acte I
(Dans le séjour, à son bureau, Marco, en survêtement décontracté, tape ardemment sur son ordinateur).
MARCO
Alors, « Les deux parties acceptent tacitement les conditions suspensives ».
(Le téléphone de Marco sonne). Allons bon, c'est bien le moment, tiens !
(Il regarde l'écran du téléphone). C'est Agathe.
(Il décroche). Oui Agathe.
AGATHE
(au téléphone) Bonjour mon chéri, je ne te dérange pas ?
MARCO
(continuant de taper sur l'ordi) Mais non, tu ne me déranges pas. Enfin, si.
AGATHE (au téléphone)
Ah bon ? Comment ça, si ? Tu n'as pas envie de me parler ?
MARCO
Non Agathe, bien sûr que j'ai envie de te parler mais là, ce n'est pas trop le moment, je suis en train de finaliser mon contrat tu sais, le contrat de ma vie ! J'ai rendez-vous avec mon client ce soir, et je n'ai pas encore tout rédigé. Plus que quelques lignes et ça sera terminé, mais bon, il faut les écrire. Et après, j'imprime. Tu te rends compte ? Six mois que je suis dessus.
AGATHE (au téléphone)
Ah mince ! Je ne te vois pas ce soir. Tant pis ! Et c'est quoi, ton contrat ?
MARCO
Je t'ai déjà dit, c'est trop technique, tu ne vas pas comprendre.
AGATHE (au téléphone)
Ah oui, d'accord. C'est vrai que je suis trop conne pour comprendre !
MARCO
Mais non, Agathe, tu n'es pas conne.
AGATHE (au téléphone)
Alors, explique-moi ce truc que tu appelles le contrat de ta vie.
MARCO
Bon, je vais essayer de faire simple. Voilà, j'ai réussi à vendre un système de pergola bioclimatique géante pour les stades du Qatar.
AGATHE (au téléphone)
T'es sérieux, là ?
MARCO
Oui, et ce soir, je rencontre le président de la FQF !
AGATHE (au téléphone)
La FQF ?
MARCO
Oui, Fédération Qatarienne de Football. Alors, que j'essaie de t'expliquer le principe. Il s'agit, vois-tu, d'un système de lames orientables placées au-dessus du stade et qu'on déplace en fonction de la position du soleil. Énorme, le truc !
AGATHE (au téléphone)
Moi, je trouve que tu arrives un peu tard avec ton système. Ils ont déjà la clim dans les stades, là-bas.
MARCO
Je sais bien qu'ils ont la clim, mais mes pergolas, c'est quand même beaucoup plus écologique ! Il suffit simplement de tourner les lames pour apporter de l'ombre et de la fraîcheur en journée et ventiler le soir.
AGATHE (au téléphone)
C'est bien joli, ta pergola, mais tu les fais bouger comment, les lames ?
MARCO
Quoi ?
AGATHE (au téléphone)
Tu les bouges à la main ? Avec une ficelle ?
MARCO
Mais non, c'est pas des stores vénitiens ! Tu imagines la taille d'un stade ? Des milliers de mètres carrés. Il faudrait une sacrée ficelle et des sacrés bras ! Bon, la ficelle, c'est vrai qu'elle y est déjà. Ce sont de gros câbles, comme pour les ponts suspendus. Mais ils sont entraînés par des moteurs, bien sûr.
AGATHE (au téléphone)
Et les moteurs, ils tournent comment ?
MARCO
Avec de l'essence pardi ! Avec tout ce qu'ils ont là-bas, c'est la meilleure solution.
AGATHE (au téléphone)
Donc, au final, ce n'est pas plus écolo que la clim, ton histoire.
MARCO
Oh, écoute, si tu commences à critiquer mon travail, je...
AGATHE (au téléphone)
Non, tu as raison, excuse-moi, mon chéri ! Je suis sûr que ça va marcher. Je suis de tout cœur avec toi.
MARCO
Oui, merci, je préfère.
AGATHE (au téléphone)
Tiens, pour me faire pardonner, je te fais des gros poutous partout !
MARCO
(parlant tout bas) Oui, moi aussi, je te fais des gros poutous, Agathe.
AGATHE (au téléphone)
Partout, partout ?
MARCO
(tout bas)
Partout partout.
AGATHE (au téléphone)
Même là ?
MARCO
(tout bas) Oui, même là si tu veux.
AGATHE (au téléphone)
Et la prochaine fois, je pourrai te tartiner le corps de miel d'acacia ?
