Le Paysan Millionnaire

Édition :

La Demoiselle du Royaume des Fées ou Le Paysan Millionnaire est une féérie romantique qui a été créée le 10 novembre 1826 au Theater in der Leopoldstadt de Vienne. Le personnage du paysan devenu millionnaire et qui n’en est pas plus heureux pour autant a tellement plu au public, que ce qui n’était au départ qu’un sous-titre, est devenu le titre par lequel tout Autrichien connait la pièce, aujourd’hui comme au temps de sa création.
Ferdinand Raimund (1790-1836) est un comédien et auteur dramatique qui, avec son successeur Johann Nestroy, est aussi célèbre et joué en Autriche que le sont Eugène Labiche et Georges Feydeau en France. Raimund élève la «féerie», issue de la tradition populaire viennoise, au rang de genre littéraire ;: les fées et les bons génies imposent des épreuves aux personnages et les libèrent de leurs travers, de la cupidité, de l’envie ou de la bêtise. Ce genre théâtral, qui n’a pas d’équivalent en France, mêle le merveilleux, la farce, les chants et les danses de l’opérette avec la comédie de mœurs et la moralité allégorique héritée du théâtre baroque.

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Ferdinand Raimund

Le Paysan

Millionnaire

ou La Demoiselle

du Royaume des Fées

(Das Mädchen aus der Feenwelt
oder Der Bauer als Millionär)

Traduit de l’allemand (Autriche) par
Henri Christophe

Editions du Brigadier
14, rue du Quai - 59800 Lille

Personnages

Lakrimosa, une fée puissante

Antimone, la fée de la contrariété

Boremax, son fils

Pustarius, sorcier hongrois

Ajaximok, cousin de Lakrimosa, magicien allemand

Zenobius, majordome et confident de Lakrimosa

Selima

Zulma

Hymen

La Sérénité

La Jeunesse

Le Grand Âge

Un cocher antédiluvien

Monsieur Lenvie

Monsieur Lahaine

Ira, la naïade de Karlsbad

L’Aube, le Soir, la Nuit, la Sottise, la Paresse, ainsi que plusieurs autres personnages allégoriques, sorciers, fées, génies.

Illi, postier au royaume des esprits

Nigowitz, un génie de Lahaine

Tofan, secrétaire de Lahaine

Un garde spirituel

Un triton

Deux furies

Neuf esprits, gardiens de la bague magique

Un satyre

Un serviteur

Esprits de la Nuit

Furies de Monsieur Lahaine

Fortunatus Racine, jadis paysan, devenu millionnaire

Lotti, sa pupille

Lorenz, ancien vacher chez Racine, devenu son premier valet de chambre

Karl Roso, un pauvre pêcheur

Habakuk, domestique chez Racine

Rimaille

Flagornisch

Leschekuehl

Un serrurier, un menuisier

Peuple, grand nombre de compagnons

Les domestiques de Racine

L’action commence le matin du premier jour et s’achève le soir du deuxième. Elle se déroule dans le royaume des fées et sur Terre.

Acte I

Scène une

Pustarius, Ajaximok, Zenobius, Antimone, Boremax, Selima, Zulma, la Nuit, le Matin, le Soir, d’autres personnages allégoriques.

Une grande salle de fête, illuminée par des lampes magiques de différentes couleurs, fixées sur des candélabres, qui ornent les panneaux du décor. Au fond, une grande porte en forme d’arc dissimulée par un rideau bordé d’or ; les magiciens et les fées sont assis en cercle, servis par quatre génies descendant du ciel en livrée ailée ; ils apportent de temps à autre des plateaux d’argent garnis de gourmandises, puis s’en retournent au ciel avec les plateaux vides. Au milieu du théâtre, quatre esprits - deux violons, un alto et un violoncelle - interprètent sur des instruments dorés devant d’élégants pupitres, un quatuor. Le jeune Boremax en soliste au violon. Deux furies et un triton l’accompagnent. Ce quatuor dialogue avec le chœur :

Chœur des magiciens et des fées.

Quel concert magnifique

Cette musique vous prend aux tripes

Piètre pianotage, l’Amphion !

Triste harpiste, même l’Apollon !

Quand on écoute de tels artistes,

Bravo bravo, quels rhapsodistes.

Bravo bravo (Decrescendo.) Bravo bravo...

Applaudissements nourris. Les quatre esprits posent leurs instruments et s’inclinent. On emporte les partitions. « Bravo, Bravo. »

Zenobius. Bravissimo, Messieurs ! Quelle belle exécution, vous surtout.

Il désigne le triton.

Pustarius. Ysten nuzek1, beau quatuor ça, qui avoir composté ?

Zenobius. — L’adagio est d’un dauphin.

Pustarius. — Et le furioso ?

Zenobius. — D’une furie.

Pustarius. — C’est bien, ça, furie parfaite pour faire furioso.

