Fac-similé

Vingt ans après la dissolution de leur troupe de théâtre, d’anciens camarades – alors lycéens ou jeunes universitaires – se retrouvent le temps d’une journée, à l’initiative de l’une d’entre eux. Chacun arrive avec son lot de souvenirs, de blessures enfouies et de rancœurs jamais exprimées. Peu à peu, les retrouvailles tournent au règlement de comptes : les mots dérapent, les silences pèsent, les masquent tombent…

​Dans cet univers sous tension, une étrange voisine, vieille sicilienne vêtue de noir, fait des apparitions incongrues pour emprunter quelques ustensiles insolites, dans l’indifférence générale.

​Entre comédie grinçante et suspense absurde, cette pièce tisse le portrait d’une génération autocentrée, incapable de voir ce qui se passe sous ses yeux.

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FAC-SIMILÉ

 

Comédie dramatique

 

d'Éric Hubert

 

+ 352 621 623 045

erichubert05@yahoo.fr

huberteric.com

 

Distribution

(5 femmes et 3 hommes)

Alexandra (Alex)

Manuella (Manue)

Mme Carpoccelli

Bob

Babette

Gérard

Antoine

Anne

 

(Une terrasse surplombant une pente boisée avec vue sur la ville en contrebas et sur la mer au loin.)

ACTE I

 Scène 1  (Manuella, Alexandra, Madame Carpocelli)

(Face public, Alexandra est installée devant un chevalet, un pinceau entre les dents et une palette dans une main. Une table avec un plateau de charcuterie et une baguette est dressée. Manuella entre rapidement et pose deux autres plats sur la table. Elle prend du recul et jauge d'un regard circulaire la terrasse.)

MANUELLA

Ça ne va pas, ça manque de place. On va se bousculer ici. Finalement, ma première idée était la bonne. On va prendre l'apéritif dans l'atelier, c'est beaucoup plus spacieux.  C'est toi qui invites et c'est moi qui cours !

ALEXANDRA

Tu disais ?

ALEXANDRA

Entre les croûtes et les pâtés en croûte, une qui peint... et l'autre qui met le pain !  (Elle rentre de nouveau dans la maison)

ALEXANDRA

(Seule)  Quelle forme, Manue ! C'est l'idée de les revoir qui te stimule ?

MANUELLA

Qui me rend nerveuse, oui. J'ai l'impression d'être une... cocotte-minute prête à exploser !  (Elle s'évente)

ALEXANDRA

Tu as déjà des vapeurs !

MANUELLA

C'est-cette chaleur... et ce fourneau ! C'est pas une cuisinière que l'on a, c'est une chaudière !... (Soupir - elle s'évente)  Quelle idée aussi de faire un chili en juillet ! Si c'est pour réchauffer l'atmosphère, c'est gagné ; il fait au moins 40° dans la maison !

ALEXANDRA

On appréciera d’autant plus la fraîcheur de la terrasse.

MANUELLA

Tu parles d'une fraîcheur…  (Elle jette un œil sur le thermomètre)  30° ! On étouffe à l'extérieur et on suffoque à l'intérieur...  (Elle fait les cent pas)  Bon, je crois qu'on n’a rien oublié... on n’a rien oublié... Tu crois qu'on n’a rien oublié ? Pourquoi je te pose la question ? Tu ne m'entends pas.

ALEXANDRA

Il me faudrait des boules Quies pour ne pas t'entendre.

MANUELLA

Charmant...

ALEXANDRA

Je plaisantais.

MANUELLA

Enfin Alex, comment peux-tu être là, si calme, bien installée, tranquillement occupée à...  (Elle mime avec les mains)  pianoter sur la toile ? Tu ne comptes tout de même pas les recevoir derrière ton chevalet !

ALEXANDRA

"Pianoter sur la toile"... c'est joli, ça. Décidément Manue, tu fais de plus en plus fort !  (Manuella hoche la tête de dépit)  Bon, premièrement je n'ai aucune raison d'être particulièrement nerveuse. Ensuite, il reste 10 minutes avant l'arrivée des premiers invités et j'ai juste quelques touches à distiller avant de finir cette toile.

