« L’érudition seule ne suffit pas, il existe un savoir du cœur qui donne de
plus profondes explications. Le savoir du cœur ne se trouve dans aucun
livre, et dans la bouche d’aucun professeur, mais il grandit en toi comme
la graine verte sort de la terre noire »
Carl Jung
Personnages
Le sage voyant vieux bonhomme prévenant à la stature éprouvée mais majestueuse,
Axel ou Le petit fils du sage voyant orphelin d’un héros assassiné par des mercenaires habillés en guerriers pendant la guerre pour ses positions loyales. Plus tard axel devint historien et agitateur politique,
La maman d’Axel veuve tourmentée au passé douloureux,
Idriss le fugitif victime d’une société impitoyable, en dérive et des parents méchamment exigeant (futur chef terroriste.)
La maman d’Idriss, femme rigide et autoritaire intraitable,
Medhi, ami d’enfance du petit fils du sage voyant,
Le chœur,
Les pieds-noirs en partance vers l’hexagone,
Petits garçons et petites filles enfants pieds noirs dans leur jardin,
Boumboum, tyran espiègle et guide guidé depuis le proche orient, membre mentor de la tyrannie sévissant dans le pays.
Feu-au-bout porte-parole espiègle et fomentateur avec Boumboum,
Ses auxiliaires anciens maquisards convertis en truands hommes d’affaires,
Les DAF (déserteurs de l’armée française) élus privilégiés de Boumboum,
Colle-au-dos une des pièces maitresses des DAF
Chat-banni jeune colonel un des redoutables opposants à Boumboum et ennemi juré des DAF,
Chat Dodo successeur de Boumboum naïf et moins charismatique.
Buda successeur charismatique de Chat Dodo, ancien opposant exilé.
Le Présideneurisé Titube un dernier des Mohicans qui ne se tient jamais debout.
Les ministreurisés bande d’acolytes en fin de règne sous le Présideneurisé.
Le Comptableurisé à la présidence-risée
Le ministreurisé de l’information et de la communication à la présidence-risée.
Le bohémien ancien combattant éternel errant, engagé dans la lutte contre les tyrans.
L’ancien migrant agitateur politique ami du Bohémien en exil.
Le sédentaire ancien combattant crédule ami séparé du bohémien.
Les énergumènes du quartier (plusieurs voix ricaneuses),
Les filles et les garçons du Jardin de l’après-guerre.
Aldja l’épouse d’Idriss future terroriste.
Le père d’Aldja un paysan conservateur
La sœur d’Aldja
Les chefs terroristes
Les nouvelles recrues de l’armée islamique
Le journaliste d’une chaine étatique orpheline et honnie de la population,
Alyabasse un hypocrite religieux instigateur avec son rival le général colle-au-dos, de la guerre contre les civils.
Éric Un athée bienveillant, empathique, honnête et aimable
Mamadou Simba, un citoyen d’origine Malienne, ami d’Éric et d’Axel
Mme Kharya femme obscène représente la junte militaire au pouvoir,
Mouchard indic du pouvoir
Le philosophe cadre exilé
Le commandant H ancien officier de l’armée, en dissidence et en fugue pour son témoignage compromettant sur les exactions et les crimes commis par ses supérieurs, sur la population.
Le psychanalyste cadre exilé,
Amel la psychologue. Cadre exilé
Beka Le sociologue. Cadre exilé
Abdel Le poète romantique idéaliste. Artiste exilé.
Sérine la journaliste. Cadre exilé
Widad enseignante, cadre exilé
L’oculiste Dr Véronique Loumyère Griyet
Le neurologue belge Van Der Lee Nervriyet
Le psychiatre Henri Gaulle de Fofole
Avant-propos.
Au commencement était mon conte.
Décor. Une maison qui porte les marques d’une période troublée. Le paysage, autrefois serein, est désormais marqué par les cicatrices de la guerre. Des pierres sont déplacées, et des fenêtres, autrefois ouvertes sur la beauté de la nature, sont désormais barricadées. Des toiles de jute ou des morceaux de tissu sont utilisés pour masquer les ouvertures, créant une atmosphère de confinement et de peur omniprésente. La peur de l'inconnu, la peur de perdre ce qui reste de leur héritage et de leurs traditions. Le bruit des combats évoque des souvenirs douloureux, et l'incertitude quant à l'avenir crée un sentiment d'impuissance.
La maman d’axel, comme toutes les femmes du village, vit sous une tension constante, oscillant entre la peur, l’anxiété et la résilience. Son visage est marqué par l'inquiétude, témoignant d'une réalité difficile à accepter. Cependant, malgré la terreur qui les entoure, elle s'accroche à l'espoir de jours meilleurs. Elle charrie son fils pendant le jour et la nuit avant de dormir elle lui narre un conte du patrimoine.
La maman d'Axel s'assoit près de son fils sur le lit, lui caresse doucement les cheveux et commence à lui narrer pour l'aider à trouver le bon sommeil :
Amachahou ! (1)
Par tous les temps, sur un mont escarpé de la Grande Kabylie, le petit Vréroche faisait paître son troupeau de chèvres. Un jour, le loup lui dévora sa biquette préférée. Vréroche en fut meurtri. Il rentra des pâturages les yeux inondés de larmes. Sa mère le consola et lui servit un couscous. Vréroche refusa d’y goûter. Elle lui prépara une bonne galette pour lui ouvrir l’appétit. Il la repoussa. Inquiète, elle fit des beignets. Vréroche en raffole ! Mais Vréroche, inconsolable, continua obstinément à refuser toute nourriture.
Excédée, sa mère ordonna au bâton :
- Bâton ! Frappe Vréroche qui ne veut pas manger.
- Non ! Non ! Vréroche ne m’a rien fait.
Face à cette désobéissance, la mère se tourna vers le feu :
- Feu ! Brûle le bâton qui refuse de frapper Vréroche qui ne veut pas manger.
- Non ! Non ! Le bâton ne m’a rien fait.
La mère ne baissa pas les bras et s’adressa à l’eau :
- Eau ! Eteins le feu qui refuse de brûler le bâton qui refuse de frapper Vréroche qui ne veut pas manger.
- Non ! Non ! Le feu ne m’a rien fait.
De plus en plus excédée, elle appela le veau :
- Veau ! Bois l’eau qui refuse d’éteindre le feu qui refuse de brûler le bâton qui refuse de frapper Vréroche qui ne veut pas manger.
- Non ! Non ! L’eau ne m’a rien fait.
Elle saisit le couteau et lui dit :
- Couteau ! Tranche les oreilles du veau qui refuse de boire l’eau qui refuse d’éteindre le feu qui refuse de brûler le bâton qui refuse de frapper Vréroche qui ne veut pas manger.
- Non ! Non ! Le veau ne m’a rien fait.
Elle en appela au forgeron :
- Forgeron ! Brise le couteau qui refuse de trancher les oreilles du veau qui refuse de boire l’eau qui refuse d’éteindre le feu qui refuse de brûler le bâton qui refuse de frapper Vréroche, qui ne veut pas manger.
- Non ! Non ! Le couteau ne m’a rien fait.
Elle commanda à la corde :
- Corde ! Ligote le forgeron qui refuse de briser le couteau qui refuse de trancher les oreilles du veau qui refuse de boire l’eau qui refuse d’éteindre le feu qui refuse de brûler le bâton qui refuse de frapper Vréroche qui ne veut pas manger.
- Non ! Non ! Le forgeron ne m’a rien fait.
Elle ordonna à la souris :
- Souris ! Ronge la corde qui refuse de ligoter le forgeron qui refuse de briser le couteau qui refuse de trancher les oreilles du veau qui refuse de boire l’eau qui refuse d’éteindre le feu qui refuse de brûler le bâton qui refuse de frapper Vréroche, qui ne veut pas manger.
- Non ! Non ! La corde ne m’a rien fait.
La mère enjoignit au chat de la voisine de croquer la souris.
- Miaou ! Avec grand plaisir, dit le chat qui s’avança vers la souris.
La souris prit peur et se dirigea vers la corde. La corde, à son tour, se dirigea vers le forgeron. Le forgeron se dirigea vers le couteau. Le couteau se dirigea vers le veau. Le veau se dirigea vers l’eau. L’eau se dirigea vers le feu. Le feu se dirigea vers le bâton et le bâton se souleva pour frapper Vréroche. Enfin, Vréroche se mit à manger. Il se régala des beignets, de la galette et du couscous. Depuis, il ne bouda plus aucun repas. Il devint si grand et si fort que jamais plus aucun loup ne lui dévora une chèvre de son troupeau !
Mon histoire est partie dans les broussailles et moi j’ai dégringolé de la montagne !
Scène première.
Le sage-voyant et son petit-fils Axel.
Le sage-voyant, un homme à la stature majestueuse, même éprouvé, se lève brusquement en sursaut. Sa silhouette tremblante se découpe dans la pénombre des nuits sans sommeil. Les draps sont éparpillés autour de lui, témoin d’un cauchemar qui l’a tiré hors de ses rêves. Dans un délire embarrassant, il gesticule avec ses mains luttant contre une force invisible comme pour arracher un être cher qu’on lui soustrait férocement d’entre ses mains « Non ne t’en vas pas ! lâchez-le ! assassin ! ne te laisse pas emmener ! ils vont te trucider ! » crie-t-il.
Le petit fils du sage voyant se réveille en sautillement, sous l’agitation de son grand père qui dormait à ses côtés. Les battements effrénés de son cœur font écho aux cris désespérés. Tiré follement et brutalement de son sommeil, il s’assoit, une lueur d’inquiétude dans ses yeux : Grand -père ! grand père ! qu’est-ce-qui t’arrive ? tu as de la fièvre grand-père ?
Il agrippe une épaule de son grand-père cherchant à le ramener à la réalité, à fuir cette angoisse qui enveloppe leur espace. Le sage voyant encore effaré, les yeux troublés par des visions terrifiantes, soupir profondément tentant de calmer la tempête qui fait rage en lui : j’ai fait un rêve mon fils ! J’ai fait un rêve !
Le petit-fils du sage-voyant, soucieux, le regard scrutant celui de son grand-père, cherche à comprendre la profondeur de l’angoisse qui l’habite : un rêve ? quel rêve grand-père ? un rêve qui t’effare ? mais pourquoi cela ? Raconte-le-moi s’il te plait !
Le sage voyant couvant de ses mains son petit-fils inquiet : Oui, mon fils ! je vais te le conter ! écoute-moi ! ô écoute ! Je vais te narrer l’ineffable. Mais, rappelle-toi bien, plus tard quand tu seras plus grand. Que ta mémoire ne soit, pour rien au monde, jamais souillée ! Mes jours sont comptés et je ne serai certainement pas là demain pour te le rappeler. Alors, garde le bien ancré dans ton esprit. Je vais devoir bientôt rejoindre ton brave père dans un monde où personne n’est assez puissant pour bafouer la justice. Ça serait bien mieux pour nous deux, là-bas, que de rester ici à nous infliger une débâcle des plus humiliantes… à assister, lâches et impuissants, à un déclin des plus déshonorants !
Le petit-fils du sage-voyant : Non, ne dis pas ça ! tu ne mourras pas si tôt grand père ! tu n’es pas si vieux que ça ! je te promets, ton histoire, je la garderai bien ancrée dans ma tête, telle que tu me l’auras confiée ! je m’en souviendrai aussi longtemps que je suis en vie ! mais, ne me dis plus que tu vas mourir je t’en prie ! maintenant vas-y ! racontes-la-moi donc cette histoire ! c’est quoi cette lourde tragédie que tu tardes à me dévoiler et qui, déjà, me donne à tressaillir de tout mon corps ?
Le sage voyant (raconte son rêve d’un ton grave, imprégné d’une tristesse et d’une désolation sépulcrales) ô chair da ma chair, la voici l’histoire ! Une famille, frappée d’une malédiction, perdit ordre et équilibre. Ses membres se dispersèrent, chacun choisissant sa sphère, applaudissant un fou qui pénétrait dans leur maison. Le fou s’enfonça dans l’ombre d’une fête et n’en fit qu’à sa vilaine tête. Une seule pensée obsédait son esprit rusé et obtus. Le trône !
Il maquilla la division sous leurs niais et maniaques applaudissements. Il leurs a promis le droit chemin, l’idéal moral et le bon devenir dans la Servitude, l’hébétude, l’ingratitude, derrière l’alibi de couper court avec les turpitudes. Il fit trucider, l’un après l’autre, les anges qui veillaient sur nous… (pause puis tristement) il s’est intronisé.
Le petit-fils du sage-voyant, tenu en haleine, souffle : Alors ! comment ça intronisé ?! aussi facilement ! personne n’a pu l’en empêcher ?! C'est une tragédie, grand-père ! Que faire, face à un tel destin ?
Le sage-voyant :
Rappelle-toi, ô chair de ma chair, La force réside dans l’unité et l’amour. L’amour est plus puissant que n’importe quel trône ! Veille sur ceux que tu chéris, Ne laisse jamais la division s’installer, Car elle est la clef qui ouvre les portes de toutes les ruines, de tout déclin. Garde cette vérité dans ton cœur, et deviens le gardien de notre histoire, pour que jamais le mal ne s’insinue dans nos vies.
Le petit-fils du sage-voyant : Où est donc passé le courage qui, comme tu me l’as souvent narré, leur permettait de renverser des montagnes d'injustice ? comment ont-ils pu changer après cela ?
Le sage voyant : Hélas, mon fils ! La peur, telle une brume épaisse, a obscurci leur jugement. Ils ont choisi l’égoïsme, abandonnant le lien sacré de l’amour et de l’esprit familial. Et dans le tumulte de leurs conflits, Ils ont laissé le pouvoir à celui qui voulait leur déchéance.
Le petit fils du sage voyant de plus en plus curieux et de plus en plus tramé : Et le fou grand père ! Qu’en est-il de ce fou devant toute cette scandaleuse attitude ?!!!
Le sage voyant tout rembruni : le fou, gâté par tant d’idolâtres arrivistes, avides, anciens lèches bottes et soutiens tourbe de clébards, étendit ses pouvoirs. Il enfila ses palmes, enfla les pénuries, réduisit les espaces et fit décliner l’artisanat… Il s’installa pérenne sur un divan tragiquement dérobé. Ensuite, dans ces temps où de plus grandes adversités sont occasionnées et combien même ovationnées, reproduisant de tristes et lugubres horizons, des membres oublièrent leur vieille bonhommie.
Ils se braquèrent sur leurs ventres. Ils devinrent indifférents et complices même, devant une myriade d’horribles abus. La soumission et le silence, forcés ou consentants, passèrent pour une religion sainte et inviolable. Une épreuve de survie quasi insurmontable. Enfin, mon fils, le chaos était d’une telle extravagance que je n’ai pu m’y agripper pour rattraper la suite ! mais telle que je l’ai vu s’annoncer, ce fut une scène, je ne saurais mieux la qualifier, autrement qu’alors là, horriblement apocalyptique !
Le petit fils du sage voyant : ô grand père ! si seulement tu avais résisté à cet épisode ! Il aurait peut-être abouti à une issue heureuse ! Maintenant, il va falloir nous délivrer de cette diabolique et sanguinaire dévastation nuitard !
Le sage voyant en se levant, tenant son fils par l’épaule et, quittant la scène en sa compagnie : Oui ! tu as bien raison mon fils ! Allons dormir dans le couloir ! Il y a de mauvais esprits dans ce taudis maudit !
Le petit fils du sage voyant emboîte le pas à son grand père : Oui… cette histoire me fait trembler grand-père, des pieds jusqu’à la tête ! C’est bien dommage ! je n’ai reçu aucun talent pour interpréter loyalement une pareille tragédie ! De plus, je ne suis pas censé jouer les cauchemars !
Le sage voyant disparaissant avec son petit fils. Laissons loin derrière nous ce cagibi ! ça soulagerait le restant de notre nuit ! sinon, elle demeurera effroyable m’est avis ! et je doute qu’elle ne débouche sur une éclaircie matinale ou qu’elle n’en découd avec sa semblable !
Quelques petites années plus tard
Le sage voyant s’éteint,
Passage d’une procession funèbre portant la dépouille du brave sage-voyant en répétant des vers du patrimoine kabyle célébrant sa majesté.
