Oeuvres Theatrales

Quiproquos, portes qui claquent, séducteurs de boudoirs, escrocs imaginatifs, rentiers gogos, petites blanchisseuses et messieurs à chapeaux haut-de-forme, esprit fin 19ème… Courteline, Feydeau, Labiche ?
Non, Elie de Bassan (1871-1937), connu et largement joué au début du 20ème siècle, salué par la critique, auteur de vingt pièces en vingt ans, tombé dans l’oubli et désormais dans le domaine public.

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« GRAND GUIGNOL » MEDICAL

LES OPERATIONS DU PROFESSEUR VERDIER

PERSONNAGES

LE PROFESSEUR VERDIER, 45 ans
LE COMTE DE VIEUBOIS, 50 ans

JEAN, 30 ans
UN CLIENT, 40 ans
VIRGINIE, 35 ans
ALICE, 20 ans
BLANCHE VERDIER, 30 ans
ROSE, 18 ans

Liste des accessoires: un porte-cigarettes, une pince hémostatique, du madère, un service à thé, une boite de bonbons.
La scène représente le cabinet richement meublé d'un chirurgien à la mode. Au milieu, un bureau ministre, à gauche une chaise longue, à droite un fauteuil, des chaises, paravent, derrière le bureau, au mur un appareil téléphonique.

Portes, à droite et à gauche.

SCENE PREMIERE

LE DOCTEUR, UN CLIENT

(Au lever du rideau, le docteur est assis à son bureau, le client est à gauche, sur une chaise)


LE CLIENT, qui est assis de travers

Hélas, docteur, tout d'abord, je n'y ai pas prêté attention, mais l'enflure
augmentait, augmentait... Et maintenant, vous le voyez... C'est à peine si je puis m'asseoir.

LE DOCTEUR, très distrait

Vraiment, très bizarre.

LE CLIENT

N'est-ce pas docteur ! Pourtant ma santé est bonne, et j'appartiens à une
famille qui compte un centenaire et trois octogénaires.

LE DOCTEUR, consulte un agenda

De plus en plus fort.

LE CLIENT

Donc, du côté des ascendants... Rien !

LE DOCTEUR, même jeu

Rien... Absolument rien

LE CLIENT, d'un ton plaintif

Alors, comment expliquez-vous, docteur, la persistance de ces malheureux abcès ?

(Le docteur se lève et tourne le dos au client qui s'arrête)

LE DOCTEUR, n'entendant plus causer

Continuez, c'est très intéressant.


LE CLIENT, même ton

Qui, chose stupéfiante, me viennent toujours au même endroit.

(Léger silence)

LE DOCTEUR, qui s'était levé et était allé à la bibliothèque

Et les maux de tête persistent ?

LE CLIENT, surpris

Mais docteur, ce n'est pas à la tête...

LE DOCTEUR, vivement

Je sais... Je sais.. Mais l'on constate que les abcès à la fesse droite peuvent occasionner des maux de tête.

LE CLIENT

J'ignorais... Dites-moi, docteur, je m'abuse peut-être... Mais vous paraissez préoccupé.

LE DOCTEUR

En effet, il me manque un instrument auquel je tenais beaucoup... Une pince

en or.

LE CLIENT

C'est fâcheux.

(La sonnerie du téléphone se fait entendre)


LE DOCTEUR, allant à l'appareil

Vous permettez... Allo ! Allo ! L'hôpital Saint-Benoist... Bien, j'attends...
C'est vous Dubois ? Pas mal, merci... Le 120 ne va pas... Tant pis, fourrez-lui de

la morphine... Ma pince ?... Toujours rien... Je suis navré... Continuez vos recherches, fouillez partout... Téléphonez-moi... Adieu.

(Il repose le récepteur)

LE CLIENT

J'espère que vous la retrouverez.

LE DOCTEUR

II faudra bien.

LE CLIENT

Que m'ordonnez-vous?

LE DOCTEUR, au hasard

Vous voudrez bien garder la chambre. comme nourriture, des épinards,
uniquement des épinards.

LE CLIENT

Mais je ne peux pas les souffrir.

LE DOCTEUR

J'insiste d'autant plus... Et dans quatre jours je viendrai vous opérer.

LE CLIENT, effrayé

Ce ne sera pas grave?


LE DOCTEUR

Une opération est une opération... Je vous demanderai simplement de
déménager votre appartement.

LE CLIENT, même jeu

Simplement... Pour un malheureux abcès !

LE DOCTEUR

Si vous ne craignez pas l'infection, libre à vous.

LE CLIENT, vivement

Bien, docteur, c'est entendu. (Il se lève péniblement et se dirige vers la porte) Aïe ! Aïe !

LE DOCTEUR, debout également et tout en marchant

J'oubliais... Vous n'ignorez pas que les honoraires se règlent avant l'opération.

LE CLIENT

J'ignorais... En effet...

LE DOCTEUR

Oui... De cette façon on évite des discussions et des contestations toujours pénibles... Avec les héritiers.

LE CLIENT affolé

Avec les héritiers...

LE DOCTEUR, lui tendant la main

Allons... Soyez confiant... Et à mercredi.

(Le client s'en va)

LE DOCTEUR, allant sonner

Quel raseur !

(Jean parait)

SCENE II

LE DOCTEUR, JEAN

LE DOCTEUR

Eh bien ?

JEAN

Rien... Toujours rien.

LE DOCTEUR

C'est inconcevable.

JEAN

Je suis sûr que monsieur l'avait il y a trois semaines.

LE DOCTEUR

Je m'en souviens également... Mais où la dénicher ?

JEAN

Surtout que monsieur a fait beaucoup d'opérations ces derniers temps.

LE DOCTEUR

C'est évidemment ce qui rend les recherches plus difficiles.

JEAN

Monsieur verra que ce sera encore un coup comme l'éponge que Monsieur
avait laissée dans la tête d'un malade et qu'on a retrouvée après l'autopsie...

Je vais toujours demander au cocher.

(Il sort. Blanche entre par la droite)

SCENE III

LE DOCTEUR, BLANCHE

BLANCHE

Eh bien, ta pince ?

LE DOCTEUR

J'y perds mon latin.

BLANCHE

C'est vraiment contrariant... Un objet de ce prix.

LE DOCTEUR

Oh ! Ce n'est pas tant la valeur.

BLANCHE

N'empêche.

LE DOCTEUR

J'y tenais comme un fétiche... Rappelle-toi, c'est avec elle que j'ai refermé mon premier millionnaire... Ce sont des choses que l'on n'oublie pas.

BLANCHE

Et tu ne te souviens de rien ?

LE DOCTEUR

Je m'en suis certainement servi à l'hôpital, il y a trois semaines.

BLANCHE

Où as-tu donc la tête ? La semaine dernière tu perds le porte-cigarettes que je t'avais donné pour ta fête et aujourd'hui c'est ta pince !

LE DOCTEUR

Cela ne sert à rien de récriminer, l'important c'est de savoir... Dans quel ventre

je l'ai laissée.

BLANCHE

Et tu n'as aucune idée ?

LE DOCTEUR

J'ai tellement été bousculé ces derniers temps... Soixante opérations en quinze jours... C'est pas rien.

BLANCHE

Et ne compte pas sur l'honnêteté de tes malades pour te la rapporter.


LE DOCTEUR

J'ai prié Dubois de s'en occuper. Pour moi je l'ai laissée à l'hôpital le matin où

j'ai eu douze opérations à faire en une heure ! Un record... Et tu sais, n'avoir oublié que ça, c'est un succès.

BLANCHE

Te rappelles-tu au moins les noms de tes malades?

LE DOCTEUR

A peu près. (On sonne) Un client, sauve-toi. Je n'ai guère la tête à donner des consultations. Enfin !

(Blanche sort par la droite. On frappe)

LE DOCTEUR

Entrez !

(Jean paraît)

JEAN

Le Comte de Vieubois.

LE DOCTEUR

Faites entrer.

(Jean sort et revient avec le Comte, un vieux beau tiré à quatre épingles)


SCENE IV

LE COMTE, LE DOCTEUR

LE COMTE

Bonjour, mon cher docteur.

LE DOCTEUR

Bonjour Comte.

(Ils se serrent les mains)

LE COMTE

Votre santé est bonne.

LE DOCTEUR

Mon Dieu ! Cela pourrait aller mieux. J'ai de mauvaises migraines.

LE COMTE

C'est bien désagréable... Vous ne saignez pas du nez ?

LE DOCTEUR

Heureusement.

LE COMTE

Cela vous dégagerait peut-être le cerveau... Moi à votre place je prendrais un

bon bain de pieds bien chaud, du café bien noir et une bonne prise de camphre.

