ACTE I
A l'ouverture du rideau, Paul est assis dans son fauteuil et lit son journal, un verre de whisky posé près de lui. On entend un air de musique classique diffusé dans la pièce. Arrivée en trombe, côté cuisine, de sa femme Inès, toute excitée..
INÈS, fort excitée. – Fabrice, mon chéri, j'ai une grande nouvelle à t'annoncer.
FABRICE, ravi, baissant son journal. – Ta mère s'est chopée le typhus ? (Ou le choléra, ou est alitée avec 40 de fièvre ?)
INÈS. – Ne sois pas ridicule, maman pète le feu et sera là, demain midi, comme prévu.
FABRICE, déçu, remontant son journal. – Alors, je ne vois pas de quoi je devrais m'extasier...
INÈS, excitée. – Alexis.
FABRICE, rabaissant son journal. – Quoi Alexis ?
INÈS. – Alexis, ton fils...
FABRICE, maugréant. – Je le sais trop bien que c'est mon fils... et aussi le tien par la même occasion ! Fils à qui tu as tout cédé depuis sa tendre enfance..
INÈS. – Tu étais tellement dur avec ce petit qu'il fallait bien que je compense de mon côté.
FABRICE. – A trois mois, tu lui avais déjà acheté 8 doudous différents sous prétexte qu'aucun d'entre eux ne lui apportait le calme et la sérénité.
INÈS, triomphante. – N'empêche que le 9ème a fonctionné et même qu'il l'a toujours avec lui. Avoue quand même qu'il est extrêmement calme depuis.
FABRICE. – Pour être calme...il est calme. Ça frise la narcolepsie. Il serait peut être temps qu'il le lâche, son doudou magique, et qu'il se bouge un peu.
INÈS, ravie. – Mais il a bougé, Fabrice, il a bougé !
FABRICE, incrédule. – Bougé... bougé bougé ?
INÈS, ravie. – Il a enfin trouvé sa voie.
FABRICE, amusé. – Il veut entrer à la SNCF ? Je le vois bien tenir la pancarte pendant les manifs.
INÈS, se forçant à rire. – Ah ah, très drôle... Non, il a choisi un métier bien plus noble que ça.
FABRICE. – Attends voir, tu me fais peur. A 35 ans, après avoir testé 15 métiers différents et être toujours hébergé chez papa-maman, notre fils entrerait enfin sur le marché du travail par la grand porte ?
INÈS, fière. – Parfaitement ! Tu n'en crois pas tes oreilles, hein ? Comme quoi tout peut arriver dans la vie, suffit d'être patient...
FABRICE. – Parce que je n'en n'ai pas eu de la patience à supporter ce grand échalas dans mes pattes, à ne rien foutre à longueur de journée ?
INÈS. – Le travail n'était pas son truc, voilà tout...
FABRICE. – Je connais sa grande théorie... (Avec emphase.) L'homme n'est pas fait pour travailler.
INÈS, admirative. – Quelle belle leçon de philosophie il donne à notre monde tourmenté...
FABRICE. – Qu'il aille donc expliquer son cours de philo au boulanger du coin, il va sûrement lui refiler une baguette de pain gratuitement.
INÈS. – Enfin là, ça y est. Tu ne peux pas savoir comme je suis heureuse Fabrice.
FABRICE. – Et peut-on savoir dans quelle branche se dirige notre brillant et courageux fils ?
INÈS, toute excitée. – Tu ne devineras jamais... Je lui ai déjà acheté sa première tenue.
FABRICE. – Un bleu de travail de mécanicien ?
INÈS. – Tu le vois dans le cambouis et la graisse ?.
FABRICE. – A vrai dire, je ne le vois pas dans grand chose... Une blouse blanche de laborantin, de chercheur ?
INÈS. – Il a longtemps été dans la recherche, je te l'accorde...
FABRICE, au public. – Quinze ans dans la recherche mais pas au CNRS hélas... à Pôle emploi..
INÈS. – Ne sois pas cynique. Tu riras moins quand tu vas le découvrir. Tu es prêt Alexis ?
ALEXIS, voix off. – Prêt m'man !
FABRICE, surpris. – Parce qu'il est là ? En tenue de travail ?
INÈS. – Dès que tu entends la musique, tu fais ton entrée, mon grand.
FABRICE. – Tu ne vas pas me faire un show télévisé parce que notre crétin de fils a trouvé un job ?
Inès de son téléphone, lance une musique (Corrida de toro y paso doble) et Alexis fait son entrée, majestueuse, drapé dans son costume d'or et de lumière de toréador. Fier, il avance au centre de la pièce comme un matador s'avance dans l'arène.
ALEXIS, jouant avec la musique. – Olé ! Olé ! Olé !
FABRICE, abasourdi. – C'est quoi ce cirque ?
ALEXIS, jouant avec sa cape rouge. – Je veux être toréador. Olé !
FABRICE, de + en + abasourdi. – Toréador ? … En Vendée ?
ALEXIS, jouant avec sa cape rouge. – J'ai fait une étude, p'pa, y en a pas dans le département. Olé !
INÈS. – Il a raison Fabrice, il y a un potentiel énorme !
FABRICE, moqueur. – Y a pas de bananeraie non plus... Vous n'avez pas envie d'en monter une ?
ALEXIS, très sérieux. – Non non, trop de personnel à gérer
INÈS, allant dans son sens. – Et trop de produits chimiques à épandre...
