Folies

FOLIES : Fantaisies Ondulatoires Loufoques Invraisemblables Effarantes Surréalistes
Synopsis ;
Ils sont fous, ou simplement naïfs… Pittoresques. Ils, ce sont des personnages accidentés qui n’ont pas eu le temps de grandir, ou le temps d’apprendre. Alors ils découvrent le monde avec leurs mots et de grands yeux écarquillés.
On les croise dans un parc dont on suppose qu’il entoure un hôpital psychiatrique, mais ce n’est pas une certitude.
Comédie à sketchs.
De 2 à 6 personnages selon le sketch, mais on peut aller bien au-delà (plus de 30), sachant que le nombre total de rôles à se partager est beaucoup plus important et dépend du choix des saynètes. S’il est judicieux de conserver le même acteur dans les apparitions successives de certains rôles récurrents, beaucoup sont interchangeables et peuvent satisfaire une troupe importante. La proportion des acteurs Homme Femme est également particulièrement aléatoire. Les personnages sont généralement des hommes dans le texte mais le sexe est souvent interchangeable. Il appartiendra au metteur en scène de féminiser les noms et les tirades.
3 personnages récurrents et immuables : Albert et Bernard, employés d’entretien, Médor
1 personnage récurrent mais qui peut être interchangeable : Le Médecin
2 personnages interchangeables. On peut leur donner des noms différents d’un sketch à l’autre, comme : Barjo, Cintré, Dingo, Foldingue, Frappé, Maboul, Piqué, Timbré, Toqué, Zinzin, etc. : ce sont Givré et Fondu .
2 Personnages n’apparaissent qu’une seule fois : l’Amnésique, Napoléon.
La durée: en totalité, le spectacle dure environ 2 heures. Mais l’on peut sélectionner les sketches ou gags pour couvrir une période bien plus réduite, sachant que la durée de chacun s’échelonne de 4 à 12 minutes.

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Liste des personnages (8)

ALBERTHomme • Adulte/Senior
Homme d'entretien, chef d'équipe.
BERNARDHomme • Jeune adulte
Homme d'entretien
MEDORHomme • Age indifferent
Se prend pour un chien
MEDECINIndifferent • Age indifferent
Médecin étrange, un peu déjanté.
GIVRÉIndifferent • Age indifferent
Personnage un peu dérangé, comme son nom l'indique
FONDUIndifferent • Age indifferent
Personnage un peu dérangé, comme son nom l'indique
L'AMNÉSIQUEIndifferent • Age indifferent
Personnage à la recherche de sa mémoire et son passé
NAPOLÉONHomme • Age indifferent
Se prend pour Napoléon

Décor (1)

Décor uniqueLe décor se composera d’arbres peints en fond de scène ou/et en silhouettes de bois et carton, ainsi que d’un banc (posé lors de la première scène si l’on décide de la jouer). La clôture du parc n’est que suggérée, parfois présente ou fluctuante, jamais visible. Les costumes: Blouse blanche pour le médecin. Salopettes ou tenues de travail pour l’équipe d’entretien. Pas de costumes spécifiques pour les autres.

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PRÉLUDE

Deux ou trois arbres en fond de scène.

Sur le Prélude au piano en do majeur de Bach : Albert et Bernard entrent côté jardin, vêtus de salopettes et porteurs d’un banc. Ils forment l’équipe d’entretien des lieux. Ils évoluent au son de la musique, puis finissent par poser le banc. Bernard tourne autour, scrute l’environnement, semble insatisfait. La musique s’éteint doucement.

BERNARD ― On va le pousser un peu par là. (Ils déplacent le banc. Bernard renouvelle l’examen des lieux.) Non, plus loin ! (Ils déplacent le banc. Nouvelle inspection de Bernard.) Non, plus près ! (Ils déplacent le banc.)

ALBERT ― C’est bon là ?

BERNARD, après examen. ― On revient un peu par là. (Ils déplacent de nouveau le banc pour revenir à son point initial, soit soigneusement décentré par rapport à la scène.) Ça m’a l’air pas mal…

ALBERT, lassé. ― Moi, je trouve que c’est très bien.