Le fondement de l’univers s’écroule,
Le monde est bouleversé,
La base sur laquelle il reposait,
Est, je pense
En ruine,
Nous les survivant,
Nous sommes dans une barque
A la surface des eaux,
Sans commandement et sans pilote (1)
Heureux celui qui repose sous ce sable
Les nouvelles de ce monde
N’arrivent pas jusqu’à lui
Au moins, il dort en paix
Nous sommes comme des bêtes de somme.
Nous mangeons l’herbe
Qui pousse sur les fumiers (2)
Quelques mois après le décès du sage voyant
On entend un écho : Je vous ai compris !
Narrateur
Nous sommes à l’aube d’une indépendance illusoire, un pays enfin libéré des chaînes d’une colonisation impitoyable et séculaire. Les pieds-noirs se préparent à quitter leur ville natale, terrassés par le poids d’une crise profonde.
L’accord, soi-disant scellé entre les fougueux belligérants, promettait que les natifs vivraient libres citoyens dans leur pays de naissance, quelles que soient leurs cultes ou leur origine. Mais ces belles promesses ne sont rien d’autre qu’un mirage, une encre sur un papier qui se dissout dans la réalité.
L’annonce de leur départ vers la métropole est tombée tel un couperet pour les uns et une délivrance pour d’autres. Une rumeur bien plus que des mots, se propageant tel un feu de forêt dans les villes et villages.
Pour la plupart, il ne s’agit même pas d’un retour au bercail. Le pays qui les a vus naître ne leur est plus familier, et l’idée de s’embarquer pour une terre qu’ils n’ont jamais foulée, les remplit d’effroi. Ils sont des étrangers dans leur propre histoire, déracinés, désorientés.
Ensuite, rester ici, dans un pays où le pouvoir se voit pris par des militaires auto proclamée prônant l’idéologie arabo-islamique, et des chefs de guerre aux ambitions dénaturées, serait un suicide.
Divisés entre deux héritages, ces futurs rapatriés vivent un cauchemar éveillé, hantés par la peur d’être rejetés, d’être considérés comme de misérables fichus migrants malvenus lorsque leurs pieds se poseront sur le sol hexagonal.
Les nouveaux décideurs, étant eux-mêmes de l’herbette, engoncés dans leur ignorance, n’ont même pas cette clairvoyance ni cette conscience de discerner le bon grain de l’ivraie. Tous sont condamnés à fuir, à se débrouiller pour renaître ailleurs, dehors, loin de cette terre qu’ils ont tant chérie.
Scène deux :
Les rivaux ultras pieds-noirs et ultras autochtones - les modérés en partance-les filles et les garçons du jardin de l’ère coloniale.
Intermède.
(Les filles et les garçons)
La scène est peuplée d’ultras enflammés et de modérés prostrés, tous en partance. Ils portent valises, sacs et quelques précieux objets, souvenirs de leur ville natale. Dans ce climat de chaos, les garçons jouent aux billes, aux noyaux d’abricot, à la tchape et, tout aussi innocemment, les filles chantonnent en tournant en cercle tandis que d’autres jouent à la marelle.
Quand Janet, Janet, Janet allait aux fêtes,
Elle était bien si jolie,
Elle portait un chapeau de paille,
Un ruban de trois couleurs,
Blanc, bleu, rouge.
Une femme mûre s’adresse aux filles Venez par-là, mes chéries ! Ce n’est plus la fête maintenant ! Vous allez toutes devoir rentrer chez votre arrière-arrière-arrière-grand-père aujourd’hui ! Janet, va porter son chapeau loin là-bas ! Vous ne la chanterez plus ici désormais. Vous en garderez un bien triste ou peut-être, qui sait, un bon souvenir !
Les ultras mettent le feu à la scène, vociférant et détruisant tout ce qui est à leur portée. Des voix s’élèvent, un mélange de fureur et de désespoir. Certains, abattus, demeurent aphones. D’autres, au contraire, hurlent leur révolte et saccagent tout.
Voix 1 Allez ! On vous laisse tout, bande de bougnoules ! Détruisez bien ce que nous avons construit ! parce que vous n’avez que ça dans la caboche !
Voix 2 Vous n’êtes que de piètres consommateurs insatiables, toujours en état de dépendance chronique !
Voix 3 Voyez bien ! Nous avons transformé votre gourbi en un véritable palais de fée… Amusez-vous bien dedans !
Voix 4 Vous le regretterez ! Ce palais s’effondrera sur vos têtes de gueux enturbannés. Quand vous l’aurez délabré, quand vous l’aurez transformé en une monstrueuse décharge à ciel ouvert, vous risqueriez, sans honte et frappés d’amnésie, vos vies et votre honneur, et vous serez à genoux là-bas, devant votre ennemi !
Voix d’une femme modérée et pacifique faites attention à ce que vous dites ! choisissez vos mots ! Soyons honnêtes et réalistes avec nous-même ! Ils ont fini par en avoir ras-le-bol. On n’a eu cesse de les rabaisser avec notre arrogance de civilisés propre à nous. Nous les traitions comme des sous hommes. Nous les avons privés de leur moindre droit. Nous avons spolié leur terre. Nous avons interdit leurs enfants de l’école. Nous avons exploité, jeunes et adultes, dans les mines de charbon et dans des guerres qui n’étaient pas les leurs… en voici le résultat ! (En écrasant une larme) ils ne veulent plus de nous !
Voix d’une autre femme aussi attristée, aussi traumatisée mais un peu ou presque naïvement ultra elle aussi : et nous, qu’avons-nous fait pour nous chasser de notre terre natale de cette façon ? Nous destituer de notre identité ? C'est ici que nous avons vu le jour, et nous n'avons nulle part où aller ! N'avons-nous pas été des voisins paisibles et généreux ? N'avons-nous pas partagé tant de douceurs et de peines, les joies comme les dépits, même au cœur des conflits ? les délices et les afflictions ? Pourquoi cette injustice alors ?
(Elle délire parlant dans le vent comme une possédée s’adressant aux autochtones). Nous sommes, nous aussi attachés et bien ancrés à ce sol et la guerre ce ne sont pas nous qui vous l’avions faite. Et le respect qu’on se manifestait mutuellement, vous l’avez déposé où ? Voyez, voyez comme c’est affreux de mettre tout le monde dans le même panier ! Non ! Comme vous le dites si bien d’ailleurs : « Kaci meure ici » Moi je ne partirai pas ! Désormais, je resterai à vie, plantée ici ! D’ailleurs, dorénavant je ne suis plus Lucie, vous devriez tous et toutes m’appeler Kaci. Et je ne le dirais jamais assez, je resterai ici ! vous, par contre, cassez-vous si vous voulez d’ici !
De l’autre côté de la scène, des ultras du camp adverse ripostent aux ultras rivaux en vociférant à leur tour
Voix 1 Bon débarras ! la valise ou le cercueil ! et ne revenez surtout pas ! Si seulement une telle idée effleure intentionnellement vos têtes de taris, on sera encore là pour redoubler de férocité !
Voix 2 le couteau sur la gorge ! et des couffins partout ! - Ronchonne un autre - Bande de criminels ! pillards ! pirates ! assassins ! vous ne règnerez plus sur nous ! On ne vous regrettera pas ! nous vous avons chassé de notre terre car vous êtes des monstres immondes ! de piètres spoliateurs qui se croyaient tout permis parce que pseudo-civilisés !
Voix 3 cette forteresse, vous l’avez bâtie sur des rivières empourprées de notre sang versés par vos mains sanguinaires ! Allez ! maintenant, partez ! on a hâte de vous voir disparaitre comme ça, comme de la poudre désagrégée dans l’air par un vent impétueux et irrésistible ! ce sont nous ce vent !
Voix 4 on vous les déposera là-bas ! où sont vos valises ? je m’inquiète ! allez ! prenez vos caisses et partez vivants ! Autrement, on ne vous le répétera jamais assez !
La scène se fige dans un mélange de chaos et de désespoir, chaque personnage incarnant la tragédie d’un avenir incertain, tandis que le tumulte des voix résonne dans l’obscurité grandissante...
Scène quatre
Lumière.
Narrateur : D’avion en avion, par-dessus les nuages, Boumboum et sa clique survolent Tunis, Dakar, le Caire, Oujda, où, au frais de la princesse, ils séjournèrent de longues années durant, toute la période de la guerre.
Au cœur de la ville des pharaons, Boumboum fréquentait un bar situé entre une mosquée et un institut de théologie de grande renommée. Il y étudiait en roulants ses cigares et en sirotant ses bières dans une ambiance de détente, profitant d'une boisson entre amis dans des moments de relaxation. Pendant ce temps, ses soi-disant frères, tombaient comme des mouches, sous les balles, la guillotine et la torture.
Nous sommes enfin à Oujda, l'une des villes envoûtantes d'un pays emblématique d'Afrique du Nord. Boumboum, attablé, est entouré de son clan, se préparant à la ruée vers le sacre. L’impatience de retourner au bercail sur des chars et une artillerie lourde, acquise par des moyens détournés, le consume. C'est un conspirateur, un envieux, un revanchard, au caractère bestial et, on ne peut plus opportuniste.
Croisant ses pieds, Boumboum s’adresse à ses alliés
L’instant fatidique, tant espéré, est enfin à nos portes ! La délivrance, le retour tant attendu, est désormais une réalité. Le pays nous appelle !
Son porte-parole Feu-au-bout Cela est vrai ! Nous devons répondre présent à l’appel de notre chère patrie.
Boumboum Nous assaillirons la frontière au petit matin. L’armée, main courante, nous attend là-bas, prête à accueillir notre raid. Tout est préparé pour notre succès. Un échec serait fâcheux, inadmissible. La balle est dans notre camp !
Feu-au-bout Le passage de la frontière est assuré, nous ne saurions connaître le revers ! Le peuple est derrière nous, entier et solide.
Boumboum Les véritables guerriers, ceux qui comptent, se légueront à nos côtés. Nous frapperons nos rivaux et nous leur porterons un coup fatal. Notre stratégie, farcie d’un discours percutant, saura séduire la peuplade. Bientôt, nos partisans, se comptant par millions, nous porteront en triomphe, sur leurs épaules, dans une célébration terrifiante et féérique.
Feu-au-bout Il faudra faire preuve de fermeté devant nos ennemis jaloux, tout en étant éloquents et charmeurs dans nos slogans pour berner nos suiveurs aimables, serviables.
Boumboum Nous devrons sortir le grand jeu contre les récalcitrants qui, sans aucun doute, finiront par capituler face à notre force.
Feu-au-bout Notre discours est jalonné de tournures envoûtantes, résonnant comme une mélodie mélancolique et nostalgique, tantôt vexante et tantôt enchanteresse dans les cœurs de nos adorateurs. La danse s'exécutera sur une toile de joie teintée d’une heureuse tristesse, une soumission digne, libre, et parfaite. On va rationaliser les paradoxes et châtier les hétérodoxes !
Boumboum Nos propos sont doux comme le miel, mais nos mots les plus tragiques créeront cette coexistence confuse entre bien et mal. La démocratie, le respect des libertés individuelles et collectives, la victoire et l’avenir radieux de la oumma arabe, l’agriculture, les infrastructures, la culture, et puis l’héritage historique et notre foi en Dieu pour leur clouer le bec — voilà nos mots d’ordre pour rallier la majorité à notre cause.
Un de ces mordus fanatiques de la mouvance islamo-arabo-baathiste :
Deux mots suffisent pour embraser et éteindre les foules à la fois ; « arabité et islamité. » En synchronisant ces deux valeurs, que l’on a toujours associées à l’honneur et à la dévotion, ils verront grandes ouvertes les portes de notre palais… ainsi que celles du paradis qu’ils convoitent. Ils viendront à nous. Nous jouerons les plantons. Les hérétiques n’ont pas leur place au paradis, notre foi les expédiera en enfer. Dieu n’aime que ceux qui croient en lui ! il faut rêver de lui faire changer d’avis !
Boumboum le rêve est une hallucination dangereuse, source de beaucoup de compromettants dérapages. La loi interviendra pour calmer le noctambulisme diurne ou nocturne. La plupart des rêveurs ne savent pas où marcher, inconscients, ils vont casser toutes nos porcelaines. On n’aura plus rien à présenter dans nos boutiques idéologiques.
Feu-au-bout ils doivent rester confinés chez eux, figés dans leur destinée, peu importe les épreuves que nous leur infligeons. De plus, nous partageons la même foi. Quiconque hétérodoxe, osera contester nos paradoxes, sera impitoyablement réduit au silence... et nous avons amplement de moyens à notre disposition, sans oublier les sourates nécessaires pour justifier nos actions (pause) et les hadiths aussi. Nous avons des Cheikhs à notre usage pour en inventer au cas où la rhétorique tombe en panne. La religion justifiera tout pour nous. C’est un de nos défenseurs le plus souverain.
« Boumboum et son clan se préparent à leur sinistre dessein, prêts à plonger dans le chaos et l’effusion de sang qui s’annoncent. »
L’assaut. Boumboum, entouré de son clan, observe le chœur qui se faufile en zigzaguant parmi eux, débitant des vers qui résonnent comme un funeste présage. Le chœur, tel un souffle collectif, annonce au public la triste nouvelle de la prise de pouvoir par cette bande d'espiègles détrousseurs.
Le Chœur :
Boumboum à l’attitude sauvageonne,
Rentre de son exil,
Depuis ses chars il ordonne,
D’assiéger toutes les villes.
Par un discours monotone,
Il séduit quelques civils,
Mais la majorité entonne,
Tu te cachais où, pègre vile ?
Ne pense pas que tu nous impressionnes,
Tu n’es qu’un prétentieux débile,
Mais il prit l’arme et actionne,
La gâchette sur des viriles.
Et les gueux DAF époumonent,
Vive Boumboum le subtil,
Il s’emparât de la couronne,
Trucidant des gens tranquilles.
Il s’est entouré d’une milice,
D’anciens vendus,
Et l’espérance matrice,
Chez les masses a fendue.
Toutes désormais,
Vont dépendre de lui,
Lui seul sait,
Et le clan qui le suit.
Ainsi accéda-t-il au trône,
Et fit des choix sélectifs,
Et depuis lors il bourdonne,
Des mots répétitifs…
(Le chœur, après avoir délivré son sombre message, s’évanouit dans l’obscurité, laissant Boumboum et son clan, figés, comme pétrifiés par la puissance de cette vérité révélée sur eux.)
Scène cinq
Lumière aveuglante
Boumboum – ses auxiliaires – les ralliés (anciens maquisards devenus de truands hommes d’affaires et, auxiliaires de la junte arriviste) – les DAF (déserteurs de l’armée française) au service du clan Boumboum.
Quelques instants après le départ des forces d’occupation. La scène est vide. Au fond, une porte entrebâillée d’une bâtisse où campent les miliciens putschistes.
Boumboum, sortant sa tête de l’entrebâillement de la porte laissée par de fougueux bel-
ligérants, scrute, les yeux écarquillés, exorbité par la malice, sa tête se tournant dans
tous les sens comme un radar. Il veut s’assurer que la scène a été bel et bien déminée par
les torrentueux rivaux, pour se permettre l’assaut fatal. Finalement, il entre avec ses sa-
cripants, s’attaquant à la triste demeure. Ce jour où l’on croyait avoir irréversiblement
libéré la ville de ses vieilles chaînes, la décrépitude était venue déconfire la hardiesse et
renverser le triomphe des braves. »
Au même moment
Intermède
Les garçons et les filles de l’indépendance jouent des jeux rappelant avec exactitude, ceux récents des filles et des garçons de l’époque coloniale.
Scènes joyeuses et enflammée. Des garçons joyeux jouent aux cerceaux, à la tchape, aux billes, aux noyaux d’abricot. Des filles ravissantes, émerveillées, se regroupent. Les unes jouent à la marelle, tandis que les autres chantonnent innocemment des airs glorieux que ce jardin féerique leur a bien gardés en âme vivifiante
Quand Janet, Janet, Janet,
Allait aux fêtes,
Elle était bien si jolie,
Elle portait un chapeau de paille,
Un ruban de trois couleurs,
Blanc, rouge, vert.
Noir sur scène.
Scène six
Lumière.
La scène est consacrée à Boumboum et son armée. Derrière le rideau, il s’adresse à ses alliés complices d’une offensive lâche et honteuse.
