Le bourgeois bohème

Monsieur Jourdain, cadre supérieur dans l’industrie chimique, voit son entreprise rachetée par un holding. Ce dernier lui propose de prendre la diection d’un groupe de presse. Afin de s’intégrer à ce nouveau milieu, il prend des leçons pour se mettre au diapason de la “classe créative”.

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Liste des personnages (9)

Monsieur Jourdain Homme • Adulte
Cadre supérieur dans l'industrie chimique
Bernard-Henri Goldberg Homme • Adulte
Nouveau philosophe
Mademoiselle Luzerne Femme • Jeune adulte
Diététicienne
Maître Chi Fu Huang Homme • Adulte
Professeur de méditation orientale
Grâce de Montelbajac Femme • Adulte
Conseillère en style
Théo Tiberio Homme • Adulte
auteur, metteur en scène, et critique dramatique
Dorimène Femme • Jeune adulte
Journaliste
Anaïs Femme • Jeune adulte
Confidente de Dorimène
Un sommelier Homme • Adulte

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ACTE I

 

Scène I – Tiberio, Mlle Luzerne

TIBERIO

Quoi, Madame ? Vous ? A cette heure-ci ?

MLLE LUZERNE

C’est exactement ce que j’allais vous dire.

TIBERIO

N’avons-nous pas convenu que j’aurai le créneau de 16h45 , et vous celui de 17h30 ?

MLLE LUZERNE

C’est exactement l’inverse, et vous savez très bien pourquoi.

TIBERIO

Et pourquoi donc, je vous prie ?

MLLE LUZERNE

Parce qu’à 17h30 les transamylases n’agissent pas sur la chlorophylle de la même façon qu’à 16h45.

TIBERIO

Vous savez fort bien qu’après avoir mangé votre herbe à chat, il est de fort mauvaise humeur ; incapable de suivre mes indications scéniques, ni de fixer sa respiration. Quand je pense que je me suis engagé à lui donner le rôle de ce jeune drogué homosexuel dans la pièce de Koskas !

MLLE LUZERNE

Et vous savez tout aussi bien qu’avec les gesticulations que vous lui faites faire, son système gastro-lymphatique est envahi par les toxines. Ce sera miracle s’il dépasse l’âge de soixante-cinq ans.

TIBERIO

Quoi ! Vous m’accusez de tuer la poule aux œufs d’or ? J’ai le plus grand respect pour l’agriculture biologique, mais avouez que cette sorte de cresson caoutchouteux que vous lui faites ruminer aura un jour raison de son pauvre organisme ! On imagine bien quelque saloperie de bactérie traîner là dedans au milieu de traces de pisse de renard, vous ne lisez donc pas les journaux ?…Je préfère mille fois le bon vieux bœuf mode de la mère Jeannette, à Montmartre….

MLLE LUZERNE

Et c’est vous qui m’accusez de ne pas lire les journaux ? Savez-vous combien de tonnes de méthane dégage l’élevage intensif des bovins ? Combien de millions d’hectares de sol doivent être défrichés, appauvris, violés, vidés de leurs sucs pour produire les cultures fourragères nécessaires à l’alimentation de ces bêtes ? Manger de la viande, c’est un crime envers la planète, et toutes les études…tous les chercheurs….toutes les universités…ainsi que le journal Le Monde…s’accordent à montrer que….(Elle cherche ses mots)….je vous renvoie d’ailleurs à l’émission de la semaine dernière…

TIBERIO

Que voulez-vous, nous autres artistes, nous ne pouvons pas nous nourrir que de pétales de pissenlits. Il nous faut une formidable énergie pour donner corps à nos chefs-d’œuvre, pour faire naître cette magie du spectacle vivant, cet art éphémère qui interpelle l’humain jusqu’au cœur de la cité ; et nous n’avons pas plus de mépris pour la fatuité du bourgeois philistin que pour ces peine-à-jouir, ces coincées du cul, ces crevettes frigides obsédées par les trois feuilles de salade au fond de leur assiette…

MLLE LUZERNE

Et moi, je passe sous silence l’opinion que j’ai de tous ces théâtreux miteux qui se prennent pour Brecht ou Molière, sous prétexte qu’ils ânonnent devant trente imbéciles qui sont là par erreur une logorrhée insipide à laquelle pas même eux ne comprennent quoi que ce soit, dans un local minable que leur prête un conseil municipal magnanime, à la seule fin de renouveler leurs subventions et leur éligibilité à je ne sais quelle allocation connue d’eux seuls.

TIBERIO

Il est certain que lorsque l’on n’est préoccupée que de son propre corps, de la mesure de son tour de cuisse, qu’on est sans cesse à l’écoute de ses flatulences et qu’on vérifie trois fois par jour si le crayon ne reste pas accroché sous sa mamelle, on  ne peut qu’être rétive à toute notion d’élévation intellectuelle et de conscience citoyenne.

MLLE LUZERNE

Phallocrate !

TIBERIO

Pécore !

MLLE LUZERNE

Imposteur !

TIBERIO

Boudin !