Boremax. — Maman, moi, personne ne me félicite.

Antimone. — Mais tais-toi.

Pustarius. — Le jeune seigneur jouer pas trop mal non plus.

Antimone, ayant pendant ce temps essuyé la sueur sur le front de son fils. Pas trop mal ? Vous m’excuserez, mais vous frôlez l’incident diplomatique, vous devez dire sublime, magnifique, il est le premier violoniste de tout le royaume des fées, c’est moi qui vous le dis.

Zenobius. — Au fond, c’est d’abord les autres qui devraient le dire, et après seulement vous. (À part :) La vanité de cette femme me tape sur le système.

Antimone. — Non, c’est moi qui dois le dire, moi, c’est mon unique enfant ! Qui serait capable de le juger de manière plus impartiale que moi, sa mère. Bien qu’en raison de ma jeunesse et de mes attraits, jamais on ne devinerait que je suis sa mère.

Pustarius. — Non, j’aurais prise vous pour grand-mère.

Antimone. — Trêve de plaisanterie, vous n’avez pas idée combien ce garçon me coûte ?

Pustarius. — Moi je ne donnerais pas huit kreutzers pour lui.

Antimone. — Il a comme professeur l’un des tout premiers maîtres du monde, que je fais chaque jour monter depuis la terre avec mon carrosse de nuages ; pour chaque leçon, je paie deux cents schillings.

Zenobius, à part. — On va la faire enrager.Antimone :) Ça ne sert à rien. Son doigté est parfois... apoplectique.

Boremax. — Oui, moi aussi, j’ai eu cette impression.

Antimone. — Comment ça, apoplectique, apoplectique ? Ce n’est pas de sa faute, c’est vous qui avez l’ouïe apoplectique. (Boremax pleure.) Cessez d’humilier mon enfant. Pouah, mon Boremaxi, faut pas pleurer, tu entends, faut même pas leur prêter l’oreille, à ces épouvantails.

Boremax. — Bien sûr, qu’ai-je à faire d’eux, ils sont bien moins doués que moi.

Antimone. — Oui, mon garçon, ça c’est bien, là tu es sage.

Zenobius. Ça c’est bien, ah ça me plaît, ça !

Pustarius. Ça c’est bonne éducation, des douceurs au garçon et des ducats au maître.

Antimone. — Et tu apprends à souffler dans la clarinette, et dans le cor anglais. Parfaitement. Attendez voir, à force de souffler, il va finir par m’élever dans les airs pour de bon.

Pustarius. — Pas la peine, vous êtes assez boursoufflée comme ça.

Antimone. — Arrêtez de m’offenser, ou je quitte la réception —

Elle va pour sortir.

Zenobius. — Mais restez. Lakrimosa nous a-t-elle convoqués pour que nous nous disputions ? Elle va faire son apparition d’un instant à l’autre ; le temps d’accueillir son cousin qui vient d’arriver de Donaueschingen ; comme personne n’est autorisé à loger au palais, il est descendu comme vous autres à l’Auberge des Sorciers.

Antimone. — D’accord, par politesse, je veux bien rester, mais je ne saurais supporter les affronts en silence.

Pustarius. — Voilà femme trop aimable, si un jour moi marier, j’en prendrai pas une autre, mais elle non plus.

Scène 2

Les précédents, un domestique des fées.

Un domestique des fées. — La Fée.

Zenobius. Que tout le monde arbore un visage souriant, illico.

Pustarius. — Moi pas content, moi pas souriant.

Scène 3

Les précédents, Ajaximok, Lakrimosa, le visage triste, mais distingué. Plus tard, deux domestiques, un génie.

Tous. — Vive la maîtresse de ces lieux !

Lakrimosa. — Je suis ravie, mes chers amis, vous avez l’air de bien vous divertir.

Tous. — Sublimement.

Lakrimosa. — Je vous présente mon oncle adoré, le magicien du pays de Souabe.

Ajaximok. — Très heureux de faire votre connaissance.

Tous. — Très heureux.

Pustarius. — Diantre, Ajaximok !

Ajaximok. — Fichtre, qu’est-ce que vous venez faire ici, mille génies, je suis ravi !

Lakrimosa. — Ces messieurs se connaissent ?

Ajaximok. — Je veux ! C’est où déjà qu’on s’est vu la dernière fois ?

Pustarius. — Vous n’étiez pas au dîner des esprits à Temesvar par hasard ?

Ajaximok. — Bien sûr, on s’était drôlement bien amusés tous les deux.