MANUELLA

En parlant de distiller, tu n'aurais pas vu le Porto ?

ALEXANDRA

Là, juste derrière toi. Tu peux nous servir un verre. Ça te calmera et ça m'inspirera.  (Manue boit son verre d’une traite, se ressert, boit le second de la même manière. Elle se ressert encore avant de s’assoir, verre en main – Alex l’observe, béate)

MANUELLA

Comment as-tu fait pour tous les retrouver ?

ALEXANDRA

(Fixant toujours béatement)  Qu'est-ce que... qu'est-ce que tu dis ?

MANUELLA

Avec ton allergie aux réseaux sociaux, je voulais savoir comment tu avais fait pour tous les retrouver ?

ALEXANDRA

J'ai demandé à un détective privé intéressé par une de mes toiles de faire des recherches pour moi, en échange d'une petite ristourne sur le tableau qu'il convoitait. Sa mission était simple : me communiquer leur adresse, rien d'autre. À ma grande surprise, presque personne n'a quitté la région. On croit souvent à tort que ce sont les distances qui éloignent les gens les uns des autres.

MANUELLA

Et pour Antoine ?

ALEXANDRA

Antoine ?

MANUELLA

Oui Antoine, Antoine, Antoine... Antoine quoi.

ALEXANDRA

Quand même !

MANUELLA

Pardon ?

ALEXANDRA

Tu te décides enfin !

MANUELLA

Je me décide à quoi ?

ALEXANDRA

À rompre le silence.

MANUELLA

Quel silence ?

ALEXANDRA

À propos d'Antoine ; pas un mot, pas de questions, pas la moindre allusion depuis 3 semaines... ça ne te ressemble pas. Ça ne te dérange qu'il soit invité ?

MANUELLA

C'est un peu tard pour me le demander, non ?

ALEXANDRA

Tu sais Manue...

MANUELLA

(Coupant la parole)  Ne t'inquiète pas, j’ai gommé tout ça de ma vie  (Silence)  C'est vrai que je lui en ai beaucoup voulu, à l'époque ; 2 ans, 2 ans qu'on sortait ensemble et Monsieur m'annonce soudainement qu'il part vivre à Londres ! Monsieur n'en pouvait plus, Monsieur avait besoin de changer d'air, Monsieur avait besoin d’exotisme. C’est fou ce que c’est exotique, une Anglaise ! Imagine, non mais imagine ce que j'ai pu ressentir à l'époque !

ALEXANDRA

Non seulement j'imagine, mais je me souviens.

MANUELLA

Enfin, tout ça c'est du passé. Deux décennies, un mari, un enfant et un divorce, ça aide à oublier... À la nôtre !

ALEXANDRA

À la nôtre !  (Mme Carpoccelli arrive côté jardin. C'est une Sicilienne octogénaire, de petite taille,  à la silhouette fine et légèrement voûtée. Elle est toute de noir vêtue : jupe, corsage, gilet et foulard. Sa voix est rauque, son accent italien marqué. Son phrasé comme ses pas, sont lents)

MADAME CARPOCELLI

Scusi, buona sera.

ALEXANDRA

Mais donnez-vous la peine d'entrer, Mme Carpoccelli...  (Essayant de parler un italien qu’elle ne maîtrise pas)  « Entraré » , « entraré… » Comment allez-vous chère voisine ?... « Va bèné ? »

MADAME CARPOCELLI

Si, si, sto bene... Per favore, avete del parmigiano per la pasta ?

ALEXANDRA

Parmigiano... Vous voulez du parmesan ?

MADAME CARPOCELLI

Sἱ, del parmigiano.

ALEXANDRA

Manue, tu serais gentille...

MANUELLA

J'ai compris !  (Elle entre dans la maison)

ALEXANDRA

Comme ça, vous faites des pâtes ?

MADAME CARPOCELLI

Si, la pasta è per il grande signore Carpoccelli.  (Long silence – Manue arrive avec un paquet de parmesan et le tend à Mme Carpoccelli)

MANUELLA

Voilà Mme Carpoccelli.

