Acte 1
Scène 1
Un comptoir de bar, faisant aussi office de réception, ouvert sur une terrasse avec une ou deux tables, des chaises et des transats. Au-dessus du bar un panneau en bois avec le nom de l’établissement : Les Flamants Roses. La terrasse donne elle-même sur une piscine qu’on imaginera du côté de la salle. Au-delà de la piscine, en perspective, des étangs peuplés entre autres de flamants roses. Fanny arrive, un tablier autour de la taille, et l’air épuisée. Elle se laisse tomber sur une chaise et soupire. Romain arrive à son tour, en salopette et un chapeau de paille sur la tête, exténué lui aussi.
Romain – Il fait une chaleur...
Fanny – Et on n’est qu’en début de saison.
Romain – Qu’est-ce que ce sera au mois d’août...
Un temps.
Fanny – En même temps, si on a chaud, c’est parce qu’on n’arrête pas.
Romain – C’est sûr...
Fanny – On aurait moins chaud allongés sur un transat au bord de la piscine avec un verre de rosé bien frais à la main.
Romain – Ce n’est pas cet été, quand l’hôtel sera complet, qu’on aura le temps de faire ça.
Fanny – Et si on piquait une tête maintenant ?
Romain – Je viens de vérifier, l’eau de la piscine est à 14 degrés. On risquerait l’hydrocution.
Il s’effondre sur une chaise à côté d’elle.
Fanny – Et dire qu’on a quitté notre boulot de fonctionnaire pour être nos propres patrons...
Romain – Et avoir une piscine.
Fanny – Quand l’eau sera à 25, on aura juste le droit de regarder nos clients se baigner en faisant le service au bar.
Romain – Nos propres patrons, tu parles... On se tape tout le boulot, et on n’a même pas réussi à trouver quelqu’un pour nous aider.
Fanny – Les nouveaux hôteliers sont les esclaves des temps modernes.
Romain – Tu regrettes ?
Fanny – Pas une seule seconde. Tant qu’on rame tous les deux dans la même galère. Et dans la même direction...
Ils ont un geste tendre.
Romain – Et si on se le prenait quand même ce petit rosé bien frais ?
Fanny – On ne risque pas l’hydrocution...?
Romain – Il faut vivre dangereusement.
Il se lève, va derrière le bar, et sert deux verres de rosé.
Fanny – À propos de la piscine, tu as mis le robot ?
Romain – Oui... Je l’ai appelé R2D2...
Fanny – Qui ça ?
Romain – Le robot. Je trouve plus sympathique de lui donner un nom. Après tout, c’est notre seul employé...
Fanny – Lui au moins il a le droit de se baigner...
Romain revient avec les deux verres.
Romain – Si seulement on pouvait avoir des robots pour tout le reste, ce serait le paradis.
Il donne un verre à Fanny. Ils trinquent.
Fanny – À la tienne, Étienne...
Romain – Moi, c’est Romain.
Fanny – Enchantée. Moi c’est Fanny. Vous venez souvent en vacances ici ?
Romain – Tous les ans. C’est un petit hôtel que j’ai déniché sur le site Surbooking point barre. C’est vrai que les patrons ont l’air un peu barrés et passablement surbookés, mais ils sont plutôt sympas. Tiens, je vais leur mettre cinq étoiles...
Romain pianote sur son portable.
Fanny – Toujours pas de réponse à notre annonce pour une réceptionniste polyvalente ?
Romain – Aucune.
Fanny – C’est dingue... On propose quand même un bon salaire...
Romain – En tout cas, ce serait la seule de nous trois à avoir un salaire.
Fanny – Je me demande si ce n’est pas la formule réceptionniste polyvalente qui les effraie...
Romain – Surtout qu’on a précisé qu’elle devait parler anglais, qu’une troisième langue serait un plus, et qu’elle devait avoir une présentation impeccable.
Fanny – Tu as raison, on aurait dû mettre bonne à tout faire trilingue avec un physique de top model, ç’aurait été plus clair.
Romain – On propose quand même plus que le salaire minimum, et elle sera logée et nourrie...
Ils finissent leurs verres.
Fanny – Il n’est pas mauvais, ce rosé.
Romain – Et pas très cher. C’est un petit producteur du coin.
Fanny – Un peu râpeux, peut-être, mais bien frais, ça passe très bien.
