Acte I
Lorsque le rideau s’ouvre, le public peut observer, dans la pénombre, le salon de Lui.
C’est le salon d’un homme cultivé, qui désire que personne ne l’ignore.
On entend un bruit de serrure.
On devine un homme entrer, puis une femme.
Lumière.
Lui est froid, presque désagréable, elle est naturelle. Ils restent debout.
Lui – Voilà. C’est ici.
Elle – Charmant !
Lui – Ça te plaît ?
Elle – Non ! Mais… ça te ressemble !
Lui – Bien.
Elle – Je m’exprime mal. Disons, disons que ce n’est pas la déco que je mettrais chez moi, mais que…
Lui – C’est celle que tu attendais chez moi ! Ce n’est donc pas une surprise.
Elle – Tu possédais déjà la plupart des meubles à l’époque.
Lui – Oui, « à l’époque ». « À l’époque » si tu veux !
Elle – Oui, c’était il y a tout de même, sept ou huit ans…
Lui – Sept ou huit ans que quoi ?
Elle – Il y a sept ou huit ans, nous vivions ensemble.
Lui – Effectivement… à quelques jours près…
Elle – Nous ne nous étions pas revus depuis…
Lui – Depuis le jour où tu m’as quitté, je pense...
Elle – Voilà ! C’était…
Lui – C’était il y a un certain temps.
Elle – Eh oui ! Quel hasard !
Lui – Eh oui, quel hasard ! Qui l’eut cru ? Après tant de temps, sans se voir, sans même s’appeler, ni même chercher à avoir des nouvelles l’un de l’autre…
Elle – Se revoir chez un boucher !
Lui – Au coin d’une rue !
Elle – Celle où nous habitons tous les deux !
Lui – Et sans le savoir… une sacrée coïncidence !
Elle – Un signe diraient certains !
Lui – Diraient certains !
Elle – Tu écris toujours ?
Lui – Toujours !
Elle – Et tu n’as toujours pas été édité !
Lui – Tu as un air… affirmatif.
Elle – Je le suis ! Je suis affirmative ! Mon père est libraire, ne l’oublie pas ! Il espère acheter un de tes livres un jour – à défaut de le vendre. Alors, il guette.
Lui – Je pense souvent à lui.
Elle – À défaut de l’appeler.
Lui – Au moment de la rupture, je me suis dit… C’est trop tôt…
Elle – Après tu t’es dit…
Lui – C’est trop tard… Voilà… Que de banalité !
Elle – Et tes études ?
Lui – Et les tiennes ?
Elle – Eh bien… j’ai obtenu ma maîtrise de psycho…
Lui – En huit ans, c’est pas mal… j’ai eu mon CAPES, j’enseigne le français !
Elle – Au collège ou au lycée ?
Lui – Au lycée !
Elle – C’est moins grave, ils sont plus grands.
Un temps.
Lui – Et toi ? Tu travailles ?
Elle – Non… Je songe à reprendre mes études !
Lui – Un master II ?
Elle – Oui, et une thèse ensuite…
Lui – Il faut avoir de l’ambition dans la vie !
Elle – Je vais t’en prendre un peu…avant de partir…Elle se dirige vers la porte.
Lui – On n’est pas très pressé non plus ! Tu peux t’asseoir !
Elle – C’est très aimable ! Je n’osais pas !
Lui – Tout de même, entre nous… après tout ce que nous avons… vécu… ensemble !
Elle – Oui !
Lui – Tu veux que je mette ta viande au frais… Le temps que tu restes ici ?
Elle – Ma viande ?
Lui – Tu sortais de chez le boucher.
Elle – Ah ! Ma bavette ! Oui, volontiers.
Lui – Toujours le même morceau !
Elle – Et toi ? Laisse-moi deviner… Un onglet !
Lui – Perdu ! Il n’y en avait pas, les bouchers se gardent toujours les meilleurs morceaux ! Une bavette également !
Il sort. Elle feuillette un livre sur la table, semble ennuyée par son contenu et le repose négligemment. Il entre.
Lui – Tu veux boire quelque chose ?
Elle – Un jus de fruit.
Lui – Tu ne bois plus d’alcool ?
Elle – Un jus de fruit avec un fond de vodka !
Lui – Je me disais bien… Il sert la vodka. Je vais chercher le jus d’orange !
Elle – Je t’en prie ! Il ne sort qu’un instant et la sert à son retour. Merci ! Tu ne prends rien ?
Lui – Je vais me servir un whisky.