LE DOCTEUR, souriant

Merci... Et vous, mon cher Comte, de quoi vous plaignez-vous, car je suppose

que ce n'est pas uniquement pour me donner des conseils que vous avez pris la peine de venir !

LE COMTE, s'asseyant dans le fauteuil

En effet, docteur... Je me sens tout à fait patraque... C'est dans les jambes que

ça me tient...

LE DOCTEUR, calme

Ce n'est rien.

LE COMTE

De plus le soir, j'ai constamment mal aux reins.

LE DOCTEUR

C'est le temps. Cela passera.

LE COMTE

Mais ce qui m'inquiète, ce sont de persistantes douleurs dans le ventre.

LE DOCTEUR, subitement agité

Dans le ventre... Et quelles espèces de douleurs ressentez-vous ?

LE COMTE

De vagues pesanteurs.

LE DOCTEUR

Dites-moi ? Quand donc vous ai-je opéré ?

LE COMTE

Il y a un mois environ.

LE DOCTEUR, même jeu

Et ces douleurs sont bien réelles.

LE COMTE

Je pense bien. (Appuyant sur son ventre) C'est là que je souffre.

LE DOCTEUR, se précipitant

Plus de doute... Dites-moi ces douleurs sont-elles aiguës ?

LE COMTE

Ça dépend des moments.

LE DOCTEUR

N'éprouvez-vous pas une sensation étrange ? (Cherchant ses mots) Et purement imaginative... Comme s'il était resté un objet dans la plaie ?

LE COMTE, hésitant

C'est bien possible... Quoique...

LE DOCTEUR, nerveux

Je vous en prie, mon cher Comte, ne me cachez rien... Et ne remuez pas les jambes... Donc, pour nous résumer, vous souffrez de douleurs, de pesanteurs lancinantes, persistantes avec répercussion dans les jambes et dans les reins... C'est bien ça.


LE COMTE, timidement

Un peu exagéré peut-être.

LE DOCTEUR, se lève, à mi-voix regardant le Comte de côté

Ma pince est là ! (Se promenant) Fâcheux... Fâcheux.

LE COMTE, inquiet

C'est grave, docteur ?

LE DOCTEUR

J'espère que non... Mais une opération me paraît nécessaire... Je dirais même urgente.

LE COMTE, effrayé

Que me dites-vous, docteur ?

LE DOCTEUR

Et je me demande si je ne vais pas vous opérer immédiatement, ici-même.

LE COMTE,

Mais c'est impossible... Je dois partir en voyage.

LE DOCTEUR

En voyage... Vous voulez partir... Mais je vous le défends... Il ne manquerait plus que ça.

LE COMTE

Mes préparatifs sont faits.


LE DOCTEUR

Il n'y faut pas songer... Malheureux, vous voulez donc vous tuer.

LE COMTE, se lève et va sur la chaise longue

Pourtant je vous assure, docteur, que je me sens parfaitement en état.

LE DOCTEUR

Si vous êtes plus savant que moi, pourquoi me consulter ?

LE COMTE

Excusez-moi, mais je suis tellement contrarié.

LE DOCTEUR

Après l'opération, tout ce que vous voudrez.

LE COMTE, atterré

Quelle aventure, mon Dieu !

(Sonnerie du téléphone)

LE DOCTEUR, s'y dirigeant

Vous permettez... Allo ! L'hôpital Saint-Benoist... Bien. (Léger silence) C'est vous Dubois... Eh bien, non ? Pas possible... Vous dites... On me rapporte l'objet que

je cherche ? Le concierge vient de vous avertir ? Je suis bien heureux... Vous me l'envoyez... Bien je l'attends... Merci, au revoir. (Joyeux, il pose le récepteur

mais s'arrête très embarrassé en regardant le Comte qui paraît tourmenté. Il se gratte le front -Jeu de scène- et va vers le comte) Vous tenez donc beaucoup à faire ce voyage ?

LE COMTE

Sans doute...

LE DOCTEUR

Je vais vous ausculter. (Très rapidement il lui pose la tête sur la poitrine) Bien, le pouls. (Il lui prend le poignet) Bien... Tirez la langue... (Le Comte tire la langue) Parfait... Soyez heureux... Vous pouvez partir...

LE COMTE, interloqué

Mais cette opération ?

LE DOCTEUR, le poussant doucement vers la porte

Nous verrons ça à votre retour...

LE COMTE, résistant

Pourtant, vous me disiez, docteur...

LE DOCTEUR

Une opération ne doit se tenter qu'à la dernière extrémité ! (Lui tendant la

main) Donc, partez tranquille et bon voyage.

LE COMTE

Mais, vous m'assurez, docteur...

LE DOCTEUR

J'en prends toute la responsabilité... Au revoir... Au revoir...

(Le Comte s'en va, le docteur sonne, Jean parait)


SCENE V

LE DOCTEUR, JEAN

LE DOCTEUR

C'est bien le jour de Madame, n'est-ce pas ?

JEAN

Parfaitement monsieur.

LE DOCTEUR

Bien, tâchez, mais sans la déranger, de lui dire que l'on m'apporte de l'hôpital

ce que nous cherchons... Cela lui fera plaisir.

JEAN

Serait-ce possible ?

(On sonne)

LE DOCTEUR

Allez ouvrir et introduisez la personne immédiatement.

(Jean sort)

LE DOCTEUR

Il était temps. Je commençais à désespérer. (On frappe). Entrez !

(La porte s'ouvre)


SCENE VI

LE DOCTEUR, VIRGINIE

VIRGINIE, à la porte, fait de la main un bonjour familier

Bonjour... C'est moi monsieur le docteur... Virginie.

LE DOCTEUR, avec empressement

Mais prenez donc la peine d'entrer.

VIRGINIE

Trop aimable. (Elle entre) Vous me reconnaissez bien, pas vrai ?

LE DOCTEUR, la dévisageant

Evidemment votre visage m'est connu, mais...

VIRGINIE

Oh ! Monsieur le docteur, vous êtes pourtant un de mes meilleurs clients.

LE DOCTEUR

J'ai beau chercher.

VIRGINIE

Virginie ! Qui tient le chalet de nécessités qu'est en face l'hôpital.

LE DOCTEUR, lui tendant une large main

Je me disais aussi, enchanté de vous voir et prenez ce fauteuil.


VIRGINIE, s'y carrant

Je ne sais si j'ose.

LE DOCTEUR

Mes malades sont ici chez eux, ne l'oubliez pas.

VIRGINIE

J'oublie pas non plus vos bons soins, car c'est bien grâce à vous que j'ai pu reprendre la direction de la maison.

LE DOCTEUR

Vous m'en voyez ravi.

VIRGINIE se levant

C'est le concierge qui m'a donné votre adresse; il vous a dit ce que je vous apporte.

LE DOCTEUR

Parfaitement.

VIRGINIE

Car je suis une honnête femme, monsieur le docteur.

LE DOCTEUR

Qui oserait en douter.

VIRGINIE

Du reste, si j'étais pas honnête j'aurais pas la situation que j'occupe.


LE DOCTEUR

C'est certain.

VIRGINIE, s'arrêtant devant un petit guéridon à droite sur lequel il y a une bouteille de madère

Tiens! C'est un médicament ?

LE DOCTEUR

C'est du madère.

VIRGINIE

Il est bon ?

LE DOCTEUR

Me ferez-vous le plaisir d'en accepter?

VIRGINIE

Le fond du verre... Pour ne pas vous refuser.

(Virginie se rassoit sur le fauteuil de droite)

LE DOCTEUR, lui tendant un verre plein

Vous êtes une brave femme et je suis heureux de boire à votre santé.

(Ils trinquent)

VIRGINIE, vidant d'un trait et claquant la langue

Fameux !


LE DOCTEUR

Encore un doigt ?

VIRGINIE, tendant son verre

Pour ne pas vous refuser.

(Elle boit le verre d'un coup)

LE DOCTEUR

Alors, chère madame, le ventre ne va pas ?

VIRGINIE

Ça pourrait aller mieux c'est sûr, mais c'te partie-là c'est si capricieux.

LE DOCTEUR

A qui le dites-vous, et vous ne souffrez pas de trop ?

VIRGINIE, surprise

Je me porte comme le Pont-Neuf.

LE DOCTEUR

Quand vous êtes-vous aperçue de la chose ?

VIRGINIE

C'était la semaine dernière... Mardi, j'm'en souviens bien, j'ai pas arrêté de la journée. J'ai fait presque le maximum.

