ACTE I
Scène 1
Mme Bordeaux, Simon.
Avant et pendant l’ouverture du rideau, on entend les bruits d’atelier (machines outils et coups divers.) L’ingénieur est assis à sa table à dessin face au public. Des fleurs fanées ornent un vase rempli d’un liquide bleu. Le bureau du patron est vide. La porte de communication entre le bureau du patron et celui de l’ingénieur est close, celle de l’atelier est ouverte.
Mme BORDEAUX (entrant avec un dossier et se dirigeant vers le bureau du patron) - Bonjour Simon. Monsieur Sicard n’est pas encore là ?
SIMON - Bonjour madame Bordeaux. Non, il ne devrait pas tarder, je pense…
Mme BORDEAUX (entre et dépose le dossier sur le bureau du patron, puis revient. Elle avise le vase où trônent les fleurs fanées) - Décidément, vous n’avez pas la main verte ! Vous voulez que je les change ?
SIMON (arrêtant le geste de madame Bordeaux) - C’est inutile. Je vais les jeter !
Mme BORDEAUX - C’est bizarre, elles durent à peine vingt-quatre heures vos fleurs ! Vous devriez changer l’eau !
SIMON (prestement) - Surtout pas ! (Radouci.) Vous ne trouvez pas ça joli, cette couleur bleue ?
Mme BORDEAUX (pas convaincue) - Euh… Si, si… (Elle sort en direction du secrétariat.)
Simon jette les fleurs dans sa corbeille à papiers.
ACTE I
Scène 2
Simon, Monsieur Sicard
Monsieur Sicard fait son entrée côté jardin, dans son bureau. Il se débarrasse de son manteau sur un perroquet (ou une patère), pose sa mallette et va ouvrir la porte de communication.
M. SICARD - Simon, vous êtes là ?
SIMON - Oui patron. Bonjour monsieur Sicard !
M. SICARD (froidement) - Bonjour. Fermez la porte voulez-vous ? (Simon s’apprête à fermer celle du patron. Celui-ci s’impatiente.) Non, pas celle-là ! L’autre !
SIMON - Ah, oui ! (Expliquant, tout en allant fermer la porte de l’atelier.) Quand je suis concentré, je n’entends même plus le bruit de l’atelier !
M. SICARD (maussade, entrant tout à fait dans le bureau de l’ingénieur) - A ce rythme là, bientôt on ne l’entendra plus du tout !.. Comme on ne nous achète rien, il n’y aura plus rien à fabriquer !
SIMON (se voulant rassurant) - Ne dites pas ça, on a eu deux commandes cette semaine.
M. SICARD - Il en faudrait au minimum dix par semaine pour sortir de la zone rouge !
SIMON - Nos groupes électrogènes souffrent de la concurrence étrangère. Il faudrait se diversifier.
M. SICARD - Faudrait ! Faudrait ! C’est vous l’ingénieur, non ?
SIMON - Justement, je planche sur un ou deux trucs !
M. SICARD (intéressé, il s’approche de la table à dessin) - Faites voir ?
SIMON (s’interposant) - J’aime autant pas ! Je suis superstitieux !
M. SICARD (bousculant Simon) - Oui, mais moi je suis votre patron ! (Découvrant le travail de Simon.) Cela ne ressemble à rien !
SIMON - Forcément, c’est quelque chose de totalement nouveau. Mais ce n’est qu’une ébauche !
M. SICARD (soulevant le plan et regardant dessous) - Et ça ? (Admiratif.) Pas mal ! Pas mal ! C’est déjà plus précis ! (Redescendant sur terre, mécontent.) Une femme nue : vous rigolez ou quoi ?
SIMON (ennuyé) - Cela me détend entre deux croquis…
M. SICARD - Oui, bon, confisqué ! (Avisant le vase avec suspicion.) C’est quoi ? Du Curaçao ? Vous picolez au bureau Simon ?
SIMON - Non, c’est un vase avec de l’eau colorée : purement décoratif !
M. SICARD (humant tout de même le vase avec une mine dégoûtée) - Votre eau est croupie mon vieux !
SIMON - Je vais la changer…
M. SICARD - Bon alors, votre projet, c’est quoi au juste ?
SIMON - C’est l’invention du siècle !
M. SICARD - J’espère que c’est l’invention des siècles à venir, parce que si c’est celle du siècle passé, je vous dis tout de suite que cela ne m’intéresse pas du tout !
SIMON (amusé) - Vous êtes d’humeur taquine !..
M. SICARD (agacé) - Pas du tout. Je serais plutôt d’une humeur massacrante, alors ce n’est pas le moment de me raconter n’importe quoi !
SIMON (pincé) - Ah, mais ce n’est pas n’importe quoi ! Il s’agit en gros d’un
générateur d’énergie propre, d’un rendement exceptionnel…
M. SICARD - Mais encore ? Il marche à quoi votre truc ? Pas au pétrole j’espère ?
SIMON - Ben non ! L’intérêt de ma découverte réside dans la grande diversité de carburants possibles et d’un rendement de l’ordre de un pour mille.
M. SICARD - Carburant, carburant ! Oui, mais quoi ?
SIMON - …Et bien, il peut s’agir d’électricité, de carburants fossiles classiques, de bois, mais aussi de déchets organiques, ou même d’eau…
M. SICARD (ahuri) - Non ?
SIMON - Si. Par exemple : pour un kilowatt d’électricité, la machine en restitue mille. Pour le bois, l’eau et les déchets, le calcul est plus compliqué, mais le rendement reste élevé.