Boumboum La porte est bel et bien ouverte ! Les belligérants se seraient enfuis dès qu’ils ont eu vent de mon arrivée ! Entrons ! Vite ! Faites attention ! La couleur de drapeau a changé, et l’hymne aussi !
Feu-au-bout c’est vrai ? Vous le connaissez, vous le nouvel hymne ?
Boumboum Je ne sais pas, on va le découvrir après ! si l’idée vous vient de chanter, ne chantez pas ! sinon vous allez vous tromper et nous allons être démasqués ! Suivons ce vent en poupe qui souffle dans notre direction ! Il nous portera droit vers le palais royal ! Soyez vigilants ! La main invisible dont j’ai parlé s’emmêle déjà dans les coulisses, et bientôt, nous allons la tailler en miettes.
Les DAF. À l’assaut ! Vive l’indépendance ! Vive la liberté ! Vive la justice ! Mort aux séparatistes ! Boumboum ! Boumboum ! Boumboum !
Boumboum feint l'inquiétude face à la rapide reconversion et l’adhésion totale des déserteurs de l’armée coloniale à son complot. Avec une fausse appréhension, il interroge son porte-parole à leur sujet : As-tu vu comme ils me scandent déjà ? J’ai à peine ouvert la bouche et eux viennent juste d’arriver !!!
Feu-au-bout N’ayez crainte ! Ces gens-là nous servirons comme ils ont servi les ennemis sortants ! ils le font à la Bacchus ! c’est un vieil héritage de père en fils, depuis une ère bien lointaine. Ils se sont toujours offerts partout. C’est dans leur sang d’être obséquieux, esclaves de luxe, en retour de quelques bas privilèges qu’ils savent manigancer à leurs galons !
Boumboum C’est qui Bacchus ? C’est un opposant ?
Feu-au-bout un peu ou presque ! c’est un opposant style DAF ! un DAF de l’époque romaine ! Il a livré Jugurtha en chair et en os à l’armée de Giulio César.
Boumboum : Tu es fort en géographie Feu-au-bout ! tu n’arrêtes pas de m’étonner !
Feu-au-bout : Non c’est de l’histoire ! çà, ce n’est pas de la géographie !
Boumboum : Ah, bon ! Jugurtha, ce n’est pas de la géographie ? Et Giulio césar ! ça aussi, ce n’est pas non plus de la géographie ?
Feu-au-bout : Non ! c’est l’empereur romain qui a reçu Jugurtha des mains de ce Bacchus ! il l’a laissé mourir de faim et de sévices dans une prison célèbre à Rome !
Boumboum : Dans ce cas alors, ce serait moi l’empereur romain dans cette géo ah, j’allais dire dans cette histoire bien ficelée ! et ce Jugurtha ? C’était aussi un esclave !!!
Feu-au-bout : Non ! Jugurtha, c’est comme Chat-banni et ses compères, mais de l’époque romaine.
Boumboum : ça alors ! je ne veux pas de Jugurtha dans mon effectif (pause) ni de ses compères ! Nous ne recrutons que de braves Bacchus qui sauront nous livrer des Jugurthas !
Feu-au-bout : Pour ne pas se mentir, bacchus c’était colle-au-dos de l’époque romaine.
Boumboum : Colle-au-dos ? c’est qui alors ?!
Feu-au-bout : c’est Bacchus en chef mais de notre époque ! c’est lui qui nous livrera les Chat-banni et consorts !
Contexte. On entend souffler un vent furieux, accompagnant un écho du jeune colonel Chat-banni, redoutable opposant à Boumboum.
Échos du colonel Chat-banni : « Ils se plantent, comme vous, là où ça engrange des dividendes et des postes de commande ! Ils aiment, comme vous, s’aplatir à d’indignes honneurs, se tâcher de sordides promotions, tout ça en simulant la loyauté et l’héroïsme. Comme dans un théâtre !
Boumboum fou furieux : Vous avez entendu ?! Ô mon Dieu ! Vous avez entendu, je vous dis ?
Feu-au-bout : Entendu !!! Entendu quoi ?
Boumboum : ce que je viens d’entendre ?! l’insolent qui vient de parler ! quelqu’un se cache derrière ce rideau. C’est Jugurtha ! C’est à vous ou c’est à moi qu’il s’adresse ?
Feu-au-bout : non c’est Chat-banni notre ancien allié !
Boumboum s’inquiète : c’est du pareil au même ! que veut-il ? n’avez-vous pas dit que ce Chat-banni est le Jugurgutha de notre époque ?
Feu-au-bout : Il veut la peau des colle-au-dos et la nôtre avec ! en plus ce n’est pas Jugurgutha, c’est Jugurtha ! ce n’est pas le bon moment pour Jugurguter !
Boumboum : les colle-au-dos !!! C’est qui encore ?
Feu-au-bout : ce sont les Bacchus moderne ! Ils choisissent toujours le camp des Giulio César. Colle-au-dos c’est un de leurs représentants, leur symbole !
Boumboum : Encore ! et c’est qui lui ? Giulio César !
Feu-au-bout : Lui ? c’est un peu de vous et un peu de nous ! on se départage la proie !
L’écho de Chat-banni revient : Ils adorent être dominé pour le pouvoir que leur confère leur dominateur de dominer d’autres à leur tour. Et vous comptez bien faire cela avec eux, n’est-ce pas ? »
Boumboum, déconcerté, s’adresse de nouveau à son porte-parole :
Vous avez entendu Feu-au-bout, comme ce vent insiste ? C’est une atteinte à la souveraineté de l’État ! Déjà ?! ça commence à déranger ! déjà des jaloux ! je l’ai bien subodoré ! Quelqu’un serait en train de fomenter contre nous et voudrait nous surprendre ! il nous suit et je le vois partout !
Je crains que ça ne soit quelqu’un de ceux-là qui me scandent à chacune de mes apparitions ! ces Bacchus comme tu les appelle. Ah ! j’ai des doutes !
Pensez-vous que ce soit une aubaine pour nous de recruter des gens de la lignée des Bacchus, comme ça ? S’ils sont au service du plus fort, c’est-à-dire, imaginez que moi, Giulio César, je tombe malade, ils vont se retourner contre moi ! je n’aurai même pas droit à un paracétamol ! Mais bien sûr, une fois affaibli, II vont balancer dans le camp adverse ! si la situation s’inversait en faveur de… comment il s’appelle déjà…
Feu-au-bout : Jugurtha !
Boumboum : Ah, oui ! Jugurtha ! Ils retourneraient l’arme contre moi.
Feu-au-bout : Bacchus au côté de Jugurtha !!! cela vous ne pouvez même pas le rêver
dans un sommeil ! il souffle un vent sonore Boumboum. C’est peut-être lui qui vous rapporte
ces horribles et fausses informations ! Non, ne délirez pas ! les Bacchus ont intérêt à nous
servir. Leurs ennemis, je veux dire les prétentieux Jugurthas de notre époque, leurs jurent
vengeance.
Ce n’est pas possible qu’ils nous tournent le dos. Qui les protégera après ? Ils sont entre le mar-
teau et l’enclume. Il y a zéro espoir qu’ils s’allient ailleurs si ce n’est qu’à nous. Honnis de la
population, et les soi-disant Guerrero. Les tartares qu’ils ont tant servis, tant vénéré, les ont
foutus à la porte, ils sont abandonnés à leur piètre sort. Ils ne sont rien sans nous aujourd’hui.
Notre ennemi ne se liera jamais à eux. Vous pouvez en être sûr ! et nous, nous avons besoin du
savoir qu’ils ont acquis au service de l’armée coloniale pour asseoir les fondements de la nôtre
toute neuve et toute sophistiquée.
Boumboum : encore ! les tartares !!! c’est qui ?
Feu-au-bout : ce sont le vieil occupant !
Boumboum Désormais, on est cerné de partout ! Il faudra d’abord que j’ouvre une enquête !
Feu-au-bout : Contre le vent ?!!!
Boumboum : Non, contre celui qui se cache derrière le vent ! vous croyez que c’est le vent
qui a parlé ?
Feu-au-bout en driblant. Je ne sais pas ! Cela pourrait être le cas ! N'ayez crainte ! Le
vent ne parle pas, il souffle ! Vous semblez redouter les nouvelles recrues ‘pause’ et le
vent avec. Vous oubliez que nous sommes les seuls à leur offrir l'occasion d'échapper au
spectre de la vengeance qui les guette immédiatement. C’est plutôt une cerise sur le gâ-
teau d’avoir avec eux un ennemi et un idéal commun. C’est le vent que vous redoutiez
qui nous envoie les Bacchus ! en plus à l’époque il n’y avait qu’un seul, maintenant ça
foisonne des Bacchus ! pour nous, c’est un Bonus !
Boumboum : (toujours en proie à son appétit d’opportuniste insatiable.) : Soit ! Soit ! si
cela est vrai, ça devrait confirmer l'adage selon lequel « l'ennemi de mon ennemi est mon
ami ». Mais pensez-vous que cela soit possible de notre temps ? ou qu’il faille aussi se
méfier des adages ? sinon, de pareils Bacchus, je les veux bien dans mes rangs ! surtout
que c’est moi Giulio César dans cette histoire, ça ne peut qu’être logique ! Comme on
dit ; l’histoire est un éternel recommencement !
Feu-au-bout : il faudra qu’on leur donne des ailes, afin qu'ils puissent s'élever avec le vent
qui vient de vous parler. Notre dictature est la plus moderne et est la plus séduisante que
l'histoire ait connue. Les adages de nos rivaux peuvent être dangereux, ils en connaissent
beaucoup, mais ils ne nous mettront pas à genoux. Au contraire, nous pourrions nous en ser-
vir à notre guise pour nourrir la violence nécessaire au maintien d’un état souverain héritier
de notre combat pour les libertés individuelles et les libertés collectives. Nous saurons les
contrecarrer et les tourner à notre avantage adaptant chaque adage à la circonstance qui lui
convienne pour l’honneur de nos camarades tombés au champ d’honneur !
Boumboum : c’est bien raisonnable. Cela commence à me paraître fort juste et plus judicieux
les paradoxes !
Feu-au-bout : Ne soyons pas maladroits. Accueillons-les pour renforcer nos rangs. Leur
soutien nous reviendra d’un profit inestimable. Nul ne pourra nous disputer le trône.
Fai-sons preuve de générosité envers eux !
Boumboum. Ah, oui, en effet ! Je vais dès lors, promouvoir tous ceux et toutes celles
qui puissent servir de rempart contre l’invasion des Jugurthas. Les Bacchus, je vais leur
accorder le soin de commander l’armée. Je ne veux ni passifs ni craintifs dans mes rangs
! J'ai besoin d'hommes vigoureux, créatifs, audacieux, actifs et sur la défensive. Comme
Bacchus chez moi, Giulio César ! La ruse est essentielle pour moi... comme en temps de
la guérilla. La plèbe jubilera devant notre éloquence et notre détermination à consolider
son triomphe auquel nous avons collaboré pendant la guerre !
Le porte-parole. Collaboré !!! pendant la guerre !!! Laquelle ?
Boumboum celle qu’on n’a pas faite, je voulais dire celle qu’on a faite derrière les bâches
diront nos ennemis, les ingrats et parmi eux le désormais vieil ami Chat-banni ! Jaloux de
tout ce qu’on fait ! Allons de ce pas le chasser ce gueux avec ses alliés avec !
(La tension monte sur scène, alors que Boumboum, pris dans un tourbillon d'incertitude,
scrute son entourage, craignant que le vent de la révolte pourrait bien tourner contre
lui.)
Le narrateur.
A l'apogée de la Kabylie, là où s'épanouissent les vestiges d'un ancien maquis, la beauté résiliente des paysannes se heurte à la brouille cruelle des maquisards. Boumboum, figure de tyrannie, dirige une armée d'anciens camarades, désormais devenus des voyous de hauts rangs, aux côtés des DAF.
Alors que ces courageuses paysannes s’éclipsent, leurs voix s’élèvent sur un air vivifiant, célébrant l’amour et les joies mondaines devançant la tragédie.
Intermède
Des femmes kabyles, traversent la scène, fredonnant des chants joyeux de la Kabylie.
O toi, de qui j’ai multiplié la joie,
Viens et réjouis-toi avec moi,
Rends-moi la joie que je t’ai donnée,
Depuis longtemps, depuis si longtemps,
Nous étions dans les champs de l’ombre,
Mais voici que l’astre vient de naitre,
Déjà se répand sa lumière,
La lumière de la pleine lune (1)
Elle est tombée dans la danse,
Nul de nous ne sait son nom,
Une amulette d’argent,
Se balance entre ses seins,
J’ai vendu pour elle,
Un champ d’olivier
Elle s’est jetée dans la danse,
Anneaux tintant à ses chevilles,
Avec des bracelets d’argent,
J’ai vendu pour elle,
Un verger de pommiers
Elle est tombée dans la danse,
Sa chevelure s’est échappée,
J’ai vendu pour elle,
Mon champ de cerisiers,
Elle s’est jetée dans la danse,
Un sourire la fleurissait,
J’ai vendu pour elle,
Tous mes orangers. (2)
Scène six
L’arrivée des combattants, poussés par le devoir de défendre leur territoire, se teinte d'une effusion de sang, prélude à une tragédie inéluctable.
Les tyrans s’avancent, drapés dans leur arrogance.
Boumboum : « Hâtez-vous, braves soldats ! Nettoyez cette scène ! Rendez hommage aux martyrs initiateurs de notre nouvelle république démocratique et populaire, À nos compagnons d’arme qui ont offert leur vie pour les libertés individuelles et les libertés collectives, tirez sur tout ce qui vibre ! Aucune âme ne doit échapper à la purge ! Nous avons la chance d’avoir un dieu à nos côtés, Nous vaincrons le diable à nouveau ! »
Des tirs résonnent, déchirent la nuit, des corps s’effondrent dans un ballet tragique, les morts se comptent par dizaines, parmi les justes.
Des soldats Kabyles, l’âme alourdie, pénètrent en scène, traînant les cadavres de leurs frères d’armes, chantant leur mauvais sort.
Chant Kabyle par les maquisards.
Ma mère,
Ô ma mère très douce,
Mon esprit est tordu comme un sarment,
Quand je me suis éveillé à moi-même,
La foule était déjà dispersée,
Et j’ai connu ma solitude,
Derrière les montagnes
Le soleil est tombé,
Vers le passé
Les ponts sont coupés. (1)
Le surlendemain de la purge.
Lamentations d’une paysanne sur la tombe de son mari.
Mon cœur est toujours malade,
Malade à cause des hommes de mal,
Ils se glorifient des œuvres des autres,
De cuivre vil,
Ils fondent des bijoux d’argent,
Ils ne plantent pas,
Ils déracinent, (2)
Voici que mon cœur est couvert d’ulcères,
Pour d’autres blessures il n’y a plus de place,
Les sources de ma vie sont taries,
Nous nous aimions par-dessus tout au monde,
Nous étions soudés l’un à l’autre,
De la trahison nos cœurs fuyaient l’ombre,
Mais tel est le vouloir des anges,
La malédiction est inscrite sur mon front,
Aurais-je détruit un sanctuaire ? (3)
Scène sept.
Le narrateur.
Le lendemain de la purge des insurgés, Boumboum se tenait là, contemplant le sol qu'il reven-
diquait avec une ferveur tumultueuse. Sa détermination était palpable, prête à affronter qui
conque oserait s'opposer à lui, car toute résistance était perçue comme une menace envers les
intérêts d’une caste et d’infime peuplade déjà à la solde sous le joug des dirigeants, dont les
DAF faisaient partie intégrante.
S'adressant à son public, Boumboum déclara : "Grâce à ton dévouement, à ton attachement
sans faille, ô peuple glorieux parmi tous, nous avons déjoué l’infâmie d’un groupe d’insigni
fiants sans culte ni bonne origine. Je tiens à saluer l'esprit indomptable de nos guerriers, qui
ont infligé à nos ennemis une défaite cuisante et mémorable. Nous avons été plus forts et plus
vigilants ! Le nombre de victimes dans leurs rangs témoigne de notre puissance inébranlable.
Qu’ils brûlent en enfer. Notre pouvoir est inaltérable, notre langue inimitable, notre voie iné-
vitable, notre demeure imprenable. Notre résolution à protéger la populace de ces vautours qui
planent à ras de notre ciel est la seule voie viable, et elle demeurera intacte jusqu'à ce que
justice soit rendue aux contribuables."
