Le Charlatan sur l’Île Enchantée

Édition :

Tous les cent ans, la fée Rosalinde offre des talismans aux pouvoirs magiques à un mortel : une baguette qui transforme tout ce qu’elle touche en or, un cor qui permet de convoquer une armée, une écharpe qui conduit son détenteur là où il le souhaite. Son choix se porte sur Bartholomé Mercurius, un jeune Viennois qui a fait naufrage sur une île enchantée. Celui-ci utilise les cadeaux avec maladresse, suscitant la curiosité du souverain local, le roi fainéant Tutu, et l’envie de sa fille Zoraïde, qui fera tout pour s’en emparer.
Le Charlatan sur l’Île Enchantée, créée le 18 décembre 1823 au Theater in der Leopoldstadt de Vienne, est la première des huit pièces de Raimund. Elle n’avait jamais été publiée auparavant en français.
Ferdinand Raimund (1790-1836) est un comédien et auteur dramatique qui, avec son successeur Johann Nestroy, est aussi célèbre et joué en Autriche que le sont Eugène Labiche et Georges Feydeau en France. Raimund élève la « féerie », issue de la tradition populaire viennoise, au rang de genre littéraire : les fées et les bons génies imposent des épreuves aux personnages et les libèrent de leurs travers, de la cupidité, de l’envie ou de la bêtise. Ce genre théâtral, qui n’a pas d’équivalent en France, mêle le merveilleux, la farce, les chants et les danses de l’opérette avec la comédie de mœurs et la moralité allégorique héritée du théâtre baroque.
Les Editions du Brigadier ont entrepris de traduire une quinzaine d’œuvres de Ferdinand Raimund et Johann Nestroy. Pour ce faire, elles ont rassemblé, autour de Henri Christophe qui coordonne la traduction, une équipe composée de Jean-Louis Besson, Catherine Creux, Marc Lacheny et Sylvie Muller.

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Ferdinand Raimund

Le Charlatan sur l’Ile
Enchantée

(Der Barometermacher auf der Zauberinsel)

Traduit de l’allemand (Autriche) par
Marc Lacheny

Editions du Brigadier
14, rue du Quai - 59800 Lille

Personnages

La fée Rosalinde

Lidi, première nymphe

Tutu, souverain d’une île enchantée

Zoraïde, sa fille

Linda, sa femme de chambre

Hassar, le serviteur particulier de Tutu

Bartholomé Mercurius, fabricant de baromètres viennois

Un garde

Le médecin particulier de Tutu

Zadi, un habitant de la forêt

Petit Hussard, commandant de l’armée enchantée

Le premier matelot

Des nymphes, des amazones, les serviteurs de Tutu, le peuple, les soldats et les petits hussards de l’armée enchantée, des génies, la voix du cor, de la baguette et de l’écharpe, des esclaves hommes et femmes, des danseurs et des danseuses, des matelots.

Acte I

Scène 1

Le palais des fées. La fée Rosalinde sur un trône de fleurs, situé sur le côté. Des nymphes sont regroupées autour d’elle. Lidi

Lidi. — N’oublie pas, sublime fée, que cent nouvelles années ont passé et que tu dois te décider à attribuer de nouveau les cadeaux magiques à un mortel.

La Fée. — Les humains d’aujourd’hui méritent-ils vraiment qu’une fée pense encore à eux ?

Lidi. — Il existe parfois des humains vraiment gentils dont je ne suis pas l’ennemie.

La Fée. — Depuis toujours, tu sembles avoir plus d’attirance pour eux que pour le monde des fées. Je te plains car je connais ces humains. Leur soif de raillerie n’épargne même plus les fées ! Si je n’étais pas contrainte d’accomplir la décision du destin, je laisserais pourrir ces talismans au fond de leur oubli.

Lidi. — Alors à qui veux-tu les attribuer ? Tu dois bien faire un choix !

La Fée. — Maudite contrainte ! Qui mérite encore d’être heureux ? N’ai-je pas toujours été trompée ? Quand je rendais heureux un pauvre, il abusait de mes cadeaux avec une arrogance impertinente, et quand je les offrais à un riche, ce n’était pour lui qu’une raison supplémentaire de se moquer du pauvre. À qui dois-je les attribuer ?

Lidi. — Remets-t’en au hasard : offre-les à celui qui est à cet instant au plus près des ruines dans la vallée des palmiers, là où sont conservés les cadeaux magiques.

La Fée. — Tu as raison ! C’est le hasard qui décidera du sort de mes cadeaux ; je veux voir qui demeure à cet instant près des ruines.

Musique. Le mur du fond s’écarte, montrant, dans une ouverture ovale, le décor de la scène suivante représentée en miniature et Mercurius assis sur une ruine. La musique joue, très doucement, le chant de l’aria à venir de Mercurius.

