Acte I
Rideau fermé, on entend de gros effets Larsen puis le dialogue suivant :
Ducrampon. – Essayez de parler. Dites quelque chose.
Rosemonde. – Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? (Larsen.) C’est pas bien au point, votre machin.
Ducrampon. – Mais baissez le volume du micro, voyons !
Rosemonde. – Comment on fait ?
Ducrampon. – Je vous l’ai déjà dit : en tournant le couvercle.
Rosemonde. – Comme ça ? (Larsen.)
Ducrampon. – Dans l’autre sens, bécasse !
Rosemonde. – Dites donc ! Restez poli, sinon… (Larsen.) Ça marche pas non plus.
Ducrampon. – Vous manquez de doigté, voilà tout.
Le rideau s’ouvre sur Rosemonde, une boîte de camembert en main et un rouleau à pâtisserie sous le bras, face à Ducrampon en costume noir et nœud papillon (smoking si possible), coiffé d’un cache-oreilles rose faisant office de casque audio relié à un petit boîtier dont il tripote les boutons.
Ducrampon. – Le doigté. Tout est dans le doigté.
Rosemonde. – Doigté ou pas doigté, ça marche pas ! Pas étonnant, aussi, une boîte de camembert…
Ducrampon. – Mais la boîte de camembert n’est que le camouflage du micro. Personne ne se méfie d’une boîte de camembert. C’est là qu’est tout le génie de l’agent Z.Z.4.3.
Rosemonde. – Qui c’est celui-là ?
Ducrampon. – C’est moi, voyons.
Rosemonde. – Z.Z.4.3. ? Je croyais que vous vous appeliez Ducrampon.
Ducrampon – Z.Z.4.3., c’est le numéro d’agent spécial que j’ai choisi. Classe, non ?
Rosemonde. – Bof ! Si vous le dites.
Ducrampon. – Z.Z.4.3. ? Ça ne vous rappelle personne ? Quatre et trois, sept… ZZ7 ? (Prenant l’attitude classique de James Bond.) Toujours pas ?… Appelez-moi Pon. Ducram… Pon… Là, vous y êtes ?
Rosemonde, après trois secondes sans aucune réaction. – Bon ! J’ai un feuilleté au saumon à finir, moi. Bricolez votre micro camembert sans moi, m’sieur Z.Z. Pompon ou bidule 4.3. (Elle pose la boîte sur la table.)
Ducrampon. – Ducrampon. Agent Ducrampon ! Restez ici, je vous prie ! Je vous rappelle que M. le ministre vous a demandé de collaborer avec moi.
Rosemonde. – C’est pas que je ne veux pas, mais ça marche pas. C’est pas ma faute si on vous a refilé un micro de la guerre de 14.
Ducrampon. – Détrompez-vous. Ce micro espion est à la pointe de l’innovation technologique.
Rosemonde. – Ben, il cache bien son jeu… mais si vous le dites.
Ducrampon. – Évidemment que je le dis, c’est moi qui l’ai conçu.
Rosemonde, au public. – Ah ! ceci explique sans doute cela !
Ducrampon. – Avec ce matériel, on écouterait péter une mouche sous un édredon. Montez un peu le volume, très lentement cette fois-ci. (Elle le fait mais sans reprendre la boîte en main, et larsen.) C’est pas possible ! Vous le faites exprès ?
Rosemonde. – Je fais ce que je peux… À mon avis, c’est que nous sommes trop près l’un de l’autre.
Ducrampon. – Pfeuh ! Comme si un agent spécial de ma trempe avait besoin de l’avis d’une cuisinière ! Vous n’y connaissez rien, ma pauvre fille. Voyons… Euh !… Bon !… Poussez-vous… Un peu plus… Vous voyez bien que nous sommes trop près… Bon !… Euh !… Je passe dans la pièce d’à côté, et puis c’est tout. (Il sort au petit salon et off :) Et appliquez-vous, cette fois !… Allez-y, parlez !
Rosemonde. – Bien, agent Ducrampon. Comme vous voudrez, agent Ducrampon.