"Il reste quelques voix dissidentes, quelques esprits égarés qui s'accrochent à leurs mauvaises
habitudes et refusent de se joindre à notre noble cause. Nous leur avons offert la chance de
survivre, mais ils ont choisi l'anathème. Par conséquent, ils ont été maudits à jamais. Ils ont
rejeté notre clémence, car ils désirent que nos chemins divergent. Eux, ils souhaitent vendre
cette citadelle aux enchères, tandis que nous aspirons à redonner vie à cette terre mourante."
"La tâche de déloger ces traîtres vous a été confiée, ô gens courageux et virils, vous avez
accompli votre devoir avec une discipline digne des successeurs de nos martyrs, vous êtes
les héritiers de la révolution et gardiens de notre patrimoine plusieurs fois séculaire. C'est
la promesse tenue envers nos frères d'armes ! Comme vous le voyez, ayant succombé aux
combats, ils ne sont plus parmi nous."
À ces mots, les DAF échangent des regards moqueurs, tandis que Boumboum, feignant
d'essuyer des larmes de crocodile avec son jouet en mouchoir, poursuit : "Qu'ils soient
fiers de nos exploits et de l'avènement de notre nouvelle république démocratique et po-
pulaire, avec les libertés collectives et les libertés individuelles sur lesquelles nous nous
sommes mis d’accord et pour lesquelles ils sont tombés en martyrs attachés à leur sol...
elles leur appartiennent aussi."
-Ovations délirantes des partisans de Bomboum
Boumboum pète.
D’autres ovations retentirent, et Boumboum, dans un geste théâtral, laissa échapper un autre
éclat sonore, accueilli par un autre tonnerre d'applaudissements.
Chœur :
Des personnages censés être en mutation,
Déambulent autour d’un jardin.
Chat-banni jeune colonel en ébullition,
Accoste d’un geste soudain,
Des vieux de la révolution,
Hé, vous-là !
Braves maquisards,
Vous êtes-là, assis
Sur vos bancs tous peinards
Et n’êtes même pas au courant !!!
Des derniers événements…
Ses amis du maquis le coupent et ripostent :
Justement nous venons de l’apprendre sur ce poste !
Vous parlez de la purge Kabyle ?!
Nous l’avons bien su et sommes restés immobiles !
Nous sommes tous des lâches enfin,
Nous avons laissé faire un piètre faquin,
À l’heure de la guerre il partit bien loin,
Et de sa personne il prit bien soin,
Il attendit le temps que revienne le calme,
Et pour s’introniser il enfila ses palmes.
Des membres ayant encore le sang bouillonnant,
S’élevèrent bien haut pour clairement lui dire non !
Voix du petit peuple qui manifeste partout dans les rues :
Nous n’acceptons plus,
Ni guerre ni répression,
Et le monstre qui nous provoque,
Paiera l’addition,
Sept ans et demi ça suffit,
Ô cerveaux infects,
Ô cerveaux bouffis,
Lumière,
Scène huit.
Narrateur. La scène est scindée en deux. À gauche, Boumboum et sa meute, à droite, le restant de ses opposants encore en vie. Chaque groupe s'anime tour à tour, chacun prenant la parole, séparément, en alternant.
Contexte. Le groupe de l’opposition discute de la situation déjà tragique dans son carrée.
Les voix opposantes.
Voix 1 : Dans quel pétrin sommes-nous tombés ? Dans un ultime sursaut, au cœur de cette épreuve décisive, ils ont atteint le point culminant de leur machination habilement orchestrée. Auparavant, ils s’étaient retirés, se drapant d’un prétexte fallacieux, celui de poursuivre des études tout en feignant de soutenir la révolution depuis l’exil.
.
Voix 2 : Les voilà, désormais maîtres de la scène ! Jamais ils n'ont connu les affres du combat. Ils ont patiemment attendu que des âmes vaillantes défrichent le chemin, puis, tel des renards rusés, ils ont investi les lieux, escortés de chars et d'un bataillon conquis par leurs intrigues mystérieuses. Boumboum, lui, n'est pas seul… Ce Moyen-Orient, avec son culte dénaturé et ses traditions altérées, s'empare de notre terre par la complicité de ces manipulateurs ! Bientôt, ils détourneront toute cette population de sa réalité, insufflant dans leurs esprits, comme une drogue, leur langue de bois perfide ! Et Boumboum sera l’icône tragique de cette histoire, un héros qui fera trembler les cœurs par son inhumanité sans égale !
Chat-banni le jeune colonel : un héros de pacotille ! comment peut-on craindre un pareil cachotier ? C’est un guide guidé, qui n'est que le pantin de ses maîtres-proxénètes bassistes.
Voix 3 : Il faudra les raser avant qu’ils nous ne rasent !
Dans la partie B de la scène.
Boumboum, chauffé à blanc, s’adresse au public : Je dénonce ! Je m’en offusque ! Des langues zélées, endoctrinées, beuglent à l'instant même, répandant le bruit d’une attaque inéluctable et impérative, d’une razzia contre moi ! Contre ce peuple brave et désarmé, épuisé par les guerres ! Et maintenant, Chat-banni nous inflige une honteuse démonstration de haute trahison en refusant de nous soutenir. Lui et son clan, manipulent dangereusement la situation, cela risque de se propager si ce vent-là re souffle ! si ce courant se renforce, les conséquences seront désastreuses ! Voilà pourquoi nous sommes tous réunis ici ! »
Partie A de la scène.
Voix 3 : Tout a fendu comme du beurre dans l'allégeance, les DAF lui rendent bien des services, par leur opportunisme et leur duplicité d’obséquieux-dominateur, il ne pouvait pas trouver mieux !
Chat-banni : Il le doit surtout à nos anciens compagnons qui ont troqué leur combat pour des calembredaines (...)
Partie B de la scène.
Boumboum, en proie à l'agitation, interroge ses acolytes : "Voyez-vous ? C'est la jalousie qui les ronge ! Ils désirent tous me renverser ! Chat-banni, mon camarade d'hier, prend leur défense et, pire encore, me menace ! Vous l'avez entendu, n'est-ce pas ? Cette fois-ci, ne me dites pas que c'est le vent qui s'est exprimé !"
Feu-au-bout attise la méfiance chez Boumboum : Cela est vrai, ils aspirent à tout nous prendre ? à nous dépouiller, si nous n’y prenions garde ! Il faut les écraser sinon ce sont eux qui nous écraseront !
Partie B de la scène.
Voix 3 (…) ce ne sont pas des calembredaines, mais de grosses fortunes et d'énormes profits à rafler. Au moment où les masses se sentent affaiblies par la guerre, sans aucun espoir pour leur misère, ils ne se préoccupent plus que d'eux-mêmes, de leurs carrières.
Voix 4 Des intrus malvenus ! des brebis galeuses ! Un jour de malheur s'abat sur notre contrée. Il est impératif de rester aux aguets, d’attaquer même, il faut nous défendre ! c'est urgent !
Partie B de la scène
Plus loin Boumboum courroucé s’adresse au public : Il y a sur cette terre sainte, arrosée du sang de braves hommes et de femmes, une région qui se croit au-dessus des autres. Ce sont des impies qui l’habitent. Ils nous traitent de brebis galeuses et d’intrus malvenus. Une peuplade étrange et arriérée. Leur dialecte est d'une époque révolue est un déni de notre langue sacrée, une insulte à notre patrimoine culturel et mystique.
Plus loin l’opposition s’avance pour en découdre avec le clan à Boumboum prenant le public à témoin.
Voix 4 : Ils ne sont redevables qu’envers eux-mêmes. Leur liberté ils l’ont conquise par eux-mêmes, ils la doivent à leurs souffrances, à leur dévouement, pas à vous. Celui qui n’est pas content, qu’il aille prolonger ses vacances au proche orient.
Le désormais ancien colonel Chat-banni défie : L’armée a le devoir de protéger, non de contrôler ou réprimer. Il n’y aura jamais de place pour les DAF ! Ils méritent un bel châtiment pour ce qu’ils nous ont fait endurer pendant la guerre ! ils ont attendu que l’on vienne à bout de souffle, que nos combats se terminent, que nous déposions les armes et que nous rentrions victorieux au bercail, pour nous attaquer avec l’appui de nos camarades convertis, plus que jamais décidés à s’allier avec le diable pour gouverner, pour dominer. C’était cela le but derrière leur participation dans la lutte armée.
Plus loin les putschistes avancent.
Feu-au-bout : vous êtes une menace pour notre union, notre patrie, notre patrimoine, notre foi... et surtout pour la sécurité de chacun de nous, celle de notre grande famille qui mérite mieux que vous !
L’aile religieuse de Boumboum : il n’y rien à craindre ! Nous sommes unis, comme rapporté dans le livre saint ; « l’exemple des croyants dans leur union et leur altruisme est comme l’exemple d’un corps saint, si un de ses organes souffre, tout le corps en pâtit. » Comme le dit le Hadith !
Feu-au-bout : c’est le Hadith qui le dit ou bien c’est le livre saint ?
L’aile religieuse : C’est la même chose ! quand l’un dit l’autre confirme !
Partie B va en découdre avec Boumboum en avançant vers la partie A de la scène.
Voix 7 : vous menacez de mater notre rébellion pacifique. Pourquoi vous n’étiez pas venu pendant la guerre.
Colle-au-dos DAF en chef défie la voix opposée en se tournant vers Boumboum : Nous serons livrés à l’anarchie, nous déclinerons et nous porterons aussi notre part de responsabilité si nous laissons ces prétentieux prendre la relève. Nous avons laissé faire cet oiseau de mauvais augure. Il doit être soigné, et lui, il a complètement perdu la raison (faisant allusion à Chat-banni)
Un truand en fixant Chat-banni : il ne fallait pas attendre aujourd’hui, nous avons trop tardé pour le faire ! nous vous avons loupé ! ce ne sera pas le cas cette fois-ci !
Chat-banni aux convertis en truands : oui le colon vous gênait. C’était l’obstacle à votre ambition de régner. Il fallait le dégager pour lui succéder aux rênes du pays. Nous restons mobilisés, nous avons le soutien de tous ceux et celles qui, hier, ont combattu à nos côtés et qui n’ont pas changer de camp. Croyez-moi, nous sommes loin d'être une minorité ! et vos DAF le payeront cher !
Collo-au-dos : Il faudra marcher sur nos cadavres, nous autres ! Notre détermination est intacte ! Vous verrez comme cela va être compliqué pour vous et pour ceux que vous défendiez ! Nous n’aurons aucune pitié pour vous ! et vos piètres compagnons petit colonel de bimbeloterie ! vous me le payerez de votre vie !
Chat-banni : Nous, non plus ! tous les vrais guerriers de notre époque sont dans nos rangs !
Colle-au-dos : Qui trouvera la motivation pour vous rejoindre ? Les gens sont épuisés et complètement désespérés. Vous n'avez plus de munitions.
Voix d’un opposant chuchotant à l’oreille de Chat-banni : Zut ! Nous avons rendu nos armes le lendemain du cessez-le-feu. Et maintenant, tout est entre les mains des tyrans. Tout est conspiration. C'est le Proche-Orient qui tire les ficelles de cette tragédie. On aurait dû rester sur nos gardes nous aussi, avant que ne survienne ce drame. Les spectateurs vont en avoir plein les yeux
.
Chat-banni : Oui, c’est une erreur d’avoir cru que c’était acquis. Encore une fois, des ennemis émergent de nos flancs. Désormais, cette histoire ne veut pas prendre fin ! et voilà nos Bacchus qui repoussent comme de l’ivraie dans une pleine abandonnée aux orties !
Séparément des opposants.
Boumboum murmure à l’oreille de Colle-au-dos : Oui, adjugé ! J’ai toujours redouté ce vil personnage. Nous l’avons déjà envoyé se battre dans le désert sans munitions pour qu’il périsse loin des yeux, loin du cœur. Ni vu ni connu. Mais il nous a fait de la peine, et nous l’avons fait revenir. Mais il m’a l’air immortel, ce rustre. Il faut en finir avec lui par tous les moyens !
Contexte : Chat-banni et ses compagnons dissidents, révoltés par l’ascension de ces déloyaux, s’éloignent, laissant des échos à ce personnage qui se goinfre d’adversité et à ceux qui l’escortent.
Les DAF suivent les dissidents, proférant insanités et menaces dans cette atmosphère de complots, d’abus et de harcèlement flagrants.
Un DAF, s’adressant aux opposants qui quittent la scène : Ne vous en faites pas ! Nous prendrons notre revanche, nous aussi !
Un autre DAF « Et vous, allez les rejoindre dans leur brousse ? Battez-vous contre nous ! Battez-vous à leurs côtés ! Montrez-nous votre audace ! de quoi vous serez capables ! »
« Vous aurez des figues et des olives en récompense ! » (Dixit colle-au-dos, défiant le colonel Chat-banni avec moquerie.)
La foule de DAF éclate d’un rire vulgaire, répétant avec le même sarcasme : Ô des figues et des olives… des figues et des olives ! Vous en serez bien servis si vous survivez ! Mais il faudra ramener de grands paniers pour la cueillette !
Un autre DAF ajoute : Hier, vous nous aviez chassés, aujourd’hui c’est nous qui vous chassions. Œil pour œil, dent pour dent ! Nous sommes partout où il y a une cause juste !
Furieux, le colonel Chat-banni laisse entendre : Ne vous inquiétez pas ! On vous a tous vus ! Vous êtes partout où elle est, pour la combattre, la bonne cause ! Pour provoquer son déclin et celui des justes qui se soucient de sa survie ! Oui, parce que vous êtes d’éternels vendus !
Le colonel Chat-banni s’éloigne, outré par l'incivisme de ces putschistes.
Boumboum : vous avez entendu la menace ? Ils veulent la guerre ! Ils veulent me renverser !
Les DAF à tour de rôle :
Voix 1- Oui, colonel, nous avons tout entendu !
Voix 2- Nous sommes là pour empêcher cette conspiration !
Voix 3- Nous allons vous venger, colonel !
Voix 4- Nous allons déconstruire cet assemblage absurde et insensé !
Colle-au-dos, DAF en chef, toujours aussi engagé qu’à l’époque coloniale : Laissez-le-moi ! je vais l’humilier, ce goujat ! Je vais l’éliminer, ce têtu !
Les DAF en chœur : Allons de ce pas l’arrêter !
Scène neuf
Quelques semaines plus tard, Boumboum, entouré de ses militaires, traîne Chat-banni
vers un châtiment odieux.
La scène s'ouvre sur une forêt sauvage, un endroit où seuls les loups oseraient s'aventurer.
Les DAF amènent, enchaîné, le colonel, qui avait opposé un veto au marchand de guerre.
Il lui ôte toute légitimité pour avoir désavouer leur projet pernicieux de déraciner une fa-
mille qui n’a commis d’autre crime que celui d’être autochtone et fière de son patrimoine.
On dépose l’insurgé au milieu d’une multitude d’arbres, dans cette forêt sombre témoins de
sa déchéance.
Boumboum, avec beaucoup de zèle et de dédains Dites-moi, Monsieur Chat-banni !
Colonel Chat-banni, si vous voulez que je me permette de vous appeler comme il vous
siérait ! Quelle délicatesse de vous dresser contre nous en opposant un veto ! en défendant
ces arriérés !!! Que reprochez-vous à vos anciens compagnons d’armes ? Mon groupe vous
répugne-t-il à ce point ?
Où sont vos camarades d’antan ? vos révolutionnaires autochtones de pacotille ? Qu’ils
viennent vous délivrer s’ils ont le moindre soupçon de virilité ! Qui osera se perdre dans
cette forêt maudite ? N’aurait-il pas été plus sage pour vous de contribuer, de poser une
pierre à l’édifice, d’ériger un État qui pourrait devenir la locomotive de tout un continent ?
Il faut bien faire taire les parasites ! J’aurais aimé vous pardonner, mais c’est là le énième
bâton que vous enfonciez dans mes roues. Heureusement que j’en ai plusieurs. Votre destin
est désormais entre mes mains ! Il dépendra de moi que vous viviez ou que vous périssiez
aujourd’hui !