LE DOCTEUR, se levant

Vous vous êtes peut-être un peu surmenée... Pourtant la mine est bonne.
(Lui prenant le poignet) Parfait. (Il l'ausculte) Respirez.

(Virginie respire bruyamment. Relevant la tête) Soyez assez aimable de ne pas

me souffler sur la tête. (Il l'ausculte à nouveau) Quel coffre ! (Appuyant sur la taille) Et quand je vous touche là ?

VIRGINIE, riant nerveusement

Ça me... Ca me...

LE DOCTEUR

Vous dites ?

VIRGINIE

Ça me chatouille, monsieur le docteur.

LE DOCTEUR, à mi-voix.

Plus de doute. (A Virginie) Pourquoi avez-vous attendu pour venir ?

VIRGINIE

Je sors pas comme je veux.

LE DOCTEUR

Fallait venir à l'hôpital.

VIRGINIE

Je préférais ici, car je pensais que vous auriez la bonté de me donner un petit quelque chose.

LE DOCTEUR, fouillant dans sa poche

C'est tout naturel, voici cinquante francs.


VIRGINIE

Vous êtes trop bon, monsieur le docteur.

LE DOCTEUR, allant à la chaise longue

Ayez l'obligeance de vous allonger, je voudrais m'assurer de l'endroit exact où

se trouve ma pince.

VIRGINIE

Votre pince... Mais vous faites erreur.

LE DOCTEUR

Vous dites ?

VIRGINIE

Ce que j'ai là. (Elle tape sur son ventre) C'est votre porte-cigarettes.

LE DOCTEUR, bondissant

Hein... Mais vous divaguez... Une pince, une éponge, une serviette à la
rigueur, je veux bien, mais un porte-cigarettes, c'est impossible.

VIRGINIE, tirant l'objet de son corsage

Soyez heureux, le v'là.

LE DOCTEUR, le prenant surpris

Ah ! Nom de Dieu, c'était ça !

VIRGINIE

Vous l'avez oublié chez moi...


LE DOCTEUR, furieux

Vous pouviez pas le dire plus tôt !

VIRGINIE

Quoi donc, mon bon docteur ?

LE DOCTEUR

D'abord je ne suis pas votre bon docteur... Et vous ne manquez pas de toupet.

VIRGINIE

Moi !

LE DOCTEUR

Vous arrivez avec des airs de mystère, vous me buvez mon madère, vous me soutirez de l'argent et tout ça pour rien.

VIRGINIE, piquée

Dites donc, je vous ai rien demandé.

LE DOCTEUR

C'est comme votre opération, encore une de vos inventions.

VIRGINIE, élevant la voix

C'est peut-être vous qu'avez eu un furoncle à la cuisse droite... Je vais vous montrer que je suis pas une menteuse.

(Elle met sa jambe sur le canapé et veut relever sa jupe)

LE DOCTEUR, l'arrêtant

Ah ! Je vous en prie, pas d'exhibitions et veuillez vous retirer.

VIRGINIE, furieuse

Je m'en irai si je veux... Quand vous venez chez moi je suis polie avec vous.

LE DOCTEUR

Chez vous... J'y suis allé plus souvent que je n'irai.

VIRGINIE

On se passera de vous... Je fermerai pas la boutique pour ça, vous savez.

LE DOCTEUR, la poussant vers la porte

Fichez-moi le camp.

VIRGINIE

Vous n'êtes qu'un goujat, un propre à rien, un voyou.

(Elle sort en proférant des injures)

LE DOCTEUR, furieux va au téléphone

Allo, mademoiselle, allo ! Vous dormez ? 148.47... L'hôpital Saint-Benoist. Donnez-moi M. Dubois... C'est vous... Mais non, c'est une espèce d'idiote qui

tient un chalet de nécessités... Cherchez... Fouillez partout.

(il repose le récepteur)

SCENE VII

LE DOCTEUR

Ah ! Je crois bien qu'il faut que j'en fasse mon deuil... (Il consulte de nouveau

son agenda) Allez donc vous retrouver dans soixante abdomens. (Il se lève)

C'est certainement un malade de l'hôpital qui l'a... Mais ce n'est pas de cette fripouille que l'on peut s'attendre à un acte d'honnêteté. (On sonne) C'est insupportable. (Il va à la porte de droite et à la cantonade) Jean... Faites entrer
ici et que l'on m'attende.

(Il sort par la gauche. Par la porte de droite entre Jean qui s'efface
devant deux dames)

SCENE VIII

ROSE, ALICE, JEAN

JEAN

Si ces demoiselles veulent prendre la peine d'entrer, je vais prévenir M. le professeur.

ALICE, très effrontée

Un instant... Nous voudrions vous demander quelques renseignements sur
le docteur.

JEAN

C'est un grand savant !

ALICE

Ça, je m'en fiche... Son caractère ?

JEAN

Charmant... Avec les bons clients.

ALICE

Je comprends... C'est une rosse !

JEAN, étonné

Mais c'est moi qui ne comprends plus.

ALICE

Ça ne m'étonne pas... Nous venons lui demander un service.

JEAN

Ah ! Ce n'est pas pour une consultation ?

ALICE

Mais non, la petite sort de l'hôpital où le docteur l'a opérée.

JEAN, soudain familier

Et vous venez lui demander de l'argent... Mes petites... Vous perdez votre

temps; c'est rapiat.

ALICE

Dites donc, est-ce que nous avons l'air de mendiantes ?

ROSE, douce et avenante

Je voudrais un petit certificat.

JEAN

Ça dépendra comme il sera luné.

ALICE

D'autant plus que l'opération l'a bien fatiguée, elle a encore mal.


JEAN, à Rose

Vous avez mal ? Où çà ?

ALICE

En voilà une question... Mais dans son ventre, pardi. (A Rose) Pas vrai ?

ROSE

Pour sûr, alors.

JEAN, subitement intéressé, à Rose

Quand le docteur vous a-t-il opérée ?

ROSE

Il y a un mois. J'étais au lit 36.

JEAN

Et vous avez des douleurs... Ce que monsieur va être content... Ca, c'est une veine !

(Il sort très agité par la droite)

SCENE IX

ROSE, ALICE

ALICE, regardant Rose

T'as entendu ce qu'il a dit, le rasé... Le docteur va être content... C'est peut-être pas un si mauvais type.

ROSE

J'ai le trac, tu sais.

ALICE

Quelle gosse tu fais.

ROSE

J'ai pas ton culot, c'est sûr !

ALICE, passe derrière le bureau et touche des objets

T'as qu'à lui dire que tu souffres toujours... Que t'es fatiguée... Il ira pas voir si c'est vrai.

ROSE

Je pense bien !

ALICE

Mais faut te dégourdir.

ROSE

C'est facile à dire.

ALICE

Et puis, veux-tu oui ou non que la patronne nous donne un congé ?

ROSE

C'te question !


ALICE

Eh bien, sans certificat du docteur, nous pouvons nous taper.

ROSE

On fera son possible.

ALICE

Et je serai là... Tiens, je l'entends... (Elle va s'asseoir précipitamment) Comme

chez le photographe... Bougeons plus.

(La porte s'ouvre, le docteur paraît)

SCENE X

LE DOCTEUR, ALICE, ROSE, puis BLANCHE

LE DOCTEUR, très aimable, à Rose

Bonjour mon enfant... (Il lui tend la main) Mademoiselle est avec vous ?

ROSE

C'est ma soeur, monsieur le docteur... (Alice salue)

LE DOCTEUR

Enchanté, mademoiselle... mais prenez donc la peine de vous asseoir. (Rose et Alice s'assoient sur la chaise longue, le docteur sur une chaise, devant elles)

LE DOCTEUR

Et comment allez-vous ?


ROSE, interdite

Monsieur le docteur...

ALICE

Ça ne va pas du tout, monsieur le docteur.

LE DOCTEUR, à Rose

En effet, je vous trouve la mine bien fatiguée.

ALICE

Et nous en sommes bien contrariées, ma mère et moi.

LE DOCTEUR

Vous avez sans doute de la fièvre.

ROSE

Je me sens bien lasse.

LE DOCTEUR

Rien de plus naturel. (Un peu hésitant) Mon domestique m'a dit que vous vous plaignez de violentes douleurs dans l'abdomen.

ROSE

C'est vrai, monsieur le docteur.

LE DOCTEUR

Et vous avez été opérée ?


ROSE

Il y aura un mois, demain.

LE DOCTEUR

C'était bien une appendicite, n'est-ce pas ?

ROSE

Oui, monsieur le docteur.

LE DOCTEUR, radieux

Il n'y a pas de doute... Tirez la langue. (Rose tire la langue, Alice, machinalement en fait autant) Mauvaise, archi-mauvaise... Vous avez eu une riche idée de venir me trouver.

