La friche

Quand la nature devient folle, les voisins aussi ! Clément Sauvajon, paisible retraité berrichon, rêvait de tranquillité. Mais c’est compter sans la friche : un hectare de ronces, de sangliers, de serpents et de mystères, laissé à l’abandon par son propriétaire, un aristocrate et poète autoproclamé de la végétation sauvage…. Une comédie de boulevard moderne, où la biodiversité de vient un personnage à part entière et où l’on découvre que la loi peut être plus épineuse qu’une ronce.

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ACTE I — LA JUNGLE EST À LA PORTE

 

 

CLEMENT(au bord de l’explosion, planté devant la baie vitrée) Justine… Justine… il a encore poussé !

 

JUSTINE(traverse le salon avec une pile de linge, sans lever la tête) Quoi donc ? Le laurier ?

 

CLEMENT(se retourne, dramatique) Non ! Le sanglier ! (Il pointe du doigt, outré.) Regarde-moi ça ! Là, au fond, à côté du roncier. On dirait qu’il s’apprête à charger ! Il calcule la distance jusqu’à notre portail ! Je le sens, je le vois.

 

JUSTINE(s’approche, plisse les yeux) Oui, ou alors… il regarde s’il peut entrer sans sonner. Tu sais, certains animaux sont très bien élevés. (Un GROGNEMENT énorme. Justine sursaute tellement qu’elle en échappe sa pile de linge.) Oh ! Cette maison me fera mourir de stress...

 

CLEMENT — Tu vois ! On n’est plus chez nous, ici… On est chez eux ! Chez les sangliers, les chevreuils, les reptiles, tous ces… trucs non identifiés à poils longs qui bougent toute la nuit !

 

JUSTINE(philosophe, mains sur les hanches) Peut-être, mais on échange avec eux. C’est moderne.

 

CLEMENT — Moderne ? Modernes, les sangliers ? Dans six mois, ils auront trouvé le moyen d’avoir un badge pour entrer où ils voudront. Un code d’accès avec « Entrez, bienvenue dans le quartier, servez-vous dans le potager ! »… Ben, voyons !

 

JUSTINE — Ça, je voudrais bien les voir faire. Rien que pour filmer la scène. (BRUIT : Craquement d’une branche qui tombe. Silence.)

 

CLEMENT(dramatique) Justine, tu as entendu ?... La friche attaque !

 

JUSTINE(sèchement) Arrête de monter dans les tours, tu vas encore faire de la tension.

 

CLEMENT(revenant un peu à lui) Je fais de la tension parce que eux font de l’extension. (La montrant du doigt.) Trois mètres cinquante de haut, Justine ! La muraille de Chine, version ronces, à deux pas de la maison ! (Grognement étouffé.)

 

JUSTINE(ironique) Tu devrais peut-être leur lire l’article L… quelque chose, là. Ça mérite une mise en demeure… (riant) Tu ne crois pas ?

 

CLEMENT(se redresse, fier) C’est déjà fait. Article L2212-2 du Code général des collectivités territoriales. Et article L131-10 du Code forestier. Je les connais par cœur. Je les récite avant de dormir.

 

JUSTINE — Oui, je sais. Tu parles en alinéas, maintenant... (Elle le regarde avec tendresse.) Et c’est un peu pour ça que je t’aime, vieux grincheux. (Il bougonne mais l’embrasse sur la joue.)

 

(On sonne à la porte, très vite, plusieurs coups pressés.)

 

JUSTINE (crie) Ça va ! J’arrive ! y’a pas l’feu !

 

(FRED déboule comme un survivant de l’Apocalypse, suivi de SYLVIA, très calme.)

 

FRED(essoufflé, catastrophé) J’ai escaladé la friche ! J’ai frôlé la mort ! Au moins TROIS fois ! Une fois en montant, une fois en descendant et une fois au milieu quand j’ai réalisé que je n’étais pas dans MON jardin !

 

CLEMENT(gravissime) Tu étais dans la friche ?

 

FRED — J’étais dans… l’inconnu. Dans l’Amazonie berrichonne. Dans… (Il tremble.) ... la porte de l’enfer végétal.

 

SYLVIA (entrant calmement derrière lui, blasée) Fred a glissé dans une ronce, Clément. Une seule a suffi. Mais elle était motivée.

 

FRED — Et j’ai vu un reptile ! Un serpent long comme ça !
(Il écarte les bras exagérément.) Il m’a regardé comme si j’étais un intrus !

 

SYLVIA — Tu étais un intrus.

 

FRED — Peut-être, Mais un intrus LÉGITIME ! Un contribuable ! Un père de famille ! Un homme qui paye sa taxe foncière, lui !

 

CLEMENT(pour la première fois souriant) Ça, c’est vrai. Tu es un intrus fiscalement irréprochable.

 

FRED — Ce serpent avait… ce regard… Tu sais, le regard de quelqu’un qui pense : « Tiens, encore un humain en milieu sauvage… Intéressant pour moi, ça !… »

 

JUSTINE(ironique) Ou alors : « Encore un idiot dans mon couloir de circulation… »

 

FRED(grandiloquent, tourné vers la baie vitrée) On vit dans un parc zoologique non déclaré !... C’est une réserve naturelle illégale !... Et le propriétaire, hein ? Qu’est-ce qu’il fait ? Il médite !... Tranquillou !... Dans son manoir ! Avec une tasse de tisane et une attitude de moine tibétain mal rangé !

 

SYLVIA — … et des chaussures en cuir au prix de mon lave-vaisselle.

 

CLEMENT(triomphant) Je lui ai envoyé un recommandé.

 

FRED (suspense) Revenu ?

 

CLEMENT — Revenu.

 

SYLVIA(tranchante) Il ne va donc jamais à la Poste ?

 

CLEMENT — Hum !... À son niveau social, les recommandés se déplacent vers lui… Sur coussin. Portés par des écureuils en livrée.

 

FRED(prend une voix guindée, rentre dans le jeu)  « Bonjour Monsieur le...

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