Chat-banni : Vous ne m’effrayez pas ! Je ne tournerai pas l’arme contre mes frères ! Que
le destin s’accomplisse ! Ne croyez pas pouvoir me corrompre avec vos promesses d’un
grand État à édifier, ni m’intimider par vos menaces. Ils ont une voix, une belle langue,
et si vous ne la voulez pas pour vous, ils ont le droit d'en user comme bon leur semble !
je crois qu’on parle égyptien en Egypte ! même pas l’arabe classique !
Le colonel Boumboum : Je vais vous faire entendre ma voix, mauvais élève !
(Il donne l'ordre à ses hommes) Attachez-le à cet arbre ! qu’il périsse aujourd’hui avant
demain !
Chat-banni se fait attacher à un arbre. Des scènes de torture se succèdent, suivies de son
exécution. Il endure les supplices, étranglé avec une froide indifférence. Le DAF colle-
au-dos, un vendu de main promu par le tyran, l’achève de deux coups de pistolet en pleine
tête, lorsqu’in extremis, il réalise qu'il lui restait encore un souffle de vie même après
étranglement.
Ils l'enterrent dans un recoin isolé et inaccessible de la forêt, et quittent les lieux après
avoir perpétré leur crime, convaincus que leur victime n’est bel et bien plus de ce monde.
Chœur
Les gens au départ ne voulaient que la paix,
Malgré l’avènement de cet esprit mal fait,
Usés par les guerres,
Ils cédèrent à Boumboum
Qui, sans hésiter, exila les pantoums,
Ainsi s’assombrit le ciel des braves,
Au lieu d’être libres ils devinrent esclaves.
Et l’échange entre eux devint top-secret,
Les arrestations firent bien rage après.
Les doctes avisés et d’autres voix révoltées,
Des plus audacieux se faisaient arrêter.
Les foules mêlées de candides joyeux,
Soutinrent l’insolent orgueil des mafieux,
Les méfiants érudits maitres en alphabets,
Arpentent les rues à la dérobée,
D’autres disaient oui
La vérité, elle est certes amère,
Mais si on la disait cela nous coûterait cher,
C’est ainsi qu’au lieu de joindre leur voix,
A celle des justes éclairés,
Ils se vendirent à la loi et devinrent affairés.
Scène dix.
Quelques mois se sont écoulés. Des opposants se réunissent pour dresser un état des
lieux.
La voix de l’opposition.
Voix 1 ça n’est pas possible ! Tous les citoyens sont soumis à l’épreuve. La peur paralyse les voix ! ceux qui ont l’audace de s’opposer sont éliminés ou exilés de force ! il n’en reste pas beaucoup parmi nos camarades !
Voix 2 L’allégeance est primordiale, et il ne pouvait choisir de meilleures alliées que ces âmes serviles qui peuplaient les jours du colon et ces charognards qui ont tourné le dos à leur combat !
Voix 3 Le Proche-Orient, conspire contre nous. Il est plus que jamais décidé à nous imposer une langue que la rue ne comprend pas et une culture étrangère à la nôtre. Nous n’allons quand-même pas accepter de devenir ce que nous ne sommes pas ! ce serait lâche d’abdiquer devant ce danger de dépersonnalisation imminent !
Voix 4 Et pourquoi les cailloux du proche orient se mêle-t-il à nos haricots ? ils veulent nos huiles ! Tout ce qui compte pour eux, c’est l’avenir de la oumma arabo-baasiste... alarmiste, terroriste, cela ne peut-être notre projet ! qu’est-ce-que nous en avons à foutre de leur devenir alors que le nôtre est bafoué. Notre pays est en proie à l’abandon et le peuple en souffre cruellement !
Voix 5 L’insécurité règne, des masses colossales ne trouve pas un travail. L’agriculture va mal comme jamais auparavant. Les marchands de fruits et de légumes ne peuvent offrir que des produits avariés aux citoyens.
Voix 6 Les agriculteurs ont été spoliés de leurs terres et l’exode rurale fait rage. Des milliers de jeunes, nés pour servir leur patrie, fuient leur terre, terrorisés par la nouvelle tyrannie. Et les ennemis DAF florissent au dépend d’un peuple martyr ! voilà ce que nous a valu notre lutte pour l’indépendance ! Dites-moi, en quoi ça diffère du colonialisme ?
Un peu plus loin sur scène, Boumboum et son porte-parole échangent des constats.
Feu-au-bout, grommelant en catimini La période de séduction a été fructueuse ! Nous ne devons pas arrêter de charmer pour rallier le plus grand nombre au niveau international à notre cause ! L’Afrique nous soutien, et suit notre modèle, le front de l’Est reste fidèle à ses engagements envers nous et d’un œil séduisant nous exhorte à rester dans son giron. Les DAF, surveillent la sécurité du petit citoyen. Quoi de mieux ?
Boumboum Après tout ils ne sont pas si inhumains que ça nos braves DAF ! nous avons bien fait de les galvaniser, de leur avoir accorder une chance pour se refaire une santé en leur montrant notre générosité. Nos camarades de lutte auraient dû les chouchouter pendant la guerre pour les avoir dans leurs rangs. C’est par leur faute qu’ils ont rallié le front adverse !
Feu-au-bout : Ils leur ont trop fait la pression !
Boumboum : ils avaient raison de cogiter avant de décider quel parti rejoindre ! un peu d’hésitation, c’est toujours nécessaire dans ce monde sommes-nous pas démocrates ? !
De l’autre côté de la scène la voix agitée des opposants :
Voix 1 : Oui, en effet ! Il leur a accordé sans vergogne toute la légitimité. L’obédience, telle est la clé ! Tu verras qu’il en fera des PDG par ici et des adjudants-chefs par-là et petit-à-petit de hauts officiers de l’armée !
Voix 2 : ils vont mener la maison à la dérive tandis que la bonne foi est étiquetée de traîtrise…
Plus loin.
Boumboum : Nous chasserons tous les malintentionnés, tous les complotistes ! Cette terre n’est pas à vendre ! Comme le disait fièrement un camarade de lutte !
Feu-au-bout : de lutte ! un camarade ! quel camarade ? quelle lutte ?
Boumboum : ceux que nous venons de recruter ! celle que nous n’avions pas faite ! je veux dire celle que nous avions faites derrière une bâche comme disent nos rivaux par jalousie et malveillance.
Revenant vers le public, il élève encore le ton avec des décisions : Quelques foyers de turbulence persistent sur cette scène ! La guerre n’est pas finie, elle commence à peine ! Nos ennemis d'aujourd'hui sont pires que ceux d'hier !
Nous donnons donc l'ordre, à cet instant, à notre armée victorieuse, de les trainer comme nous avons, dans un passé récent, traîné dans la boue le funeste occupant.
Qu’ils sachent, désormais, qu’on ne badine pas avec notre honneur ; héritage de nos ancêtres, de nos martyrs, et la promesse que nous leur avions faite de les honorer tant que nous foulons encore cette terre sainte. Terre imprégnée de leur sang béni, jusqu’au dernier souffle de notre existence… Comme nous l’avons juré sur l’honneur à nos frères d’armes devant le témoin tout puissant !
Malheureusement, et vous pouvez le constater, comme ils n’ont pas survécu aux combats, ils ne peuvent se tenir parmi nous aujourd’hui… Prions pour leur honneur, où qu’ils soient !
(Il sort un mouchoir de scène, essuie ses larmes de crocodile, puis revient à sa tirade répétitive, nourrie de haine et de vindicte.) :
Nous avons choisi la langue élue, la langue qui nous rapproche de la science, qui nous guide vers la civilisation et nous assure une place au paradis ! Soyons-en fiers ! Cette langue est notre atout ! Elle est notre honneur ! celle de nos ancêtres, la langue de toute la oumma, de nos amis de l’orient. Sous leur égide, nous nous élèveront vers les cieux et bâtirons une union éternelle et sacrée avec eux.
Chœur
Ainsi le maquisard,
Rêveurs à l’extrême,
De liberté,
Sombre dans la bohème,
Comme en temps de guerre,
De montagne en montagne il vagabonde,
Et pour le faire exiler,
Les vagues abondent,
Le doux chant enthousiaste des guerriers,
Devint amertume,
C’est pour les arrivistes intrus,
Que le cierge s’allume,
Le désordre, la discorde, la débandade
Coupèrent toutes les routes,
Comment va-t-il survivre,
À une pareille déroute ?
Le bohème va donc retourner à sa bohème,
Pour pouvoir militer et répandre ses poèmes,
Son ami sédentaire s’est fixé dans le bled,
Il n’espère pas retrouver plus loin le remède,
Ecoutez-les dire ce qui les différencie !
C’est ce qui pas loin qu’hier les unissait.
Scène onze
Quelques temps après le génocide de Kabylie.
Contexte. Le bohémien, est sur le départ. Il va regagner le port, portant une valise. Il croise sur son chemin un de ses camarades de lutte, qui se veut sédentaire. Ils vont se saluer chaleureusement en se serrant les mains avec force. Ils se tiennent côte à côte, scrutant les lieux dévastés de leur triste contrée.
Le sédentaire : tout va bien ?
Bohémien : Oui… On survit comme on peut, sinon on est mort !
Le sédentaire : oui, je sais, moi aussi. Mais nous voilà toujours en vie (pause) heureusement !
Tu vas où là avec ton bagage ? En villégiature ? tu es addicte à ta Kabylie !
Le Bohémien : Non, je ne me rends pas en Kabylie cette fois-ci !
Le sédentaire : tu vas où alors avec ton bagage ?
Le bohémien : où veux-tu que je m’en aille vieux camarade ? tu devrais l’imaginer ! tu ne
t’es donc pas rendu compte de la déferlante de citoyens sur les ports ? Des gens comme toi et
moi ! Je t’assure, la multitude est sur le départ !
Le sédentaire fait mauvaise mine : comme toi peut-être, pas comme moi ! C’est un piège
mon ami ! ne tombe pas dedans ! Notre patrie unique, elle est ici et nulle part ailleurs ! c’est
de la pure trahison ! ce territoire est certes devenu un fief pour les exactions et pire encore
la propriété de quelques insignifiants opportunistes. Quelques-uns ont fait preuve de plus
d’habileté que nous. Nous ne nous y sommes pour rien mais Il faut rester quand même.
C’est une minorité, elle ne pourra jamais imposer sa loi !
Un tiers personnage : ils nous ont pris au dépourvu et se sont emparés du butin de guerre
sans que nous puissions les en empêcher. Maintenant, ils nous poussent à fuir notre territoire,
pour qu’ils soient à l’aise dans leur sale besogne.
Le sédentaire : Justement si nous partons tous, qui va libérer cette terre de ces petits bandits
? Soyez raisonnables ! Réfléchissez bien avant de partir ! croyez- moi, nous allons les balayer
comme de la poussière ! vous n’avez surement pas assez réfléchi !
Le Bohémien : non, non ! j’ai bien réfléchi ! je ne suis pas seul ! regarde bien toutes ces va
lises qui se promènent ! tu ne te rends pas compte du ras-le-bol populaire généralisé ?
Le sédentaire : Moi, à ta place, je ne ferai jamais ça ! J’aurais honte d’agir de la sorte !
Le bohémien : Honte ! de quoi alors ? il y a quoi de honteux en cela ?
Le sédentaire : il faut d’abord se mettre dans son esprit que l’essentiel a été fait en en
voyant paitre chez lui, le vieux colon ! regarde à l’opposé de quelques tyrans s’il est vrai
qu’il en existe, quand des enfants s’éclatent tous joyeux animant les écoles et les jardins
! et qu’est-ce-qui compte de mieux pour nous si ce n’est cette génération montante qui
prendra notre relève ? tous les jours, je les vois jouer ici dans ce beau jardin et cela me
donne un émerveillement que je ne peux pas te décrire.
Le Bohémien : Ce beau jardin est l’œuvre de ceux que tu as envoyé paitre chez eux !
Le sédentaire : j’ai des doutes ! mais vous trouvez ça normal ?! vous virez quelqu’un de
chez-vous, après, vous lui emboitez le pas pour aller vivre chez lui !!! quel illogisme ! Où
donc est ta hargne ? ton nif ? ta dignité d’antan ? Pour recouvrer notre honneur, il faut que
tout ce monde reste ici, là, maintenant, demain et toujours, indéfiniment ! Aujourd’hui, ils
nous ont eu, demain nous les aurons ! ils sont même loin d’être aussi puissants que le colon.
Nous l’avons vaincu sans munitions presque.
Le Bohémien : il n’y a aucune trahison ! L’exode est un phénomène aussi vieux que le monde.
Le sédentaire : Aussi vieux que le monde ! C’est pareil que la prostitution ? Aussi vieille
que le monde aussi ! c’est comme si vous alliez vous prostituer loin alors !
Le bohémien : Non ! Pas ça quand-même ! Nous nous pouvons plus nous battre ici ! Ils
nous ont divisé en tribus et en petits groupes d’extrémistes zélés. Si on se fait arrêtés, qui
dira la vérité aux générations naissantes ? En plus, les moyens de répression qu’ils utili-
sent, sont aussi abjects que ceux qu’utilisaient les colons, si ce n’est pire ! Avant, on
reconnaissait l’ennemi, ce n’est plus le cas aujourd’hui ! personne qui désobéi, n’y sur
vit ! Nous irons là-bas et nous ferons preuve d’exemplarité. La lutte ne va pas s’arrêter.
Nous tâcherons de nous reconstruire comme au bon vieux temps pour connecter nos pro-
génitures à la réalité. Nous avons toujours fait preuve de bonne conduite loin de notre
terre natale !
Le sédentaire : Arrête de philosopher ! ta vision de la situation est nulle et erronée ! tu
finiras par te laisser envoûté par l’occident ! tu oublieras la guerre que tu leur as faite
et tu te trouveras des alibis pour justifier ta dérobade ! mais tu ne pourras pas échapper à
ta conscience. C’est à la fin de ta vie que le remord te saisira par la gorge pour te ravager
le cœur et le cerveau ! tu ne pourras pas y échapper ! Rien et personne ne pourra soulager
ton supplice !
Le Bohémien : Nous nous sommes battus contre la répression, l’injustice, les spoliations,
les privations et les humiliations de toutes sortes. Non pas contre un pays ou contre un
peuple ! mais contre une caste d’individus qui constituait une infime minorité parmi un
brave peuple, une poignée de pirates issue de cette contrée-là.
Des gens parmi ceux que tu prends pour ennemis ont prêté mains fortes à notre cause. Ils
venaient jusqu’au maquis, nous proposer leurs services. Ils ont donné leur vie même. Ils nous
ont défendu corps et âme contre leurs propres dirigeants, parce que ces derniers étaient des
injustes, des tyrans génocidaires.
Leurs intellectuels, journalistes, écrivains, artistes, leurs célébrités, qui ont porté notre voix
aux parlements internationaux, partout dans le monde, tu oublies tout ça !!! Après tout, nous
n’avons pas l’intention d’être injustes nous non plus.
Entre Maurice qui as arrosé ce sol de son sang et Les bachagas qui ont été bien plus cruels
que le colon, qui choisirais tu ?
Ceux qui n'ont pas les mains tâchées de sang, pouvaient bien rester et vivre en cohabitation
avec nous. Cela a été clairement rapporté dans les accords après le cessez-le-feu. Nous étions
majoritairement d’accord sur cette question ! ils auraient dû ne pas prêter l’oreille aux ru-
meurs circulantes ! Ils n’auraient jamais dû partir ! Ce n’était ni une question de race, ni celle
d’une nation, ni encore moins celle de la religion ! ils se sont laissés berner par la propagande.
Ils ont eu la trouille puis sont partis. Nous avons tous été sujets aux exactions des ultras des
deux camps.
Le Sédentaire Pas besoin de faire du bruit comme un fanfare sur les toits ! Tout va bien, ils ont pris la décision de partir, qu’est-ce qu’on en a à foutre nous ? on ne pouvait pas les obliger à rester ! sinon tout va bien pour nous. Je ne regrette pas ma décision. Tu crois vraiment que je suis simple d’esprit de vouloir rester dans ma terre natale ? Épargne-moi tes insinuations perfides ! Respecte la mémoire sacrée de nos héros !
Le Bohémien Je n’ai jamais évoqué ton nom, soyons clairs ! d’accord ? Et comment peux-tu m’accuser de profaner la mémoire des martyrs ? Je ne fais allusion à personne de particulier, et je ne ressens aucune aversion envers nos camarades défunts.