BERNARD ― Voyons… (Il s’assoit, inspecte l’environnement depuis cette position.) Mmoui… c’est bien…

ALBERT, soulagé. ― Une heure qu’on le trimballe ce banc. J’ai cru qu’on ne le poserait jamais. (Il s’assoit à la droite de Bernard, inspecte l’environnement en l’imitant.) Tu trouves que c’est le meilleur endroit ?

BERNARD ― Oui.

ALBERT ― On n’est quand même pas loin de la clôture. (Il montre le bord de scène.)

BERNARD ― La clôture ?

ALBERT ― Oui, la clôture, là ! (Il montre une clôture invisible sur le bord de scène.)

BERNARD ― Ici, tu verras, la clôture est fluctuante.

ALBERT ― Ah !... Tu dois avoir raison, c’est toi le chef.

BERNARD ― Un jour tu comprendras.

ALBERT ― J’espère bien, si ça n’est pas trop long… Et toi, il y a longtemps que tu travailles ici ?

BERNARD, évasif. ― Ouf !

ALBERT, en manque de précisions. ― Ça fait combien, en années ?

BERNARD ― Ouf !

ALBERT ― Ah oui, quand même !

BERNARD ― Oui.

ALBERT ― Et le boulot, ça va ? Je veux dire ce n’est pas trop pénible ? (Bernard se contente de hausser les épaules.) Personnellement, j’ai quelques appréhensions. J’arrive tout droit de Pôle Emploi avec une valise de diplômes et aucun débouché, je t’avoue que l’entretien et le bricolage ce n’est pas vraiment mon truc, je n’ai pas suivi d’études de maniement du marteau ou de la perceuse, j’ai pris ce qu’il y avait en magasin, je ne sais pas bien à quoi m’attendre, j’ai cru comprendre qu’il s’agissait d’une maison de… (Il fait un geste vague sur la tempe.)

BERNARD ― Une maison de quoi ?

ALBERT ― Eh bien… (Nouveau geste.). Tu m’as compris.

BERNARD ― C’est comme la clôture.

ALBERT ― Hein ?

BERNARD ― Au bout d’un moment, tu ne la vois plus.

ALBERT ― Je ne suis pas certain de bien saisir.

BERNARD ― Lorsque tu ne fais plus la différence entre l’intérieur et l’extérieur, tu finis par te demander de quel côté tu te trouves… (Silence déconcerté d’Albert.) Mais au final tu es toujours d’un côté ou de l’autre.

ALBERT ― Oui, mais alors ma question…

BERNARD ― Y a-t-il un côté meilleur que l’autre ? C’est la question que l’on se pose tant que l’on voit la clôture.

ALBERT ― Euh ! Non, mais…

BERNARD ― Le plus facile à ce moment-là est de lui tourner le dos. De cette façon tu seras toujours du bon côté.

ALBERT ― Oui, mais…

BERNARD ― Alors, vas-tu me demander, pourquoi avoir mis le banc dans ce sens ?

ALBERT ― Aussi, oui…

BERNARD ― Parce qu’il faut regarder le monde en face. Même si le but est de ne plus voir la clôture, il ne faut jamais oublier quelle existe. Tu comprends ?

ALBERT ― Pas très bien…

BERNARD ― Un jour tu comprendras.

ALBERT ― Oui, tu me l’as déjà dit… Mais je voudrais tout de même savoir si, niveau boulot, c’est plutôt facile ou plutôt compliqué…

BERNARD ― Oui.

ALBERT ― Oui, quoi ?

BERNARD ― C’est facile et c’est compliqué.

ALBERT ― D’accord. Ça m’aide beaucoup.

BERNARD ― Un jour tu comprendras.

ALBERT ― Oui, je sais… Et sinon, maintenant, que fait-on ?

BERNARD ― On attend Médor.

ALBERT ― Médor ? On attend un chien ?

BERNARD ― Ce n’est pas un chien ordinaire.

ALBERT ― Qu’a-t-il de spécial ? Et ne me répond pas : « un jour tu comprendras ».