MADAME CARPOCELLI

Grazie, ciao.  (Elle sort de scène côté jardin)

MANUELLA

(Dubitative)  Ciao.

ALEXANDRA

Cette femme est une caricature vivante.

MANUELLA

De quoi parlions nous ? Ah oui...  le bel Antoine. Tu penses vraiment qu'il va faire le voyage d'Angleterre ?

ALEXANDRA

Je ne sais pas pourquoi, mais mon instinct me dit que oui.

MANUELLA

Tu crois qu'il va se taper 1500 kms pour des gens qu'il n'a pas vu depuis 20 ans ?

ALEXANDRA

Mon fameux détective m'a appris qu'une fois par an, il venait passer quelques jours en France pour rendre visite à sa mère, toujours à la même période, mi–juillet. Il m'a même donné l'adresse de cette dernière, c'est là que j'ai envoyé l'invitation.

MANUELLA

Ah, ces fameuses cartes d'invitation ! Je sais que tu aimes écrire mais tout de même, ça n'aurait pas été plus simple d'envoyer un mail ou de les appeler ?

ALEXANDRA

Surtout pas ! Je leur ai écrit de ne me téléphoner que s'ils ne pouvaient pas venir. Tu comprends, leur parler avant de les revoir, ce soir, ça aurait gâché le côté théâtral des retrouvailles. Viendront–ils seuls, accompagnés, avec leur femme, leur mari, leurs enfants, leurs maîtresses ou amants ? Autant de questions en suspens, autant de raisons d'avoir envie de les redécouvrir.

MANUELLA

Avoue que c'est quand même chelou ; inviter des comédiens à fêter le quart de siècle d'une troupe qui a été dissoute il y a 20 ans !

ALEXANDRA

Tout ça à cause du "Bal des oies"

MANUELLA

Je n'aurais jamais imaginé que cette pièce puisse être diffusée sur une chaîne culturelle !

ALEXANDRA

Ça m'a fait du bien de la revoir à la télé.

MANUELLA

"Le bal des oies"… c'était de qui, déjà ?

ALEXANDRA

Louise de Rottweil.

MANUELLA

Dire que c'est le dernier spectacle qu'on a mis en scène avant notre séparation… Hum ! Je me souviens encore du jour où on a dissous la troupe…

ALEXANDRA

On était plus d'un à pleurer, ce jour-là ; même si on s'était tous promis de ne jamais se perdre de vue.

MANUELLA

Une promesse collective, ça se dilue comme du sucre dans une tasse de café ; un café bien amer, pour l'occasion…  (Elle vide son troisième verre – silence)  Tu crois que tout le monde viendra ?

ALEXANDRA

Je te l'ai déjà dit, seuls Jean-Paul, Carine et Didier ont téléphoné qu'ils étaient empêchés ; vacances d'été obligent ! Quant au reste, tu sais ce que l'on dit : "Pas de nouvelles..."

MANUELLA

(Blasée)  Que des vieilles...  (Silence)  Et Bob ?

ALEXANDRA

Quoi Bob ?

MANUELLA

Il n'a pas téléphoné ?

ALEXANDRA

Non.

MANUELLA

Ça veut dire qu'il risque de débarquer… Pourquoi l'avoir invité ?

ALEXANDRA

Je pensais que c'est Antoine qui te poserait problème. Et puis, il faisait partie de la troupe.

MANUELLA

Pff...! L'accessoiriste !

ALEXANDRA

Accessoiriste, éclairagiste et surtout technicien.

MANUELLA

(Rire moqueur)  Deux spots et un haut-parleur plus proche du porte-voix que de l’enceinte, tu parles d'une technique ! Non, la vérité, c'est que son papa nous prêtait le local de répétition. C'était la seule et unique raison de sa présence parmi nous.

ALEXANDRA

Tu exagères toujours. J'ai pas un souvenir si négatif de Bob. Si je me souviens bien, c'était pas le dernier pour mettre l'ambiance.

MANUELLA

Ni pour tripoter.

