ACTE I – Partie 1
(Hall de l’hôtel. Comptoir de réception/bar côté cour. Rosette est derrière le comptoir, affairée à classer des clefs, essuyer des verres, téléphoner. Elle chantonne faux et fort. Le téléphone sonne.)
Rosette – Hôtel Zanzibar, réception, j’écoute ! … Oui madame… En Haute-Savoie, bien sûr… Où voulez-vous qu’il soit, le Zanzibar ? (pause) … Non, pas en Afrique, pas dans les îles, ici, à deux pas de la fromagerie ! Le nonm ? Une lubie de la patronne : ici c’est comme ailleurs mais en mieux !
… (agacée) Pour acheter ? Ah ça, vous tombez bien, on est à vendre, comme tout le monde !
… Oui, oui, mais alors je vous préviens, je suis incluse dans le lot. Fidèle employée depuis vingt ans, garantie d’origine ! (pause) … Comment ? Vous « dégraissez » ? Pardon ? Pour le personnel ? Mais je ne suis pas grosse, moi, je suis dodue de bonne volonté ! (elle raccroche brutalement) – Non mais quel culot !
(Entre Félicité avec un panier. Elle lève la main pour saluer, Rosette lui fait signe de se taire, puis raccroche.)
Félicité – Qu’est-ce que c’était encore ?
Rosette – Une de ces acheteuses de malheur ! Elles veulent tout : l’hôtel, les clefs, et moi par-dessus le marché. Mais le salaire ? Hop, disparu dans le dégraissage !
Félicité – T’avais qu’à lui dire que toi, tu ne dégraisses pas… tu polis avec l’âge !
Rosette (riant) – Et toi tu râpes, comme du fromage, ma pauvre ! Ah, heureusement que t’es là, ma Félicité. Qu’est-ce que tu m’as apporté ?
Félicité (ouvrant le panier) – De quoi tenir le siège ! Tartes, saucisson, vin blanc… S’il faut défendre l’hôtel contre des acheteurs sauvages, on sera au moins bien nourries.
Rosette – C’est pas une vente, c’est un siège… Et nous, on est les otages !
Félicité – Oh, arrête ! S’il n’y avait pas toi, ce serait déjà un hôtel de passe…ou de casse, va savoir . Tu fais tout tourner, Rosette !
Rosette – Tu crois ? (elle croque dans une part de tarte) – C’est gentil… mais moi aussi je commence à fatiguer. La patronne ne pense qu’à vendre, vendre, vendre. Moi, je voudrais juste… (elle hésite) …vivre un peu (regard dans le vide)
Félicité – Ah ! Tu veux parler d’Antonio, ton italien de service, le séducteur en costume trop serré ?
Rosette – Ne m’en parle pas… C’est compliqué.
Félicité – Tout ce qui est compliqué est louche. Et tout ce qui est louche… finit dans les journaux ou à la poubelle. Bon parfois c’est pareil.
Rosette – Toujours aussi philosophe, toi ! (soupire) Bon, allez, mangeons. Si la patronne arrive, on dira que c’est une réunion syndicale.
(Elles rient, elles s’installent à grignoter derrière le comptoir. Noir rapide ou enchaînement vers la Partie 2 : arrivée de Joséphine.)
ACTE I – Partie 2
(Rosette et Félicité grignotent derrière le comptoir. Tout à coup, on entend une toux sèche. Elles se figent. Entre Joséphine Pugnon, stricte, tailleur impeccable, dossier sous le bras.)
Rosette (murmure) – Pognon ! Pugnon la patronne arrive…
Félicité (idem) – Le capital débarque…
Joséphine – Qu’est-ce que j’entends ? Qu’est-ce que je sens ? Du saucisson dans mon hall de réception ? Mesdames, nous sommes un hôtel de standing, pas un casse-croûte de montagne !
Rosette – Mais madame, il faut bien tenir le coup…