BERNARD ― Il valide les aménagements extérieurs et, en général, tous les apports nouveaux.

ALBERT ― Un chien ?

BERNARD ― Je te répète, ce n’est pas un chien ordinaire.

ALBERT ― J’espère qu’on ne l’attendra pas aussi longtemps que Godot.

BERNARD ― Qui ça ?

ALBERT ― Eh bien, Médor.

BERNARD ― Non, Godot. Qui c’est ce Godot ?

ALBERT ― Laisse tomber, c’est une connaissance à moi.

BERNARD ― Chut ! Tu as entendu ?

ALBERT ― Non. Quoi ?

BERNARD ― Un aboiement. Il arrive… Toi, tu surveilles par là (Il montre le côté jardin.), et moi par là. (Il se tourne côté cour.)

Albert et Bernard se tournent le dos, chacun surveillant son côté.

ALBERT ― Qu’est-ce qu’on est supposé faire ?

BERNARD ― Regarder, c’est tout.

ALBERT ― Il ne mord pas au moins ?... (Silence.) Tu ne me réponds pas.

Un homme entre côté cour. Il s’agit de Médor. Il effectuera lentement deux fois le tour du banc. Alors que Bernard le suit du regard, celui d’Albert reste obstinément fixé vers les coulisses côté jardin.

BERNARD ― Non, il ne mord pas.

 Enfin, dos au public, Médor pissera ostensiblement sur Albert.  

ALBERT, se lève d’un bond. ― Ah !... Il me pisse dessus ! (Bernard éclate de rire.) Et ça te fait rire !

Craintif, Médor sort en courant.

BERNARD, en riant. ― Je te présente Médor, ou monsieur Médor, c’est comme tu veux. (Il se lève.) Allez, c’est bon. Il a validé le banc… et toi avec. On peut y aller.

ALBERT ― Tu veux dire que…

BERNARD ― Il se prend pour un chien, et il pisse sur tout ce qui est nouveau. (Il sort côté cour.)

ALBERT ― Tu le savais, hein ? (On entend rire Bernard en coulisses.) Ça s’appelle du bizutage ! Parfaitement, du bizutage ! (Il sort à la suite de Bernard.)

NOIR

 

AMNÉSIE

 Nous sommes dans un parc. Monsieur Givré est assis sur un banc, il lit une revue. Entre l’Amnésique. Regard perdu, il semble chercher quelque chose d’indéfinissable. Son manège attire l’attention de  Givré qui lève le nez. L’Amnésique finit par s’asseoir sur le même banc. Découragé, il émet un long soupir. Givré reprend sa lecture. Après quelques instants d’abattement, l’Amnésique jette un œil sur son voisin, puis son regard se fait de plus en plus insistant. Givré en ressent une certaine gêne. Enfin, l’Amnésique tire une photo de sa poche et la montre à son voisin :

AMNÉSIQUE ― Vous connaissez cette personne ?

GIVRÉ, examine la photo, dévisage l’Amnésique. ― Vous vous moquez de moi ? C’est vous sur cette photo !

AMNÉSIQUE, plein d’espoir. ― Vous me connaissez donc ?

GIVRÉ ― Non. Je vous REconnais.

AMNÉSIQUE, déçu. ― Ah !... C’est très différent ?

GIVRÉ, abandonne sa revue. ― Un peu que c’est différent ! Je vous reconnais sur la photo, mais vous restez un parfait inconnu pour autant.

AMNÉSIQUE ― Prenez votre temps. Regardez bien la photo… j’y suis à mon avantage.

GIVRÉ, regarde la photo attentivement. ― Oui. C’est bien vous, il n’y a aucun doute.

AMNÉSIQUE ― Et… ?

GIVRÉ ― Et quoi ?

AMNÉSIQUE ― Vous ne me reconnaissez toujours pas ?

GIVRÉ ― Si, bien sûr, je confirme : je vous REconnais…

AMNÉSIQUE, en joie. ― Ah !...

GIVRÉ ― Mais je ne vous connais pas davantage. Ni en photo, ni en peinture.

