Le cabinet d’un médecin militaire, au sein du Palais Présidentiel. Rien ne permet de situer ni le lieu, ni l’époque mais, trônant au-dessus du bureau, le portrait en majesté d’un général en uniforme et bardé de décorations indique que l’action se situe dans un pays sous la coupe d’un tyran. Le médecin, en blouse blanche, est assis derrière son bureau. Il peut avoir n’importe quel âge, mais cet âge contribuera évidemment à la caractérisation de son personnage. Il sort une image médicale d’un dossier, se lève, et va l’examiner à la lumière d’une fenêtre imaginaire située du côté du public. Le téléphone sonne. Il revient vers son bureau, remet l’image dans le dossier, et saisit le combiné.
Médecin – Oui, sergent...? Oui... Très bien, faites-le entrer...
Un prêtre en soutane noire entre. Il peut être jeune ou vieux, mais son âge, et sa différence d’âge avec le médecin, influera sur son personnage et sur la relation entre eux.
Prêtre – Capitaine...
Le médecin se lève pour l’accueillir.
Médecin – Bonjour mon Père... Ou devrais-je dire lieutenant ? Car vous êtes militaire, vous aussi.
Prêtre – Le temps des moines-soldats est révolu. Je suis d’abord l’aumônier du Palais. Comme vous êtes avant tout médecin, j’imagine. Nous n’avons pas vocation à être affectés à des unités combattantes, n’est-ce pas ? Notre mission est de soutenir nos camarades et de leur venir en aide au besoin.
Médecin – Nous ferions tous deux de piètres combattants, j’en ai peur.
Prêtre – Je peux vous appeler Docteur, si vous préférez.
Médecin – Appelez-moi comme vous voudrez, mon Père... Tant que vous ne m’appelez pas mon fils...
Prêtre – J’essaierai de m’en souvenir.
Médecin – En tout cas, merci d’être venu si rapidement. À vrai dire, vous êtes le premier. Mais je vous en prie, asseyez-vous... Je peux vous offrir un café ? Une viennoiserie...
Prêtre – Merci, ça ira. (Il s’assied) Et donc... c’est pour un vaccin, je crois.
Médecin – Vous n’avez pas peur des piqûres, j’espère...
Prêtre – Non... En revanche, je vous confesse avoir égaré mon carnet de vaccination.
Médecin – Rassurez-vous, aucun de mes patients n’a jamais été en mesure de me montrer son carnet de vaccination. Moi-même, je ne suis pas sûr de savoir ce que j’ai fait du mien...
Prêtre – Dans ce cas, je suis à votre disposition, Docteur.
Médecin – Tout le monde au Palais va y passer, vous savez... Avec tous les virus qui traînent en ce moment... Le Général est en pleine forme, mais il n’a plus vingt ans. Même s’il ne sort plus guère du Palais, il faut le préserver au maximum de toutes les contaminations qui pourraient venir de l’extérieur. Pour cela, il faut vacciner son entourage immédiat. Et toutes les personnes qui pourraient être en contact avec lui.
Prêtre – Bien sûr. Autrefois on appelait cela le cordon sanitaire, je crois...
Médecin – Espérons que cette méthode soit plus efficace en médecine qu’en politique...
Prêtre – Je prie pour le Général tous les jours, mais j’ai parfaitement conscience que le secours de la science n’est pas à négliger.
Médecin – Oui... Nous nous partageons le travail, en quelque sorte. En tant que médecin particulier du Général, je veille à la salubrité de son corps. En tant que son confesseur, vous veillez sur le salut de son âme.
Prêtre – Et je ne sais pas qui a la tâche la plus ardue...
Le médecin semble surpris par cette remarque discrètement subversive, qui l’encourage à la confidence.
Médecin – En effet, nous vivons des temps difficiles. Comme médecin du Palais, je ne suis pas directement confronté aux problèmes auxquels mes confrères ont à faire face, mais je sais que ces derniers jours les blessés affluent à l’hôpital.
Prêtre – Les récentes émeutes ont fait beaucoup de victimes. Lorsque la médecine ne peut plus rien pour ces malheureux, il m’arrive d’aller leur prodiguer quelque réconfort avant qu’ils ne rendent leur âme à Dieu.
Médecin – Les émeutes... ou plutôt leur répression impitoyable.
Prêtre – On ne peut pas laisser le désordre s’installer, n’est-ce pas...? Espérons qu’une solution pacifique pourra être trouvée au plus vite.
Médecin – L’espérance... C’est le domaine de l’Église... La rue serait davantage portée sur l’exigence.
Prêtre – Entre l’espérance et l’exigence, il y a peut-être une place pour la négociation. Vous ne croyez pas à la possibilité d’une transition démocratique ?
Médecin – Une transition démocratique...? Alors que le leader de l’opposition vient d’être arrêté et jeté en prison sans même un simulacre de procès ?
Prêtre – Je n’ai pas dit que j’approuvais ces méthodes...
Médecin – La répression s’intensifie un peu plus chaque jour... Je crains surtout une guerre civile. Et quand une guerre a...