Je parle de ces âmes soumises, de ces moutons de Panurge qui acquiescent à tout. Tels des crocodiles affamés, les bourreaux guettent leur proie, prêts à frapper avec leurs mâchoires béantes ! Ce sont eux qui votent pour leur propre déchéance, déroulant le tapis rouge vers leur asservissement ! Bientôt, ils seront des milliers, des centaines de milliers, errant comme des âmes en peine à la recherche d'un ailleurs. Ne resteront que les esclaves volontaires, à la merci des brutes qui prospèrent sur leur dos.
Le Sédentaire : Nous avons encore du temps devant nous ! Pourquoi ne pas patienter un peu plus ? Nous saurons faire face aux tyrans, s’ils existent ! Nous les obligerons à tenir leurs promesses si elles sont creuses. Comprends qu’il n’y a plus de colonialisme ! L’Occident nous observe, ses yeux inquisiteurs braqués sur nous, et la promesse de progrès leur reste sans doute en travers de la gorge.
Le Bohémien : Progrès ? Que des illusions ! L’Occident se moque de ces promesses ! Il n’a pas le temps pour se soucier des gesticulations d’un leader soutenu par une minorité aveugle, ignorante quand elle n’est pas de mauvaise foi. Ils sont occupés à bâtir pendant que nous faisions face à cette caste qui déracine !
(Après un silence réfléchi) Pourquoi sont-ils revenus après avoir fui la guerre ? Ce ne sont que des collabos, servant l’injustice, dont il se sont toujours entourés. Et les endormis votent pour les arrivistes, puis pour ceux qui les renversent et ainsi de suite. On leur a fait croire que voter est un devoir sacré. Que seuls les vrais patriotes votent. Que ceux qui s’abstiennent sont des hors-la-loi et sont pour ce fait, privés de leurs droits les plus élémentaires. Ils ne peuvent même pas retirer une fiche individuelle à la mairie ! C’est trop abusé ! Un monde ingrat !
Le Sédentaire Non, je ne suis pas d’accord. Il y a encore des esprits nobles et savants, prêts à prouver qu’ils peuvent relever le défi et atteindre le Gothas des pays développés.
Le Bohémien Et il y a aussi des esprits lucides et désespérés. Ceux qui ont anticipé le pire et qui savaient qu’une quelconque seconde chance à court terme n’était qu’un leurre, face à l’indifférence, à la complicité ambiantes et aux entraves qui nous paralysent. Mais ces âmes-là sont déjà parties, bien avant que ces fous de tyrannie n'émergent de l'ombre.
Le Sédentaire Parfois, nos inquiétudes sont tellement excessives que, des soucis futiles, des balivernes dont on devrait plutôt rire, nous rendent malades d'angoisse et de désespoir ! Nous sommes fatalistes, défaitistes !
Nos enfants sont désormais scolarisés. L’espoir qu’ils s’épanouissent dans l’abondance est légitime. Pourquoi se tourmenter ? C’est cette génération qui nous élèvera vers de nouveaux sommets.
Ensemble, nous construirons une nation à part entière, parmi les plus civilisées du monde... Attendons simplement qu’elle mûrisse !
Le Bohémien : la civilisation va attendre que la génération mûrisse ! c’est le comble du ridicule ! et entre temps qu’est-ce qu’on va faire ! des promesses pour les naïfs qui croient ou des menaces pour ceux qui ne sont pas d’accord et qui veulent avancer !!! C'est tout le mal que je te souhaite de toute façon ! Nous avons assez attendu et avons tout vu !
L'émerveillement de quelques naïfs n'était qu'un instant fugace, balayé par le premier vent sur notre malheureuse contrée. Ceux d’aujourd’hui, sont encore pires que ceux d'hier. Nos compagnons d'armes, je parle des fidèles et non pas de ces vendus, nous l'avaient prédit ! Il est ahurissant de constater à quel point leur prophétie s'est réalisée. Regarde comment ils ont purgé la Kabylie et d'autres régions. Comment ils ont exécuté le Chat-banni et nos camarades les plus pieux et les plus sincères ! comment ils ont poussé les plus utiles vers l’exile.
Ce régime ne diffère en rien de celui que nous avons combattu, sinon qu’il est pire. Dire que cette langue, qu’ils rabaissent et interdisent, était enseignée à l'université de la capitale au XIXe siècle ! des érudits issus du pays étranger même professaient notre langue à la fac d’Alger vers 1867. Voilà pourquoi nous avons été rattrapés par le désir ardent de fuir sans complexe.
Nous exécrons la morgue et nous restons fidèles à nos idéaux ! La nostalgie du continent des anciens rivaux nous étreint, car nous savons qu'il existe parmi eux des éclairés capables de nous comprendre, prêts à sympathiser avec notre cause et nous aider dans nos luttes ! Bientôt, nous regretterons d'avoir pris les armes contre eux ! Tu verras bientôt les conflits à venir !
Le Sédentaire. C'est de bonne guerre ! C'est normal ! C'est entre frères ! Vive les conflits quand c’est l’intérêt général qui les motive ! Nous réglerons nos affaires internes entre nous. Comme le dit l'adage ; le linge sale se lave en famille !
Le Bohémien. Jamais je n'aurais cru entendre cela de toi, encore au sujet de tes frères d'armes ! Je t'accorde néanmoins un sursis ! Je broierai du noir jusqu'à ce que cette terre soit libérée de ces fachos. Cette épreuve est celle de la sagesse, de la lucidité, de la solidarité envers ceux qui souffrent. Car, des victimes, ils ont en fait beaucoup ! S'il y avait seulement un espoir d'ouvrir un dialogue pour éclairer nos lanternes. Oser dire : moi, toi, lui vous, eux et nous, "Nous sommes différents, et nous pouvons vivre ensemble. Que l'injustice et le racisme n'aient pas leur place parmi nous."
Le Sédentaire, avec acharnement : arrête de me démoraliser ! Pour l'instant, je vois encore des couleurs là où tu ne vois que de l’obscurité. Je vois des amis là où tu n'aperçois que des adversaires ! Quel est ton problème ?
Le Bohémien, déçu et avec emportement : Ce n'est pas le tien, je m'en rends bien compte ! pourquoi tu t’emmêles alors ? Cela fait longtemps que tu me lessives. On ne peut rien faire comprendre à celui qui ne veut rien entendre. Certes, tu as été maquisard, mais cela ne t'exempte pas d'être parfois un peu grossier et un peu égoïste !
Le Sédentaire : J’ai compris ! C’est toi qui es lucide ! et moi la brute ! nonobstant je signe et
persiste, je veux vivre ici. Je veux voir mes enfants réussir. J’ai envie d’un docteur, d’un in-
génieur, d’un juge, d’un avocat, d’un ministre dans ma maison.
Le Bohémien : Et pourquoi pas d’un président adjoint ? les adjoints sont connus pour ne
pas lâcher le morceau ! et finissent souvent sur le fauteuil comme Boumboum !
Le sédentaire : Toi tu es décidé à avancer vers l’arrière.
Le bohémien : on n’appelle pas ça avancer, on recule en arrière ou on s’enfonce dans
l’abîme, c’est pareil ! c’est ce que tu es en train de faire ! ce qu’il nous faut c’est aller vers
l’avant ! c’est toi, qui avance apparemment vers l’arrière puisque tu l’appelles ainsi !
Le Sédentaire : Advient que pourra ! on avance, on recule ou on s’enfonce, je suis prêt
à tout pourvu que mes soldats s’élèvent haut dans les sphères de la science et comble ma
maison de ces grands diplômes. Je refuse qu’ils subissent les affres de l’ignorance et des
humiliations. Je consacrerai ma vie à les escorter jusqu’à ce qu’ils atteignent mon but.
Le Bohémien : Ton but ou leur but ? Je te l’ai dit, tu es parfois un peu égoïste ! tu les
veux à ta juste mesure.
Le sédentaire : pourquoi ? comment veux-tu que je les aies ?
Le bohémien. protège-les et laisse-les devenir qui ils veulent être !
Le Sédentaire calme : tu trouves ?
Le bohémien : et comment alors mon compagnon d’arme ? n’as-tu pas pris les armes
pour gagner ce droit ? si ton enfant voulait être marchand de pois-chiche, le contraindrais-
tu à devenir ministre ?
Le sédentaire : là-dessus, il se peut que t’aies raison ! ils choisiront eux-mêmes qui ils
voudraient devenir ! Nous nous quittons donc, vieux camarade ! Pardonne-moi si mes
paroles t'ont blessé. Tu as le droit de rêver ! Je n'ai rien contre la Kabylie, mais les cir-
constances m'ont poussé à dire ces choses… j’ai oublié de réfléchir. Après tout, nous
aimons tous pareillement cette terre.
Le Bohémien : on n’oublie pas de réfléchir, on réfléchit ou on s’engourdi tout court.
Change-toi les idées ! tu me pardonneras toi aussi ! je ne doute pas de ton attachement à
ce sol.
Le sédentaire : ne t’inquiète pas ! tu n’as rien fait de mal ! la pierre que tu as jetée sur
moi, je la considère comme une pomme !
Le Bohémien : Merci ! mais ce n’est pas une pierre, plutôt une triste vérité que nous
subissons. Par contre, ne dis pas de mal ni ne tarit d’éloges sur moi ! je ne suis qu’un
citoyen parmi d’autres et qui veut s’améliorer !
Le Sédentaire : d’accord ! mais n’oublie pas ta patrie !
Le Bohémien. Ne te soucie pas ! tu sais à qui tu as affaire !
Le sédentaire. oui ! bien sûr, je le sais ! reviens-nous sain et sauf ! Bon voyage !
Les deux vieux compagnons de luttes, malgré leurs divergences, s'abandonnent en larmes
chacun à son destin, chacun empruntant son propre chemin, déterminés, l'un à s’adapter
aux nouvelles conditions de vie, l'autre à défier son sort d’éternel errant en quête de li-
berté, de dignité et le rêve de chasser les fascistes putschistes depuis l'exil.
Scène douze
Quelques années plus tard.
Décor, un taudis
Dans le pays, les putschistes fachos, se sont ancrés de façon irréversible, depuis déjà quelques mau-
dites années. Axel (petit-fils du sage-voyant) orphelin d’un père martyr, assassiné par les siens
pendant la guerre) – La maman d’Axel (une mère sage tourmentée au passé douloureux, belle-fille
du sage-voyant)
Axel est un garçon vif et bientôt adolescent.
La scène représente un intérieur austère d’une vieille maison traditionnelle située dans un
vieux quartier populaire jadis réservé aux pieds noirs. La maman, belle fille du défunt
sage voyant, est en train de balayer le sol. Elle fredonne un chant Kabyle ancien, sur
l’ennui dans l’absence des êtres chers :
Depuis le début de l’année,
Nous n’avons pas eu un seul jour de gaieté,
Nous voici muets comme des charognards.
Ô toi,
Aigle à la tête bleu,
Étends tes ailes dans les nuées,
Et mets le cap sur leur prison.
Salue pour nous les prisonniers,
Leur absence est pire que l’exil,
Mais la patience est l’amie du seigneur. (1)
Axel arrive avec quelques courses que la maman l’avait chargé de ramener. Elle est toujours
triste. Son fils ne cesse d’observer cette scène qui se répète chaque jour, en posant un regard
affectueux sur sa pauvre maman. Il lui tend le panier avec les quelques emplettes conquises au
marché au bout d’un effort monumental, après s’être époumonner : Tiens maman ! je n’ai pas
pu tout ramené ! mais je me suis procurées quelques petites commissions malgré tout !
Il lui montre le panier. Voici la conquête et la monnaie, tiens ! heureusement que je suis
matinal ! il faut toujours être parmi les premiers. Toujours le même scénario ! Les derniers repar-
tent bredouilles. Leurs couffins quasi vides. Il n’y avait même plus de carottes ni de pommes de
terre au moment où le marchand me servait. C’est peu, je sais, et c’est acquis de justesse ! laisse
tomber le marchand, comme s’il m’avait rendu sa peau ! j’avais honte à sa place !
La maman plongée dans la nostalgie d’un passé amer et persistant, est désenchantée. Elle
n’entend que dalle. Elle ne se rend encore pas compte de la présence de son fils qui garde sa
main tendue vers elle. Tandis qu’elle poursuit ses chants tragiques et nostalgiques en balayant
le sol, il l’attend patiemment.
Faucon femelle, maitresse des airs,
Ton visage est beau comme un clair de lune,
Mais si tu songes à quelque traitrise,
Au grand jour ose te découvrir,
Le tapis sur le métier doit-être achevé ;
Le monde tourne les yeux vers toi ;
Craindrais-tu de montrer qui tu es ? (1)
Vers toi je clame jeune faucon,
Au corps formé en perfection,
Ma robe de soie
N’est plus qu’haillons
Trainant dans la boue et le sang
Mon collier d’ambre roule à terre,
Ils vont t’arracher,
O ma vie tant aimée,
Aujourd’hui ils l’ont décidé,
Mon dieu, mon seul ami, pardon ! (2)
Axel, avec intensité. Ô mère, me voici ! As-tu vraiment perdu la vue et l'ouïe, absorbée
par tes chants ? Ta voix mériterait de résonner à la radio, tant elle emplit l'air de mélodies,
mais tu sembles aveugle à tout ce qui t'entoure ! Maman ! Maman ! Prends ce panier, ma
main faiblit !
La mère, sortant de sa rêverie Pardonne-moi, mon fils ! Je ne t'avais pas vu arriver.
(Elle tend les mains) Donne, mon cher enfant !
L'enfant remet le panier à sa mère. Tiens, maman !
La mère, fouillant le panier Regarde-moi ça ! Ces pommes de terre, pourries ! Ces to-
mates, méconnaissables ! Pas de carottes, pas d'aubergines, pas d'oignons... rien ! Un
marché de désolation, des marchands de pourriture ! Mon Dieu, tout est gangrené dans
ce pays. Comme l'avaient prédit ton père et ton grand-père, notre terre est perdue. Ceux
qui nous gouvernent ne sont que des usurpateurs !
Axel Ce sont les mêmes tyrans que grand-père avait prédits.
La mère, amère. Hélas, mon fils, nous errons dans un pays de putschistes, l'espoir
s'est éteint.
Axel. Alors, as-tu raison de chanter, maman ?
La mère Ces chants d'antan sont les gardiens de notre ennui, de notre désespoir, et par
fois, de nos espoirs. Tout est corrompu ici, par ceux qui se croient puissants. Notre passé,
lourd de souffrances et d'humiliations, nous a laissés à la merci des arrogants.
Le petit-fils. Tes chants sont si tristes ! Y a-t-il encore une once de douceur en ce monde
? De temps en temps, chante-nous des airs doux !
La mère Hélas, ces chants sont notre seule consolation. Ils apaisent nos cœurs meurtris,
mais la liberté n'est qu'un mirage lointain.
Le petit-fils Que faire alors ? Nous avons le droit d'être heureux, mais en cet instant,
aucune raison ne nous y invite. Notre vie est un deuil incessant. À qui la faute ?
La mère Ô mon fils, nos ancêtres ont tant sacrifié pour nous. Ils ont lutté pour préserver
notre culture, mais aujourd'hui, nous sommes forcés de renoncer à notre identité par des
lois perfides. Où trouver la joie dans un tel carcan ?
Le petit-fils N'est-ce pas une malédiction ? Quel sort nous attend !
La mère Nous avons perdu nos terres, d’autres les ont accaparées. Des étrangers vien-
nent les exploiter, savourant leurs délices tandis que nous, nous chantons et dormons !
Mais n'oublie pas, ceux qui ont combattu pour notre liberté ne doivent pas être oubliés.
Chaque peuple a ses lâches et ses héros.
Le petit-fils du sage voyant. Mais où est cette liberté, maman ? Pourquoi ces pleurs
incessants ? Je refuse de me taire ! Je veux m'envoler, déchirer le ciel, plutôt que de
m'abandonner à ces lamentations !
La mère Notre vie est gouvernée par le besoin et le chantage. Pardonne-moi d'avoir sou-
vent l'air abattu. C'est au-delà de ma volonté, car la situation nous impose cette tristesse.