AMNÉSIQUE ― Quelle peinture ?

GIVRÉ ― C’est une expression.

AMNÉSIQUE ― Elle n’est pas bien mon expression sur cette photo ?

GIVRÉ ― Elle est très bien…

AMNÉSIQUE ― Vous voulez sans doute insinuer qu’avec une autre expression, vous pourriez me connaître ?

GIVRÉ ― Mais non. C’est une expression, comme j’aurais pu dire : je ne vous connais ni d’Ève ni d’Adam…

AMNÉSIQUE ― Oh ! Ne cherchez pas si loin, je ne suis pas aussi vieux.

GIVRÉ ― Je ne cherche pas.

AMNÉSIQUE ― Alors, forcément, si vous y mettez de la mauvaise volonté !... Faites un effort !

GIVRÉ ― À quoi bon faire un effort, puisque je ne vous connais définitivement pas ?

AMNÉSIQUE ― C’est donc vrai, je ne vous dis absolument rien !

GIVRÉ ― Ah, si ! Et je ne vous cacherai pas que je trouve vos dires étranges.

AMNÉSIQUE ― Mais, ma tête ?

GIVRÉ ― Quoi, votre tête ?

AMNÉSIQUE ― Ma tête ne vous parle pas ?

GIVRÉ ― Elle ne me parle pas dans le sens où vous l’entendez.

AMNÉSIQUE ― Évidemment, si nous n’entendons pas dans le même sens… (Il se lève et change de place, s’assoit de l’autre côté de Givré en le poussant s’il le faut.) Ce profil là vous parle-t-il davantage ?

GIVRÉ ― Ni plus ni moins.

AMNÉSIQUE ― Alors, je parle pour rien.

GIVRÉ ― Je ne vous le fais pas dire.

AMNÉSIQUE ― Notez que certains parlent pour ne rien dire.

GIVRÉ ― Oui. Et ils feraient mieux de se taire.

AMNÉSIQUE ― Je sens comme un reproche. Mais si je ne vous dis rien, je ne saurais jamais si ma tête vous parle ou non. Car vous n’êtes pas bavard, je l’ai bien compris. Et vous n’allez pas me dire à brule-pourpoint : « Tiens, je vous connais ! »

GIVRÉ ― Il n’y a aucune raison puisque, le fait est acquis, je ne vous connais pas. Mais vous-même, vous prétendez me connaître ?

AMNÉSIQUE ― Je ne prétends rien, car je n’en sais rien. J’avais un espoir, mais si vous affirmez ne pas me connaître, la réciproque s’établit logiquement.

GIVRÉ ― Vous pouvez me faire confiance. J’ai une mémoire infaillible.

AMNÉSIQUE ― Vous avez beaucoup de chance.

GIVRÉ ― Pour autant, je ne peux pas connaître tout le monde, vous l’admettrez.

AMNÉSIQUE ― Il aurait suffi que vous me connaissiez, moi.

GIVRÉ ― Vous accordez trop d’importance à votre notoriété. Vous devriez surveiller votre ego.

AMNÉSIQUE ― Mon ego se porte bien, merci. C’est ma mémoire qui est en cause. Je suis amnésique et je cherche désespérément quelqu’un pouvant me renseigner sur mon passé.

GIVRÉ ― Ah ! Vous avez perdu la mémoire ?

AMNÉSIQUE ― On ne peut rien vous cacher.

GIVRÉ ― C’est que je ne la perds pas, moi.

AMNÉSIQUE ― Alors, est-ce que, par hasard, vous ne connaîtriez pas quelqu’un susceptible de me connaître ?

GIVRÉ ― Votre question n’est pas anodine. À la réflexion, il est possible que nous ayons des connaissances communes…

AMNÉSIQUE ― Ah ! On avance.

GIVRÉ ― Mais comment savoir qui, de mes connaissances, sont également les vôtres ? Sauf à vous présenter à chacune d’entre elles, ce qui nous occuperait plusieurs mois, la question est insoluble.

AMNÉSIQUE ― C’est décourageant.