ALEXANDRA

(Ingénue)  Il te tripotait ?

MANUELLA

Disons qu'il avait une façon de regarder très tactile.

ALEXANDRA

Je ne savais pas qu'on pouvait tripoter avec les yeux.

MANUELLA

Crois-moi, il y a des regards qui peuvent être plus baladeurs que des mains !

ALEXANDRA

C'est pas faux… Pourtant, il me semblait que Bob et toi...

MANUELLA

Qu'est-ce que tu insinues, là ?

ALEXANDRA

Rien, oublie.

MANUELLA

Non, mais tu es sérieuse ?! Moi, avec cet espèce de…

ALEXANDRA

Oublie, je te dis.

MANUELLA

T'as vraiment l'esprit tordu, parfois.

ALEXANDRA

La fête de fin d'année, chez Gérard... deux semaines après le bac.

MANUELLA

Qui t'a parlé de ça ?

ALEXANDRA

Tout le monde était au courant, à l'époque.

MANUELLA

C'est pas vrai ! Une fois, une fois dans ma vie j'ai dérapé avec le bolosse de service... et tout le monde est au courant.  (Elle soupire – Petit silence)  J'avais trop bu, tu connais mon problème…  (Debout, elle saisit la bouteille de porto dans une main, son verre dans l'autre main)  quand je commence...  (Alex lui prend la bouteille avant qu'elle ne se serve un quatrième verre)

ALEXANDRA

Je connais ton problème, tu n'as pas à te justifier.

MANUELLA

Je ne me justifie pas, j'explique ! C'est vrai, j'avais bu quelques verres…  (Alex la regarde en souriant)  Bon, OK, quelques bouteilles mais... et... je... oh et puis tu as raison... je n'ai pas à me justifier...  (Silence)  Tu veux savoir la meilleure ? C'est difficile à croire mais j'ai... J'ai cru que je faisais l'amour avec Antoine, ce soir-là. C'est dire à quel point j'étais loin !

ALEXANDRA

Loin, c'est un euphémisme !

MANUELLA

Je n'avais envie que d'Antoine, à l'époque.  (Nostalgique)  D'ailleurs, 8 jours plus tard, nous commencions notre histoire d'amour ; du moins ce que je croyais être une histoire d’amour !...  Seulement, notre bon Bob lui, il n'a rien voulu comprendre et ça ne le gêna pas que je sois avec son ami Antoine. Il a continué à me solliciter encore et encore, et ce malgré mes refus. Parce qu'il était entré une fois, il s'imaginait avoir un droit de visite ad vitam aeternam. Quel con !

ALEXANDRA

Pourquoi ne jamais m'en avoir parlé ?

MANUELLA

Parce que j'avais 18 ans, parce que j'avais honte de ma méprise, parce que je ne voulais pas que l'on me prenne pour ce que je ne suis pas. Si je m'étais doutée qu'il vous raconterait pour la soirée chez Gérard ? C'est bien lui, n'est-ce pas ?  (Alex sourit pour toute réponse, Manue secoue la tête de dépit)  Et... il ne vous a rien dit d'autre ?

ALEXANDRA

Pourquoi, il y avait autre chose ?

MANUELLA

Non, absolument pas ! Mais avec ce genre d'affabulateur...

ALEXANDRA

As-tu conscience que si tu croyais que c'était Antoine, ce soir-là, il s'agit d'un viol ?!

MANUELLA

Un viol, c'est quand il n'y a pas consentement. On était tous les deux fortement alcoolisés, et Bob avait un égo bien trop démesuré pour imaginer un seul instant que je puisse le confondre avec un autre.

ALEXANDRA

Si tu m'avais raconté tout ça avant, jamais je ne l'aurais invité.

MANUELLA

Pas de stress, j'ai survécu. Il n'est pas assez important pour que sa présence m'atteigne. C'est une affaire que j'ai classé sans suite, oubliée à jamais, dans les bas-fonds de ma mémoire, dans le tiroir des dossiers sordides.  (Elle tend son verre à Alex qui le remplit à moitié. – Silence)  8h00, qu'est-ce...

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