Toutes les nymphes. — C’est un homme amusant !

La Fée. — Si mon pouvoir de fée ne me trompe pas, c’est un humain heureux de vivre, qui honore la plaisanterie ; de tels humains ne sont en général pas les pires.

Lidi. — Il vient tout juste de penser à quelque chose de gai.

La Fée, faisant un signe de la main, l’apparition se dissipe. — Vérifiez dans le dictionnaire de l’humanité qui peut bien être cet étranger.

Lidi, s’exécutant, ouvre un livre qui surgit de terre sur un pupitre. — Il se nomme Bartholomé Mercurius, c’est un fabricant de baromètres qui a fait faillite, un charlatan doté de beaucoup d’humour, qui est parti faire fortune.

Le pupitre disparaît.

La Fée. — Qu’il soit aidé. Entourez-moi ! J’attribue les cadeaux à l’étranger.

Elle dessine un cercle avec sa baguette et chante :

Le cor, la baguette, l’écharpe il trouvera !

Lidi, leur usage tu lui expliqueras !

Surtout, qu’il s’en serve avec discernement

S’il veut en tirer avantage longuement.

Toutes se retirent.

Scène 2

Mercurius, plus tard la voix du cor, de la baguette et de l’écharpe, Lidi, les trois génies.

Changement. Le lieu où se trouve Mercurius, mais en taille réelle. Sur le côté, une ruine.

Mercurius, chantant une aria.

À quoi bon des baromètres

Encore en ce bas monde ?

Chacun fait du temps, faut l’admettre,

Ce qui, dans son sens, abonde.

Aux riches, il montre l’harmonie

Et aux godelureaux le vent

Quand ce sont de pauvres gens.

Souvent aux gens très beaux

Il montre un temps variable

Et des tempêtes aux salauds,

Mais moi, le froid m’accable ;

Pourtant, Destin, c’est un vrai malheur

Qu’tu m’poursuives avec obstination !

Heureusement qu’mes bienfaiteurs

Me sauvent de l’extinction.

Quelle magnifique profession, fabricant de baromètres : on peut mourir de faim tous les jours ! Moi qui, malheureux, ai dû prendre la mer pour étourdir par mon art les peuples sauvages de la terre, voici maintenant que le destin me jette sur cette île enchantée où je n’ai encore rien vu d’autre qu’une poignée de canaris ou quelque oiseau de ce genre, et un éléphant à trois pattes. Sûr qu’ils n’auront pas besoin de baromètre ! Si moi je ne me suis pas noyé, le navire a néanmoins sombré, juste parce que moi, oiseau de malheur, j’étais à bord. De loin déjà, les matelots ont maudit cette île enchantée parce que tout bateau qui s’en approche fait naufrage. C’est bien ce qu’il s’est passé — ils se sont sauvés en montant dans une chaloupe et moi, je me suis accroché à mon baromètre et j’ai nagé. Ma plus grande chance est encore que, l’été d’avant, j’étais allé deux fois à l’école de natation du Prater de Vienne et que j’avais observé les nageurs. J’ai copié sur eux, sinon je n’y serais pas arrivé. Et là, je suis bien malheureux. Mais c’est bien fait pour moi, oui, bien fait pour moi. Mon premier malheur, ça a été mon nouvel imprimeur. Hélas, sur les bouts de papier collés sur les marques de mes baromètres, partout il oublie des choses. Par exemple, dans « temps pluvieux », il oublie le « plu », donc on lit en haut « temps vieux », et au lieu de « vent chaud », « vin chaud ». Je ne m’en aperçois pas, je vends le produit, les gens croient que je me moque d’eux et ne me donnent plus de travail. Plus aucun revenu ! Comme je n’ai pas payé ma note à l’auberge pendant un bon moment et que j’ai demandé quelque chose au serveur, le baromètre de sa serviabilité est monté sur « flanquez-le dehors », et si je n’avais pas rapidement décampé, il aurait baissé sur « frappez-le ». Que pouvais-je donc faire d’autre que de vendre le peu qu’il me restait et de partir dans le vaste monde ? Me voici à présent, seul et abandonné de tous : un arbre fruitier dans le désert. (Il pleure.) Mais de tous mes bruyants compagnons, qui me conserve encore son amour ? Ce noble estomac, le seul parasite qui m’importune en me restant fidèle, voilà qu’il m’adresse justement une nouvelle requête pour avoir à manger. Destin, si tu as un tant soit peu de fierté, ne me laisse pas mourir de faim ! (On entend une douce musique souterraine.) Qu’est-ce que c’est ? Une académie de musique souterraine ?

La voix du cor. Qui veut me jouer ?

Mercurius. Étrange question.

La voix de l’écharpe. Qui veut me porter ?