GIVRÉ ― Je connais bien un truc…

AMNÉSIQUE ― Un truc ?

GIVRÉ ― Une vieille recette de ma grand-mère. Lorsque l’on perd quelque chose, il faut ouvrir une paire de ciseaux.

AMNÉSIQUE ― Et après ?

GIVRÉ ― Après, rien. On attend l’illumination.

AMNÉSIQUE ― C’est idiot, votre truc.

GIVRÉ ― Une recette de grand-mère, ça vaut ce que ça vaut…

AMNÉSIQUE ― Elle n’a jamais dû perdre la mémoire, votre grand-mère.

GIVRÉ ― Pour ça, non. Bon pied bon œil jusqu’au bout. Elle avait un autre truc, elle buvait un petit verre de gnole matin, midi et soir.

AMNÉSIQUE ― Vous en avez beaucoup des recettes de ce calibre ?

GIVRÉ ― Je disais ça pour vous aider. Vous savez, ça ne m’amuse pas de vous parler de ma grand-mère. Moi, je viens dans ce parc, pour me reposer, goûter au calme de ses allées ombragées, ne plus penser à mes soucis quotidiens, tout oublier…

AMNÉSIQUE ― Malheureux ! Vous ne savez ce que c’est que de tout oublier.

GIVRÉ ― Excusez-moi, je ne voulais pas vous blesser.

AMNÉSIQUE ― Imaginez que tout le monde fasse comme vous, et vienne dans ce parc oublier ses soucis… Nous serions des dizaines, des centaines d’amnésiques à tourner en rond en cherchant nos souvenirs.

GIVRÉ ― C’est terrible ce que vous dites.

AMNÉSIQUE ― C’est peut-être bien ce qui m’est arrivé. (Dramatique :) Je suis venu dans ce parc… je voulais oublier… je me suis assis sur ce banc… j’ai fermé les yeux… et paf ! J’ai perdu la mémoire !

GIVRÉ, se lève, terrorisé. ― Comme ça ! D’un coup ?

AMNÉSIQUE ― C’est une supposition, je n’en sais rien. Asseyez-vous. (Il le tire par la manche et Givré se rassoit.) Ce n’est qu’une supposition, dis-je. Néanmoins, j’ai bel et bien ouvert les yeux un jour sur un banc, et plus aucun souvenir ne m’habitait.

GIVRÉ, effrayé. ― Sur ce banc ? (Il tente de se lever mais l’autre le retient.)

AMNÉSIQUE ― Sur UN banc. Tous les bancs se ressemblent.

GIVRÉ ― Vous m’inquiétez. J’aimerais bien savoir.

AMNÉSIQUE ― Moi aussi. Ça m’éviterait de chercher ma mémoire autour de chacun des bancs que je rencontre.

GIVRÉ ― Y a du boulot !... Je peux vous aider ?

AMNÉSIQUE ― Volontiers. (Il se lève.) Moi par là, vous par là.

GIVRÉ, se lève à son tour. ― À quoi elle ressemble votre mémoire ?

AMNÉSIQUE ― Une mémoire ordinaire de type ordinaire. Enfin, je le suppose…

GIVRÉ, cherche en s’éloignant du banc.  ― Petit, petit, petit…

AMNÉSIQUE, cherche de son côté. ― Vous avez une façon curieuse de la chercher.

GIVRÉ ― Je n’ai pas l’habitude. Vous préférez : minou, minou, minou ?

AMNÉSIQUE ― Je préfèrerais en silence.

GIVRÉ ― On ne sait déjà pas à quoi elle ressemble, votre mémoire… Excusez-moi, mais ça va être difficile… (Il est près d’une sortie.) Oh ! J’ai quelque chose ! (Il tend le bras en coulisses et en retire un gros champignon.)

AMNÉSIQUE ― Ce n’est pas ma mémoire !

GIVRÉ ― Comment pouvez-vous l’affirmer alors que vous ne connaissez pas son apparence.

AMNÉSIQUE ― Parce que ceci est tout simplement un champignon, du genre Lepiota : Lepiota helveola.