MARCO
(tout bas) Bien sûr que tu pourras, je sais que tu aimes ça.
AGATHE (au téléphone)
Et je remettrai ma tenue d'apicultrice !
MARCO
(tout bas) D'accord, mais sans les abeilles cette fois.
AGATHE (au téléphone)
Mais Marco, mon chéri, pourquoi tu parles tout bas ?
MARCO
(tout bas) Eh bien tu sais, ça fait une semaine que je me suis mis au télétravail. Et avec ma femme qui bosse dans la pièce à côté...
AGATHE (au téléphone)
Ah oui, tu me l'as dit. Et c'est mal insonorisé ?
MARCO
(reprenant une voix normale) Non j'oubliais ! C'est vrai que son cabinet est très bien insonorisé, pour la vie privée de ses clients, mais c'est un réflexe. Je t'ai expliqué. Depuis qu'elle a quitté son ancien travail, elle est retournée à la fac et elle a décroché une licence de psycho. Et elle a installé son cabinet de psychologue chez nous. Une vraie galère ! Et c'est pour ça que tu ne peux pas venir chez moi et qu'on se voit à l'hôtel tout le temps.
AGATHE (au téléphone)
Ben oui, je comprends, mon pauvre chéri !
(On sonne à la porte).
MARCO
Ça sonne, il faut que j'aille ouvrir, Agathe. On se rappelle. Bisous bisous.
AGATHE (au téléphone)
Poutous poutous. Allez à 3, on raccroche ensemble. 1...
(Marco raccroche).
MARCO
Pfff, ça m'agace, ces enfantillages.
(Alexa entre et referme la porte derrière elle).
MARCO
Ah oui, c'est vrai. « Sonnez et entrez ». Avec son cabinet de psy, on entre ici comme dans un moulin maintenant !
ALEXA
Bonjour monsieur.
MARCO
'jour.
(Alexa regarde tout autour d'elle dans les coins, puis tombe sur le bureau de Marco).
ALEXA
Aaahhh !!!
(Elle pousse un hurlement en voyant Marco, ce qui le fait sursauter).
MARCO
Mais qu'est-ce qui vous prend de hurler comme ça ? Ça va pas la tête ? J'ai failli avoir une attaque, moi !
ALEXA
Ça... Ça...
(Elle pointe du doigt le bureau de Marco).
MARCO
Quoi ça ?
(Elle tremble et cherche à se cacher un peu partout).
ALEXA
Aah... Je ne supporte pas !
MARCO
Mais quoi enfin ?
ALEXA
Ça !
(Delphine sort du couloir et arrive sur scène. Elle a son foulard Hermès jaune autour du cou).
DELPHINE
Ah Alexa, vous voilà. Bonjour. Pile à l'heure pour notre séance, bravo !
ALEXA
J'ai peur, docteur. Regardez !
(Elle pointe du doigt le bureau).
MARCO
(vexé) Quoi ? Quoi ? Mais qu'est-ce que j'ai, à la fin ?
DELPHINE
Alexa, n'ayez pas peur, je vous présente Marco, mon mari. Il a décidé de télétravailler maintenant, mais il ne vous fera aucun mal, rassurez-vous.
ALEXA
Non, ce n'est pas lui. Mais c'est...
DELPHINE
Ah d'accord ! Je n'avais pas vu. Ne vous en faites pas, vous ne craignez rien. Je vous l'ai déjà expliqué lors de nos dernières consultations. Il faut savoir prendre sur vous et chasser cette peur irrationnelle.
MARCO
Mais de quoi vous parlez, toutes les deux ?
DELPHINE
Alexa, entrez dans mon cabinet. Nous allons continuer à travailler là-dessus. Vous allez voir, je vous ai préparé de belles images.
(Alexa n'ose pas, elle contourne tout ce qu'elle peut contourner, elle se cache derrière n'importe quoi). Ne faites pas l'enfant, Alexa. Allez, faites un effort, vous y êtes presque.
ALEXA
Oh non, je ne peux pas, je ne peux pas !
DELPHINE
Ça ne va pas vous manger, vous le savez bien ! Regardez-moi dans les yeux. Non, ne regardez pas ailleurs ! Allez, venez vers moi en suivant mon regard. Allez. Allez Alexa, continuez.
(scandant des encouragements) Allez, Alexa ! Allez, Alexa !
(s'adressant à Marco) Aide-moi un peu, toi aussi. Avec moi, Marco. Allez, Alexa ! Allez, Alexa !
MARCO
(réticent) Allez, Alexa. Allez, Alexa.