M. SICARD - Admettons. Admettons. Remettez-vous au boulot : je veux du concret et pas de simples théories !
SIMON - Oui, bien sûr. (Désignant son croquis.) Je vais voir à l’atelier ce qu’on peut en tirer. On fera un prototype à l’échelle 1/50ème dans un premier temps…
(Il sort en direction de l’atelier.)
M. SICARD - C’est ça ! C’est ça !
Le téléphone sonne, monsieur Sicard se précipite dans son bureau.
M. SICARD - Allô ? Oui madame Bordeaux. (Un temps.) Madame qui ? Articulez madame Bordeaux ! Madame Richou ? Connais pas ! (Un temps.) Ah ? La banquière ? Oui, faites-la entrer. (Il planque le dessin de femme nue sous des documents et va ouvrir.)
ACTE I
Scène 3
Monsieur Sicard, Madame Richou
La banquière entre, elle est du genre pète-sec.
M. SICARD (exagérément affable) - Bonjour madame Richou ! C’est le Bon Dieu qui vous envoie !
MME RICHOU (très froidement) - Non, c’est la banque.
M. SICARD - Oui, bien sûr… C’était une façon de parler… Je plaisantais…
MME RICHOU - Ah, bon ? Parce que vous trouvez que votre situation prête à la plaisanterie ?
Ils se dirigent vers le bureau de monsieur Sicard.
M. SICARD - Euh… Non… J’imagine… Alors, comme ça, c’est vous qui avez pris la succession de monsieur Gontard ? On s’entendait très bien lui et moi. Il connaissait bien l’entreprise, son fonctionnement, ses besoins… Sacré monsieur Gontard !
MME RICHOU (Enigmatique) - Oui, oui… Monsieur Gontard, bien sûr… (Un temps.) Tout ça c’est de l’histoire ancienne.
M. SICARD - Ce n’est pas si ancien, je lui ai fait une demande de prêt il y a un mois. Voyez, j’ai rempli les documents…
MME RICHOU (posant ses clefs de voiture et prenant le dossier que lui tend monsieur Sicard) - Justement, c’est moi qui reprends le dossier. Vous devez comprendre que pour l’obtention d’un prêt, il faut des garanties et la santé financière de votre entreprise laisse à désirer.
M. SICARD - Allons, donc ! On croule sous les commandes !
LABANQUIERE - Ah, bon ? C’est nouveau ça !
M. SICARD - Vous savez, il s’en passe des choses en un mois. (Eludant.) Alors ? Mon prêt ?…
MME RICHOU - Combien de commandes exactement ?
M. SICARD - Plus d’une par semaine !
MME RICHOU - Soyez précis. Je n’aime pas les comptes évasifs !
M. SICARD (penaud) - Deux. (Agacé.) On peut dire que vous êtes rabat-joie !
MME RICHOU (feuilletant le dossier) - C’est malheureusement conforme à mon analyse. Votre prévisionnel est fantaisiste et vos courbes aléatoires !
Tiens ? (Tombant sur le dessin de femme nue.) Quelque chose de plus précis… (Outrée.) Un dessin de femme nue ! Vraiment ! Vous n’avez que ça en tête ?
M. SICARD (ennuyé) - C’est pas moi, c’est mon employé !
MME RICHOU (pas convaincue) - Ben voyons !
M. SICARD - Mais si, je vous assure ! (Invitant la banquière à le suivre dans l’atelier et lui enlevant le dessin des mains.) Suivez-moi. (Hélant son employé.) Simon !
ACTE I
Scène 4
Les mêmes, Simon
SIMON (revenant de l’atelier) - Oui monsieur Sicard ?
M. SICARD (faisant les présentations) - Madame Richou de la banque, Simon.
SIMON - Bonjour madame Richou d’labank.
M. SICARD (agacé) - Mais non ! madame Richou qui travaille à la banque !
SIMON - Pardon ! (Serrant la main de la dame.) Simon Brossette, je suis l’ingénieur maison et…
M. SICARD (le coupant) - Oui, bon, on n’a pas le temps de faire des salamalecs ! (Montrant le dessin.) Dites plutôt à madame que c’est bien vous qui avez dessiné ça.
SIMON (embarrassé et ne souhaitant l’avouer) - Qui, moi ? Quoi… Ça ? Je ne me souviens pas !
M. SICARD - Vous rigolez ou quoi ?
SIMON - Non, non ! Je ne sais pas qui a dessiné ce truc, mais ce n’est pas moi !
M. SICARD (prenant sur lui) - Ecoutez Simon : je viens de dire à madame Richou que c’est vous qui aviez dessiné cette femme nue, alors ne me faites pas passer pour un imbécile doublé d’un obsédé !
SIMON - Je ne vois pas pourquoi je passerais pour un obsédé à votre place !
M. SICARD - Parce que le dessinateur ici, c’est vous !
SIMON (buté) - Je dessine des plans ! Je ne voudrais pas que madame Richou s’imagine des choses et qu’elle ait une mauvaise opinion de moi !
M. SICARD (à lui même) - Y m’énerve ! Y m’énerve ! (Vivement à Simon.) Ça va bien maintenant ces gamineries ! Vous n’allez pas laisser...