(Un bruit de dispute retentit à l’extérieur.)
La Maman : Qu’est-ce que ce tumulte ? Va, mon fils, découvre cette agitation.
Le Petit-Fils : C’est Idriss ! Il est poursuivi par sa propre mère ! Il n’y a pas besoin d’aller voir ! cette scène se répète tous les jours. Nous en sommes habitués !
(Idriss entre et agrippe la voisine tout en pleurant.)
Idriss : Au secours ! Ma mère veut m’infliger sa colère ! du piment ! du piment !
La Maman : N’aie crainte, petit. Reste ici, il ne va rien t’arriver.
La maman d’Idriss. Viens par-là ! en plus tu pleurs comme une fillette. Tu vas ravaler vite ces larmes de petite demoiselle !
Idriss tout en pleurant : non je ne suis pas une fillette ! regarde ce comme tu veux me punir !
La maman de petit fils du sage voyant à la maman : laisse-le ma chère voisine, laisse ! La violence appelle la violence, et nous devons trouver la paix par la parole. Tant mieux s’il pleure, cela va le libérer de son angoisse ! parle-lui doucement ma chère ! parle-lui seulement !
La Maman du Petit Fugitif, obstinée dans sa colère : Parler à cet enfant !!! Plus je m’emploie à l'éduquer, plus il s'enfonce dans ses conneries ! (Elle brandit un bâton dans une main et un piment dans l’autre, s’adressant à son fils) : Voici ce qui t’attend, petit Chmata ! vaurien ! Ne te fait pas de soucis, il n’y a jamais pénurie de piment à la maison ! tu prendras deux le matin, trois à midi, quatre au coucher, et cela, durant six mois ! Voilà ton remède ! tu commences les soins aujourd’hui !
Ah, si seulement j'avais du piment en suppositoires, je te ferais subir la cure intégrale ! Je suis ta mère et ta doctoresse, et je vais te soigner daredare, afin que nous soyons, moi, ton père, tes frères et tes sœurs, enfin en paix !
Le Petit Enfant, suppliant : Non, maman ! Je suis innocent ! Je n'ai rien fait de mal !
La Maman du Petit Fugitif, s'agrippant à sa voisine : Lâchez-le ! Il ne sait que mentir, voler, jouer avec des scélérats comme lui ! Son père le réprimande tous les jours, mais en vain ! Il brise tous les gourdins qu’il essaie de corriger ! Il gaspille l'argent que je lui donne dans les manèges, dans les stades ou au cinéma, puis il rentre les mains vides, jurant qu’on l’a volé !
La Maman du Petit-Fils du Sage-Voyant : Ton fils se rebelle car il souffre de privations et de violence. Pourquoi ne pas lui parler avec douceur ? Écoute ses peines, ses craintes. Il n’est pas trop tard pour le redresser ! ô l’innocent !
La Maman du Petit Fugitif : Innocent ! Tu ne sais pas. C’est moi qui, au jour d’aujourd’hui, porte le poids de mon accouchement laborieux ! Je l’ai mis au monde par césarienne, et maintenant, il fait César à la maison !
La Maman du Petit-Fils du Sage-Voyant : Et tu crois que c’est par ta tendresse qu’il se réfugie ici, ou plutôt cherchant à fuir ta colère ?
(La Maman du Fugitif, gênée par les paroles de sa voisine, commence à s'apaiser.) je ne sais plus qui a tort et qui a raison ! il me fait toujours perdre patience ! je n’en peux plus !
La Maman du Petit-Fils du Sage-Voyant : Plus on observe le calme, moins on souffre.
La Maman du Fugitif pour s’en débarrasse. Si tu veux, je te l’abandonne ! enfin, n’hésite pas à me solliciter si tu as besoin de quoi que ce soit. Je ne te lâcherai jamais, pour rien au monde.
La Maman du Petit-Fils du Sage-Voyant : Merci. Nous avons tout à la maison. Les gens ici, sont pieux et tellement solidaires. Je suis embêtée de me voir entourée d’une armée de philanthropes qui nous chargent de tant de générosités et nous font parvenir tout ce qui peut nous manquer. Et dire que nous n’avons jamais tendue la main !!!
La Maman du Fugitif : N’oublie pas, nos actions seules parleront pour ou contre nous le jour du grand jugement.
La Maman du Fugitif, quittant la scène : Garde-le si tu veux, garde-le ! mais tu verras, ça ne servirait à rien de le raisonner. Il ne fera que te causer des tracas ! Un jour, tu te lasseras de ses caprices, et moi, je le gâterai de piment ! j’espère que d’ici là, il y en aura en suppositoires aussi ! (Elle s’en va.)
La Maman du Petit-Fils du Sage-Voyant murmure : Des piments en suppositoires ! Elle est folle ta maman ! Viens, Idriss, tu vas manger quelque chose avec nous.
Idriss, s’adressant à la Maman d’Axel : Merci ! ma mère n’est pas une bonne affaire. A la place de mon père, elle ne mettra jamais ses pieds dans ma maison ! mais lui est encore pire. Il casse tous ses gourdins sur mon dos. La seule chose qu’ils savent bien faire, c’est me donner du piment et de la matraque !! toujours le même châtiment ! quelle routine ! Si elle courait comme elle le fait pour me chasser, elle gagnerait des médailles internationales de courses derrière les fils ! mais, moi je n’en peux plus. Comme s’ils m’avaient acheté à un marchand d’esclaves !
La maman du petit-fils du sage-voyant : ne t’en fais pas Idriss ! elle a une insuffisance chronique à la médaille ta maman ! voilà pourquoi elle trotte tout le temps à grandes enjambées dans les parages ! on va trouver une solution à tout cela mon fils ! allez, viens !
(Tous s’en vont.)
Scène treize
Plusieurs années après,
L’épouse du bohémien. (Femme à la cruche rumine un chant de détresse, meurtrie par l’absence de son mari parti en exil)
Qui t’a dit mon cher de suivre,
Les émigrants dans leur exil ?
Ton absence me parait si longue,
Tu m’as laissé toute seule dans mon lit,
Si j’eusse été vieille et froidie,
Du démon je me serais moquée,
Autour de moi, il n’eût pas rôdé,
Mais je sors à peine de l’enfance,
Depuis deux mois admis au jeûne,
Et mes fruits vont déjà mûrissants. (1)
« Nous sommes en métropole. Le Bohémien seul chante la séparation avec l’être cher »
Ô montagne change-toi en plaine,
Rivière change-toi en rigole,
Je fais fi du bonheur des villes,
Où mes yeux ne voient pas ma chère.
O ma chère décide pour moi,
Dois-je partir ? dois-je rester ?
Partir la mer est démontée,
Rester le fleuve m’engloutit,
Maman, maman bien aimée,
Chaque homme je le croyais mon frère,
Mère, ils ont creusé pour moi une fosse,
Où j’ai manqué laisser ma vie. (2)
Scène quatorze.
Personnages : Les garnements, Ali (sédentaire et rescapé de la guerre), le guru du quartier, touffe de poils (un homme à la barbe touffue, religieux)
Le Narrateur :
Voyez ces jeunes âmes égarées, harcelant un noble rescapé des affres de la guerre. Cet homme, autrefois vaillant et de renommée honnête, n’est autre que l’ami pieux et ambitieux du bohémien. Il rêvait et croyait en un destin de justice et de prospérité. Aujourd'hui en proie à l'ombre de l'indigence, l'esprit ébranlé par les tumultes de l'après-guerre, il est désormais enchaîné aux vices de l'alcool, refuge amer face à un espoir jadis colossal. Les garnements, tels des vipères, rient de sa misère, ignorant la profondeur de ses blessures et de son passé glorieux.
Les garnements raillant le sédentaire.
Première Voix Tu guerroie d'un côté et tu t’enivres de l'autre ?
Deuxième Voix tu ne pourras pas tromper le bon dieu avec la double face !
Troisième Voix, (en le bousculant) Révèle-toi ! Es-tu pour le Dieu ou pour le diable ?
Quatrième Voix Sois vrai, montre ce que tu caches, bon sang !
Cinquième Voix N’as-tu point de honte ? À ton âge, tu devrais être un exemple. Prie, afin de te présenter sans reproche devant le Seigneur
Sixième Voix Laissez-le en paix ! La guerre est révolue ! Il est libre de boire à sa guise ! L'eau est empoisonnée ! Lui a combattu pour une chope de bière et un verre de vin rouge ! C'est nous qui ne savons choisir notre breuvage !
Septième Voix Il ne devrait point se plaindre. Tout est en son pouvoir, il a l'estomac dur comme un roc pour tout endurer...
(Soudain, un homme à l’allure d’un guru émerge. Sa présence au milieu de ce tumulte ne présage rien de bon.)
Le Guru Salut à toi, vieil ami ! Que se trame-t-il ici ? Quel feu attisez-vous, jeunes aventureux ? je crains que vous n’ayez fait fausse route ! Qu'avez-vous osé proférer à l'égard d'un homme tel que lui ?
(Puis se tournant vers le bonhomme humilié) : Confie-toi à moi, je t'en prie ! Une parole de trop, un geste déplacé... et ils ne sauront ce qui les frappe !
Le Sédentaire Non, mon fils ! Ne fais pas cela ! il faut les comprendre. Ils sont perdus dans le vide ambiant, encore nourris du lait maternel. L’école ne leur a pas appris l’essentiel !
Celui qui sait est souvent plus dangereux que l'ignorant ! Laisse-les se défouler sur moi, mieux vaut cela que d’agresser une innocente jeune fille de passage...
Le Guru Bien dit, mais ils ne méritent point ta clémence ! Ils ont osé te manquer de respect !
(Se tournant vers les garnements) L'avez-vous entendu ? Voyez-vous son état, certes éméché, mais vous êtes aveugles à sa dignité. Vous choisissez vos victimes avec soin. À présent, moquez-vous de moi ! Qui d'entre vous est véritablement courageux, bande de couards ?
(Touffe de poils, bedaine proéminente, vêtu d'une abaya et d'une chéchia, s'approche avec une autorité feinte.)
Touffe de poils Que la paix soit sur les croyants !
Le Guru Qu'elle soit sur vous, Touffe de poils !
Touffe de poils Puis-je offrir mon aide pour l'amour du Seigneur et de son prophète ? de loin, j’ai entendu un galimatias !
Un garnement, cherchant à inverser la situation au profit de son groupe, prend la parole. En
vérité, nous conseillions à ce bonhomme, bien que plus âgé que nous, de mener une vie vertueuse et d'éviter l'alcool, interdit par notre foi ! nous avons eu pitié de lui ! nous voulions accomplir le devoir de bon conseiller pour les personnes égarées !
Touffe de Barbe, grossièrement Que Dieu vous bénisse ! Nos martyrs ne sont pas tombés en vain. Avec des jeunes comme vous, l'avenir pour notre oumma arabe zt musulmane est assuré !
(Touffe de poils se tourne vers le rescapé. Et toi, vieil homme, tu te comportes en mécréant, violant les commandements divins !!! Ne sais-tu pas que des anges te maudissent en cet instant même ? Tu ne les vois pas, mais eux te voient, envoyés par Dieu pour te maudire jusqu'à ce que tu jettes ta bouteille !
Le Rescapé Est-ce vrai ? Pourquoi donc me maudire ? N'avons-nous pas déjà souffert de malédictions pour notre indépendance ? Une indépendance... comme disait mon vieil ami… (pause puis avec remords) mais je ne l'ai point écouté !
Touffe de Barbe Tu parles ainsi parce que tu n'as pas combattu contre les impies. Tu bois pour que ces incrédules reviennent souiller notre terre sacrée. Après cela, tu boiras tes propres urines !
(Le guru invite Touffe de Barbe à s'éloigner pour lui expliquer la situation.)
le guru et touffe de barbe se retirent un peu du groupe.
Le Guru Écoutez, frère... maître euh...
Touffe de Barbe Non, non ! Frère et maître suffisent ! As-tu des révélations à me faire ? (Il caresse sa touffe de poils.)
Le Guru Venez par ici ! (Il explique) Ce monsieur est un ancien voisin, de réputation irréprochable ! Un ancien maquisard, capturé, torturé, mais jamais défaillant. Condamné à mort, il s'est évadé la veille de son exécution... il est déçu par ce qu’il voit arriver à notre pays.
Touffe de poils Prie sur le prophète !
Le Guru Que la paix soit sur lui !
Touffe de poils Oui, j'entends bien ! Mais pour Dieu, un soulard reste un soulard ! Aucun maquisard ne tient ! C'est droit à l'enfer ! un soulard est mécréant au même titre que le mécréant contre qui il combat. Au final tout le monde périra en enfer.
(Ils retournent dans le groupe.)
Le guru fait un clin d'œil au rescapé, qui comprend sans rétorquer.
Touffe de Barbe, grognant. Vous êtes un ancien maquisard, n'est-ce pas ?
Le Rescapé Mais non ! Ne croyez point cette histoire ! Qui vous l’a contée ? Un humoriste ? ah, oui ! Enfants, nous jouions aux cow-boys et Indiens. C'était chez-nous, à la maison, le seul maquis que je connaisse. Toujours, je tuais tout le monde. Haut les mains ! (Il mime un geste, effrayant Touffe de Barbe.)
Touffe de Barbe, reculant, effrayé revient en arrière. Mais que faites-vous, pauvre fou ? Ne tirez pas ! on va négocier ! on va négocier !
Le Rescapé Non, non ! On ne tire pas sur les représentants de Dieu !
Touffe de Barbe irrité Quel mécréant !
Le Guru Quel homme modeste et intelligent !
Les Garnements Quel ivrogne !
Le Rescapé Quelle audace ! quels guerriers, cette Touffe et ces égarés !
Chœur.
Dans l’administration un DAF arrive,
Avec un plan malicieux,
Pour mener le monde à la dérive,
Il apprend à ses recrues
A être obséquieux
Céder aux lois administratives,
Faites par de vicieux facétieux,
Pour torturer les convives,
Il faut se faire disgracieux,
Et l’attitude abusive,
Les rendra bien précieux,
Aux yeux de l’aile exécutive,
Des révérencieux,
Les foules anesthésiées,
Seront toutes confondues,
Le mal sera apprécié,
Le bien déprécié,
C’est le compte rendu,
De malfrats fortifiés,
Le petit-fils du sage voyant,
Va donc se livrer,
À des fantômes effrayants, ?
Acceptera-t-il d’endurer,
Leur circuit déviant ?
Ou bien va-t-il recouvrer,
L’honneur des ascendants ?
Scène quinze
Boumboum décède brusquement.
La nouvelle de la mort de Boumboum se répand comme une traînée de poudre à travers le pays. Les rues, autrefois animées par une peur sourde, sont désormais enfoncées dans une déflagration de voix pesante. Les visages sont marqués par une inquiétude palpable ; certains, rares peut-être, s'interrogent sur l'avenir, d'autres murmurent en cachette des espoirs de liberté, peut-être retrouvée.
Des groupes se forment dans les cafés et sur les places publiques, où les voix isolées, s’élèvent timidement pour évoquer la possibilité d’un changement.
Les banderoles en mémoire de Boumboum, ornées de slogans glorifiant son règne, sont accrochées à travers les villes, mais derrière ces hommages se cache une tension sous-jacente. La majorité des citoyens se demande si la mort de leur tyran pourrait vraiment marquer la fin d’une ère ou si un autre despote s'apprête à prendre sa place.
La télévision diffuse des images de Boumboum dans ses moments de gloire, entouré de partisans fervents. Les drapeaux sont en berne, et les cérémonies de deuil sont organisées dans tout le pays, mais le cœur des habitants, partagé entre la tristesse et l'espoir, crée une atmosphère ambivalente.
Oraison funèbre clamée par son porte-parole Feu-au-bout, avec beaucoup de diplomatie et autant de ruse.
Cimetière, (carré présidentiel)
(Voix solennelle, se tenant devant la dépouille entourée de hauts gradés de l’armée et des DAF, aussi en tenues d’officiers de l’armée, croisant leurs mains posées sur leur bedaines abondantes.)
Feu-au-bout :
Chers compatriotes, aujourd'hui, nous sommes réunis pour rendre hommage à notre grand leader, Boumboum, un homme dont la vision et le courage ont façonné notre nation, notre continent entier ! Il a guidé notre peuple à travers les tempêtes de l'incertitude et a su préserver notre intégrité face à ceux qui cherchaient à nous diviser
.