Mercurius. On est censé la porter, elle ? Elle doit peser des tonnes.

La voix de la baguette. Qui veut m’agiter ?

Mercurius. Et maintenant la troisième, qui veut être agitée. Qu’est-ce que tout ça signifie ?

Les trois voix ensemble.

Va, joue-moi.

Va, porte-moi.

Va, agite-moi.

Tel sera ton bonheur.

Mercurius. Je ne sais pas quoi penser. Jouer, porter et agiter. On peut en penser ce qu’on veut, mais c’est censé être mon bonheur. Donc allons-y !

Je te joue.

Je te porte.

Je t’agite.

Montez ! Montez !

Coup de tonnerre. De terre sortent trois pupitres sur lesquels on découvre un cor de chasse argenté, une écharpe et une petite baguette dorée. On entend un bref chant souterrain.

Mercurius. Un petit cor de chasse ? Étrange ! Un bandeau avec des yeux de bovins ? (L’écharpe noire est garnie de signes magiques ronds.) Et un petit bâton doré pour battre les coussins. Qu’est-ce que c’est que ces enfantillages ? On me prend pour un imbécile ? Qu’est-ce que c’est que cet énergumène souterrain ? Si seulement il sortait de terre, je lui lancerais mon baromètre à la figure, si bien qu’il éclaterait en mille morceaux.

Coup de tonnerre. Les ruines se transforment en une tente de nuages couleur rouge vif, garnie de roses blanches. Brève musique.

Lidi, apparaissant, accompagnée de trois génies. — Ingrat, ne blasphème point !

Mercurius. Ciel, qu’est-ce que c’est ? Quelle beauté ! Nymphe de la forêt, ou dame du lac, accepte l’hommage du plus misérable de tous les fabricants de baromètres de la terre.

Les trois génies retirent les trois cadeaux de leurs pupitres, qui disparaissent.

Lidi.

Écoute bien !

Les cadeaux que tu vois,

D’une grande valeur magique,

Te sont offerts rien qu’à toi

Par un hasard mirifique.

Mercurius, pour lui-même. Elle parle en vers, il faut donc que je me fende à mon tour de quelques rimes, (À Lidi :)

Pardonne ma joyeuseté,

Ô, nymphe bien née,

De m’être sur tes cadeaux, avant,

Montré si méprisant.

Mais comment donc procéder

Avec ces magiques objets

Afin qu’utiles ils me soient

Je te le demande prestement cette fois,

Vénérable fée,

Ô dis-le moi, allez, allez.

Les trois génies, se moquant de lui. Ha, ha, ha.

Mercurius, regardant autour de lui, vexé. Regardez un peu ces enfants, venus d’un orphelinat ensorcelé. Ils se moquent d’un homme cultivé qui sait improviser des vers.

Lidi.

Quand la baguette tu agiteras,

Alors te sourira le sort,

Ce qu’avec elle tu toucheras

Se transformera en or.

Tu pourras faire apparaître

De splendides vêtements,

Faire surgir des diamants

En inclinant ta baguette.

Et si jamais, un jour, tu te sens belliqueux,

Le cor t’apportera des soldats courageux.

Si le bandeau te couvre et tu veux t’en aller,

Tu s’ras en un instant à l’endroit désiré.

Prends soin de ces présents, si un jour tu les perds,

Tu n’les retrouveras que grâce à ta vigueur.

Elle recule, la tente se transforme à nouveau en ruine.

Les trois génies, lui donnant les cadeaux, lui lancent, le doigt menaçant. — Toi ! Attention !

Tous les trois se retirent en riant.

Mercurius. Quels rejetons mal élevés ! Enfin, des enfants de fées — les anciens ne les surveillent pas. Ils les laissent se balader pieds nus, c’est comme ça. Mais quelle chance, quelle chance ! Qui aurait imaginé ce matin que j’aurais autant de chance aujourd’hui ? Si seulement, maintenant, quelqu’un apparaissait rapidement, que je puisse l’embrasser ou le massacrer de joie !

Scène 3

Mercurius, un chœur de matelots arrivant sur une chaloupe.

Le chœur des matelots, chantant.

Ô joie, ô joie, ô joie,

Amis, c’est le rivage.

Laissez la mer mugir

Et les vents rugir.

Courez sur la plage.

Ils sautent sur la terre ferme.

Le Premier matelot. Cette fois, nous nous en sommes tirés à bon compte. Quelle tempête ! Toute une journée, nous avons ramé en vain, et pourtant le hasard nous a fait débarquer sur cette maudite île aux fées. Il n’y a aucun espoir, selon moi, de tomber sur un humain ici.

Mercurius. Dis-moi merci, je dois donc ressembler à une bête.

Le Premier matelot, voyant le baromètre à terre. Camarades, regardez : un baromètre.

Il le soulève.

Mercurius.

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