Romain – Il faut le boire avec beaucoup de glaçons, c’est sûr... Je t’en ressers un verre.
Fanny – Ce ne serait pas raisonnable. Nos premiers clients arrivent demain. J’ai fini le ménage, mais il me reste tous les lits à faire avant ce soir.
Romain – Comme on fait son lit on se couche.
Fanny – Ouais. Ben là j’ai compté, ce serait plutôt comme on fait trente-deux lits, on se couche.
Scène 2
Arrive Sara, habillée de façon assez vulgaire et d’allure générale plutôt négligée.
Sara – C’est vous, les Flamants Roses ?
Romain – Oui, enfin... c’est le nom de notre hôtel, en effet.
Sara jette un regard un peu suspicieux sur les lieux.
Fanny – Ne me dites pas que c’est pour l’inspection sanitaire, ils sont déjà passés hier.
Sara – Je viens pour l’annonce.
Romain – Ah, d’accord... Excusez-nous, on ne s’attendait pas à...
Fanny – Justement, on était en train de parler de...
Romain – Du profil du poste.
Sara – Mais vous cherchez toujours quelqu’un ?
Fanny – Oui, enfin... Ça dépend... Vous avez déjà fait ça ?
Sara – Ça ne doit pas être bien compliqué... Qu’est-ce qu’il faut faire, au juste ?
Romain – Eh bien... Répondre au téléphone, déjà. Et recevoir les clients quand ils arrivent. On a une clientèle très internationale, vous savez...
Fanny – C’est un hôtel trois étoiles.
Romain – Vous parlez un peu anglais ?
Sara – Anglais ?
Fanny – Italien, peut-être ?
Sara – Je parle un peu espagnol.
Romain – Ah, oui, c’est...
Fanny – Mais on n’a pas beaucoup d’Espagnols, par ici.
Sara – Et sinon, c’est payé combien ?
Romain – Mille cinq cent euros. Net...
Fanny – Logée, nourrie...
Sara – Bon, ça ira... Pour commencer... Je peux voir ma chambre ?
Romain – Euh... Oui, nous avons un petit bungalow pour loger un employé...
Fanny – C’est la porte bleue, juste après la piscine, mais...
Sara – J’ai laissé ma valise dans la voiture, mais ne vous dérangez pas, je vais me débrouiller. Il y a des roulettes...
Fanny – Bon...
Sara s’apprête à partir, mais se retourne une dernière fois.
Sara – Le petit-déjeuner, c’est à quelle heure ?
Romain – Ne vous inquiétez pas, les premiers clients n’arrivent que demain après-midi.
Sara – Ah, non, je voulais dire... pour moi.
Fanny – Pour vous ?
Sara – Vous avez bien dit que c’était logée et nourrie, non ?
Romain – On va dire sept heures, alors.
Sara – Sept heures ? C’est que je ne suis pas trop du matin, moi...
Fanny – Sept et demie, ça vous irait ?
Sara – OK... Mais il va falloir que je mette le réveil...
Ils la regardent s’éloigner. Silence.
Romain – C’était vraiment un entretien d’embauche...?
Fanny – Ça ressemblait plutôt à un check-in, non ?
Romain – Ou à un braquage...
Fanny – Je vais aller voir ce qu’elle fait...
Elle se lève.
Noir.
Acte 2
Scène 1
Sara est assise derrière le comptoir, son portable à l’oreille.
Sara – Eh ben écoute, moi, ça va... J’ai trouvé un petit boulot dans un hôtel... C’est plutôt cool... Les patrons sont complètement stressés, je ne sais vraiment pas pourquoi. C’est leur première saison, mais bon... Moi non plus je n’ai jamais fait ça ! Il faut rester zen, quoi... (Le téléphone fixe à l’ancienne posé sur le comptoir se met à sonner) Il faut que je te laisse, j’ai un double appel... J’espère que ce n’est pas un Anglais...
Elle range son portable et regarde le téléphone fixe avec curiosité.
Sara – Comment ça marche, ce truc...? (Elle décroche maladroitement le combiné) Ouais...? Oui, oui, vous êtes bien à l’hôtel... (Elle regarde le panneau au-dessus de sa tête) Les Flamants Roses, c’est ça... Oui... Oui... (Elle regarde sur le registre des...