Ducrampon, off. – Je n’entends toujours rien… Montez un peu le volume… Encore un peu !… Mais parlez, nom d’un chien ! Parlez ! Quelle empotée !
Rosemonde, rongeant son frein. – Ducrampon pompon ! Pompon et repompon, Ducrampon petit patapon, Ducrampon petit c… !
Ducrampon, off. – Je n’entends rien… Vous êtes sûre de tourner le couvercle dans le bon sens ?
Rosemonde. – Ben oui !
Ducrampon, off. – Bon, alors, tapotez un peu sur ledit couvercle… (Elle le fait.) Un peu plus fort… Rien. Tapotez, vous dis-je !… Toujours rien… Mais tapotez, espèce de gourde !
Rosemonde regarde le public avec un sourire en coin puis flanque un grand coup de rouleau à pâtisserie sur la boîte qui explose littéralement dans un énorme effet Larsen agonisant.
Rosemonde. – C’est mieux, là ?
Ducrampon, entrant, les yeux exorbités et vibrant de tout son être. – J’aaaavaiiiis diiiit, taaaapooooter !
Rosemonde. – Mille excuses. Je ne maîtrise pas bien le tapotage. Je dois être trop gourde.
Ducrampon. – Maiiiis vous êêêêtes complètement foooolle ! Vous avez détruit le…
Rosemonde. – De toute façon, il marchait pas, alors. On n’a pas perdu grand-chose.
Ducrampon. – Vous savez ce que ça coûûûûte ? Même la CIA n’aaaaa pas le mêêêême !
Rosemonde, moqueuse. – Heureusement pour elle. Bon, je retourne à mon feuilleté, moi.
Ducrampon, hurlant. – Vous êtes une malaaaaade ! Une grande malade !
Claude, entrant du couloir précipitamment, suivi de Marie-Louise. – Ce n’est pas bientôt fini ce raffut ? Ducrampon, vous êtes devenu fou ?
Ducrampon. – C’est elle la fooolle, monsieur le ministre. Elle a puuuulvérisé mon micro espion super diiiiiscret.
Marie-Louise. – Oh là là ! Vous êtes blessé, agent Ducrampon ?
Ducrampon. – Nooon. Tout va bien, ma petite Marie-Louiiiiiise.
Marie-Louise, aux anges. – Tant mieux.
Ducrampon. – Z.Z.4.3. en a vuuuuu d’autres.
Marie-Louise, même jeu. – Oh ! je n’en doute pas ! Hum ! Vous, alors !
Claude. – Marie-Louise ?
Marie-Louise. – Pardon, monsieur le ministre.
Claude. – Allez me chercher ma mallette dans la voiture.
Marie-Louise, sans lâcher Ducrampon des yeux. – Tout de suite, monsieur le ministre ?
Claude. – Évidemment, tout de suite !
Marie-Louise. – Bien, monsieur le ministre. (Elle se dirige vers le hall.)
Claude. – Marie-Louise !
Marie-Louise. – Oui, monsieur le ministre ?
Claude. – La voiture est près de la serre.
Marie-Louise. – Ah oui ! C’est vrai ! (Elle se dirige vers le passage.)
Claude. – Marie-Louise !
Marie-Louise. – Oui, monsieur le ministre ?
Claude, montrant la porte-fenêtre. – C’est par là.
Marie-Louise. – Ah oui ! Je n’ai jamais eu le sens de l’orientation. (Elle sort par la porte-fenêtre.)
Claude. – Quelle équipe ! Et vous, c’est ça votre micro espion super discret ?
Ducrampon. – Oui, enfin, c’était. Oh ! je suis désolé, monsieur le ministre ! C’est elle qui…
Claude. – Rosemonde, vous avez bien fait.
Ducrampon. – Hein ?!
Claude. – Ducrampon ? Je vous avais demandé de poser un micro d’une discrétion absolue ?
Ducrampon. – Tout à fait, monsieur le ministre, dans la chambre bleue.
Claude, mielleux. – Oui. La chambre que va occuper le président du Kazoukshistan tout à l’heure, effectivement, car le micro qu’avaient placé nos spécialistes, comme d’autres un peu partout dans ce château, ne fonctionne plus… (Soudain furieux :) depuis que vous avez voulu en régler la sensibilité !