(Alexa finit par traverser péniblement le séjour en évitant soigneusement le bureau de Marco et rejoint Delphine).
ALEXA
J'ai réussi !
DELPHINE
C'est bien, Alexa ! Attendez-moi dans mon cabinet. Vous vous rappelez ? C'est au fond à droite. Je discute une minute avec mon mari et j'arrive.
(Alexa disparaît en courant dans le couloir).
MARCO
Mais elle est complètement folle, cette fille !
DELPHINE
C'est un peu pour ça qu'elle est là.
MARCO
Mais enfin Delphine, qu'est-ce qui lui fait si peur à ta cliente ?
DELPHINE
Ma patiente, Marco, pas ma cliente. Ça serait trop compliqué à expliquer, et sans doute trop tordu. Et puis tu sais bien que je n'ai pas le droit de te parler de la pathologie de mes patients.
MARCO
Écoute Delphine, ma chérie, il va vraiment falloir qu'on reparle de ton cabinet de psy chez nous. Maintenant que je télétravaille, c'est un enfer ! Je n'arrive pas à me concentrer. Je me tape tous tes clients cinglés à longueur de journée !
DELPHINE
Mes patients, Marco, pas mes clients.
MARCO
Oui si tu veux. Tous tes patients cinglés. C'est usant. C'est ma première semaine de télétravail, et j'ai déjà rencontré plus de spécimens que dans un asile de fous !
DELPHINE
Un peu de respect, chéri ! Ce sont des êtres humains, tu sais.
MARCO
Quand même ! Dès lundi, j'ai eu droit à un syndrôme de la Tourette.
DELPHINE
Oui, Monsieur Dugenou.
MARCO
Oui, c'est ça, Dugenou. Quand il est entré, j'étais au téléphone avec un patient. Heu... un client. Imagine la scène ! Un client très courtois et raffiné, et soudain, il entend un type qui hurle des insultes et des gros mots !
DELPHINE
Oui, je comprends que ça peut être un peu gênant.
MARCO
Heureusement, mon client était japonais, il n'a pas compris les horreurs que disait ton... patient. Ou alors, il n'a pas compris comme il faut. Tu savais toi, que « mon cul », ça voulait dire « réclamation » en japonais ?
DELPHINE
Non.
MARCO
Si si ! Je te jure ! Incroyable, non ?
DELPHINE
Si tu le dis.
MARCO
Mais tu vois, au final, je me demande si je n'aurais pas préféré qu'il comprenne le français, mon Japonais. Il a cru qu'un client était en train de se plaindre. « Mon cul, mon cul, rendez-moi mon argent ! » Mais son traducteur a rétabli la vérité. Il a retranscrit tout ce que disait ton Gilles de la Tourette. Je pense que ça l'a fait rire jaune, mon japonais !
DELPHINE
Oh non, pas ce genre d'humour avec moi s'il te plaît !
MARCO
Oui eh bien, n'empêche que mardi, c'était au tour de la folle qui a voulu m'étrangler parce qu'elle me prenait pour un ours !
DELPHINE
(riant) Ecoute Marco, tu ne t'étais pas rasé, faut la comprendre.
MARCO
Très drôle ! En tout cas, il faut qu'on trouve une solution.
DELPHINE
C'est toi, aussi, qui ne veut pas que j'ai mon propre cabinet ! Pourtant, avec tous tes contrats, tu aurais largement de quoi me le payer. Et puis c'est toi qui a décidé de télétravailler. Tu te rends compte que le séjour servait de salle d'attente avant ? Maintenant, ils doivent patienter avec toi, c'est traumatisant pour certains. Tu n'as qu'à retourner au bureau. Comme avant !
MARCO
Tu sais que c'est plus possible ! Depuis que Boiteau a rejoint l'équipe, il distrait tout le monde et je ne peux pas me concentrer. C'est encore pire qu'ici ! Toujours à faire des blagues qui ne font rire que lui. Tiens, la dernière fois, il a mis de l'huile sur tous les claviers de la comptabilité pendant la pause déjeuner ! Après, ils avaient tous les mains grasses. Il est vicieux Boiteau, il a mis une goutte d'huile sur chaque touche de chaque clavier. Imagine un peu ! Ça lui a pris au moins trois quarts d'heure. Et va nettoyer ça après ! Si tu veux, je te le présenterai. Il ferait un client idéal !
DELPHINE
Un patient. Et si c'était lui qui allait travailler de chez lui ? Vous n'avez qu'à faire front pour ça. Ça...