(Il se lève et va à son bureau)

ALICE, se levant

Puisque vous êtes si bien disposé pour nous, ça serait-il un effet de votre
obligeance de donner à ma soeur un petit certificat.

LE DOCTEUR

Pour qui ?

ALICE

Pour la patronne... Elle veut pas lui donner de congé sans ça... Vous parlez
d'une chipie, monsieur le docteur.

ROSE

Pour sûr.

LE DOCTEUR

Je veux bien vous donner ce certificat... (Il écrit) Mais vous ne partirez que

quand je vous le dirai.

ROSE

C'est entendu.

ALICE

Et nous vous remercions beaucoup, monsieur le docteur.

(Elles se lèvent toutes deux)

LE DOCTEUR

Je vous en prie... Ne vous agitez pas... (Tendant une bonbonnière) Tenez,

prenez des bonbons.

ALICE

Vous nous gâtez, monsieur le docteur. (A Rose) Ça marche... Dès qu'on l'aura, trottons-nous.

LE DOCTEUR, se lève et tend un papier plié à Rose

Voici mon enfant.

ROSE

Merci mille fois, monsieur le docteur.

(Elles se dirigent vers la porte)

LE DOCTEUR

Un moment. Dites-moi mon enfant... Que ressentez-vous en marchant ?

ROSE interloquée

Je... Je sais pas trop.

ALICE

La petite est un peu timide, monsieur le docteur.

LE DOCTEUR

Voyons, quand vous marchez, quelle sensation éprouvez-vous ?

ROSE

Quand je marche beaucoup... j'suis fatiguée.

LE DOCTEUR, ravi

Parfait... Et quand vous vous asseyez ?

ROSE

Ça me fait plaisir.

LE DOCTEUR, même jeu

Mauvais ! Mauvais.

(Les deux femmes font mine de partir)

LE DOCTEUR, les retenant du geste

Que vous a-t-on donné à votre sortie de l'hôpital ?

ROSE

Rien du tout !

LE DOCTEUR

C'est un oubli. (Il fouille dans sa poche) Voici vingt francs !

ROSE

Pour moi ?

ALICE

Vous nous comblez, monsieur le docteur.

LE DOCTEUR

Dites-moi, où souffrez-vous davantage ?

ROSE, au hasard

Dans le milieu...

LE DOCTEUR

De mieux en mieux... Pas de maux de coeur ?

ROSE

Avant le déjeuner j'ai comme un grand creux dans l'estomac.

ALICE

C'est vrai.

LE DOCTEUR

Tous les symptômes. Et le sommeil ?

ALICE

Elle n'est pas plutôt dans son lit qu'elle s'endort.

LE DOCTEUR

Pauvre petite... Nous allons arranger tout ça. (A Alice) Un mot mademoiselle !

(Ils vont sur le devant de la scène)

LE DOCTEUR

Votre soeur a besoin de soins.

ALICE, moqueuse

C'est-y grave ce qu'elle a ?

LE DOCTEUR

C'est sérieux.

ALICE, même jeu

Qu'est-ce que c'est ?

LE DOCTEUR, embarrassé

Le nom ne vous dirait rien... Il faut qu'elle vienne me voir.

ALICE

C'est que nous ne sommes pas riches et nous demeurons loin.

LE DOCTEUR

Vous prendrez des voitures... (Il va à son bureau et cherchant dans un tiroir) Tenez, voici cent francs.

ALICE, montrant le billet à Rose

C'est trop, monsieur le docteur, c'est trop.

ROSE, s'approchant

Vraiment, on ne sait comment vous dire.

LE DOCTEUR

Inutile de me remercier... Je suis président de de l'Association des anciens

opérés de l'appendicite et ce sont les fonds de la société.

ROSE, se dirigeant vers la porte

Et merci encore.

LE DOCTEUR

Un instant... (A Rose) Avant que vous ne partiez, je tiens à vous examiner.

(Rose et Alice se regardent)

ALICE

La petite reviendra, mais je vous assure monsieur le docteur, qu'en ce

moment...

LE DOCTEUR

C'est l'affaire de cinq minutes et la santé avant tout...(Il sonne. Jean paraît.) Donnez-nous le thé... Déshabillez-vous... couchez-vous.. Je vais me laver les

mains et je reviens.

(Il sort)

ROSE, enlevant vivement son chapeau et son corsage

Nous sommes fichues... Il va s'apercevoir qu'on lui a collé des blagues.

ALICE

Penses-tu. Fais une chose: dès qu'y te touchera, gueule et ferme. Je garantis le succès.

(Le docteur revient)

LE DOCTEUR

Allons, mes enfants, dépêchons...

(On frappe)

LE DOCTEUR

Entrez. (Jean paraît portant un plateau, le met sur le bureau et regarde curieusement Rose qui est en jupon et en corset. A Jean) Eh bien ! quand vous voudrez. Vous prendrez bien une tasse de thé ?

(Jean sort)

ALICE

Si vous le permettez, je vais faire le service.

(Elle verse)

LE DOCTEUR

Asseyez-vous, ma chère enfant.

ROSE, timide

J'ose pas.

LE DOCTEUR

Oh ! Avec un docteur.

(Rose s'assoit sur la chaise longue, le docteur sur une chaise devant elle et près

du bureau. Alice fait le service)

ALICE, portant une tasse à Rose

Tiens, ma chérie, une bonne tasse de thé, ça te fera du bien.

LE DOCTEUR, tendant l'assiette aux gâteaux

Un petit gâteau ?

ROSE

J'suis toute confuse.

LE DOCTEUR

Et pourquoi cela ! Mes malades sont mes amis.

ALICE

Vous prenez du sucre, monsieur le docteur ?

LE DOCTEUR

Un morceau et demi, je vous prie.

(Alice, fouillant dans le sucrier s'arrête et contemple curieusement la pince)

ALICE

Ah ! Non ! Elle est rien rigolote votre pince à sucre... Quelle drôle de pince à
sucre tout de même.

LE DOCTEUR, se retourne, fixe la pince et bondit

Ah ! Mon Dieu... Mais c'est elle... C'est ma pince. (Un temps ! Il regarde
alternativement la pince et les deux femmes... Alice est passée à droite de la
scène) Mais alors qu'est-ce que vous fichez ici ?

ALICE, aimable

Vous le voyez, nous prenons le thé...

LE DOCTEUR, furieux

Je vais vous en fiche du thé. (Il va vers Alice et Rose et successivement leur
arrache la tasse qu'elles tiennent à la main) Qu'est-ce que vous me chantiez
avec vos douleurs ?

ROSE

Mais, docteur, je vous jure.

LE DOCTEUR

Vous vous êtes vantées de choses imaginaires pour me soutirer de l'argent.

ALICE, passe et va rejoindre Rose

Nous !

LE DOCTEUR

Allons, rendez-moi mon argent.

(Blanche paraît à droite)

BLANCHE

Que signifie ce tapage ?

LE DOCTEUR, montrant la pince

Tiens ! Regarde ? La voici.

BLANCHE, montrant Rose

Ah ! C'était mademoiselle !

LE DOCTEUR

Du tout... Elle était dans le sucrier. (A Rose et Alice) Qu'est-ce que vous avez à

me regarder ainsi ? Voulez-vous me rendre mon argent !

ALICE

Vous voudriez pas.

LE DOCTEUR, furieux

C'est comme ça. Eh bien ! fichez moi le camp et plus vite que ça.

(Tout en parlant, il ouvre la porte et la montre à Alice et à Rose. Cette dernière toujours en corset et en jupon tient ses vêtements sur ses bras)

ROSE

Mais je ne peux pas partir comme ça.

LE DOCTEUR

Est-ce que vous prenez mon bureau pour un cabinet de toilette, allons ouste !

ALICE

Viens... Tu t'habilleras sur l'escalier... Tu vois bien qu'il est dig...dig... En voilà un loufoque... Va te faire soigner, eh maboule !

(Elles sortent)

SCENE XI

LE DOCTEUR, BLANCHE, JEAN

LE DOCTEUR

Elles m'ont escroqué 120 francs !

BLANCHE

Tu es encore naïf. Enfin, le principal, c'est de l'avoir retrouvée; tu disais qu'elle était...

LE DOCTEUR

Dans le sucrier... Vraiment est-ce une place pour un instrument de chirurgie ? Quel est l'imbécile... (Il sonne, Jean paraît). C'est vous qui avez mis la pince

dans le sucrier ?

JEAN

Monsieur peut-il croire !