Ducrampon. – C’est bien pour cela que j’avais décidé de le remplacer par celui-ci, monsieur le ministre.
Claude. – Et vous pensiez le poser où, votre micro, pour être discret ? Dans l’armoire ? Sous le lit ? Sur la table de nuit, peut-être ?
Ducrampon. – Eh bien, je…
Claude. – Une boîte de fromage ! Dans une chambre !
Ducrampon. – C’est que je n’ai rien trouvé de plus…
Claude, le coupant. – … de plus débile ? Ah si ! Si, si. Vous avez fait très fort sur les écouteurs. Là, c’est le top.
Ducrampon, en enlevant son cache-oreilles. – Parfaitement, monsieur le ministre. Ce sont les écouteurs de ma petite-nièce que j’ai adaptés à nos besoins. J’ai pensé qu’étant supposé être le jardinier, donc toujours dehors, un cache-oreilles, tout le monde trouverait ça normal.
Claude. – Normal ? Un cache-oreilles rose fluo ? En plein mois d’août ?
Ducrampon. – Ah oui ! Effectivement ! Vu sous cet angle… Je n’y avais pas pensé…
Claude. – Foutez-moi tout ce bazar à la poubelle, et allez vous changer. Vous êtes censé remplacer le jardinier souffrant, pas le châtelain.
Ducrampon. – Bien, monsieur le ministre. J’ai tout ce qu’il faut dans la voiture. J’ai tout prévu, monsieur le ministre.
Claude. – Pressez-vous ! Le président Cémoilchef et son garde du corps vont arriver d’une minute à l’autre.
Ducrampon. – Bien, monsieur le ministre. (Il s’apprête à sortir par la porte-fenêtre en emportant ce qu’il reste de la boîte, mais se heurte à Marie-Louise revenant avec une sacoche. Il se retrouve sur les fesses.)
Marie-Louise. – Oh ! pardon ! Mille excuses. Voici votre mallette, monsieur le ministre. Je ne vous ai pas fait mal, agent Ducrampon ?
Ducrampon. – Il en faut un peu plus pour faire mal à Z.Z.4.3., ma petite.
Marie-Louise. – Ah ! ben oui, évidemment ! Un homme tel que vous…
Claude. – Marie-Louise ?
Marie-Louise. – Oui, monsieur le ministre ?
Claude. – Ceci n’est pas ma mallette.
Marie-Louise. – Ah bon ? Mais je l’ai pourtant prise dans le coffre de la voiture…
Claude. – Je n’en doute pas, mais ça, c’est la trousse à outils, pas ma mallette. Retournez, je vous prie.
Marie-Louise. – Mais il n’y avait que celle-ci dans le coffre, j’en suis certaine.
Claude, s’affolant. – Comment ? Où est passée ma mallette ? Elle contient des dossiers de la plus haute importance ! Qu’en avez-vous fait ? Où est-elle ?
Marie-Louise. – Je ne sais pas, monsieur le ministre.
Ducrampon. – Elle est dans la serre, monsieur le ministre.
Claude. – Que fait-elle dans la serre ?
Ducrampon, fier de lui. – Je l’y ai enterrée, monsieur le ministre.
Claude. – Vous l’avez quoi ?!
Ducrampon, même jeu. – J’ai pensé que c’était le meilleur moyen de la mettre en parfaite sécurité.
Claude. – Et vous n’avez pas aussi pensé que je pourrais en avoir besoin ?
Ducrampon. – Ah non ! Ça, je n’y avais pas pensé.
Claude, hurlant. – Allez me chercher cette mallette en vitesse, tous les deux !
Ducrampon et Marie-Louise, se bousculant pour sortir en courant. – Tout de suite, monsieur le ministre.
Rosemonde, au public. – Ben, sont pas tristes, ces deux-là !
Claude, criant. – Et propre, si ce n’est pas trop demander !
Ducrampon et Marie-Louise, off. – Oui, monsieur le ministre !