GIVRÉ ― Ah ! La mémoire vous revient déjà. On chauffe.

AMNÉSIQUE ― Elle se serait cachée dans un champignon ?

GIVRÉ ― Sans doute. Vous devriez le manger.

AMNÉSIQUE ― Certainement pas, c’est un champignon mortel.

GIVRÉ ― S’il vous faut mourir pour retrouver la mémoire… c’est en effet un peu embêtant.

AMNÉSIQUE ― Sans intérêt !... Mais que ferait ma mémoire dans un champignon, je vous le demande ?

GIVRÉ ― C’est peut-être le champignon qui l’a absorbée.

AMNÉSIQUE ― Ce serait terrible, elle serait devenue toxique.

GIVRÉ ― Réfléchissons. Depuis quand la cherchez-vous ?

AMNÉSIQUE, évasif. ― Des semaines… des mois…

GIVRÉ, jette le champignon par-dessus son épaule. ― Fausse piste. Un champignon ne vit pas aussi longtemps !... Des semaines, des mois, elle doit être loin à présent.

AMNÉSIQUE ― Vous croyez qu’elle est partie ?

GIVRÉ ― Comment savoir ? Si vous l’avez simplement perdue, vous pouvez la retrouver soudainement, mais si elle a pris la fuite… Vous n’avez jamais entendu parler de la fuite des cerveaux ?

AMNÉSIQUE ― Mais mon cerveau est toujours là. (Il se tapote la tête.)

GIVRÉ ― C’est ce que vous croyez. Ça ne sonne pas franchement plein, là-dedans.

AMNÉSIQUE ― Vous m’inquiétez.

GIVRÉ ― Vous avez eu des symptômes avant-coureurs, des trous de mémoire ?

AMNÉSIQUE ― Je ne sais pas, je ne me souviens pas.

GIVRÉ ― C’est grave. Peut-être que votre cerveau est comme un gruyère et vous ne vous en rendez pas compte. Peut-être même que votre cerveau a été entièrement grignoté et c’est parce qu’il est vide que votre mémoire est partie.

AMNÉSIQUE ― Non !

GIVRÉ ― Elle avait froid ou elle se sentait mal à l’aise dans cette grande boîte vide.

AMNÉSIQUE ― Mais si je n’avais pas de cerveau, je ne pourrais pas parler, marcher...

GIVRÉ ― Détrompez-vous. Il existe des gens sans cerveau qui mènent une vie tout à fait normale.

AMNÉSIQUE ― Non !

GIVRÉ ― Si, si, je vous assure, j’ai lu ça dans une revue scientifique. Certes, ces gens là ne brillent pas par une extrême intelligence mais ils vivent normalement, comme vous et moi… Est-ce que vous savez résoudre une équation du second degré ?

AMNÉSIQUE ― Euh !... Je ne crois pas, non.

GIVRÉ ― Et ça ne vous manque pas !

AMNÉSIQUE ― Ben, non…

GIVRÉ ― Vous voyez, on peut très bien vivre sans cerveau.

AMNÉSIQUE ― Oui, mais si c’est le cas, ma mémoire ne voudra jamais retourner dans un cerveau vide.

GIVRÉ ― On peut très bien vivre sans mémoire aussi.

AMNÉSIQUE ― C’est vous qui le dites.

GIVRÉ ― On n’est pas plus heureux avec une mémoire. Regardez ! Moi je viens m’asseoir sur ce banc pour oublier mes soucis. Et combien de gens aimeraient oublier leurs soucis ? Ils ne le peuvent pas car leur mémoire le leur interdit. Plus de mémoire, plus de soucis. Hop ! Si ça se trouve, votre mémoire a quitté le navire parce que trop de choses insupportables encombraient votre cerveau vide. Et vous voudriez retrouver toutes ces choses insupportables ?

AMNÉSIQUE ― J’aimerais retrouver les choses supportables.

GIVRÉ ― Tout le monde voudrait ne conserver que les souvenirs agréables.

AMNÉSIQUE ― Quelques uns me suffiraient. Je ne demande pas la lune. Quelques souvenirs sur toute une...

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