LE DOCTEUR

A moins que ce soit cette sotte de femme de chambre... (On entend la sonnerie du téléphone.) Voyez!

(Jean va au téléphone)

SCENE XII

LES MÊMES


JEAN, au téléphone

Allo, allo, l'hôpital ? Je vous écoute, monsieur Dubois... N'allez pas trop vite, je répète à Monsieur. (Très lentement) Vous avez ouvert l'estomac au 43...

La cuisse au 89... Le cou au 48.

LE DOCTEUR, calme

Que dit-il ?

JEAN, même jeu

Et le ventre au 132, au 77 et au 83 et vous n'avez rien trouvé !

LE DOCTEUR, va au téléphone

Bonjour, cher ami, je vous remercie... J'ai retrouvé ma pince... Dans le sucrier. (Riant) C'est du dernier comique... Vous pouvez recoudre, mais oui, recousez
mon ami, recousez. (Il repose les récepteurs. On sonne) C'est un vrai défilé.

BLANCHE

Dépêche-toi... Nous avons à sortir.

LE DOCTEUR

Sois tranquille... Je vais l'expédier.

(La porte s'ouvre. Le Comte de Vieubois paraît)

SCENE XIII

LE DOCTEUR, LE COMTE

LE DOCTEUR, surpris

Vous, mon cher Comte !

LE COMTE

Oui, docteur. J'ai réfléchi à ce que vous m'avez dit et j'ajourne mon départ.

LE DOCTEUR

Mais...

LE COMTE

Je partirai après l'opération.

LE DOCTEUR

Je vous répète que je ne vois pas, pour le moment, de nécessité.

LE COMTE

Je vous remercie de vos scrupules qui sont tout à votre honneur, mais je

préfère être débarrassé de suite !

LE DOCTEUR, résistant encore

Pourtant.

LE COMTE

Je suis absolument résolu et j'insiste pour que ce soit le plus tôt possible.

LE DOCTEUR, vaincu

Si vous y tenez absolument. Voulez-vous... Demain à la même heure ?

LE COMTE, lui serrant la main

Entendu, demain à la même heure.

RIDEAU

BOURGEOISIE BELLE EPOQUE

ALLER ET RETOUR

PERSONNAGES

LE COMTE Maurice de VIEUXBOIS 30 ans
LA COMTESSE Nelly de VIEUXBOIS 20 ans
JEAN, Valet de chambre 50 ans

PREMIER TABLEAU

Le très élégant salon d'une garçonnière, meubles anciens, gravures, tableaux, un grand bureau, téléphone.
Au milieu de la scène une petite table dressée avec deux couverts se faisant vis à vis. Portes au fond, à gauche et à droite.
Au lever du rideau la sonnerie du téléphone se fait entendre - Jean domestique du genre "niais" entre par la gauche et va répondre.

SCENE l


JEAN

JEAN

Allo Allo... Monsieur le Comte ? Mademoiselle ignore donc ? Mais il s'est

marié... Une blague ? Du tout... Aujourd'hui à midi, St-Honoré d'Eylau... Des

faire part ? Mais oui... Mlle n'a rien reçu ?... C'est certainement un oubli... (raccroche le récepteur). Un faire part ? Je t'en ficherai des faire-part ?

Pourquoi pas une place dans le cortège ? Décidément ces poules ne doutent

de rien !!!

(Maurice de Vieuxbois entre par le fond, pimpant, élégant veston de voyage, chapeau mou)

SCENE II

LE COMTE, JEAN, puis la COMTESSE


LE COMTE

Quoi de nouveau vieux serviteur ?

JEAN

Mademoiselle Faginette vient de téléphoner... Elle ignorait tout.

LE COMTE

Elle ne lit donc pas les journaux cette chère petite. (Il salue)

JEAN, surpris

Qui saluez-vous ?

LE COMTE, gaiement

Le passé ! Je lui tire ma révérence !

JEAN

Quelle belle cérémonie ! La concierge, qui a pourtant l'habitude du beau

monde, était enchantée !

LE COMTE

Allons, tant mieux !

JEAN

Elle disait comme ça que c'était le plus beau mariage de la saison.

LE COMTE

C'était pas mal en effet ! Dites-moi Jean, les bagages ?

JEAN

Expédiés !

LE COMTE

Des musiciens viendront dans un instant... Vous les installerez dans la chambre

à côté, et pas un mot à la comtesse ! Une surprise !

JEAN

Compris ! Ils savent ce qu'ils doivent jouer ?

LE COMTE

Tout est arrangé. (On sonne) Je n'y suis pour personne.

(Jean sort et revient au bout d'un instant)

JEAN

C'est une dame !

LE COMTE

Son nom ?

JEAN

Elle prétend être connue de Monsieur le Comte.

LE COMTE

Ce n'est pas une ancienne ?

JEAN

Parfum inconnu !

LE COMTE

Faites entrer, je vais l'expédier en cinq sec ! (Jean sort et introduit une jeune femme fort élégante, tailleur, manteau de voyage. Elle reste dans l'embrasure

de la porte) Vous ? Toi. (A Jean) Voyons Jean, vous n'avez pas reconnu la
Comtesse ?

JEAN

Excusez-moi... Mais ce costume après la jolie robe blanche ! Ca change.

LA COMTESSE

La jolie robe blanche ! Pas très pratique pour le voyage.

LE COMTE

Et il faudra vous faire au parfum.

LA COMTESSE, moqueuse à Jean

Et peut-être n'étiez-vous pas accoutumé à recevoir des dames ?

LE COMTE, même ton

Ma vie est pure Madame.

LA COMTESSE, même jeu

Ne vous en vantez pas, Monsieur.

LE COMTE

D'ailleurs vous êtes ici chez un homme marié, ne l'oubliez pas Madame !

LA COMTESSE

Je n'en aurai garde Monsieur !

(Jean qui ne comprend pas l'ironie, sort, les regardant tous deux d'un air

étonné)

SCENE III

LE COMTE, LA COMTESSE, puis JEAN

LA COMTESSE, regardant autour d'elle

Dans une garçonnière le jour de son mariage ! C'est du joli !

LE COMTE

Quelles moeurs !

LA COMTESSE

Si les murs pouvaient parler.

LE COMTE

Ils ne vous diraient que des choses édifiantes.

LA COMTESSE

Oui Sainte Nitouche... Vous ne m'attendiez pas si tôt... Vous êtes attrapé.

LE COMTE

La chaîne qui se noue.


LA COMTESSE

J'ai bien envie de retourner à la maison.

LE COMTE

Un rendu ! Tête de vos parents.

LA COMTESSE

Ce serait peut-être prudent, qu'en pensez-vous?

LE COMTE

Courons le risque.

LA COMTESSE

Vous êtes courageux... Beau chevalier.

LE COMTE

On a fait la guerre ! (Sonnerie du téléphone, Maurice répond) Mes hommages... Belle-maman. Nelly... Mais oui elle est ici... Comme chez elle... Oh vous l'avez bien mal élevée... La voici. (Il lui passe l'appareil)

LA COMTESSE

Oui... Saine et sauve... Le repaire du monstre est très gentil... Au revoir mère chérie, oui je te télégraphierai. (Elle repose le récepteur) Cette chère maman... Mon départ l'a laissée désemparée.

LE COMTE

Pensez-vous ? Elle est enchantée d'avoir casé sa demoiselle.


LA COMTESSE

Vous êtes tombé dans le panneau pauvre type !

LE COMTE

Oh vous êtes forte ! Enfin n'y pensons plus et mangeons.

LA COMTESSE

Dieu ! Que vous êtes poétique !!

LE COMTE, lisant le menu

Vous avez raison, le menu pour moi... Et pour vous une guitare. Et les étoiles.

(Il sonne, Jean paraît) Jean, veuillez servir. (Ils s'approchent de la table) Quelle drôle de façon de mettre le couvert ! (Ils prennent chacun un couvert qu'ils placent l'un à côté de l'autre, face au public) Voilà un couvert bien mis !

JEAN

Je le saurai à l'avenir. (Il sort et revient avec le potage)

SCENE IV

LE COMTE, LA COMTESSE, JEAN

LE COMTE

Délicieux ce potage.

LA COMTESSE

Ne vantez donc pas ainsi votre marchandise... C'est agaçant.


LE COMTE

Je sais ! Vous êtes poétique, mais vous cachez votre jeu... Vous serez chère à nourrir.

(Jean qui ne comprend toujours pas est de plus en plus étonné, jeux de scène)

LA COMTESSE

Ce défilé m'a creusée... Une heure trois quarts !

LE COMTE

525 poignées de mains et 50 baisers, dont 10 supportables et 2 agréables.
Oh elles se sont régalées les vieilles cousines.

