ACTE I – Scène 1
La scène est plongée dans la nuit. La porte s'ouvre à cour. On entend deux personnes entrer.
François C'est bon, viens, dépêche-toi.
Marcel Je suis là, je suis là.
François Bouge pas, j'allume.
Il glisse son pass dans la fente qui se trouve vers la porte et la lumière s'allume. Une chambre d'hôtel de luxe. Un lit à baldaquins en fond de scène, une commode à jardin, près de la porte des WC. Une petite table et deux chaises à cour, en avant-scène. Un grand placard à jardin, intégré aux murs.
Marcel Oh mon Dieu... que c'est beau...
François Oui, ben ne t'émerveille pas trop. Ce n'est pas les vacances.
Marcel Non... pour moi, c'est plutôt le paradis.
François Malheureusement, ce n’est pas ici que tu passeras ton éternité. Essaie de toucher à un minimum de choses possible. Tu peux quand même dormir dans le lit.
Marcel Tu sais... même la moquette est un palace comparé à mon trottoir habituel... tu me dirais de dormir en boule à la salle de bain, que je serais le plus heureux des hommes.
François N'exagérons rien... Le lit, tu peux y coucher et profiter d'une bonne douche à la salle de bain. Il y a tout ce qu'il te faut : du savon et un peignoir. Tu as de quoi te mettre autre chose sur le dos que cette pelure ?
Marcel Ce que je porte, c'est tout ce que j'ai.
François Ah d'accord... Bon, va te doucher et je reviens t'amener une tenue d’employé. Mais il faudra y faire attention, elle appartient à l'hôtel.
Marcel Ne t'en fais pas, j'y veillerai.
François Et des chaussures ?
Marcel Pour dormir sous les ponts, la tenue correcte n'est pas exigée... alors les mocassins...
François Ok, j'ai compris, je vais te trouver ça.
Marcel Merci François, t'es un roi... vraiment...
François Mais oui, mais oui... et si on se fait choper, je suis un chômeur... allez, à la douche mon prince et frotte bien partout ! La crasse, c’est tenace !
Marcel Amis de la poésie…
François Je reviens. N'ouvre à personne, sous aucun prétexte!
Marcel tendrement, oui papa...
François sort par la porte à cour.
Marcel Oh là là... oh là là... mon Dieu... Il commence à se déshabiller. Mais qu'est-ce qu'il fait chaud... ha... j'avais oublié le bien que ça faisait... Et ce lit... mais je ne pourrai jamais dormir là-dedans... c'est beaucoup trop beau... Même une fois propre, je risquerais encore de le salir.
Il est en caleçon et en t-shirt et a déposé ses habits sur une des chaises de cour. La bonne nouvelle du jour, c’est que j’ai réussi à enlever mes chaussettes… depuis le temps que je les porte… j’aurais pensé qu’elles se seraient soudées à mes pieds. Il fait le tour de la chambre. C’est donc ça, le confort 5 étoiles… Il approche de la commode et touche une boîte qui est en fait une boîte à musique. En ouvrant le tiroir, elle s’enclenche. Il la referme précipitamment.
- Il prend la pose d’un majordome, Est-ce que Monsieur est satisfait de sa chambre ?
- Il se déplace en face et change de posture, très moyennement, Paul-Henri-Louis-Léon, très moyennement.
- Oh, vous m’en voyez navré Monsieur. Et peut-on en connaître la raison ?
- Eh bien elle n’est pas accessible directement avec ma Maserati, que j’ai dû laisser au parking… le lit est trop étroit d’un centimètre, c’est scandaleux et vous n’avez point repeint les murs avec mon divin portrait… vous serez jeté aux lions !
- Mais, Monsieur…
- Il n’y a pas de Mais ! Le client est roi ! Parfois le roi des cons… mais le roi tout de même !
- Bien Monsieur, mais ne maudissez pas ma famille sur 4 générations, je vous en prie…
- Vous avez raison… 4 ce n'est pas assez… , 5 !
Il rit et se fait sursauter lui-même en tournant la tête et en se voyant dans le miroir. Il s’approche et se regarde de près, il est très sale.
En effet… une douche s’impose… dommage qu’il n’y ait pas de Kärcher ! Il se dirige vers la salle de bain. Oh mon Dieu... mais c'est plus grand qu'une cathédrale... et les robinets sont en or ! Il entre, ébahi. Off, et il y a même un bidet ! Après un court instant, on entend le bruit de la douche et Marcel qui chante.
François entre par la porte de cour, il porte des vêtements dans une housse de protection.
François Marcel, c'est moi.
Marcel Off, là, ça pourrait même être le président, que ça ne me ferait pas sortir d'ici!
