait mais il a rien.
MIREILLE
Mais tu te rends compte. En arriver à penser que je peux frapper mes gosses c’est que je deviens dingue. J’ai même pas de quoi acheter des clopes pour me calmer.
FRANCOISE
Tiens, je te donne le reste de mon paquet.
Françoise donne un paquet entamé, Mireille se précipite dessus et allume une cigarette.
MAGALI
Moi j’ai ramassé des mégots, hier. Je vous jure. Devant la boulangerie t’en as qui jettent des trucs longs comme le doigt pour pas fumer à l’intérieur. Moi je ramasse.
MIREILLE (riant)
Elle ramasse des mégots ! Ah ah ! L’autre qui ramasse des légumes pourris et moi qui perd la boule ! Ah ah, les filles, on forme une fameuse triplette de...