FABRICE. – Vous êtes complètement barges tous les deux.
ALEXIS, commençant la chanson de Ferrat. – Les belles étrangères, quand montent les clameurs, se lèvent les premières en se tenant le cœur... !
FABRICE, les regardant avec commisération-. – C'est pas possible !!
ALEXIS. – Je me vois... face au taureau aux naseaux écumants... les yeux dans les yeux... moi, ma cape rouge à la main... lui, ses banderilles sanguinolentes sur le dos, sentant sa fin proche...
FABRICE.– Pour trouver un job comme ça, tu as vraiment pris le taureau par les cornes.
ALEXIS, jouant avec la musique que sa mère a relancée. – Olé ! Olé ! Olé ! !
FABRICE. – Tu as quand même réalisé qu'il y a plus de vaches que de taureau dans les champs des alentours et que la terre de la corrida se situe davantage dans le sud de la France ?
INÈS, toute attendrie. – Il ne veut pas nous quitter, ce grand sentimental.
ALEXIS. – Je vais importer l'art de la tauromachie dans le département. Les foules se presseront pour me voir... Elles déserteront les parcs d'attraction pour acclamer le El Cordobès vendéen ! Olé !
FABRICE, le regardant avec commisération-. – Eh bien, le Puy du Fou n'a qu'à bien se tenir...
INÈS, toute fière. – Il est beau not' fils...
FABRICE-. – Dommage que dans son cas, la beauté et l'intelligence n'aillent pas de paire.
INÈS. – N'écoute pas ton père, mon chéri, il est jaloux.
FABRICE. – Moi jaloux ! Et de quoi grands dieux ! ?
INÈS, défendant son fils. – D'être resté toute ta vie un minable petit chef d'entreprise ...
ALEXIS, entre chaque réplique de sa mère. – Olé !
INÈS, lancée. – De passer tout ton temps à mettre au point des formules de produits diététiques dans ton petit laboratoire...
ALEXIS, même jeu. – Olé !
INÈS, portant l'estocade. – Alors que ton fils va connaître la gloire et la célébrité. Voilà !
ALEXIS, même jeu. – Olé !
FABRICE, se rebiffant-. – Petit chef d'entreprise qui emploie quand même plus de 50 salariés... mais pas ton fainéant de fils !
INÈS. – Il préfère les métiers artistiques au mercantilisme de tes basses productions diétético- alimentaires.
FABRICE-. – Mercantilisme dont vous profitez sans aucun scrupule, tous les deux.
ALEXIS. – Ne vous disputez pas pour moi... Olé ! J'ai encore plein d'autres cordes à mon arc. Olé !
FABRICE-. – Tu as plein d'autres cordes à ton arc ? Dommage que tu ne sois pas une flèche.
ALEXIS. – Tu deviens vexant, P'pa.
INÈS, venant à son secours. – Et voilà ! Tu n'as pas honte de traumatiser ton propre enfant ? Tu as envie qu'il nous fasse un burn out ?
FABRICE, complètement abasourdi-. – Alors là !.... S'il nous fait un burn out juste en enfilant sa tenue de travail... eh ben il n'est pas arrivé à la retraite, le matador !
INÈS, outrée. – Tu ne peux pas l'encourager, lui dire un mot gentil ? C'est plus fort que toi !
FABRICE-. – Je voudrais juste savoir, comment un gars végan qui ne mange pas de viande sous prétexte qu'il ne faut pas faire de mal aux animaux, puisse choisir un métier pareil ? J'ai de la peine à suivre...
ALEXIS. – C'est juste un jeu entre l'homme et l'animal P'pa. Un art magnifique dans lequel...
FABRICE, le coupant-. – Dans lequel l'animal finit à l'abattoir, découpé en morceaux avant d'arriver dans nos assiettes.
ALEXIS. – Il arrive parfois que le taureau gagne... C'est la glorieuse incertitude du sport.
FABRICE. – Avec des banderilles plein le dos... il part avec un sacré handicap, le copain de jeu. Je te conseille quand même de t'entraîner bien vite.
INÈS. – Ton père a raison, ne perds pas de temps.
ALEXIS, un peu ennuyé. –En fait, je ne sais pas trop où aller...
FABRICE.– Le père Basile Pluchon parque un petit taureau dans son champ de l'Echardière. Tu devrais rendre visite au bestiau, histoire de te faire la main.
ALEXIS, emballé. –Merci pour le tuyau P'pa, t'es chouette. J'y cours.
INÈS. – Fais attention à ton habit... ne le salit pas, il est tout neuf. Il y a sûrement des bouses dans le champ.
Il arrive près de la porte..
FABRICE, le rappelant-. – Alexis ! A ta place, je garderais cette tenue pour ton premier combat et je m'habillerais plus modestement.
ALEXIS. –Tu crois ?
FABRICE. – Le taureau du père Basile n'en a rien à cirer de ton habit d'or et de lumière. Par contre, montre lui ta cape rouge... ça devrait VACHEMENT lui plaire.
ALEXIS, emballé. –Super ! (Il chante.) Toréador prends ga-a-a-arde, toréador, toréador.
Il sort aussi majestueusement qu'il est entré.
INÈS, admirative. – Et en plus, il chante bien...
FABRICE, moqueur. – Il va peut être bien déchanter très vite, le ténor matador. (Sérieux.) T'es consciente, Inés, qu'il s'en va au casse pipe là ?
INÈS, relativisant. –...