 

Scène 2 – M. Jourdain, Mlle Luzerne, Tiberio

  1. JOURDAIN

Qu’entends-je ? Qu’entends-je ? On se dispute donc chez moi ? Est-ce bien vous, Mademoiselle Luzerne, qui criez si fort ? Et Monsieur Tiberio, n’avez-vous pas honte de donner de la voix contre une personne du beau sexe ?

TIBERIO

Pas du tout, nous étions simplement en train de régler une question de….de….

MLLE LUZERNE

….de planning.

TIBERIO

En effet la diététique est indispensable à votre équilibre personnel…

MLLE LUZERNE

Pas plus cependant que vos cours de théâtre…

TIBERIO

Cependant il importe de régler tout cela dans le meilleur intérêt des parties en présence…

MLLE LUZERNE

Car dans les deux cas, c’est de votre biorythme qu’il s’agit, M. Jourdain !

  1. JOURDAIN

Mens sana in corpore sano, comme me l’ont appris mes bons maîtres. Eh bien, par quoi commencerons-nous aujourd’hui ? Déclamation, ou mastication ?

TIBERIO

Je crois que Melle Luzerne tient beaucoup au créneau de 16h45…

MELLE LUZERNE

Point du tout…Il se trouve que la position de la lune, cette semaine, rend optimale l’exposition aux rayons cosmiques régénérants – qui jouent un rôle particulier dans la digestion de la chlorophylle – vers 17h30. C’est donc de bonne grâce, très cher Monsieur Tiberio, que je vous cède le créneau de 16h45.

  1. JOURDAIN

Mens sana pour commencer, alors ?

TIBERIO
Eh bien , soit.

  1. JOURDAIN

Du moment que ça ne se termine pas au « Sana »….Ah ! Ah ! Ah !

Ce calembour laisse Tiberio et Mlle Luzerne de marbre

MELLE LUZERNE

Si vous le permettez, en attendant mon tour, j’irai me détendre dans ce parc récréatif aménagé par la mairie tout en y parcourant un excellent ouvrage sur les cycles vitaux.

  1. JOURDAIN

Mademoiselle Luzerne, je vous souhaite d’y trouver une source de développement personnel et je vous dit « à tout’ » (A Tiberio : ) C’est bien ainsi que l’on dit, n’est-ce pas ?

 

Mlle Luzerne sort.

 

Scène III – Tiberio, M. Jourdain

  1. JOURDAIN

Mon  cher Tiberio, je vous avouerai que je me serai bien passé de vos leçons (Il s’asseoit, prend un cigare, et en offre un à Tiberio) Un cigare ?

TIBERIO

Non merci. Je ne fume que du tabac à rouler.

  1. JOURDAIN

Mais ces messieurs du holding m’ont très vite fait savoir que si je désirais prétendre à la direction générale du groupe de presse qu’il viennent de racheter, après vingt-deux ans de bons et loyaux services dans l’industrie chimique, je devrai me mettre au diapason de la classe créative et soigner mon image. Remarquez que cela ne me dérange pas plus que ça. J’ai toujours adoré les artistes, et cette promotion méritée est une occasion de renouer avec  les choses de l’esprit et de réinventer ma personnalité dans une direction décontractée et créative.

TIBERIO

Fort bien. Savez-vous votre texte ?

  1. JOURDAIN

Sans doute, quoique je n’y comprenne rien.

TIBERIO

Comment ? Vous ne saisissez donc pas la révolte de ce jeune drogué homosexuel ? Vous n’appréhendez pas la démarche citoyenne de cette œuvre ?

  1. JOURDAIN

Croyez-bien que ce n’est pas faute d’avoir essayé…J’ai bien essayé d’en percevoir toute la douleur…toutes les remises en questions…tout ce refoulement qui éclate dans un crescendo nihiliste…pour reprendre vos propres paroles. Mais ce n’est guère amusant. Quand ma mère m’emmenait au théâtre, c’était tout de même plus distrayant. Il y avait un amant dans l’armoire, ou bien sous le lit. Les décors étaient de Roger Hart. Les costumes de Donald Cardwell.  Micheline Dax était habillée comme les dames qui venaient jouer au bridge le dimanche à la maison. Et elle trompait son mari avec adresse et discrétion.

TIBERIO

Cher Monsieur Jourdain, permettez-moi de vous apprendre que tout ceci est ringard, bourgeois et dépassé. Si vous désirez acquérir la moindre crédibilité auprès des jeunes artistes et créateurs que vous serez amené à côtoyer dans vos nouvelles fonctions, vous devez vous familiariser avec le spectacle vivant contemporain. C’est pourquoi j’ai choisi ce chef-d’œuvre de Koskas, qui retrace la détresse, la déprime, la déviance, la démission, que dis-je, la dérive, la déchéance, de ce jeune drogué homosexuel écoeuré par la société bourgeoise. Donc, je vous écoute.

  1. JOURDAIN dit son texte, maladroitement

L’hypothèse du monde-langage incrusté dans son médullarium, tandis que sur un parking d’autoroute les failles du corps chantent un psaume éternel, dont la transmission de langage n’est qu’un échafaudage progressif de la machine, machine-bête, machine-secours, machine-logodrame, machine-monde enfin porteuse de tous les ça, de tous les moi, de tous les égos égotistes de la respiration spirituelle,...

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