LA COMTESSE

Dame ! Elles sentaient la chair fraîche.

LE COMTE

Vous avez été très bien !

LA COMTESSE

Pourtant c'était un début.

LE COMTE

Et tous ces regards braqués sur votre joliesse blanche... Emue ?

LA COMTESSE

Un peu gênée seulement et vous ?

LE COMTE

Un trac fou... D'avoir l'air bête.

LA COMTESSE

On ne se refait pas. (Désignant un portrait de femme accroché au mur) Jolie

cette dame... Une Vieuxbois ?

LE COMTE, riant

Tout à fait à sa place dans une garçonnière.

LA COMTESSE, intéressée

Raconte, vite ?

LE COMTE

Une des maîtresses du Grand Roi. (Se levant) Saluons !

LA COMTESSE

Longtemps.

LE COMTE, se rasseyant

Il paraît.... Nous l'avons surnommé mes frères et moi... Le Collage de France.

LA COMTESSE

Charmant ! Je suis entrée dans une jolie famille.

LE COMTE

Oh en fouillant bien dans la vôtre.

LA COMTESSSE

Mon arrière-grand père tenait une auberge... Assez louche paraît-il. (Se levant) saluons !


LE COMTE

Pouah !!!

LA COMTESSE

Cela vous défrise, jeune muscadin, et si je n'ai pas été victime de faux rapports, son fils aurait épousé sa bonne, ma chère et vénérée grand-mère !

LE COMTE

Nous nageons en pleine idylle... On se lève ?

LA COMTESSE

N'empêche que les Etablissements Treillard sont aujourd'hui les plus importants de France et quand nos notaires se sont rencontrés... C'est le vôtre, mon cher,

qui a eu le plus large sourire. (Se levant) Saluons !

LE COMTE

Alors ? Moi ? Un va nu pieds ?

LA COMTESSE, gravement comique

Je défends mes vieux, tiens ?

LE COMTE, se levant

Je t'adore petite bonne femme. (Il l'embrasse amoureusement)

LA COMTESSE

Alors les dentelles historiques que portait orgueilleusement votre mère venaient... (Elle montre le portrait)

LE COMTE

En droite ligne... On refuse l'héritage ?

LA COMTESSE

Pas si bête. (Sonnerie du téléphone, la Comtesse prend le récepteur) Oui, que nous n'oubliions pas l'heure ? T'en fais pas maman. Je t'embrasse encore bien fort. (Elle repose le récepteur)

LE COMTE, indulgent

Cette chère belle-mère.

LA COMTESSE

Un peu mère-poule vous ne trouvez pas ?

LE COMTE, même jeu

Mais non.

LA COMTESSE, allant s'asseoir sur le canapé

Je suis un peu étourdie.

LE COMTE s'asseyant et la prenant dans ses bras

Repose-toi... Petite bonne femme et ne bouge plus, je fais le malin mais je suis très ému... Cette minute est délicieuse... Et je crois oui vraiment, je crois que je t'aime plus que tout au monde.

LA COMTESSE

Moi, je t'aime tout simplement... (Le Comte pose la main sur un bouton

électrique - on entend une sonnerie, puis tournant le commutateur la lumière s'éteint, seule une lampe avec un grand abat-jour éclaire doucement la scène.
La Comtesse, surprise) Que fais-tu ?

LE COMTE, lui mettant doucement la main sur la bouche

Chut. Chut. (Un accord de piano, puis un violon font entendre les accents déchirants de l'andante du 9ème quatuor de Beethoven; pendant l'exécution le Comte et la Comtesse enlacés demeurent immobiles. Puis Nelly se lève et doucement s'essuie les yeux)

LA COMTESSSE, au Comte lui tendant la main

Merci, merci.

LE COMTE

Je partage ton émotion ma chérie, il faut... Oui il faut, que cette minute d'une douceur infinie reste gravée dans nos coeurs et évoquée par nous dans le cas improbable d'une brouille passagère.

LA COMTESSE

Jurons !

LE COMTE

C'est juré. (Regardant sa montre) L'heure s'avance. (Il sonne. Jean entre)

L'auto je vous prie.

JEAN

J'y vais... Un peu triste la musique ?

LE COMTE, pour lui faire plaisir

Oui... Peut-être. (Jean sort, à la Comtesse) Il ne comprendra pas...

LA COMTESSE

Heureusement...

(Sonnerie du téléphone)

LE COMTE

Ta mère ?

LA COMTESSE

Et si c'était une jolie dame ?

LE COMTE

Tu répondras... Parti sans laisser d'adresse.

LA COMTESSE, au téléphone

Mère chérie... Nous partons... Que je n'attrape pas froid ?... Quoi ? Quoi ? Je ne comprends pas. (Elle se relève, émue) Il y a de la friture sur la ligne... Ou c'est
maman qui pleure. (Au téléphone) Au revoir mère chérie. (Elle repose le récepteur. Jean entre)

JEAN

L'auto est avancée...

LE COMTE, continuant de plaisanter à froid

Eh bien Madame quand vous voudrez ?

LA COMTESSE

C'est un ordre ?

LE COMTE

Parfaitement. Ne suis-je pas le maître ?

LA COMTESSE

Si c'est un ordre !!! (Elle se pend fortement à son bras) Filons... Au revoir Jean.

LE COMTE

(Ils sortent comme deux écoliers)

JEAN, les accompagnant, saluant

Madame la Comtesse... Monsieur le Comte...

(Ils sortent)

JEAN

Bien gentils, ces petits... Mais je les crois un peu piqués !!!

RIDEAU

SECOND TABLEAU

La table est dressée, les deux couverts l'un à
côté de l'autre face au public.

SCENE I

JEAN

JEAN, deux dépêches à la main, lisant

Arriverons 8 heures préparez dîner. Comte de Vieuxbois, (prenant l'autre
dépêche) urgente celle-là. (Lisant) Arriverons huit heures convoquez musique. Comtesse de Vieuxbois... (Parlé) Sans musique ils pourraient pas manger ces petits... Décidément le monde va de travers. (Sonnerie du téléphone, Jean répond) Allo... Non Madame... Encore personne ! Mes respects. (Il repose le récepteur) Un peu barbe la belle-mère ! Huit fois qu'elle téléphone depuis une heure... Je ne donne pas 15 jours à Monsieur le Comte pour l'envoyer au bain. (Prêtant l'oreille) Une auto qui s'arrête... Ce sont eux ! (Il sort par le fond et revient avec le Comte et la Comtesse)

SCENE II

LE COMTE, LA COMTESSE, JEAN

LE COMTE, LA COMTESSE (ensemble)

Bonjour Jean.

JEAN, saluant

Monsieur le Comte a fait un bon voyage ?

LE COMTE, un peu nerveux

Excellent ! Alors quoi de nouveau ici ?

JEAN

La mère de Madame a téléphoné... Une dizaine de fois.

LE COMTE, même jeu

Seulement ?

LA COMTESSE, très souriante

Vous dites ?

LE COMTE

Une simple réflexion.

(Nelly enlève son chapeau et sa jaquette - sonnerie du téléphone)

LA COMTESSE, y courant

Allo oui... C'est moi bonsoir Mamouche. Excellent... Nous dînons rapidement et nous accourrons... A tout à l'heure... (Elle pose le récepteur - regarde Maurice ! Léger silence)

LA COMTESSE, moqueuse

Mes parents vont bien... Je vous remercie.

LE COMTE, piqué

J'ignorais qu'ils fussent souffrants.

LA COMTESSE

Oh oh le temps est à l'orage, Monsieur boude.

LE COMTE

Du tout.

LA COMTESSE, tendant gentiment sa joue

Alors embrassez moi.

LE COMTE

Très volontiers. (Il l'embrasse froidement)

LA COMTESSE

Pas chaud chaud le baiser enfin... Je sais moi pourquoi vous faites cette vilaine figure... L'inconnu de Naples... ! Qui a osé me regarder.

LE COMTE

Dites qu'il vous a fixée avec insolence !

LA COMTESSE

Il était peut-être heureux de rencontrer des Français.

LE COMTE

Nous n'étions pas chargés de le distraire.

LA COMTESSE

Et est-ce de ma faute si nous l'avons retrouvé dans notre compartiment à notre départ de Rome...


LE COMTE

Coïncidence curieuse avouez-le.

LA COMTESSE

Dont il serait injuste de me rendre responsable !

LE COMTE

Dans ce cas pourquoi avoir refusé de changer de place.

LA COMTESSE

La marche arrière me donne des maux de coeur.

LE COMTE

On n'en meurt pas.