Un temps long laissant présager une question qui brûle les lèvres mais que l’on n’ose pas poser.
Elle – Tu vis avec quelqu’un ?
Lui – Non, mais je sors avec une femme.
Elle – Toujours les appartements séparés alors !
Lui – Toujours ! Pour écrire.
Elle – Ah, oui ! Pour écrire ! Et… ça fait longtemps ?
Lui – Ça fait longtemps que quoi ?
Elle – Que vous êtes ensemble ?
Lui – Trois ans, trois mois et… douze jours !
Elle – C’est bien !
Lui – C’est même très bien…
Elle – Tu es… heureux ?
Lui – Très !
Elle – Tu ne me demandes pas ?
Lui – Je ne te demande pas quoi ?
Elle – Si j’ai quelqu’un !
Lui – Ah… Bien sûr que si… Tu as quelqu’un ?
Elle – Oui ! Ça fait cinq ans... Depuis le 1er janvier !
Lui – Oh ! Depuis le 1er janvier ! C’est bien ça ! Et… tu es heureuse ?
Elle – Oui...
Lui – Le « oui » est timide.
Elle – Mon bonheur aussi.
Lui - Ah ! J’en suis désolé.
Elle – Moi aussi ! Un temps. On a bien ri toi et moi.
Lui – Eh oui ! Parfois on a bien ri.
Elle – Oui mais… Tu sais… Les bonnes choses…
Lui – Ne sont pas faites pour durer ! Si l’on s’entend bien, il vaut mieux rompre, c’est l’ennui qui fait durer les couples.
Elle – Ne soit pas idiot !
Lui – Je ne le suis pas… Enfin, il me semble !
Elle – Quoi qu’il en soit, on a bien ri tous les deux !
Lui – Quoi qu’il en soit, hein ! Ah, la fête de la musique jusqu'à deux heures du matin, les 14 juillet et ses feux d’artifice, le week-end du 15 août en camping à Saint-Jean-de-Mont…
Elle – Où tu avais arrosé toutes les femmes qui faisaient la vaisselle !
Lui – Eh oui.
Elle – Et les collages d’affiches !
Lui – Où je devais te promettre de te payer le restaurant pour que tu daignes venir…
Elle – C’était pour t’embêter ! J’adorais ça !
Lui – M’embêter ?
Elle – Non… Coller les affiches ! Tu le fais toujours ?
Lui – Moins, beaucoup moins ! Même plus du tout ! Je me suis embourgeoisé ! Le militantisme m’épuise ! Mais il m’en reste quelques-unes, si tu veux faire un collage…
Elle – On verra !
Lui – Tu… tu as quelque chose de prévu ce soir ?
Elle – Non, Stéphane…
Lui – Il s’appelle Stéphane ?
Elle – Oui !
Lui – Oh, quel joli prénom…
Elle – Tu le connais…
Lui – Le serveur du restaurant où nous allions si souvent…
Elle – Oui, voilà ! Stéphane, donc, est parti pour trois jours chez ses grands-parents…
Lui – Oh, comme c’est mignon.
Elle – Pour les obsèques de sa grand-mère.
Lui – Comme c’est dommage.
Elle – Qui était riche.
Lui – Comme tu as de la chance.
Elle – Il héritera un jour…
Lui – Malgré le fait que ton bonheur soit timide, j’en connais un qui ne sera pas célibataire tout de suite…
Elle – Eh non, mais il ne faut pas le lui dire!
Lui – Il y a peu de chance que je lui parle un jour !
Elle – On ne sait jamais !
Lui – Il travaille dans un nouveau restaurant ?
Elle – Non, pourquoi ? Toujours le même ! Il est même propriétaire !
Lui – Il n’y a donc aucune chance pour que je le recroise un jour ! Je ne vais plus dans ce restaurant, la nourriture y est comme le propriétaire, fade et sans consistance !
Elle – Pourtant, parfois j’y fais le service…
Lui – Oh, maladroite comme tu es !
Elle – Disons plutôt que je tiens la caisse !
Lui – Ce rôle doit t'aller à merveille !
Elle – Je te rappelle au passage que nous habitons, toi, moi et… Lui, par conséquent… dans la même rue….
Lui – Eh bien, je vais déménager ! Je blague ! Un temps.
Elle – Et tes parents, au fait, comment vont-ils ?
Lui – Mon père est malade…
Elle – Le pauvre…
Lui – Mais l’héritage ne sera pas à ta hauteur…
Elle – Tu es ignoble … Je...