François Profite va, tu l'as bien mérité. Il commence à sortir les vêtements de la housse. Je vais donner tes fripes au pressing. La blanchisseuse va se demander quel client de notre hôtel peut bien avoir des habits dans un pareil état. Enfin, en espérant qu’elle veuille bien les nettoyer et qu’elle ne se contente pas simplement de leur foutre le feu. Je t'ai trouvé des chaussures, mais je pense qu'elles seront un peu grandes. Elles étaient à un maître d'hôtel qui mesurait 1m95... Il est parti faire du basket d'ailleurs. Tu pourras utiliser les lacets comme bretelles ! Quand tu te seras habillé, je t'amènerai un plateau repas.
Marcel Off, oh volontiers... si tu savais comme j'ai faim...
François Eh bien tu pourras t'en mettre jusque-là.
Marcel Off, mais tu sais, je pourrais travailler pour rembourser tout ça...
François Surtout pas ! Ce serait le meilleur moyen de te faire remarquer. Tout le monde se demanderait d'où vient ce nouveau serveur que personne ne connaît et qui a été engagé, sans qu’aucun poste n’ait été à repourvoir. Et de toute manière, on n'arrête pas de jeter des kilos de bouffes... elle sera toujours mieux dans ton ventre qu'à la poubelle.
Marcel Off, vous jetez de la nourriture?
François Oui, pas qu'un peu... et pas des produits MBudget (peut être remplacé par le nom d’un produit low cost), crois-moi... Mais c'est comme avec ces chambres vides... c'est dingue tous ces lits qui dorment seuls, sans pensionnaire... C'est ce qui m'a donné l'idée de t'y installer. Je t’aurais bien dit de venir à la maison, mais avec ma coloc’ et ses six chats… c’est tout juste s’il reste de la place pour moi.
Marcel Off, tant que tu es sûr que c'est sans risque pour toi... Moi, je m'en fous... je ne peux pas tomber plus bas.
François J'ai regardé les statistiques d'occupation des chambres et on doit être bon pour au moins deux semaines. En général à cette période, cette chambre n’est bonne qu’à accueillir de la poussière. Tu auras donc le temps de te reposer et de reprendre des forces au chaud. Et vu comme on se les gèle dehors… ça n’est pas du luxe !
Marcel Il entre en peignoir, les cheveux mouillés et coiffés en arrière. Tu savais qu'il y avait quatorze sortes différentes de jets de massage dans la douche ?
François Oui... ça m'est déjà arrivé d'en tester une...
Marcel Dis donc ! Petit coquin !
François Eh, en venant travailler tous les jours dans un cinq étoiles, forcément… c’est tentant de profiter un peu…
Marcel Ah ça, j’imagine…
François Mais ça ne va pas durer éternellement… je me suis donné encore un an, histoire de mettre de l’argent de côté et ensuite, je me casse !
Marcel Où ça ?
François Aucune idée... mais loin... pour "vivre"! Pour l’instant… c’est plutôt de la survie.
Marcel Ne m’en parle pas ! J’en connais un rayon, côté survie !
François Avec un sourire, allez, habille-toi ! Tu es dans un palace, pas un club nudiste ! Je vais demander qu'on prépare un plateau.
Marcel Merci.
François sort à cour. Marcel commence à s'habiller.
Marcel Ah ouais... je vais adopter le look pingouin... bon, ce sera toujours mieux que celui du clodo... moins odorant en tous cas. Il y a même le nœud pap’! Il continue à s'habiller. C'est dingue... dans la salle de bain, il y a du shampoing, du gel douche, du savon pour les mains, des cotons tiges, un set à manucure, un bonnet de bain, pas l'air con avec ça d'ailleurs..., une brosse à chaussures et du cirage et un peigne... Tous ces produits gratuits, alors que c'est justement des gens qui ont largement les moyens de s'acheter tout ça qui viennent dormir ici... Sur la table, on leur donne du papier à lettre et un stylo... alors qu'ils ont des ordinateurs plein les valises... Des pantoufles, un peignoir... et une bible sur la table de nuit... une bible! Celle-là, je suis sûr qu'elle est plus souvent utilisée pour écraser les moustiques que pour être lue... Ah oui, en effet... un peu grandes les chaussures... comme ça, en plus du look, j'aurai aussi la démarche du pingouin.
On entend des voix derrière la porte à cour.
Marcel François, c'est toi?
Les voix s'entendent encore.
Marcel François?
Toujours les voix et on entend des bruits contre la porte, la carte est glissée dans la serrure magnétique, une voix de femme et il y a un bip de validation.
Marcel Oh non, merde, merde, merde, merde !
ACTE I – Scène 2
Marcel cherche où se cacher dès qu'il a compris que ce n'était pas François. Il voit l'armoire et court s'y cacher. La porte de cour s'ouvre et entre une femme habillée très chic, un valet/une femme de chambre la suit et porte ses valises.