Rosemonde. – Monsieur le ministre ? Eh ben ! J’ai beau le savoir, ça me fait tout drôle. Moi, j’en suis toujours restée à mon petit Claude. Mon petit bonhomme.
Claude. – Au fond de moi, je le suis toujours, tu le sais bien. Je n’oublierai jamais que tu étais ma nounou quand je venais en vacances ici, chez tatie Anna.
Rosemonde. – Qu’est-ce que tu as pu avaler comme gaufres au chocolat !
Claude. – Ah ! tes gaufres au chocolat ! Rien que d’en parler, j’en ai l’eau à la bouche.
Rosemonde. – Je t’en ferai, promis.
Claude. – Oui, mais plus tard, si tu veux bien.
Rosemonde. – Oui, oui. Ne t’inquiète pas. Aujourd’hui, c’est M. le ministre du Commerce extérieur qui est devant moi, et les gaufres au chocolat ne sont pas sa priorité. J’ai compris.
Claude. – Tu as toujours tout compris. C’est bien pour cela que je t’ai demandé ton aide.
Rosemonde. – Là, pour le coup, j’ai moins compris.
Claude. – J’ai besoin de quelqu’un de confiance pour chaperonner un peu les deux improbables qui sont censés m’aider et dont tu viens d’avoir un aperçu des talents.
Rosemonde. – Où tu les as trouvés, ces deux guignols ?
Claude. – Marie-Louise est ma secrétaire ; mais pour Ducrampon, je n’ai pas le droit d’en parler.
Rosemonde. – Je croyais que j’étais une personne de confiance ?
Claude. – C’est vrai, mais là on est dans le secret d’État…
Rosemonde. – Bon, je n’insiste pas. (Elle tourne les talons.) J’ai un feuilleté à terminer.
Claude. – Attends ! Après tout, tu as raison. Si je veux que tu m’aides, il va bien falloir que tu sois tôt ou tard dans la confidence… C’est le Boss qui me l’a fourni.
Rosemonde. – Ton patron ?
Claude. – Non, le Boss.
Rosemonde. – Oui, le Premier ministre, quoi.
Claude. – Non, le… (En épelant :) B.O.S.S.
Rosemonde. – Quésaco ?
Claude. – Le B.O.S.S. Le Bureau des Opérations Super Secrètes.
Rosemonde. – Jamais entendu parler.
Claude. – Forcément, puisqu’il est secret, et même plus que secret. Officiellement, ce bureau n’existe pas ; mais en réalité, il dépend directement de l’Élysée, et même directement et uniquement du président. Il ne traite que des affaires extrêmement délicates.
Rosemonde. – Avec ce genre de gugusse, ça promet ! Je savais le budget de l’État en baisse, mais pas à ce point-là !
Claude. – Ce n’est pas une question de budget, mais il paraît que c’est le petit-cousin du neveu de la belle-mère du président.
Rosemonde. – Encore un pistonné !
Claude. – Hélas ! C’est bien pour ça que j’ai besoin de toi.
Rosemonde. – Tu veux que je lui serve de nounou ?
Claude. – Presque. Je veux surtout que tu gardes un œil sur lui pour l’empêcher de commettre des bourdes qui ruineraient ma mission auprès du président du Kazoukshistan.
Rosemonde, rectifiant. – Mouais… Du dictateur du Kazoukshistan, à ce que j’en sais.
Claude. – Oui, dictateur si tu veux… Mais pour la France aujourd’hui, Zoran Cémoilchef est l’homme le plus important qu’il soit. C’est pour cela que le Boss a décidé de lancer l’opération Camomille.
Rosemonde. – L’opération Camomille ?
Claude. – Oui, c’est une opération qui a pour but d’endormir la méfiance de Cémoilchef afin de conclure avec lui un fabuleux contrat. Un contrat vital pour l’avenir de notre pays, et que le président de la République en personne doit venir signer ici dans les heures qui viennent. Il en va de l’avenir de la France. Si on se rate, dès demain, il signera avec d’autres. On ne peut pas se permettre le moindre faux pas. Il faut être aux petits soins et exaucer ses moindres désirs.
Rosemonde. – Mais si c’est...