Lakrimosa, s’interposant entre eux deux. — Il suffit, Messieurs, ce sera pour une autre fois, ces beaux souvenirs. C’est à mon tour. (Elle les embrasse tous du regard ; avec plaisir :) Non, personne n’est absent, tous ceux que mon chagrin a appelés sont venus, toutes les fées et tous les magiciens, les nuages de toute l’Allemagne, de Prusse, de Bohème et de Hongrie les ont portés vers moi, mon cher Pustarius de Warestin, mon amie, la nymphe de Karlsbad, la calme Nuit dont le sein a si souvent servi de coussin à mon crâne songeur. Selima et Zulma, les fées venues de la frontière turque. Le Matin et le Soir, la Richesse et la Misère, la Sottise, la Paresse et ainsi de suite, tous, toutes sont là.

Pustarius. — Quelle joie ! Tous sommes là.

Lakrimosa. — Eh bien, entendez la raison qui m’a fait vous demander de quitter vos châteaux de nuages pour me prêter assistance dans la pénible situation où je me trouve.

Tous. — Racontez-nous.

Lakrimosa. Ça va faire dix-huit ans tout ronds, lorsqu’un jour joyeux de juillet - les rayons brûlants du soleil dardaient la terre, je m’assis sur l’un deux et glissai en bas - et soudain, invisible, je me retrouvai dans une agréable vallée autrichienne, sur un tas de vêtements brillants dont le scintillement avait dévié mon rayon. Et voici qu’un jeune homme blond se dressa : le voir et l’aimer fut l’œuvre d’un instant. Il était directeur d’une troupe de fildeféristes itinérants qui avait fait halte dans un bourg isolé et qui refusait de continuer tant qu’un reliquat de deux cents florins ne leur aurait pas été payé sur-le-champ. Ma décision fut prise dans un éclair, ce sera lui mon époux, ou personne. Une bourse pleine de louis d’or se glissa aussitôt dans sa poche, et je m’envolai vers mon royaume sous forme de colombe roucoulante. Mon ami Zenobius me vit arriver.

Zenobius. — Je m’en souviens comme si c’était aujourd’hui. C’était un dimanche, la veille on nous avait livré le bois.

Lakrimosa. — Je lui remis en hâte les clefs de mon palais, et pour rejoindre plus rapidement la Terre, je devins flèche et Zenobius m’envoya pile sur le toit de lauberge où mon bienaimé s’était entre-temps installé ; j’y descendis sous forme de comédienne itinérante, et, pour résumer : il me vit, m’aima et devint mon époux. Mais au bout de deux années de bonheur — qui m’aidera à supporter le souvenir de cette douleur ? — il chuta du fil qu’il avait tendu entre les clochers, et exhala son fier esprit.

Tous pleurent avec elle.

Ajaximok. — Eh oui, danser sur le fil, est chose périlleuse.

Pustarius. — Danser sur les nerfs des gens, en revanche, là vous ne risquez pas grand’ chose.

Ajaximok. — J’ai essayé une fois ; je vous assure, j’ai pris de sacrés coups sur la tête.

Pustarius. — J’avais remarqué, mais je voulais pas le dire.

Lakrimosa. — Bouleversée par ce deuil immense, je pris notre enfant, une fillette de deux ans, et retournai avec elle dans l’Empire des fées. Je réglai rapidement les dettes accumulées entretemps par mon fidèle Zenobius, et après que ma douleur eut cessé ses assauts furieux, je bâtis pour ma petite un palais de diamants, la fis élever dans un maximum de richesses et jurai de n’accorder sa main qu’au fils de la reine des fées elle-même. À peine eussé-je formulé ce serment malheureux que les colonnes de mon palais s’ébranlèrent et que la reine des esprits se dressa devant moi. Expie ton insolence, dit-elle, femme prétentieuse. Tu t’es mariée à un mortel, et tu veux pervertir le cœur de ton enfant, alors écoute ma malédiction pour ta sauvegarde. Tu l’as couchée dans des berceaux de diamants, que son sort soit donc la pauvreté, que ton pouvoir de fée te soit arraché jusqu’à ce que la modestie de cette enfant efface ta prétention à mon égard, tu l’as destinée à mon fils, eh bien qu’elle soit mariée au fils du paysan le plus pauvre, tu la déposeras sur le sol terrestre car elle appartient à ce monde-là, puis tu retourneras dans ta demeure de nuages dont seule la vertu de ta fille pourra te libérer ; si elle abhorre toute richesse, et si avant sa dix-huitième année, elle se lie à un homme pauvre qui devra être son premier amour, le charme qui te frappe sera rompu, tu pourras la revoir et l’envelopper d’une certaine aisance. Si elle ne remplit pas ces conditions avant son dix-huitième printemps, elle est perdue pour toi et sa richesse sera sa damnation. Modestie, voilà que sera sa source de bonheur, car elle n’est qu’une fille de la Terre. Elle s’éclipsa. Je descendis en douceur avec ma petite sur la terre, dans une forêt obscure, et sous une figure de vieille femme, je toquai à la porte basse d’une maisonnette proprette ; un paysan ingénu, son unique occupant, en sortit joyeusement, il s’appelait Amadeus Racine ; je me jetai à ses pieds,...

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