LA COMTESSE

Je vous remercie.

LE COMTE

Entre les regards de ce sot et un petit malaise de rien du tout.

LA COMTESSE

Pour vous ?

LE COMTE

Vous n'avez pas hésité.

LA COMTESSE

Pas une seconde je l'avoue... Cet homme...

LE COMTE

Ce mufle.

LA COMTESSE

Si vous voulez... S'ennuyait peut-être.

LE COMTE

Il n'avait qu'à dormir.

LA COMTESSE

Ah c'est joli un monsieur qui dort !

LE COMTE

Il n'avait pas à vous plaire...

LA COMTESSE

Mais le moyen de l'endormir... Par des passes magnétiques.

LE COMTE, rageant

L'ironie est aisée.

LA COMTESSE

La vérité c'est que vous êtes un affreux tyran... Dans le genre du gigolo de votre aïeule (elle désigne gaiement le portrait).

LE COMTE, même jeu

Très spirituel. (Il sonne Jean) Où sont les bagages ?


LA COMTESSE

Je les ai fait diriger chez mes parents.

LE COMTE, à Jean

Veuillez servir, je vous prie. (Jean sort) Pourquoi ne pas rester ici ?

LA COMTESSE

Nous serons plus à l'aise chez mes parents et puis ne revenons pas sur ce qui a

été convenu entre nous.

LE COMTE, rageant à froid

Je vois... Les lettres ont produit leur effet... En receviez-vous grand Dieu !

LA COMTESSE

Vous n'aviez qu'à ne pas les lire.

LE COMTE

C'est tout juste si on ne vous télégraphiait pas pour vous indiquer la robe que vous deviez revêtir.

LA COMTESSE, d'une inaltérable bonne humeur

Drôle ! (Jean entre avec la soupière, le Comte s'approche de la table)

LE COMTE

Quelle est cette façon de mettre le couvert.

JEAN

Mais c'est Monsieur le Comte.


LE COMTE

Vous ne m'avez pas compris. (Il prend les deux couverts qu'il place l'un en face

de l'autre et il s'assied, Nelly également, léger froid - le potage est servi par

Jean - sonnerie du téléphone)

JEAN, au téléphone

Bien Madame... (Il parle) La mère de Madame. (La Comtesse y court)

LE COMTE, nerveux

Si on ne peut plus manger tranquille.

LA COMTESSE, au téléphone

Oui mère. (Au Comte) Ma mère désire vous souhaiter la bienvenue.

LE COMTE, même jeu

Mais je suis à table.

LA COMTESSE

Je vais le lui dire.

LE COMTE

Laissez, (victime résignée) tant pis je mangerai froid. (Au téléphone) Allo... Merci... Très bien... Parfait... Au revoir.

(Il revient à table)

LA COMTESSE

Préférez-vous que nous restions ici ce soir.

LE COMTE

Ce soir ou demain puisque vous exigez.

LA COMTESSE

Pauvre victime... C'est à fendre l'âme. (Sonnerie du téléphone. Jean y va)

LE COMTE, furieux

Ah non... Ca dépasse les bornes.

JEAN

Allo... (Il se relève)

LE COMTE

La mère de la Comtesse n'est-ce pas ?

JEAN

Non... C'est une erreur !

LE COMTE, mortifié

La peste soit de cette invention !

(Jean dessert et va chercher les plats)

LA COMTESSE, conciliante

Descendons à l'hôtel.

LE COMTE

Nous sortons d'en prendre... De l'hôtel. Restons ici... Il y a deux pièces, c'est suffisant pour le moment.

LA COMTESSE

Et une cuisine grande comme un placard.

LE COMTE

Très bien, je n'insiste pas.

LA COMTESSE

Et dire que sans ce misérable inconnu vous trouveriez tout très bien.

LE COMTE

Je suis au dessus de pareilles mesquineries.

LA COMTESSE

Que vous dites ? (Sonnerie du téléphone, la Comtesse répond) Allo oui mère.

(Se relevant) Maurice ?

LE COMTE

Décidément votre mère exagère.

LA COMTESSE, souriante

Ce n'est pas ma mère... Mais la vôtre cher trésor.

LE COMTE, mortifié il va au téléphone

Allo, bonjour mère. (Il continue à parler- Jean entre, la Comtesse court vers lui)

LA COMTESSE

Les musiciens ?


JEAN

A leur poste !... Ils attendent le signal.

LA COMTESSE

Je vous ferai signe... Mais dites moi y a-t-il un violoncelle ?

JEAN

Il y a tout ce qu'il faut.

LA COMTESSE

Du tendre n'est-ce pas ? Forcez sur le violoncelle.

JEAN

J'ai fait comme pour moi.

(La Comtesse revient à sa place, le Comte également)

SCENE III

LES MEMES

LA COMTESSE, gentiment

Vos parents vont bien.

LE COMTE, piqué

Merci de la leçon.


LA COMTESSE

Vraiment on ne sait comment vous aborder aujourd'hui... Vous vous mettez

tout de suite en boule.

LE COMTE

Evidemment c'est de ma faute.

LA COMTESSE

Mais mon pauvre ami, vous êtes bourré de défauts !

LE COMTE

Tout le monde ne peut pas être parfaite comme vous.

LA COMTESSE, gaiement

Si vous voulez le 14 Juillet... On les passera en revue.

LE COMTE

Vous êtes décidément en verve aujourd'hui. (La comtesse fait signe à Jean qui sort)

LA COMTESSE

Que va penser de vous ce vieux Jean.

LE COMTE

Oh l'opinion de mon valet.

LA COMTESSE

Vous vous en fichez... C'est vrai vous n'avez pas de domestiques parmi vos

aïeux... Vous.

LE COMTE

Que voulez-vous... On ne peut pas tout avoir. (un coup de grosse caisse puis le vacarme d'un jazz-band dernier cri, trompe... Crécelle qui joue un fox trott endiablé- ahurissement de Nelly et de Maurice)

LE COMTE, se levant

Quelle est cette plaisanterie ? (Il va vers la porte de gauche et l'ouvre) Des nègres ! Ca c'est le bouquet ! (Il referme la porte Jean entre ). C'est vous qui

avez fait venir ces sauvages ?

JEAN

Mais Monsieur le Comte...

LE COMTE, furieux

Qu'ils se taisent tout de suite ! (La comtesse derrière le Comte fait signe à Jean

de n'en rien faire - Elle sort, le charivari continue de plus belle - La Comtesse se tord, le Comte ne sait quelle attitude prendre) Ca vous amuse ?

LA COMTESSE

C'est trop drôle !!

LE COMTE

Je comprends ! Vous avez voulu me faire une blague...

LA COMTESSE

Mais non grosse bête !

LE COMTE

Ils ne se tairont pas !


LA COMTESSE

Je ne voulais pas que tu me boudes.

LE COMTE

Et vous avez pu penser que ces nègres... ?

LA COMTESSE

Tu as donc oublié notre joli serment du départ ! La minute inoubliable... Pour

moi seulement hélas !

LE COMTE, dont le visage se détend progressivement et qu'un sourire viendra bientôt éclaircir

Alors c'est toi petite misérable ?

LA COMTESSE

J'avais télégraphié à Jean de convoquer les musiciens et voilà ce qu'il a imaginé.

LE COMTE

Délicieux ! Enfin ils se lassent.

LA COMTESSE

Ils n'en peuvent plus les malheureux.

LE COMTE, prenant la Comtesse dans ses bras

Sommes-nous bêtes.

LA COMTESSE

Parlez pour vous Monsieur.


LE COMTE

Pardonne moi... Je suis un peu jaloux.

LA COMTESSE

Et moi très taquine.

LE COMTE

En somme... T'a-t-il vraiment tant regardée... Cet inconnu. Et peut-être était-il myope ?

LA COMTESSE

J'en ai eu vaguement l'impression.

LE COMTE, heureux

Sommes-nous bêtes... Non mais sommes-nous bêtes.

LA COMTESSE

Tu tiens absolument à ce pluriel.

LE COMTE

Tu es un amour de petite bonne femme.

(Jean entre)

JEAN

Eh bien ?

LA COMTESSE

Magnifique.

JEAN, triomphant

Au moins ça, c'est de la musique... !

(Le jazz se fait entendre de nouveau)

LE COMTE

Les revoilà repartis...

JEAN, dans l'admiration

Est-ce beau ! Non est-ce beau !!!

LE COMTE

Régalez-vous nous filons.

LA COMTESSE

Et où allons-nous ?