Boumboum était un pionnier, un bâtisseur. Sous sa direction, nous avons établi un ordre qui a protégé notre nation contre les forces du désordre et du chaos. Les défis étaient nombreux, mais il a toujours su répondre présent, déterminé à défendre notre patrie et notre identité islamo-arabe. Aujourd’hui, c’est toute la oumma qui le pleur.
Oui, nous pleurons la perte d'un héros, mais nous devons également nous rappeler que son héritage perdurera. À travers ses idéaux de discipline et d'unité, il nous a montré la voie à suivre. Sa mémoire vivra dans nos cœurs et dans nos esprits, car il a sacrifié tant pour nous. En tant que porte-parole de son héritage, je vous appelle à rester unis, à continuer à défendre les valeurs qu'il a incarnées : la force, la résilience et la loyauté envers notre nation.
Ne laissons pas sa mort entraîner le désespoir, mais plutôt une détermination renouvelée à poursuivre son œuvre pour la grandeur de notre pays. Que son âme repose en paix, et que son esprit continue d’inspirer notre lutte pour la paix et la sécurité !
Réaction de la plèbe après l’inhumation de Boumboum :
Voix 1 : (les larmes aux yeux) C’est incroyable de penser qu’il n’est plus là. Boumboum a régné sur nos vies si longtemps... Qu’allons-nous devenir sans lui ? je croyais qu’il était éternel !
Voix 2 : (d'un air amer) mais on ne sait pas qui va lui succéder. A mon avis on va encore nous livrer un autre pareil que lui, puisque c’est son entourage qui décide de qui gouverne ! Nous devrions commencer à réfléchir à notre avenir ! Dieu nous a-t-il enfin délivrés de son règne ? mais en guise de récompense ou de châtiment ?
Voix 3 (avec un regard déterminé) Alors, qu’attendons-nous ? Rassemblons-nous, établissons un plan, et battons-nous pour ce qui nous revient de droit. C’est notre moment ! À part les DAF, Boumboum ne nous a laissé aucun autre héritage. Désormais, nous allons encore devoir faire face à une nouvelle tyrannie, et les DAF ne nous montreront aucune pitié. Ils se souviennent que nos parents les ont pourchassés pendant qu'ils servaient le colonialisme.
Voix 4 : (hochant la tête) C'est vrai ! qui nous assure que son successeur ne sera pas pire ? Les tyrans se succèdent, et les souffrances sont toujours là. Mais le pire des inconvénients, c’est qu’ils ont toute l’armée et toutes les institutions sous leur égide.
Voix 5 : (avec détermination) j’ai l’intime conviction que cette fois, nous avons une chance. La peur a trop duré. Boumboum a laissé un vide aux adeptes de la soumission, mais pas pour nous, même si nous sommes un petit groupe, il est temps que nous prenions la parole pour revendiquer nos droits. (Avec scepticisme) Les promesses de liberté sont souvent de vains mots. Les discours d’hier résonnent encore dans ma tête. Combien de fois avons-nous cru aux belles paroles ?
Voix 2 : (soupirant) Je comprends. Oui, si nous ne tentons rien, nous resterons enfermés dans cette routine d'oppression. Nous devons nous unir pour faire entendre notre voix !
Voix 4 : (enthousiaste) Si nous sommes nombreux à revendiquer notre liberté, ils ne pourront pas nous ignorer. La peur peut changer de camp !
Voix 5 : (avec une lueur d'espoir) Alors commençons à préparer notre avenir, un avenir où nous serons enfin libres de vivre comme nous le souhaitons !
Voix 3 (avec un léger sourire) N’oublions pas que l’histoire a montré que même les plus puissants peuvent tomber. Notre force réside dans notre unité et notre volonté de changement.
L’être humain est lui seul artisan de sa dignité comme de son esclavage. Il revient à lui de décider qui il veut être.
Voix 4 (triste et désespérée) Nous sommes un peuple mort, des siècles qu’on nous a arraché à la vie. Nos luttes excessives ont profité à nos pires ennemis. Aujourd’hui encore nous sommes appelés à relever le même défi. Mais à quand la renaissance dites-moi ?
Voix 2 Peut-être que nous y sommes déjà maintenant. Allons droit au but ! sans peur et avec beaucoup de convictions !
Scène seize
Le Bohème dans son exil.
J’ai dit ma peine à qui n’a pas souffert,
Et s’est ri de moi,
J’ai dit ma peine à qui a souffert,
Il s’est penché vers moi,
Ses larmes ont coulé avant mes larmes,
Il avait le cœur blessé.
Mes pleurs coulaient parmi vos rires,
Ma blessure saignait en moi seul,
Ma maison est pour moi une bête féroce,
Et sans repos j’erre par les routes,
Je t’en prie maitre des cieux,
Aplanis les chemins sous mes pas.
J’ai versé tant de larmes et vous n’avez pas pleuré,
J’ai compris : je suis étranger
Le vent du nord s’avançait vers moi,
Le brouillard engloutit les rochers…
O, si vous avez des yeux,
Ne retenez pas vos larmes ! (1)
Je vois la fin de mes misères
Et je grille une cigarette,
Au sommet de chaque colline,
Toute nourriture en ma bouche,
Du laurier-rose à l’amertume,
La vie à goût de lait aigre,
J’ai abandonné mes parents,
De leur vie j’ai perdu souvenance,
Génies tutélaires accompagnez-moi,
Pour Aini j’ai perdu la raison,
Détaché de tout, je pardonne tout,
Fors ma pauvreté qui m’a damné. (2)
Scène dix-sept.
Le lendemain des funérailles.
Un nouveau guide guidé est élu successeur de Boumboum. Un autre membre du clan, lui par contre, subalterne des chefs suprêmes de la oumma arabo-musulmane établie depuis le proche orient. Choisi par les DAF pour la possibilité qu’il leur offre à le manipuler, à son insu peut-être pour sa naïveté, mais à leur guise surement. Il prononce le discours de son investiture.
Chat dodo entouré de bérets rouges
Chère Oumma de martyrs,
Aujourd'hui, nous sommes à l'aube d'un... quelque chose de grand ! Un carrefour, peut-être ? Oui, un carrefour de décisions cruciales, ou quelque chose dans ce genre. Nous sommes ici pour... pour faire avancer notre nation, ou peut-être la stabiliser ? En tout cas, nous avons des plans. Des grands plans !
Nous avons hérité d'une vision... ou d'une sorte de carte, disons. Une carte qui nous guidera, espérons-le, à travers ces temps... intéressants. Nos efforts, bien que parfois un peu... désordonnés, viseront à renforcer, ou du moins à maintenir, nos institutions. Et bien sûr, chaque citoyen aura un rôle, même si nous ne savons pas encore exactement lequel. Nous nous réunirons pour nous réunir, et (pause) pour définir…
Il est important de voir les défis, ou de les imaginer, car ils sont là, quelque part. Mais avec un peu de chance et beaucoup de... quelque chose comme n’importe quoi, nous les surmonterons.
Notre stratégie est, disons, en cours de développement. Mais soyez assurés, elle sera là pour assurer la paix, ou au moins, plus qu’un semblant de tranquillité.
Aujourd'hui, nous nous tenons devant un horizon... un peu flou, mais certainement impressionnant et nous allons le dégager. Nous sommes confrontés à la division, ou plutôt à une sorte de... diversité d'opinions, dirons-nous. Mais ne vous inquiétez pas, car l'unité, ou quelque chose qui y ressemble, est notre objectif, mais nous saurons un jour y parvenir et cela demande les efforts de chacun de nous.
Nos ennemis de l'étranger, ces mystérieux "ils", sont là, quelque part, avec ceux de l’intérieur, probablement en train de comploter. Mais nous avons un plan, ou du moins une ébauche de plan, pour les contrer. Nous devons rester vigilants, ou au moins garder un œil ouvert, pour ne pas tomber dans la dissidence, ce qui pourrait être... problématique.
La dissidence, mes amis, c'est un peu comme un... vent contraire. Elle souffle et menace de fracturer notre unité populaire, ou ce qui en reste. Mais ensemble, nous pouvons, espérons-le, naviguer à travers cette tempête avec une sorte de...euh cohésion.
Quant à la guerre contre les pénuries, c'est une bataille que nous allons mener avec bravoure, ou du moins avec une certaine persévérance. Nous avons des stratégies, peut-être pas toutes testées, mais certainement ambitieuses, pour faire face à ce défi. Ensemble, nous surmonterons ces obstacles, ou, nous trouverons une manière créative de les contourner.
Alors, avançons ensemble, avec courage, ou du moins avec un peu de détermination. Nous avons... eh bien, nous avons quelque chose. Peut-être pas la force moins que la volonté, mais certainement le désir de faire... quelque chose de mieux.
Alors, restons unis, ou essayons de l'être, dans cette quête pour un avenir... meilleur, ou au moins différent. Continuons à.… travailler, ou à essayer de le faire, pour réaliser les aspirations... enfin, pour réaliser quelque chose.
Merci... je suppose.
Réactions plébéiennes après l’intervention insolite du nouveau guide Chat Dodo.
Voix 1 (discrète et inquiète) Ce discours sonne comme une promesse de continuité, mais je le trouve bizarre et discordant ce chat Dodo. Il a la langue tordue ! J’ai l’impression que le régime et ses exactions vont perdurer. Le Chat dodo n’est qu’un autre visage derrière la même tyrannie même s’il n’a pas le charisme d’un tyran comme son prédécesseur. Boumboum nous tenait le même discours durant tout son règne. Sauf que Chat Dodo ne finit pas ses phrases ou les contourne. Il ne donne pas l’impression de bien maitriser la langue.
La thématique est toujours la même. La division, les ennemis de l’étranger, le danger d’une dissidence, le risque de fracturer l’unité populaire, l’avenir de la oumma arabe, la guerre contre les pénuries, les pénuries, la guerre, les pénuries, la guerre, les pénuries, la guerre. Que la guerre, que les pénuries, ça n’arrête pas… ça me saoule !
Voix 2 (hochant de la tête, avec un regard furtif Je ressens la même chose. Ses mots sont pleins de promesses vides et impalpables. Les promesses de museler ceux qui s’inquiètent du sort de leur pays et celui de leurs concitoyens est le plus sûr de tous. Nous avons été bâillonnés trop longtemps pour croire en des mots secs, d’une horrifiante platitude. Il faut que nous parlions maintenant. Sortir de notre mutisme est plus que jamais un devoir. Nous devons braver nos peurs et commencer à prendre notre propre défense. Car qui comme nous saurait nous défendre ?
Voix 3 (regardant autour d'eux pour s'assurer que personne n'écoute)
Nous devons rester vigilants. En somme, hier comme aujourd’hui la manœuvre est la même et leur seul objectif c’est nous endormir et surveiller qu’on ne se réveille pas. Ils veulent que nous restions dociles toute l’existence.
Voix 4 (En chuchotant) Et comment allons-nous exprimer notre mécontentement ? Toute voix dissidente est réprimée et elle le sera pour toujours. Risquer de parler est plus grand aujourd’hui, et cela pourrait nous coûter cher… derrière cet arbre que voilà, à la place d’un oiseau, peut percher un espion de ce régime. Ne soyez pas confiants, les murs ont des oreilles.
Voix 1 : (d'un air déterminé, mais toujours prudent) Peut-être que nous devons agir discrètement. Établir des réseaux, partager nos idées en secret. La résistance peut commencer dans l'ombre.
Voix 2 : (avec un soupçon d'espoir) Si nous unissons nos forces, même dans le silence, nous pourrions créer un mouvement. Mais nous devons être intelligents et stratégiques.
Voix 3 : (soupirant) C’est triste de devoir vivre dans la peur, mais nous ne devons pas perdre espoir. Un jour, nos voix s’élèveront de nouveau, et nous briserons les chaînes qui nous entravent.
Voix 4 : (en serrant le poing) Oui, restons unis, même dans le silence. La liberté n'est pas seulement un mot, c'est un droit que nous avons, et il ne sera pas oublié.
Soudain, un groupe, de la police militaire, dissimulé quelque part, habillé en civil, surgit du néant.
Policier 1 : (d'un ton autoritaire) Arrêtez-vous ! Arrêtez-vous chiens bâtards ! Personne ne bouge !
Policier 2 : (s'approchant d'une Voix horrifiante) Vous savez pourquoi nous sommes ici ! Ne compliquez pas les choses !
Les citoyens sont figés, ils essayent de prendre la fuite, mais la police leur cour derrière et les rattrape au bout du chemin. Ils procèdent à leur arrestation, et sont ensuite salement emmenés vers une destination inconnue d’où ils ne reviendront plus jamais.
(Les citoyens échangent des regards, mais restent silencieux, paralysés par la surprise.)
Policier 3 : (avec un sourire menaçant) On dirait qu'ils ont perdu leur langue.
Policier 1 : (s'adressant à ses collègues) Emmenez-les. Clouez-leur le bec ou cassez-leur la mâchoire.
(Les policiers commencent à les pousser sans ménagement, ces citoyens, indociles et audacieux, se font embarquer de force)
Policier 2 : (à voix basse, mais ferme) Vous ne reviendrez pas de sitôt. Compris ?
Scène dix-huit.
Des années se sont écoulées.
Axel-Medhi-Idriss-les garnements
Dans un quartier où le désespoir se mêle à la poussière, Axel, Medhi et Idriss avancent, témoins
d'une ville en décomposition.
Les rues, jonchées de déchets, d’égouts et d'immondices, ont transformé leur foyer en un ci-
metière à ciel ouvert. Les garnements de quartier, toujours adossés contre un mur en train
d’échanger leur oisiveté. Pendant ce temps, Idriss, Medhi et Axel sont de passage. Idris est le
plus jeune d’entre eux.
Axel : Je suffoque au milieu de cet océan de déchets qui envahit nos rues voilà bien longtemps. Bientôt, je vais attraper un bel asthme ! Notre ville est devenue un tombeau à ciel ouvert, et la peste continue de se propager sans répit. Méritons-nous vraiment une ville aussi féérique ? Sans scrupule, nous l'avons transformée en cité fantôme ! et, sans honte, on ose parler d’amour pour la patrie.
Medhi : Ne nous laissons pas abattre ! Nous sommes tous embarqués sur le même navire !
Nos têtes toutes sont dans la même chéchia. Nos rues ont d’abord été envahies par des
êtres étranges, les déchets sont venus avec ou peu de temps après !
Idriss : Aucun espoir ne se profile à l’horizon. D’ailleurs, nul horizon à l’horizon.
Axel : Des lieux on ne peut plus sombres, plus épouvantables et plus impensables qu’ici
! ça fait craindre le pire ! en fait, je me demande s’il y a vraiment pire !
Un garnement se moque d’Axel : Ce n’est que ton ombre, et tu t’affole !!! c’est ce qu’on
appelle de la poltronnerie ! Tu délires ! tu as besoin d’un psy ou d’un marabout. Fils à
maman ! t’as quand-même un avantage, tu ne passeras pas l’armée ! C’est fait pour les
hommes !
Idriss, dans une colère qu’il ne maitrise pas, tente de violenter le galopin qui a manqué
de respect à Axel, ses amis tentent de l’en empêcher tandis qu’il s’emporte :
laissez-moi ! je vais lui asséner une torgnole qui lui rappellera qui il est et qui nous sommes,
fils de Harki !
Medhi le retient, implorant : « Ne te laisse pas entraîner dans cette folie. Les serpents
rôdent en tenues de civils, et nombreux sont ceux qui ont disparu pour moins que ça. Tu
ne sais qui il peut être ! Ne donne pas ta langue au premier venu, même les plus sages ont
été réduits au silence dans notre quartier ces derniers mois.
Qui aurait pu imaginer que des innocents comme untel et untel seraient estampillés de
terroristes pour justifier leur capture ? Leur but est de semer la terreur et le désespoir
parmi nous, pour ensuite se présenter comme nos sauveurs. Notre quartier a perdu ses plus
brillants esprits. Toi aussi, tu pourrais être piégé par un espion. Garde toujours tes pensées
pour toi.
Idriss : Nous sommes tous coupables, complices par notre silence ! Moi, de bavardage,
j’en crève d’envie ! je veux parler et crier haut et fort au nez et à la barbe de ces... |