Gilles/Mona Bienvenue Madame.
Madame Merci… Phil/Lisa ?
Gilles/Mona Gilles/Mona, Madame…
Madame Oui oui, c'est ça…
Gilles/Mona Où dois-je mettre vos bagages Madame?
Madame La petite mallette dans la salle de bain. Les valises, vous pouvez les poser devant le lit. Et la boîte à chapeau, sur le bureau. Je déballerai plus tard.
Gilles/Mona Bien Madame. Il/elle s'exécute.
Madame Vous allez bien Bill/Lola ?
Gilles/Mona Gilles…/Mona… Bien, merci Madame.
Madame Et la famille ?
Gilles/Mona Oui, tout le monde se porte à merveille. Adrien est vraiment studieux. Il commence l’université... interrompu/e par madame.
Madame Allons tant mieux, tant mieux…
Gilles/Mona ….(silence)… il/elle se reprend, C'est étonnant de vous accueillir ici à cette période de l'année.
Madame Inhabituel, oui.
Gilles/Mona Puis-je encore vous être utile Madame?
Madame Non, merci Guy/Anna. Vous pouvez disposer. Elle lui glisse un pourboire discrètement dans la main.
Gilles/Mona Ouvre la bouche pour corriger son prénom et se ravise. Bonne installation Madame. Sonnez si vous avez besoin de quoi que ce soit.
Il/elle sort. Madame soupire et retire son chapeau, ses gants et son manteau. Elle dépose le tout sur une des chaises de cour avec son sac à main.
ACTE I – Scène 3
Madame Eh bien, eh bien... elle se dirige vers la salle de bain.
La porte reste entr'ouverte. Marcel ouvre lentement le placard et passe la tête par l'entrebâillement et remarque qu'il n'y a plus personne dans la chambre. Il tente de se faufiler doucement. Il entend des pas revenir de la salle de bain et retourne se cacher dans le placard. Madame revient dans la chambre. Elle va prendre son manteau et se dirige vers l'armoire. Au moment de poser la main sur la poignée, son téléphone portable sonne dans son sac. Elle fait marche arrière et va répondre.
Madame Tout sourire, bonjour ma chérie. Oui, je vais bien et toi? Non, je ne serai pas au poker ce soir chez Cynthia. Oui, je sais, moi aussi, j’avais des montagnes de choses à te raconter. Non, ne t'en fais pas, ce n'est rien, juste un petit voyage express. Baptiste … devait … se déplacer pour affaires, alors j'en ai profité pour me joindre à lui, ce sera l'occasion de faire du lèche-vitrines dans de « vrais magasins » ! Ça fait une éternité que je ne fais plus mon shopping que sur internet. Oui, on se voit dimanche prochain... si tout va bien… Je m'en réjouis ! Embrasse bien les filles pour moi et passez une bonne soirée. Surveille tout de même Claire… il me semble qu’elle a souvent tendance à se laisser emporter par le jeu. Bonne journée ma chérie, je t’embrasse.
Madame se dirige vers l'armoire et l'ouvre. Elle pousse un petit cri en apercevant Marcel.
Madame Qui... qui êtes-vous?
Marcel Bonjour Madame.
Madame Mais qui êtes-vous bon sang ?
Marcel Très calme, Madame, je suis… votre… valet de chambre.
Madame Que diable faites-vous dans le placard?
Marcel C'est un nouveau service fourni par notre hôtel. Je suis à votre entière disposition et dès que vous aurez besoin de quelque chose, vous n’aurez qu’à me solliciter et… je sors du placard.
Madame Un valet de placard…
Marcel Comme dans Aladdin… quand il frotte la lampe ! Appelez et je surgis, une idée de génie !
Madame le regarde avec un air suspicieux.
Marcel Puis-je vous aider à défaire vos bagages ?
Madame … Madame.
Marcel Pardon ?
Madame Eh bien… l’étiquette veut que vous placiez « Madame », à la fin de vos phrases…
Marcel L’étiquette ? En cherchant du regard sur Madame. Mais quelle étiquette ?
Madame L’étiquette, le protocole si vous préférez.
Marcel Aaaah… cette étiquette-là ! Bredouillant, moi, je cherchais l’étiquette… enfin l’étiquette… L’étiquette quoi ! Donc… pour le protocole, je ne savais p… enfin, oui, pardon Madame, je… je… juste un oubli. Ça n’arrivera plus… Madame. Puis-je vous être utile, Madame, pour défaire vos bagages Madame ?
Madame Bien... pourquoi pas... avec le trajet… je n’en ai pas la force… je suis exténuée… mais faites attention à ne rien froisser. Les chemisiers Chanel sont impossibles !
Marcel va pour ranger la boîte à chapeau qui est sur le...