LE COMTE, joyeux exubérant

Où tu voudras, chez ta mère, chez le Pape, à l'Escurial, à l'Elysée, oui c'est ça à l'Elysée. (Ils s'en vont en riant)

JEAN

C'est trop beau... Je cours chercher la concierge. (Il sort en courant)

RIDEAU

COCO & CIE

La scène représente le fumoir d'une grande propriété près de Versailles ! - Meubles anglais, tableaux, bronzes, gravures, grand luxe, portes au fond, à droite et à gauche.

Dix heures du matin. Au lever du rideau la scène est vide.

La porte au fond s'ouvre, Jean introduit le Comte de

Vieuxbois, beaucoup d'allure, élégance un peu affectée mais réelle.

SCENE I

VIEUXBOIS, JEAN puis ROSE

VIEUXBOIS

Votre maître ?

JEAN

Il termine sa toilette.

VIEUXBOIS

Bonne nuit ?

JEAN

Excellente, Monsieur le Comte, excellente.

VIEUXBOIS, dont le visage s'éclaire

Alors l'humeur ?

JEAN

Charmante, M. le Comte, charmante.

VIEUXBOIS, de plus en plus satisfait

Parfait, parfait. (Il fouille dans son gousset) Voici pour le renseignement.

JEAN, tendant la main

Oh inutile, M. le Comte. Je vais prévenir Monsieur.

VIEUXBOIS

Qu'il ne se presse pas... J'ai tout mon temps.

(Jean sort par la droite. Le Comte seul chante en plastronnant et en se regar-

dant dans la glace. Rose, très gentille soubrette, entre par la gauche un paquet

à la main)

ROSE

Votre servante M. le Comte.

VIEUXBOIS

Bonjour Rose.

ROSE

M. le Comte désire-t-il que je l'annonce ?

VIEUXBOIS

Merci, Jean s'est chargé de ce soin.

ROSE

Je préfère ça ! Car Monsieur est ce matin de fort méchante humeur.

VIEUXBOIS, subitement inquiet

Que me dites-vous là ? Jean me disait le contraire.

ROSE

Jean se trompe voilà tout.

VIEUXBOIS, même jeu

Expliquez-vous... Cela m'intéresse infiniment.

ROSE

Voilà: réveil charmant, en effet.

VIEUXBOIS, rasséréné

Vous voyez bien ?

ROSE

Monsieur chantonnait.

VIEUXBOIS

Faux probablement.

ROSE

C'est possible... Je ne m'y connais pas.

VIEUXBOIS

Continuez.

ROSE

Puis, patatrac changement à vue.

VIEUXBOIS, intéressé

Que s'était-il produit ?

ROSE

Le chocolat était tiède.

VIEUXBOIS

Miséricorde !

ROSE

Alors il fallait entendre Monsieur, tempêter, bougonner.

VIEUXBOIS

Mais pourquoi aussi s'obstine-t-il à garder sa cuisinière... Elle ne fait rien de

bien.

ROSE

Le fait est... Nous nous en plaignons beaucoup à l'office.

VIEUXBOIS

Allez me la chercher.

(Rose sort rapidement)

VIEUXBOIS, seul

Du chocolat tiède ! Quelle imbécile... Ca peut faire tout rater.

(La cuisinière, une bonne grosse campagnarde, entre par la gauche)


SCENE II

VIEUXBOIS, LA CUISINIERE, puis ROSE

VIEUXBOIS

Approchez, ma fille. Que me dit-on ? Le chocolat était tiède !

LA CUISINIERE, niaise

Je ne l'ai pas goûté.

VIEUXBOIS

Vous avez eu tort...

LA CUISINIERE

Je ne l'aime pas.

VIEUXBOIS

Et vous ne connaissez pas d'autre façon de vous assurer si un mets est chaud

ou froid ?

LA CUISINIERE

Si, en trempant mon doigt dedans.

VIEUXBOIS

J'espère bien que vous ne vous livrez jamais à ces expériences.

LA CUISINIERE

Oh M. le Comte peut être tranquille.


VIEUXBOIS

C'est comme vos viandes...

LA CUISINIERE

Et qu'est ce qu'elles ont mes viandes ?

VIEUXBOIS

Elles ne sont jamais assez cuites.

LA CUISINIERE

Monsieur les préfère saignantes.

VIEUXBOIS

Mais moi, je suis l'invité... Ca compte, un invité... J'ai des droits de priorité.

LA CUISINIERE

Pourtant si Monsieur les demande saignantes mes viandes ?

VIEUXBOIS

Faites ce que je vous dis, et dorénavant que le chocolat soit chaud !

LA OUISINIERE

Bien, M. le Comte. (Elle sort craintive) Au revoir Monsieur le Comte.

VIEUXBOIS

Bonjour ma fille... Et pensez à vos viandes !

(Benoist en costume du matin marron clair avec parements verts paraît)

SCENE III

BENOIST, VIEUXBOIS

BENOIST, la main tendue

Quelle bonne surprise ?

VIEUXBOIS, avec effusion

Votre santé est bonne cher ami ?

BENOIST

Un peu barbouillé...

VIEUXBOIS

Parbleu... Ce chocolat tiède...

BENOIST, surpris

Vous savez donc ?

VIEUXBOIS

J'en ai profité pour attraper votre cuisinière. Ah ! Pourquoi ne prenez-vous pas

un chef ?

BENOIST

Vous croyez ?

VIEUXBOIS

Voyons ! Pour un homme dans votre situation un chef s'impose... On m'en a justement indiqué un de tout premier ordre.

BENOIST

Bon ?

VIEUXBOIS

Je vous crois... Il connaît toutes mes habitudes (se rattrapant) et s'adaptera aux vôtres très rapidement.

BENOIST

Serait-ce pour m'entretenir de cette question que vous avez pris la peine de

venir jusqu'à Chaville ?

VIEUXBOIS

Joli... Oh très joli...

BENOIST, surpris

Quoi donc ?

VIEUXBOIS

Votre complet d'intérieur.

BENOIST, flatté

Vous trouvez ?

VIEUXBOIS

Difficile à porter, mais vous vous en tirez tout à votre honneur !

BENOIST, même jeu

VIEUXBOIS

Du marron clair avec parements verts, faut de la tenue pour supporter ça...

BENOIST

Ma femme prétend que sur un perchoir, avec des feuilles de salade, ça ferait perroquet riche.

VIEUXBOIS

Jalousie pure... Il est du meilleur goût.

BENOIST

Je m'incline devant l'arbitre des élégances... Quoi de nouveau à Paris ?

VIEUXBOIS, tirant le Figaro

Il faut que je vous gronde. (Lisant) Jules Benoist 1.000 frs.

BENOIST

C'est une misère.

VIEUXBOIS

Cinquante louis pour des gens que vous ne connaissez même pas.

BENOIST

Ils étaient peut-être malheureux.

VIEUXBOIS

Vous êtes trop bon... Vous ne savez pas résister.

BENOIST

Croyez-vous ?


VIEUXBOIS

Aussi on en abuse. Je le disais encore hier au Duc d'Ambleteuse.

BENOIST, flatté

Il me connaît donc ?

VIEUXBOIS

De réputation... Je vous le présenterai; eh bien ce cher Duc ne donne jamais

aux souscriptions publiques, il réserve sa générosité pour ses seuls amis.

BENOIST

C'est une opinion.

VIEUXBOIS

Il n'attend même pas qu'on lui demande, il sait lire sur les visages.

BENOIST

C'est un don que je n'ai pas.

VIEUXB0IS, vivement

Il s'acquiert, vous savez.

BENOIST

Vous l'avez vous ?

VIEUXBOIS

Moi... C'est très curieux... C'est tout le contraire... Je vois immédiatement

quand les gens ont de l'argent.

BENOIST

C'est en effet curieux.

VIEUXBOIS

Donc résistez.

BENOIST

Vous avez raison je m'observerai.

VIEUXBOIS, légèrement inquiet

Je parle avec les étrangers bien entendu.

BENOIST

Avec tout le monde.

VIEUXBOIS

Il ne faut rien exagérer.

BENOIST

Vous avez tout à fait raison: 1.000 Frs par ci, 2.000 par là, ça finit par chiffrer,

et pour la reconnaissance que l'on en récolte...

VIEUXBOIS

Ca dépend des gens.

BENOIST

Et puis les questions d'argent sont toujours irritantes. Je vous remercie de me mettre en garde contre moi même.


VIEUXBOIS, très embêté

Vous ne m'avez pas compris; autre chose est d'inonder des étrangers ou

d'obliger des amis.

BENOIST

C'est toujours de l'argent qui sort.

VIEUXBOIS

Mais c'est une sortie qui a de l'allure.

BENOIST

Auriez-vous de nouveau...

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